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Rédigé à 12:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
La traduction qui suit a été rédigée à notre intention par notre fidèle collaboratrice, Isabelle Pouliot. Isabelle est membre de la NCTA et ancienne résidente de la région de San Francisco. Elle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) http://traduction.desim.ca
Le président Biden ordonne un examen du programme de visas spéciaux d'immigrants pour les interprètes afghans et irakiens qui ont travaillé pour l'armée américaine. (Fox News, le 5 fevrier 2021)
On estime qu'environ 100 000 Irakiens et 17 000 Afghans attendent toujours les résultats de programmes spéciaux destinés à accueillir en sol américain des interprètes qui ont servi fidèlement l'armée américaine, au péril de leur propre vie. Un nouveau décret du président américain Joe Biden demande d'effectuer un examen approfondi de ces programmes, une étape jugée importante afin de résoudre les lacunes systémiques, les problèmes de communication et les retards de plusieurs années dans le traitement des demandes de visa.
Le décret présidentiel du 4 février demande d'effectuer un examen conjoint des programmes de visas spéciaux d'immigrants ciblant les alliés irakiens ou afghans.
Un rapport devra être remis au président Biden dans les six mois et comprendre les éléments suivants :
Année après année, le Congrès a approuvé des milliers de visas pour des interprètes irakiens et afghans, mais l'accumulation des dossiers à traiter surpasse le nombre de visas autorisés et les exigences strictes des demandes font en sorte que bon nombre de ces visas demeurent sans détenteurs.
Selon le département d'État, 11 500 visas ont été approuvés pour des interprètes afghans et leur famille depuis 2018, mais la plupart de ces visas n'ont pas encore été délivrés depuis.
En décembre, plus de 1000 demandeurs de visa afghans et irakiens ont signé une pétition adressée à Joe Biden, alors président élu, lui demandant de régler le problème, rapportait le journal The Washington Post.
Un ex-sergent de l'armée américaine, James Miervaldis, a passé trois ans à aider son propre interprète afghan à obtenir un visa d'immigrant pour les États-Unis, et ce, même si le dossier contenait une lettre de recommandation de l'ancien ambassadeur des États-Unis en Afghanistan. Malgré l'appui de personnes influentes, dont des vétérans maintenant membres du Congrès qui ont tenté de faire venir dans leur pays leurs anciens interprètes, les retards et les ratés du programme n'ont fait qu'empirer au fil des ans, selon James Miervaldis.
Un ancien officier décoré du corps des Marines, Zach Iscol, a tenté pendant 15 ans de faire venir aux États-Unis un autre interprète irakien, surnommé Frank, qui avait été atteint d'un tir et blessé aux côtés de militaires américains à Falloujah en 2004. Malgré des lettres de recommandation de plusieurs généraux, la demande de visa de Frank s’est perdue dans les limbes dit-il.
Un autre interprète avec qui Zach Iscol avait travaillé, Abood, est décédé aux États-Unis en 2011. M. Iscol est toujours en contact avec sa veuve et ses enfants, dont deux filles qui sont maintenant policières au sein du service de police de New York.
Zach Iscol a bon espoir que la demande d'examen ordonnée par le président Biden, et notamment l'analyse des exigences des demandes de visa, apportera des changements significatifs.
« Quand le gouvernement américain accorde la priorité à un dossier, il peut le régler. Comme dans n'importe quelle organisation, il s'agit d'obliger les gens à rendre des comptes et à faire de la venue de traducteurs une priorité et de désengorger le système », a-t-il déclaré.
Rédigé à 19:47 | Lien permanent | Commentaires (0)
L'article qui suit, rédigé par Dominique Mataillet, a paru dans la prestigieuse revue des francophiles aux États-Unis (et la plus connue des publications bilingues français-anglais dans le monde), FRANCE-AMÉRIQUE. Nous le republions ici avec l'autorisation aimable de la Directrice, Guénola Pellen, notre linguiste du mois de juin 2020.
Les Anglais et les Américains s’en étonnent toujours. Pourquoi les Français s’évertuent-ils à les qualifier d’Anglo-Saxons ? Que penseraient ces Frenchies si on lançait à leur adresse des vocables tels Franco-Burgondes ou Séquano-Arvernes (du nom de deux groupes gaulois) ?
Le terme en cause a en effet pour origine les noms de deux peuples germaniques, les Angles et les Saxons (auxquels il faudrait adjoindre les Jutes), qui, originaires du nord de l’Allemagne, s’établirent en Grande-Bretagne à partir du VIe siècle.
Affubler les Britanniques et les Américains d’un nom qui remonte à quinze siècles, c’est d’une certaine façon les renvoyer à une époque où, vu de l’Europe latine, les peuples étrangers à la sphère de Rome étaient des barbares. Faut-il rappeler que les Français ont longtemps qualifié avec mépris les Allemands de « Teutons », du nom d’une autre population germanique ?
Pour les linguistes, « anglo-saxon » est un mot au sens bien précis. Synonyme de vieil anglais, il correspond au plus ancien stade de l’histoire de la langue anglaise avant qu’elle subisse l’influence du latin apporté par les missionnaires chrétiens puis celle du vieux norrois parlé par les envahisseurs vikings. Comme on le sait, ce proto-anglais évoluera considérablement sous l’influence du français après la conquête normande de 1066.
Dans le français courant, l’adjectif « anglo-saxon » désigne ce qui a rapport avec le Royaume-Uni, les États-Unis et les autres pays occidentaux de langue anglaise, soit, essentiellement, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. « Occidentaux » : la précision est fondamentale, car de grands pays comme l’Inde ou le Nigeria, où l’anglais est couramment parlé, ne sont pas considérés comme anglo-saxons.
Le problème est que l’on ne sait jamais de qui on parle précisément. Des Anglais ? Des Américains ? Des deux à la fois ? Des héritiers de l’empire britannique ?
Si le terme est utilisé aux États-Unis par les sociologues, c’est sous la forme de l’acronyme WASP (White Anglo-Saxon Protestant). On entend par là les descendants des immigrants d’Europe du Nord et de l’Ouest (Royaume-Uni, Allemagne, Scandinavie…) dont la culture et le mode de vie ont façonné pour une bonne part la nation américaine depuis le XVIIe siècle.
En cela ils s’opposent à d’autres Européens, catholiques, originaires notamment d’Irlande, d’Italie et de Pologne. Et se différencient plus encore des juifs et des non-Blancs tels que les Afro-Américains, les Hispaniques ou les Amérindiens.
Pour les Français, le mot « anglo-saxon » évoque plus largement l’idée d’un monde - voire une civilisation - plaçant les libertés individuelles au-dessus de tout. Longtemps pris pour modèle, ce monde est de plus en plus présenté comme un repoussoir. On l’accuse de véhiculer des valeurs telles que l’individualisme et le communautarisme et, surtout, de subvertir la langue française avec son idiome.
Il est vrai, et les francophones sont bien placés pour le savoir, que le partage d’une langue est un puissant facteur de rapprochement entre nations. La plupart des pays ayant l’anglais pour langue officielle ont en commun un système juridique, la common law, issu du droit anglais. Ce qui ne les empêche pas d’afficher d’importantes différences socio-culturelles, creusées par l’histoire et la géographie. Le mode de vie anglais est plus proche du modèle européen continental que de l’American way of life.
Si l’on pense spécifiquement à une entité linguistique, plus ou moins large selon les définitions, le terme anglophone semble tout à fait approprié. Pourquoi ne pas utiliser également celui d’« anglosphère » imaginé par l’écrivain Neal Stephenson ? En ayant en tête la formule de George B. Shaw : « L’Angleterre et les États-Unis sont deux nations divisées par une langue commune. »
Rédigé à 18:49 | Lien permanent | Commentaires (1)
Redshirting est un terme hérité du sport universitaire américain. Dans un tel contexte, c'est faire durer la participation d'un étudiant à un programme sportif, de manière à allonger la période pendant laquelle il pourra jouer en équipe. Un étudiant peut, par exemple, étaler ses études universitaires sur 5 ou 6 ans (au lieu des quatre ans du cycle normal), afin de parvenir à de meilleurs résultats tout en continuant à jouer dans l'équipe de son université. Le terme est utilisé comme verbe (to redshirt), substantif (redshirting) et adjectif (redshirt).
Selon le Webster's Third New International Dictionary, Unabridged, le terme redshirt vient du jersey rouge [1] couramment porté par un tel joueur dans les mêlées d'entraînement contre des joueurs ordinaires.
Le terme est maintenant utilisé pour désigner la pratique consistant à retarder d'un an la scolarisation d'un enfant de cinq ans, pour qu'il soit ensuite parmi les plus âgés de la classe et non parmi les plus jeunes.
Ces derniers temps, l'un des sujets de 60 Minutes, l'émission à succès de la télé américaine, a été consacré aux arguments pour et contre cette pratique.
The Redshirting Debate Continues
The New York Times, 26 Septembre 2011
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Les parents qui retardent ainsi la scolarisation de leurs enfants peuvent être taxés d'“hyperparenting” (ou d'“over-parenting”), le fait d'entourer les enfants de soins excessifs ou obsessifs, en les surprotégeant.
Une expression synonyme d'hyperparenting est parent helicoptering (héliportage parental), le fait des parents-hélicoptères.
Si cette expression ne s'est répandue qu'au cours des dix dernières années, le livre à succès « Between Parent and Child », publié il y a plus de quarante ans, lançait l'idée des hovering parents (parents-ventouses).
Deux des livres écrits depuis que le terme s'est répandu sont:
The Over-scheduled Child:
Avoiding the Hyper-Parenting Trap,
by Rozenfeld, Wise and Coles, St. Martin’s Griffin, 2001
Under Pressure:
Rescuing Childhood from the Culture of Hyper-Parenting,
by Carl Honoré, HarperOne, 2009 (reprint)
En mai 2012, les éditions Thomas Nelson publieront un livre : Momaholic : Crazy Confessions of a Helicopter Parent, rédigé par Dana Higley.
Moins connue, l'expression lawnmower parents désigne les parents qui s'efforcent d'aplanir tous les obstacles devant leurs enfants.
Traditionnellement, les directeurs d'écoles, les moniteurs de sports et les administrateurs d'université ont été les victimes des parents-hélicoptères, mais une enquête citée dans Diversity Executive, intitulée : “How to Tactfully Deal with ‘Helicopter Parents’ [Comment gérer avec tact le problème des parents-hélicoptères], révèle que la tendance s'étend maintenant au monde du travail, où les parents pressent les gestionnaires d'engager leurs enfants.
Un autre article sur le sujet explique que les parents qui ont investi beaucoup d'argent dans les études de leurs enfants veulent un « retour sur investissement ».
L'un des facteurs auxquels on peut imputer le parent helicoptering (l'héliportage parental) est le téléphone portable, que le Professeur R. Mullendore, de l'Université de Géorgie, qualifie de « plus long cordon ombilical du monde ».
Le New York Times a publié un article sur les camps d'enfants intitulé : "Dear Parents: Please Relax, It’s Just Camp" (« Chers parents, détendez-vous, ce n'est qu'un camp »)
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[1] Le mot jersey était un mot couramment utilisé en anglais britannique dans le sens de sweater, et cela depuis le XVIe siècle. Aujourd'hui, à ma connaissance, jersey a été largement remplacé par jumper et, dans une moindre mesure, par sweater, tandis que ce dernier est utilisé exclusivement aux États-Unis, du moins pour autant que j'en sache. Toutefois, jersey continue à être utilisé aux États-Unis dans le sens de maillot de sport.
J.Goldberg
Rédigé à 14:41 | Lien permanent | Commentaires (0)
E N T R E T I E N E X C L U S I F
Nadine Gassie, qui a bien voulu traduire l'entretien ci-dessous, et sa fille Océane Bies, étaient nos linguistes du mois d'avril 2017. Sa derniere traduction, L’appel du cactoès noir (Riding the Black Cockatoo, redigé par l'auteur australien, John Danalis), vient de paraitre chez les éditions Marchialy. Nous remercions infiniment Nadine d'avoir accepté de traduire cet entretien.
Qu'est-ce qui vous a incitée à étudier le français et la linguistique ?
J'ai su dès mon plus jeune âge que je voulais travailler dans les langues vivantes. J'étais en CM2 quand notre maître nous a parlé de correspondance scolaire. Pour un dollar, on pouvait choisir un pays et recevoir le nom et l'adresse d'un élève qui avait envie de correspondre avec nous. J'ai choisi environ cinq correspondants de cinq pays différents. Tous ne m'ont pas répondu mais ma correspondante du Japon l'a fait aussitôt. Grâce à l'échange de lettres, de petits cadeaux, de nourriture, etc., nous sommes devenues amies. Tellement amies qu'elle est venue me voir aux États-Unis et que je suis allée la voir au Japon alors que j'avais à peine 14 ans. Notre amitié l'a même incitée à venir faire sa dernière année de lycée avec moi aux États-Unis ! C'est presque surréaliste qu'une simple correspondance scolaire ait débouché sur une véritable amitié. Je la regardais étudier très tard le soir, non seulement pour bûcher les matières, mais pour le faire dans sa deuxième langue. C'est là que j'ai su que je voulais travailler avec des apprenants en langues comme elle, et que je voulais apprendre des langues moi aussi. J'ai commencé par étudier le japonais, appris à lire et écrire en caractères katakana, hiragana, kanji... À l'université, j'ai commencé l'apprentissage du français et une spécialisation en anglais, linguistique et TESOL. Après avoir obtenu ma licence à la California Polytechnic State University, à San Luis Obispo, je suis partie passer deux années scolaires en France comme assistante de langue* recrutée par le ministère de l'Éducation nationale. La première année j'ai été nommée dans une école primaire à Troyes et la deuxième année dans un lycée technique à Reims. Comme j'étais en immersion complète dans la langue et la culture, mon français s'est tellement amélioré que j'ai pu passer les niveaux B2 et C1 des tests de compétence linguistique en français. Je suis ensuite retournée aux États-Unis pour terminer ma maîtrise puis, après l'obtention de mon diplôme, je suis revenue en France où j'ai enseigné à nouveau à Reims, mais à l'université cette fois. Mon expérience de l'enseignement en France a abouti à la prise de conscience que je souhaitais devenir chercheuse en linguistique appliquée, notamment en expression et prononciation de la seconde langue. Je trouvais fascinant qu'il y ait une si grande variabilité dans les performances de prononciation entre les apprenants et je voulais découvrir ce qui expliquait cette variabilité. C'est ce qui a inspiré ma thèse qui portait sur les différences individuelles et les conséquences au niveau de la prononciation.
Pensez-vous qu'une compétence en langues et en linguistique aide à prendre en charge les problèmes du monde réel ?
C'est une question importante. Dans mes cours d'« Introduction à la linguistique » en premier cycle, je commence toujours par faire réfléchir mes étudiants à l'importance du langage (parlé, écrit, signé, non verbal, etc.) en leur faisant imaginer le monde, ou ne serait-ce qu'une seule journée, sans langage. Il s'ensuit une prise de conscience que le langage est partout. C'est l'essence de ce qui fait de nous des êtres humains et nous permet de nous instruire, d'accomplir nos missions dans le cadre de notre travail, d'avoir des conversations avec nos proches, de lire et comprendre un bon livre, de regarder un film, de rédiger des mails, de nous repérer dans un aéroport, de prononcer un discours, etc., etc.
Le langage étant au cœur de toutes nos activités, la connaissance en linguistique est cruciale dans quantité de domaines du monde réel autres que l'apprentissage ou l'enseignement et la recherche en langues. Je pense par exemple à la politique linguistique, à l'initiation aux dialectes, à la traduction, à l'interprétation, au marketing, aux affaires, aux relations internationales, au gouvernement, à l'informatique, au droit, à la médecine, aux pathologies du langage, etc., etc. La linguistique procure une sorte de « super pouvoir » pour s'attaquer aux questions, problèmes et controverses du monde contemporain. Elle nous permet de penser systématiquement un moyen pour tendre vers une fin.
Votre connaissance du français vous sert-elle dans vos exemples didactiques ?
Je m’appuie beaucoup sur ma connaissance du français pour donner des exemples à mes étudiants sur la façon dont d'autres langues fonctionnent. Le français en particulier fournit d'excellents exemples de l'opposition entre le tu et le vous de politesse, que mes étudiants hispanophones peuvent relier à l'opposition tú/usted. Je m'inspire du français pour illustrer des noms genrés, que l'anglais n'a pas. Le français est également idéal pour illustrer des problèmes phonétiques qui se posent aux anglophones, comme la distinction entre « dessus » (son u) et « dessous » (son ou). Cela permet également de se familiariser avec les variations de prononciation du français d'une communauté linguistique à une autre, que ce soit au niveau régional, européen ou international. Sans oublier le verlan qui est un système linguistique à part entière extrêmement fascinant. Je n'ai jamais appris le verlan à l'école, probablement parce qu'il n’était pas perçu comme « correct », mais dès mon arrivée en France, je l'ai entendu partout − dans les rues, dans les salles de classe, dans les films, dans les chansons et dans les conversations. Le verlan va bien au-delà d'une simple inversion des syllabes car les mots en verlan subissent également des changements phonétiques, orthographiques et de sens. De plus, on ne peut pas renverser n'importe quel mot − les mots en verlan sont établis dans et par la communauté linguistique. Cela montre que la variation linguistique n'est pas juste une utilisation aléatoire d'une langue dégradée : c'est un usage gouverné par des règles, systématique, et qui fait donc partie intégrante du fonctionnement d'une langue vivante.
Nous sommes ici dans l'Ouest des États-Unis où l'espagnol est très présent. Quel est l'intérêt d'apprendre le français pour des gens qui résident sur la côte ouest et dans le Sud-ouest américain ?
Le sud de la Californie est une ratatouille linguistique. J'adore entendre toutes ces langues parlées autour de moi quand je sors. Il y a beaucoup de francophones dans le sud de la Californie mais c'est l'espagnol qui est le plus majoritairement parlé. Étant donné leur origine latine, connaître le français facilite l'apprentissage de l'espagnol, et vice versa. Je débute encore en espagnol mais j'essaie de continuer à progresser. J'arrive souvent à m'appuyer sur ma connaissance du français pour dériver et comprendre des mots en espagnol.
L'anglais domine le monde en tant que langue véhiculaire. Qu'est-ce que cela implique pour les Américains et pour l'apprentissage des langues en classe ?
La domination de l'anglais en tant que langue véhiculaire a des implications à la fois positives et négatives pour les Américains. Du côté positif, le besoin de professeurs d'anglais à travers le monde est important ; par conséquent, des domaines d'études tels que le TESOL, les langues étrangères, la linguistique appliquée, l'éducation, etc. peuvent offrir des débouchés à des Américains à l'étranger. Vivre et travailler à l'étranger favorise naturellement le plurilinguisme, la conscience de la diversité culturelle et les relations interculturelles avec différentes communautés. Nous pouvons partager notre culture avec d'autres tout en découvrant d'autres modes de communication et de vie. Du côté négatif, il y a la zone de confort « anglais seulement ». Chez eux et en voyage, les Américains peuvent largement se débrouiller en ne connaissant que l'anglais. Mais cette mentalité fait porter le fardeau de la communication aux autres, qui doivent savoir parler notre langue. Cela peut aussi donner l'impression que l'anglais est une langue plus importante que les autres, même si ce n'est pas notre intention. J'encourage les Américains à apprendre ne serait-ce que quelques mots d'autres langues, surtout lorsqu'ils voyagent. Il y a quelque chose de très gratifiant, une satisfaction très personnelle, à prononcer des sons pour créer des mots qui ont du sens dans une langue qui n'est pas notre langue maternelle. Connaître plusieurs langues, même à un niveau débutant, élargit nos possibilités d'interactions dans le vaste réseau mondial. Le bilinguisme et le plurilinguisme sont des façon de s'engager dans la citoyenneté mondiale et de témoigner de notre intérêt pour le monde qui nous entoure, les cultures, les gens et aussi les textes qui nous entourent.
Quelles réformes devraient entreprendre les États-Unis dans ce but ? Quel serait l'impact de ces changements ?
En termes de politique linguistique, je suis fermement convaincue que les États-Unis devraient accorder plus de place à l'apprentissage des langues à un âge précoce. Et reconnaître la valeur du bilinguisme et du plurilinguisme, que nous devrions considérer comme des atouts. Si nous regardons ce qui se fait dans le reste du monde, en Europe notamment, les élèves commencent très tôt l'apprentissage d'une première langue vivante, et en choisissent ensuite une seconde. J'ai pour ma part enseigné l'anglais en France à des enfants du primaire qui pourront sans doute aller plus tard jusqu'à l'acquisition d'une troisième langue vivante ! Mais l'apprentissage des langues à un âge précoce n'est pas une priorité dans le système scolaire américain. C'est selon moi le résultat combiné de l'anglocentrisme et du statut de l'anglais comme langue véhiculaire. Si nous pouvions nous organiser, en tant que nation, pour donner plus de place à cet enseignement précoce, l'effet serait considérable, conduisant non seulement à une plus grande reconnaissance du bilinguisme et du plurilinguisme, mais aussi à une meilleure connaissance des autres cultures et à l'ouverture de plus grandes opportunités. Une telle ouverture d'esprit favoriserait aussi la conscience de la diversité linguistique, culturelle et géographique.
On sait que l'accent (tant pour les apprenants que pour les locuteurs de minorités) est source de réels problèmes d'intégration sociale. En quoi la discrimination par l'accent est-elle différente des autres types de discrimination ?
La discrimination par l'accent est différente pour plusieurs raisons mais surtout parce qu'elle n'est pas perçue comme telle, elle est silencieuse et passe souvent inaperçue. Néanmoins, ses effets sur le locuteur sont considérables. Cela est dû en grande partie à l'idéologie de ce que l'on considère comme étant la langue « standard » ou la prononciation « attendue ». Tout ce qui s'en écarte est dès lors sujet à stigmatisation. Mais cette idée d'écart par rapport à la norme est relative et varie d'une personne à une autre. On peut penser que porter un jugement sur la façon dont quelqu'un s'exprime trouve sa justification rationnelle dans cette dichotomie idéologisée du « standard » opposé au « non standard », ou que ce n'est pas de la discrimination parce qu'il s'agit « seulement » de langue. Mais nous savons tous que la vérité est tout autre. Nos variations langagières sont profondément enracinées dans notre identité, notre culture, notre appartenance ethnique, notre région, notre famille même. Par conséquent, la discrimination linguistique est tout aussi grave que les autres formes de discrimination. Rosina Lippi-Green (2012) l'a évoqué ainsi : « La discrimination par l'accent se constate partout dans la vie quotidienne. C'est une attitude si communément admise, si largement perçue comme appropriée, qu'on peut la considérer comme l'ultime porte d'entrée clandestine de la discrimination. Et cette porte d'entrée est grande ouverte » (p. 74). Lippi-Green a écrit ça en 2012 et on peut dire qu'en 2021, cette porte est toujours grande ouverte.
Pensez-vous qu'un jour cette discrimination par l'accent appartiendra au passé ? Comment pourrions-nous y arriver ?
Cette discrimination est présente partout dans le monde mais je pense qu'un jour la prise de conscience se fera. Cela risque d'être long, mais les choses progressent, des recherches et des actions de sensibilisation sont menées. Je pense aussi que nous avons tous un rôle à jouer, non seulement pour répandre cette prise de conscience mais aussi pour nous efforcer d'être plus attentionnés dans nos échanges verbaux. Nous devons faire savoir à nos interlocuteurs que leur accent ne les rend pas moins humains. En fait, les gens sont surpris de découvrir que tout le monde a un accent ! Nous devons nous concentrer sur une communication réussie plutôt que sur des différences de communication. En ce qui concerne l'anglais et son rôle de langue véhiculaire, nous devons garder à l'esprit que les locuteurs natifs de l'anglais sont en minorité ; il y a actuellement plus d'anglophones non natifs que d'anglophones natifs. C'est pourquoi les normes et les idéaux sont si déconnectés de la réalité. Dans le cas de notre propre langue, l'anglais américain, nous devons accepter différentes variantes qui ne sont pas considérées comme « standard » car elles ont toutes leur degré de complexité et de systématisme. Et nous pouvons aussi faire l'effort d'être de meilleurs auditeurs. Beaucoup d'entre nous seraient surpris de découvrir que s'ils arrêtaient de juger les gens sur la façon dont ils parlent, ils les comprendraient mieux !
La question « D'où êtes-vous ? » est encore trop systématique. Comment concilier le respect de l'identité des gens et de leur singularité avec un réel intérêt pour leurs origines ?
Cette question, encore trop systématique, comme vous le dites, est épineuse. Les êtres humains ont la faculté de remarquer une différence d'accent en moins d'une seconde, et ils ont tendance à attribuer tout aussi rapidement des étiquettes aux locuteurs dont la voix a un son différent de la leur. Mais imaginez un anglophone vivant aux États-Unis qui commence sa journée en s'arrêtant pour prendre un café. Il commande son café et on lui demande : « D'où êtes-vous ? ». Il passe ensuite à la poste pour envoyer une lettre et on lui demande « D'où êtes-vous ? ». Puis il se rend à son travail, passe un coup de téléphone et la personne au bout du fil détecte immédiatement son accent et lui demande : « D'où êtes-vous ? » Ces questions répétées peuvent finir par marginaliser quelqu'un alors que tout ce qu'il veut, c'est prendre un café, envoyer une lettre ou passer un coup de fil ! Et qu'il essaie probablement activement de s'intégrer à la communauté linguistique dans laquelle il se trouve. Mais la question « D'où êtes-vous ? » peut aussi être posée avec un véritable intérêt ou pour établir une relation plus personnelle. Elle peut être une entrée en matière pour échanger sur nos intérêts en matière de voyages, d'apprentissage des langues, de culture, etc. Mon conseil serait de réserver la question « D'où êtes-vous ? » à ces situations de rapprochements interpersonnels ou lorsque vos bonnes intentions seront clairement perçues comme telles.
Vous publiez prochainement, en collaboration, un ouvrage intitulé Second Language Prosody and Computer Modeling [Prosodie et modélisation informatique pour la 2e langue]. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L'ouvrage Second Language Prosody and Computer Modeling est le résultat de la collaboration de deux spécialistes de linguiste appliquée, moi-même et la professeure Okim Kang de l'université de Northern Arizona, avec un informaticien, le professeur David Johnson de l'université du Kansas. Il paraîtra prochainement chez Routledge. Le livre est organisé en trois parties. La première expose les bases linguistiques de la modélisation informatique. On y définit ce qu'est la prosodie et on retrace l'évolution historique des cadres prosodiques. Nous nous attachons ensuite à décrire deux cadres majeurs couramment utilisés pour décrire la prosodie aujourd'hui. Puis nous expliquons les nombreuses façons dont les propriétés du discours ont été calculées manuellement par les humains afin de montrer comment on peut former les ordinateurs. La deuxième partie reprend les connaissances de base de la première partie et les applique aux processus de modélisation informatique. Par exemple, nous abordons le processus de la décomposition automatique de la parole humaine continue en syllabes grâce à des algorithmes informatiques. Nous expliquons aussi comment les modèles informatiques ont progressivement déduit des propriétés prosodiques. Cette partie se termine sur une comparaison de plusieurs modèles informatiques d'évaluation automatiquement de la compétence orale et de l'intelligibilité du discours à partir de mesures suprasegmentales de la parole. Enfin, la troisième partie de notre livre explore diverses directions pour l'avenir de la recherche et les applications futures des modèles prosodiques.
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Dr. Okim Kang | Dr. David Johnson |
* Note de la traductrice : Tous les mots en italiques qui suivent sont en français dans le texte.
References :
Kang, O., Johnson, D., & Kermad, A. (forthcoming). Second language prosody and computer modeling. Routledge—Taylor & Francis.
Lippi-Green, R. (2012). English with an accent: Language, ideology, and discrimination in the United States (3rd ed.). New York, NY: Routledge
Rédigé à 11:02 | Lien permanent | Commentaires (1)
Rabelais voyage aux frais de l'État
François Rabelais (1494-1553), sur la route vers Paris, n’avait plus d’argent pour régler son dû à l’aubergiste. Il trouva un bon moyen en laissant dans sa chambre un petit sachet de sucre avec l’écriteau suivant « Poison pour le Roi »…La garde fut appelée et emmena directement Rabelais vers la capitale. François Ier, qui appréciait fort son esprit, lui pardonna.
« God save the Queen » est à l’origine un morceau français ! Pour fêter le rétablissement de Louis XIV après son opération de la fistule en novembre 1686, Mme de Maintenon organise une soirée, la duchesse de Brinon compose un poème et Lully rajoute la musique. Un Anglais passant à St Cyr ce jour là, trouva très jolie la musique et rapporta cet air en Angleterre. Il pianota, changea juste quelques mesures et joua cet air devant Marie Stuart et Guillaume d’Orange qui en firent leur musique officielle.
Source : Histoire pour tous
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God save our gracious Queen! |
Rédigé à 14:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
...ni le mot anglais « trillion » ?
Dans son édition du 10 mars 2021, le journal annonce : « Etats-Unis : le plan de relance de 1 900 milliards de dollars voulu par Joe Biden adopté par le Congrès » Il est vrai que le mot « trillion » n’est pas d’usage habituel, ni en anglais ni en français, mais le moment est venu pour ce journal prestigieux de le connaître. Le terme exact pour 1 900 milliards est 1,9 billions en français et "1.9 trillions" en anglais. Il s’avère que ces deux mots apparentés et à l'orthographe identique, « trillion » et trillion, sont des faux-amis.
Le site anglais-pratique.fr liste les paires de mots équivalents suivantes :
anglais |
billion, |
trillion, |
quadrillion, |
quintillion |
français |
milliard |
billion |
billiard |
trillion |
Termes français |
Liens |
English terms |
million |
million |
|
milliard |
billion |
|
billion |
trillion |
|
billiard |
quadrillion |
|
trillion |
quintillion |
Pour ceux parmi nos lecteurs et lectrices qui ont envie d’apprendre les nombres anglais encore plus rares, voici une autre liste qu’ils pourront employer pour s’amuser.
Billion |
109 |
Trillion |
1012 |
Quadrillion |
1015 |
Quintillion |
1018 |
Sextillion |
1021 |
Septillion |
1024 |
Octillion |
1027 |
Nonillion |
1030 |
Decillion |
1033 |
Undecillion |
1036 |
Duodecillion |
1039 |
Tredecillion |
1042 |
Quattuordecillion |
1045 |
Quindecillion |
1048 |
Sexdecillion |
1051 |
Septendecillion |
1054 |
Octodecillion |
1057 |
Novemdecillion |
1060 |
Vigintillion |
1063 |
Unvigintillion |
1066 |
Duovigintillion |
1069 |
Trevigintillion |
1072 |
Quattuorvigintillion |
1075 |
Quinvigintillion |
1078 |
Sexvigintillion |
1081 |
Septenvigintillion |
1084 |
Octovigintillion |
1087 |
Nonvigintillion |
1090 |
Trigintillion |
1093 |
Untrigintillion |
1096 |
Duotrigintillion |
1099 |
Rédigé à 19:23 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le 5 mars 1946, le premier ministre britannique, Sir Winston Churchill, prononça un discours, sous le titre « Sinews of Peace » (Le nerf de la paix), à Fulton, États-Unis. Le discours comprit la phrase suivante : From Stettin in the Baltic to Trieste in the Adriatic an "Iron Curtain" has descended across the continent. (« De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer s'est abattu à travers le continent »). Ce n’était pas la première fois que cette expression était employée au sens figuré pour désigner la limite occidentale du bloc de l'Est [1], mais c’était le discours de Churchill qui l’a rendue célèbre.
Voici un vidéo-clip (3 minutes 10 secondes) qui explique en anglais le contexte et l’importance de ce discours :
Le texte intégral du discours, traduit on français :
Winston Churchill, Le nerf de la paix
[1] Pendant la Seconde Guerre mondiale, le ministre roumain des affaires étrangères Grégoire Gafenco, dont le pays vient d'être victime du pacte Hitler-Staline , écrit le 2 juillet 1940 à Churchill : Nous ne parvenons plus à avoir la moindre nouvelle de nos compatriotes restés de l'autre côté de la ligne de démarcation, comme si un rideau de fer s'était abattu en travers de notre pays. ( "Les derniers jours de l'Europe", Fribourg - Paris, Egloff - LUF, 1946, 252 pages.)
Lecture supplémentaire:
70ème anniversaire de discours célèbres de Winston Churchill
Churchill : de la victoire sur la France à l’alliance avec elle
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e n t r e t i e n e x c l u s i f
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L'intervieweuse - (d'origine américaine - |
L'interviewé - (d'origine française - |
JB : Est-ce que tu peux me parler un peu de ton parcours ?
HC : Je suis né à Châteauroux, une petite ville dans le centre de la France où j’ai vécu jusqu’à mes 18 ans. Après le lycée, je suis allé en prépa école de commerce à Orléans, pendant deux ans. Ensuite, j’ai été accepté à l’ESCP, une école de commerce à Paris. J’y ai fait mon master, et j’ai aussi étudié à Londres pendant un an dans le campus local de l’ESCP. [1] Après avoir été diplômé, j’ai commencé ma carrière dans une agence de pub parisienne.
JB : C’était complètement par hasard que tu as commencé à travailler comme prof de français à Varsovie, en Pologne. Est-ce que tu voulais aller en Pologne en particulier, ou ça aussi, ça s’est fait complètement par hasard ? Tu peux nous dire comment tu en es arrivé à cette décision ?
HC : Après avoir travaillé dans la publicité pendant quelques mois, je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi. Je voulais faire quelque chose de plus créatif, avec moins de pression, et je trouvais qu’il était difficile de gérer les demandes incessantes (et parfois ridicules) de nos clients !
Pour la faire courte, j’ai démissionné et déménagé à Varsovie avec mon meilleur ami, qui est originaire de Pologne. Notre plan était d’y organiser des soirées électro, ce qu’on faisait déjà pour le plaisir à Paris.
Malheureusement, notre premier événement a été un échec cuisant ! Personne n’est venu et on a perdu tout l’argent qu’on avait investi. Mais je n’ai pas voulu rentrer en France tout de suite. J’avais déjà commencé à tomber sous le charme de Varsovie.
J’ai donc décidé d’offrir mes services en marketing à certaines entreprises, dont l’Institut français. La directrice m’a répondu qu’ils n’avaient pas besoin d’aide pour le marketing, mais qu’ils cherchaient un prof pour un cours de conversation. J’ai eu un entretien et deux jours plus tard, je faisais ma première leçon.
JB : Tu sais bien sûr qu’en France, les enfants ont des cours d’anglais dès l’école primaire, puis jusqu’à leurs études. Pourtant ils sont souvent incapables de communiquer correctement en anglais, ou en tout cas ils hésitent beaucoup à le faire. Tu crois que le système éducatif français ne fait pas son travail sur ce plan, c’est-à-dire qu’il n’y a pas vraiment de «retour sur investissement» ?
HC : C’est facile de blâmer notre système éducatif, mais je pense que c’est aussi un problème culturel.
En général, les Français ont un seuil de tolérance très bas concernant les erreurs, et notre système éducatif est un reflet de cette culture. L’école est un endroit pour apprendre les bonnes réponses, pas pour expérimenter. Alors, pendant les cours de langue, les élèves préfèrent ne pas parler parce qu’ils ont peur du ridicule. Et ils conservent cette attitude plus tard, à l’âge adulte.
Mais c’est impossible d’apprendre une langue sans faire un million d’erreurs !
Un autre problème est qu’on ne valorise pas vraiment les langues étrangères. Je me souviens qu’au collège et au lycée, on ne prenait pas les cours de langues au sérieux. Les maths, l’histoire, le français, la physique… Ces matières-là étaient considérées comme « importantes ». Si on avait une mauvaise note en anglais ou en espagnol, ce n’était pas bien grave.
Mais aujourd’hui, je pense que les jeunes Français ont plus envie d’apprendre et de communiquer en anglais. Avec Netflix, etc., les occasions d’être en contact avec la langue se multiplient. Quand il n’y avait que la télé, les films étaient doublés plutôt que sous-titrés.
Dans les pays scandinaves, la plupart des adolescents parlent anglais couramment parce qu’il y a un effort conscient du gouvernement pour donner plus de place à la langue.
JB : Pourquoi tes élèves apprennent-ils le français ? J’imagine qu’ils viennent du monde entier, pas seulement de Pologne. J’ai vu sur ton site le témoignage d’une dame qui venait d’Australie. Ils ont des objectifs précis ou ils aiment simplement les sonorités de la langue et le mode de vie français ?
HC : A l’Institut français, je n’avais que des étudiants polonais, et 90 % d’entre eux apprenaient le français par plaisir (pour pouvoir chanter des chansons, comprendre des films, des choses comme ça). C’était vraiment surprenant pour moi parce qu’en France, les adultes prennent des cours d’anglais seulement pour des raisons « pratiques » (la carrière, un déménagement à l’étranger, etc.).
Maintenant avec InnerFrench, j’ai des élèves du monde entier. Beaucoup d’entre eux sont des retraités qui aiment la France, ou qui prévoient d’aller en France. Donc c’est plutôt parce qu’ils ont envie de pouvoir communiquer en français, pas par obligation.
JB : Est-ce que tu parles bien le polonais, et as-tu pris des cours dans une école pour l’apprendre ?
HC : Ça fait maintenant six ans que je vis en Pologne, donc je comprends beaucoup de choses, comme les informations ou les podcasts. Je peux aussi suivre une conversation mais je ne parle pas aussi couramment le polonais que l’anglais.
Je n’ai jamais pris de cours formels dans une école mais j’ai pris des cours particuliers avec un tuteur sur Italki pour me forcer à parler et être à l’aise avec le fait de faire des erreurs dès le début.
C’est dommage parce qu’en fait, ma copine est polonaise, mais quand on s’est rencontrés, je ne parlais pas polonais et elle ne parlait pas français, alors on communiquait en anglais. Et du coup, c’est toujours le cas aujourd’hui. On a essayé de passer au polonais plusieurs fois, mais j’avais l’impression que c’était une corvée. Donc j’ai abandonné, en tout cas pour le moment.
JB : Comment as-tu décidé de créer InnerFrench et en quoi ton entreprise et ses méthodes d’enseignement diffèrent des autres méthodes ? Tu peux nous en dire plus sur ton inspiration : la théorie de Stephen Krashen sur l’acquisition d’une deuxième langue.
HC : Eh bien, j’ai tellement aimé mon premier cours à l’Institut français que j’ai décidé de devenir un « vrai » prof. J’ai commencé à lire tout ce que je pouvais trouver sur l’apprentissage et l’enseignement des langues.
À cette époque, j’apprenais le polonais et je suis tombé sur le podcast « Real Polish ». Piotr, l’animateur, parlait de sujets intéressants à un rythme plus lent et en utilisant un vocabulaire simplifié. Au début, je ne comprenais pas grand-chose, mais j’ai continué à écouter et au bout de quelques semaines, je me suis rendu compte que ma compréhension s’était radicalement améliorée ! Ça a été une révélation.
Dans un de ses épisodes, Piotr a parlé de la théorie de Stephen Krashen sur l’acquisition d’une deuxième langue, et c’est là que j’ai compris cette approche dans son ensemble.
J’ai commencé à chercher un podcast similaire en français pour mes élèves mais je n’en ai pas trouvé. Alors, j’ai décidé d’en créer un moi-même ! Ça a été le début d’InnerFrench. Deux ans plus tard, j’ai créé mon premier cours pour des étudiants de niveau intermédiaire (« Build a Strong Core ») et ensuite une chaîne YouTube.
C’est devenu impossible de gérer InnerFrench tout en enseignant à l’Institut français donc au bout d’un moment, j’ai décidé d’arrêter mes cours là-bas.
JB : J’ai regardé quelques-unes des tes vidéos YouTube. Comment tu décides des sujets dont tu vas parler ?
HC :Au début, je parlais des choses qui m’intéressaient, comme la philosophie, la technologie, la psychologie, l’apprentissage des langues, etc. Maintenant, c’est plus facile, puisque les gens m’envoient des suggestions par e-mail, avec les sujets qui les intéressent comme les différences culturelles, les différentes régions et les accents en France. Je crois que j’ai assez de sujets pour les cinq prochaines années !
JB : En tant que professionnel des langues, quels conseils peux-tu donner à quelqu’un qui veut apprendre une deuxième (ou troisième) langue, en particulier à l’âge adulte ?
HC : Je commencerais en disant de ne pas trop se concentrer sur la grammaire. Elle a sa place, mais elle ne devrait pas être la priorité. Essayez de chercher des contenus simples à comprendre – des histoires courtes avec un vocabulaire simplifié, par exemple Duolingo a un bon podcast pour les débutants.
Ensuite, le plus important est de former une habitude : en pratiquant chaque jour, même si c’est seulement 10 minutes. La langue doit devenir une partie intégrante de votre vie quotidienne, ça ne doit pas être une chose que vous « faites » seulement une fois par semaine.
Vous verrez que plus vous vous améliorerez et plus vous serez capables de comprendre des contenus avancés, plus vous voudrez passer du temps avec la langue.
Enfin, et c’est important, vous devriez chercher un professeur particulier ou au moins un partenaire de conversation. C’est essentiel de vous mettre en condition en commençant à utiliser la langue. Il y a des centaines de sites web et d’applications pour ça, mais je recommande en particulier Italki et conversationexchange.com. Beaucoup de personnes sont bloquées à la maison en ce moment, donc c’est le bon moment pour trouver un partenaire de conversation !
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[1] Note du blog : ESCP Business School (anciennement École Supérieure de Commerce de Paris (aussi surnommée Sup de Co Paris) puis ESCP-EAP, puis ESCP Europe) est une grande école de commerce consulaire. Fondée en 1819, ESCP Business School est détenue par la chambre de commerce et d'industrie de Paris depuis 1868. De fait de son ancienneté, l'ESCP est également souvent considérée comme la doyenne mondiale des écoles de commerce.
* Voici une courte autobiographie de Jacquie :
Jonathan m'a demandé d'interviewer Hugo Cotton - une expérience enrichissante et j'ai rencontré virtuellement une belle personne !
Je suis traductrice technique du français vers l'anglais depuis 2005, et pendant les deux dernières années j'ai élargi mes prestations vers des livres fiction, également une opportunité pour moi de rencontrer des auteurs intéressants et doués.
La traduction cependant n'est qu'une petite partie de mon expérience professionnelle. J'ai débuté ma carrière en tant que professeur de français à l'Université du Wisconsin - Milwaukee, mais lorsque j'ai déménagé en France, j'ai eu une surprise désagréable et inattendue - je ne pouvais plus travailler comme prof, comme je n'étais pas française, donc je ne pouvais pas être fonctionnaire dans l'Education Nationale.
J'ai commencé à travailler avec mon mari dans deux négoces familials de construction et suis restée 18 ans, et j'ai donc appris à faire la compta, etc. et plus que je ne voulais savoir sur les matériaux de construction ! Quand on a vendu nos négoces, j'ai trouvé du travail comme formatrice d'anglais technique dans des entreprises en Normandie. C'était également très varié et intéressant et c'est ce qui m'a amené vers la traduction, comme je leur traduisais également beaucoup de documents.
Mon Old English Bulldog, Cornelius, ou Coco pour les intimes (c.a.d. tous ceux qui l'ont vu plus d'une fois), m'assiste au quotidien dans mon travail.
Rédigé à 13:40 dans Interviews 2021 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le mot « slut » (à la fois adjectif et substantif) possède deux significations : la première, plus fréquente en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis, correspond à une femme négligée ou désordonnée (« souillon »), la seconde à une femme aux mœurs légères, voire une prostituée (« salope »). Citons comme synonymes bimbo (argotique), hussy, minx, floozy, trollop, wench et whore. Les femmes sont parfois accusées de s'habiller comme des « salopes », dans les sociétés machistes ou sexistes notamment.
Le mot « stud », quant à lui, n'est utilisé qu'en référence au sexe masculin (« étalon »).
L'une des définitions de « stud » est celle d'un jeune homme, particulièrement viril et doué d’un grand pouvoir de séduction. Ce concept dérive de la signification plus classique de « stud », à savoir un cheval ou tout autre animal destiné à la reproduction.
deux étalons
Comme nous l'avons vu ci-dessus, « slut » a une connotation négative, alors que « stud » est souvent utilisé pour décrire le pouvoir de séduction d'un homme.
Lors d'une conférence au Canada, un policier de Toronto ayant recommandé aux femmes de ne pas s'habiller comme des « sluts » pour éviter d'être violées, a suscité des manifestations baptisées « SlutWalks », d'abord à Toronto puis dans de nombreuses villes à travers le monde, de Delhi à Mexico et Seattle.
L'un des objectifs du mouvement est de changer la connotation du mot « slut » pour le ramener à l'équivalent féminin de « stud ». Il s'agit d'un phénomène sociologique et linguistique intéressant : c'est l'un des rares cas dans l'histoire où changer la signification d'un mot est devenu l'une des revendications d'un mouvement de droits civiques.
Ces deux mots sont sans conteste écrits différemment, mais puisque les mots anglais se terminant par la lettre « r » sont prononcés avec un « r » muet dans certains pays anglo-saxons, « hooker » et « hookah » peuvent être parfois identiques sur le plan phonétique.
« Hooker » est un synonyme de « whore » (putain), s'appuyant sur la métaphore d'une prostituée qui met le grappin sur ses clients. « Hookah » désigne une pipe à eau, (également dénommée « narguilé » ou « shisha ») couramment utilisée au Moyen-Orient. C'est un instrument à un ou plusieurs tubes (souvent en verre) pour fumer dans lequel la fumée est refroidie par l'eau.
Pipe à eau (« narguilé » ou « shisha »)
Slut - the other 4-letter S-word
Jeffrey Nunberg, linguist
US ‘Slut Walk’ comes to Texas, TheBlaze.com, April 26, 2011
SlutWalks and the future of feminism, The Washington Post, June 3, 2011
Let’s go for a Slutwalk, Madame Figaro, June 11, 2011
Hundreds March Against Sexual Assault in ‘Slutwalk, National Public Radio, June 20, 2011
Slut Walk Comes to India, next one in Delhi, The Economist, June 20, 2011
Ladies, We have a problem, New York Times, July 20, 2011
Rédigé à 19:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
les mots qui font partie du débat politique dans la presse anglo-saxonne
L'article qui suit fut rédigé par Joëlle Vuille, Ph. D., notre collaboratrice dévouée et auteure de plusieurs traductions d'articles rédigés en anglais au fil des années. Joëlle est juriste et criminologue et habite en Suisse. Toutes les contributions de Prof. Vuille sur ce blogue se trouvent a https://www.le-mot-juste-en-anglais.com/joelle-vuille/
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Cancel culture = culture de l'annulation, culture du bannissement. Parfois aussi appelée “call-out culture”, ou culture de la dénonciation.
Selon le dictionnaire Merriam-Webster, « to cancel someone » signifie « to stop giving support to a person » ; un synonyme est « to boycott » [1] . L'expression « Cancel culture » désigne un phénomène social dans lequel une masse d’individus appellent à isoler une personne de son cercle professionnel ou familial, ou plus largement de lui ôter l’opportunité de s’exprimer publiquement, lorsque le public (ou un certain public) pense que le discours ou le comportement de cette personne est choquant ou inapproprié ; ou le fait de censurer certains propos, d’effacer certains symboles, etc. La « cancel culture » touche souvent des personnages publics, mais peut également affecter une personne lambda filmée en train d’agir d’une façon choquante ; on pensera au grand nombre de femmes blanches américaines filmées ces dernières années en train de discriminer une personne afro-américaine vaquant à ses occupations [2]. (Ce type de femmes est communément appelée une « Karen », soit une femme blanche qui abuse de sa position privilégiée dans la société américaine pour obtenir la réalisation de ses moindres désirs).
Le fait d’identifier publiquement et d’isoler une personne qui a agi d’une façon qui déplaît au groupe social n’est pas un phénomène nouveau. Mais l’expression « cancel culture » est intimement liée aux réseaux sociaux [3] , et, d’après le dictionnaire Merriam-Webster, est apparue pour la première fois en 2017 [4]. L’un des premiers mouvements massifs de « cancelling » a été le mouvement #MeToo sur Twitter, lors duquel des milliers de femmes ont soudain identifié publiquement des hommes qui les avaient agressées sexuellement, entrainant l’ostracisation de ces derniers, surtout dans le cas de personnages publiques [5] .
Depuis lors, le terme est utilisé de façon beaucoup plus large. Relèvent de la « cancel culture », par exemple :
Ce sont en général les conservateurs qui accusent les progressistes d’annuler les discours qui ne leur plaisent pas et les personnes considérées comme non politiquement correctes. Les progressistes ne sont toutefois pas à l’abri de l’ire de leur propre camp, comme lorsque le sénateur américain Al Franken a été forcé à la démission par le chef de file du parti démocrate au Sénat, Chuck Schumer, après qu’une photo de lui semblant caresser la poitrine d’une femme endormie a fait surface dans les médias [9].
Pour bon nombre de conservateurs, la culture de l’annulation est contraire à la liberté d’expression ; ils se moquent des progressistes qui ne sont pas capables de supporter des propos qui les heurtent en les traitant de « snowflakes » (flocon de neige, symbole de la fragilité extrême puisqu’il fond dès qu’on le touche).
Savoir si la « cancel culture » est une bonne chose ou non est controversé. Il est vrai que la « cancel culture » donne un pouvoir immense à des individus qui n’en ont pas, c’est-à-dire nous tous, qui par le biais des réseaux sociaux pouvons exprimer notre approbation ou notre réprobation en temps réel et par millions. Par exemple, lorsque J.K. Rowling prend soi-disant la défense des femmes « biologiques » contre les femmes trans [10], il est à mon sens utile et constructif que la twittosphère lui rappelle que la libération des unes ne doit pas se faire en écrasant les autres, et qu’on peut se battre pour l’égalité des genres sans tout ramener à une question de chromosomes XX ou XY. En ce sens, la « cancel culture » concrétiserait une forme de justice populaire qui permet de tenir responsables les personnes puissantes qui discriminent, harcèlent, et insultent leur prochain.
D’autres considèrent, à l’inverse, que la cancel culture est une forme de censure. Pour eux, par exemple, le fait que Twitter suspende indéfiniment le compte de Donald Trump serait une entrave inadmissible à la liberté d’expression d’un personnage public qui devrait pourvoir communiquer avec son électorat [11] . Cela serait d’autant plus problématique que Twitter est une entreprise privée, qui occupe une position de quasi-monopole sur ce marché, et qui de facto peut donc museler un autre individu privé, sans être limitée par les libertés fondamentales garanties par la Constitution.
Certains commentateurs voient même dans la « cancel culture » la forme moderne du lynchage, pour trois raisons [12] :
On peut également se demander si la « cancel culture » ne serait pas parfois (voire souvent ?) provoquée par des considérations économiques plutôt que par une saine indignation morale. Par exemple, lorsque le parlementaire pro-Trump Josh Hawley, qui avait prévu de publier un livre exposant sa vision politique, a vu son contrat annulé par la maison d’édition Simon & Schuster à la suite des émeutes au Capitol en janvier 2021 (dont Hawley est considéré comme partiellement responsable par l’opinion publique), on peut imaginer qu’une part au moins des préoccupations de la maison d’édition était d’éviter le dommage économique découlant d’une association avec un homme politique désormais très controversé [14].
Certains épisodes récents montrent que la cancel culture peut être poussée à des extrémités absurdes. Par exemple, un professeur de la University of Southern California (USC), à Los Angeles, a récemment été suspendu après un cours en management de la communication. Le sujet du jour était les « filler words », comme « err », « hum », « like » (en anglais). Ayant travaillé en Chine, il a illustré son propos en expliquant que, en chinois, un « filler word » commun est « ne ga », qui sonne, en anglais, comme le mot « nigger », un tabou absolu dans la société américaine (où il n’est jamais dit, et encore moins écrit ; si cette contribution était destinée à un public américain, je l’aurais d’ailleurs écrit « n*** » ou utilisé la péri-phrase « the N word »). Des étudiants se sont plaints au doyen de l’usage de ce mot, et le professeur a été remplacé par un collègue pour donner son cours [15].
La « cancel culture » ne connaît pas tellement de nuances. Ainsi, le chef de la communication de Boeing a récemment dû démissionner lorsqu’il est apparu qu’il avait soutenu en 1987 que les femmes n’avaient pas leur place dans l’armée [16]. Veut-on vraiment punir les gens pour des opinions exprimées il y a 33 ans, s’ils n’ont plus rien dit de tel depuis lors ?
De surcroît, la « cancel culture » semble définitive : une fois ostracisé, il n’est pas possible de s’excuser, de faire amende honorable et de reprendre sa place dans le groupe social. Le paria garde son statut sur le long terme. La comédienne Kathy Griffin, par exemple, avait fait une plaisanterie de très mauvais goût en 2017, lorsqu’elle avait été prise en photo avec une fausse tête de Donald Trump ensanglantée, comme s’il avait été décapité [17]. Depuis lors, une enquête des services secrets a établi qu’il ne s’agissait pas d’une menace réelle, qu’elle n’avait aucune intention de l’attaquer physiquement [18], et elle s’est excusée publiquement à de nombreuses reprises ; pourtant, en 2021, sa carrière est toujours à l’arrêt.
En ce qui concerne les évènements historiques, la « cancel culture » a été accusée de récrire le passé. Ainsi, par exemple, ses opposants estiment que les statues de généraux américains confédérés devraient être préservées au nom de l’héritage qu’elles représentent. Elles symboliseraient non pas la coupable sédition d’un groupe d’états désireux de protéger leur système esclavagiste, mais le noble combat d’honnêtes planteurs de coton se battant pour la préservation de leurs droits face à un gouvernement fédéral abusif. Nous sommes toutefois de l’avis que cette position occulte elle aussi une part du passé. En effet, les statues des généraux américains confédérés n’ont pas été érigées juste après la guerre de Sécession dans le but d’honorer la mémoire de concitoyens et de proches tombés au combat. Elles ont été réalisées à la fin du XIXème siècle, soit des décennies plus tard, dans le but d’intimider les personnes noires vivant dans ces Etats au moment où celles-ci commençaient à revendiquer des droits civiques égaux à leurs concitoyens blancs [19]. Ces statues ne symbolisent donc pas le combat pour la liberté, mais bien le combat pour l’oppression, et en tant que telles, il est légitime de se demander si elles doivent vraiment être préservées.
Le problème que nous voyons dans la « cancel culture » est qu’elle limite le type de discours acceptable dans la société, ce qui met directement en péril la démocratie. En droit constitutionnel [20], il est en effet largement admis que la liberté d’expression doit être totale [21] dans une démocratie, non seulement parce qu’une seule restriction (légitime) à ce droit fait naître le risque d’en entraîner d’autres (non légitimes), mais également parce que, sur le « marché libre des idées » (marketplace of ideas), les mauvaises idées seront naturellement éliminées, et les bonnes idées seront promues et partagées toujours plus largement [22]. Pour trouver un consensus social qui nous permette de vivre ensemble, il est donc nécessaire que nous participions tous à ce marché des idées et que nous soyons libres d’y exprimer nos souhaits, nos craintes et nos aspirations, quels qu’ils soient.
Ce concept de marché libre des idées a été concrétisé récemment dans certaines solutions alternatives à la « cancel culture ». Par exemple, à Lausanne (Suisse), il y a une rue Agassiz. Louis Agassiz était un biologiste et géologue suisse très connu et respecté à son époque, qui fut nommé professeur à Harvard en 1847. Agassiz était opposé à l’esclavage, mais il était raciste, et ses travaux ont été utilisés pour justifier l’esclavagisme aux Etats-Unis. Lorsque des voix se sont élevées pour réclamer que la rue soit renommée, la municipalité a décidé de garder le nom de la rue et de placer sous les plaques qui indiquent le nom de la rue des panneaux d’information sur les travaux et la pensée de Agassiz, expliquant pourquoi sa vision des « races » est problématique et pose un danger réel encore aujourd’hui [23]. La solution nous semble intéressante, même si elle n’est pas praticable dans toutes les situations. Le pic Agassiz (un sommet dans les alpes bernoises), par exemple, n’a pas (encore) été renommé et on ne sait pas trop où il faudrait placer une éventuelle plaque d’information si on souhaitait le faire. Dans le même débat, la ville de Neuchâtel a pris l’option inverse, et a simplement renommé la place Louis Agassiz en place Tilo Frey (du nom d’une femme politique suisse de mère camerounaise) [24].
En conclusion, la « cancel culture » est un concept protéiforme. Si elle engendre parfois des débats de société importants et intéressants, il nous semble qu’elle présente également le risque de limiter les discours exprimés dans l’espace public, par peur des représailles. Or, dans des sociétés toujours plus diverses, la communication entre groupes et entre individus est essentielle pour faire avancer notre projet social commun. Toutefois, il n’y a pas de communication possible si chaque mot de travers peut valoir à celle qui le prononce une lettre écarlate.
1. https://www.merriam-webster.com/words-at-play/cancel-culture-words-were-watching
2. On pensera à Amy Cooper, filmée en mai 2020 alors qu’elle dénonçait calomnieusement à la police un ornithophile afro-américain se promenant dans Central Park ; à Alison Ettel qui, en juin 2018, a appelé la police pour dénoncer une fillette noire de 8 ans qui vendait des bouteilles d’eau devant sa maison pour financer une visite à Disneyworld ; ou encore à Jennifer Schulte qui, en mai 2018, a téléphoné à la police pour dénoncer un groupe de jeunes afro-américains en train de faire un barbecue dans un parc à Oakland (Californie).
3. https://statenews.com/article/2020/09/a-look-into-cancel-culture?ct=content_open&cv=cbox_latest
4. https://www.merriam-webster.com/dictionary/cancel%20culture
5. Pour certains, comme Harvey Weinstein, cela a mené à de multiples condamnations pénales ; pour d’autres, comme Louis CK, la mise à l’index a été temporaire et leur carrière a repris quelques années plus tard.
6. https://www.forbes.com/sites/lisettevoytko/2020/06/07/british-protesters-throw-slave-trader-statue-into-river-and--other-stunning-global-protest-moments/
7. https://www.nytimes.com/2018/05/29/business/media/roseanne-barr-offensive-tweets.html
8. https://www.lepoint.fr/medias/nagui-je-ne-passerai-pas-les-chansons-de-bertrand-cantat-02-12-2017-2176832_260.php
9. La photo est reproduite ici : https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2017/11/al-franken-that-photo-and-trusting-the-women/545954/
10. https://www.scotsman.com/arts-and-culture/books/jk-rowling-twitter-why-harry-potter-author-has-been-accused-transphobia-social-media-platforms-2877977
11. Il échappe apparemment à ces personnes que Donald Trump peut à tout moment convier n’importe quelle agence de presse ou télévision nationale ou locale, et faire une déclaration qui sera immédiatement transmise à la planète entière. La censure est donc toute relative…
12. Une position apparemment partagée par des individus aussi divers que l’activiste canadienne d’extrême droite Lauren Southern (https://www.skynews.com.au/details/_6175184070001) et le comédien britannique Rowan Atkinson (https://www.express.co.uk/comment/expresscomment/1380339/freedom-of-speech-britain-culture-offence-woke). On peut quand même douter du fait que se faire lyncher soit équivalent au fait de voir son compte Twitter suspendu…
13. Tout comme un homme afro-américain pouvait jadis être lynché pour un acte anodin. Même si les faits sont encore peu clairs aujourd’hui, il semblerait ainsi que le tristement célèbre Emmett Till ait été lynché pour avoir sifflé une femme blanche ; il avait alors 14 ans.
14. Hawley a rapidement trouvé une nouvelle maison d’édition. Pour d’autres exemples de sorties de livres annulées (dont celle de l’autobiographie de Woody Allen), voir https://time.com/5798335/woody-allen-memoir-canceled/
15. https://www.insidehighered.com/news/2020/09/08/professor-suspended-saying-chinese-word-sounds-english-slur
17. https://www.hollywoodreporter.com/news/more-kathy-griffin-shows-canceled-as-backlash-trump-stunt-grows-1009749
18. https://abcnews.go.com/Entertainment/kathy-griffin-president-trump-ordered-secret-service-investigation/story?id=54757722
19. John J. Winberry (2015). "'Lest We Forget': The Confederate Monument and the Southern Townscape". Southeastern Geographer. 55(1): 19–31.
20. La liberté d’expression est notamment garantie par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 1er Amendement à la Constitution américaine, et l’article 16 de la Constitution suisse.
21. Une exception communément admise étant la criminalisation de la diffamation et de la menace, car cela met directement en péril les droits d’une personne déterminée (la victime). Ma liberté d'expression s’arrête lorsque je porte atteinte à la réputation d’autrui, et lorsque je l’effraie. Chaque ordre juridique a ses propres règles en la matière.
22. https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/999/marketplace-of-ideas
23. L’affaire Agassiz a également un pendant américain, puisque la descendante d’esclaves photographiés par Agassiz a récemment attaqué l’Université Harvard en justice, exigeant le versement d’une compensation financière (puisque Harvard commercialise encore les photos de ses ancêtres en faisant un profit). Voir https://www.lematin.ch/story/le-racisme-du-suisse-louis-agassiz-devant-la-justice-americaine-122740635409
24. https://www.letemps.ch/suisse/part-dombre-louis-agassiz
Rédigé à 07:43 dans Actualité linguistique et littéraire, Mots et expressions anglais, Joelle VUILLE | Lien permanent | Commentaires (3)
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