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Rédigé à 12:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
e n t r e t i e n e x c l u s i f
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L'intervieweuse - (d'origine américaine - |
L'interviewé - (d'origine française - |
JB : Est-ce que tu peux me parler un peu de ton parcours ?
HC : Je suis né à Châteauroux, une petite ville dans le centre de la France où j’ai vécu jusqu’à mes 18 ans. Après le lycée, je suis allé en prépa école de commerce à Orléans, pendant deux ans. Ensuite, j’ai été accepté à l’ESCP, une école de commerce à Paris. J’y ai fait mon master, et j’ai aussi étudié à Londres pendant un an dans le campus local de l’ESCP. [1] Après avoir été diplômé, j’ai commencé ma carrière dans une agence de pub parisienne.
JB : C’était complètement par hasard que tu as commencé à travailler comme prof de français à Varsovie, en Pologne. Est-ce que tu voulais aller en Pologne en particulier, ou ça aussi, ça s’est fait complètement par hasard ? Tu peux nous dire comment tu en es arrivé à cette décision ?
HC : Après avoir travaillé dans la publicité pendant quelques mois, je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi. Je voulais faire quelque chose de plus créatif, avec moins de pression, et je trouvais qu’il était difficile de gérer les demandes incessantes (et parfois ridicules) de nos clients !
Pour la faire courte, j’ai démissionné et déménagé à Varsovie avec mon meilleur ami, qui est originaire de Pologne. Notre plan était d’y organiser des soirées électro, ce qu’on faisait déjà pour le plaisir à Paris.
Malheureusement, notre premier événement a été un échec cuisant ! Personne n’est venu et on a perdu tout l’argent qu’on avait investi. Mais je n’ai pas voulu rentrer en France tout de suite. J’avais déjà commencé à tomber sous le charme de Varsovie.
J’ai donc décidé d’offrir mes services en marketing à certaines entreprises, dont l’Institut français. La directrice m’a répondu qu’ils n’avaient pas besoin d’aide pour le marketing, mais qu’ils cherchaient un prof pour un cours de conversation. J’ai eu un entretien et deux jours plus tard, je faisais ma première leçon.
JB : Tu sais bien sûr qu’en France, les enfants ont des cours d’anglais dès l’école primaire, puis jusqu’à leurs études. Pourtant ils sont souvent incapables de communiquer correctement en anglais, ou en tout cas ils hésitent beaucoup à le faire. Tu crois que le système éducatif français ne fait pas son travail sur ce plan, c’est-à-dire qu’il n’y a pas vraiment de «retour sur investissement» ?
HC : C’est facile de blâmer notre système éducatif, mais je pense que c’est aussi un problème culturel.
En général, les Français ont un seuil de tolérance très bas concernant les erreurs, et notre système éducatif est un reflet de cette culture. L’école est un endroit pour apprendre les bonnes réponses, pas pour expérimenter. Alors, pendant les cours de langue, les élèves préfèrent ne pas parler parce qu’ils ont peur du ridicule. Et ils conservent cette attitude plus tard, à l’âge adulte.
Mais c’est impossible d’apprendre une langue sans faire un million d’erreurs !
Un autre problème est qu’on ne valorise pas vraiment les langues étrangères. Je me souviens qu’au collège et au lycée, on ne prenait pas les cours de langues au sérieux. Les maths, l’histoire, le français, la physique… Ces matières-là étaient considérées comme « importantes ». Si on avait une mauvaise note en anglais ou en espagnol, ce n’était pas bien grave.
Mais aujourd’hui, je pense que les jeunes Français ont plus envie d’apprendre et de communiquer en anglais. Avec Netflix, etc., les occasions d’être en contact avec la langue se multiplient. Quand il n’y avait que la télé, les films étaient doublés plutôt que sous-titrés.
Dans les pays scandinaves, la plupart des adolescents parlent anglais couramment parce qu’il y a un effort conscient du gouvernement pour donner plus de place à la langue.
JB : Pourquoi tes élèves apprennent-ils le français ? J’imagine qu’ils viennent du monde entier, pas seulement de Pologne. J’ai vu sur ton site le témoignage d’une dame qui venait d’Australie. Ils ont des objectifs précis ou ils aiment simplement les sonorités de la langue et le mode de vie français ?
HC : A l’Institut français, je n’avais que des étudiants polonais, et 90 % d’entre eux apprenaient le français par plaisir (pour pouvoir chanter des chansons, comprendre des films, des choses comme ça). C’était vraiment surprenant pour moi parce qu’en France, les adultes prennent des cours d’anglais seulement pour des raisons « pratiques » (la carrière, un déménagement à l’étranger, etc.).
Maintenant avec InnerFrench, j’ai des élèves du monde entier. Beaucoup d’entre eux sont des retraités qui aiment la France, ou qui prévoient d’aller en France. Donc c’est plutôt parce qu’ils ont envie de pouvoir communiquer en français, pas par obligation.
JB : Est-ce que tu parles bien le polonais, et as-tu pris des cours dans une école pour l’apprendre ?
HC : Ça fait maintenant six ans que je vis en Pologne, donc je comprends beaucoup de choses, comme les informations ou les podcasts. Je peux aussi suivre une conversation mais je ne parle pas aussi couramment le polonais que l’anglais.
Je n’ai jamais pris de cours formels dans une école mais j’ai pris des cours particuliers avec un tuteur sur Italki pour me forcer à parler et être à l’aise avec le fait de faire des erreurs dès le début.
C’est dommage parce qu’en fait, ma copine est polonaise, mais quand on s’est rencontrés, je ne parlais pas polonais et elle ne parlait pas français, alors on communiquait en anglais. Et du coup, c’est toujours le cas aujourd’hui. On a essayé de passer au polonais plusieurs fois, mais j’avais l’impression que c’était une corvée. Donc j’ai abandonné, en tout cas pour le moment.
JB : Comment as-tu décidé de créer InnerFrench et en quoi ton entreprise et ses méthodes d’enseignement diffèrent des autres méthodes ? Tu peux nous en dire plus sur ton inspiration : la théorie de Stephen Krashen sur l’acquisition d’une deuxième langue.
HC : Eh bien, j’ai tellement aimé mon premier cours à l’Institut français que j’ai décidé de devenir un « vrai » prof. J’ai commencé à lire tout ce que je pouvais trouver sur l’apprentissage et l’enseignement des langues.
À cette époque, j’apprenais le polonais et je suis tombé sur le podcast « Real Polish ». Piotr, l’animateur, parlait de sujets intéressants à un rythme plus lent et en utilisant un vocabulaire simplifié. Au début, je ne comprenais pas grand-chose, mais j’ai continué à écouter et au bout de quelques semaines, je me suis rendu compte que ma compréhension s’était radicalement améliorée ! Ça a été une révélation.
Dans un de ses épisodes, Piotr a parlé de la théorie de Stephen Krashen sur l’acquisition d’une deuxième langue, et c’est là que j’ai compris cette approche dans son ensemble.
J’ai commencé à chercher un podcast similaire en français pour mes élèves mais je n’en ai pas trouvé. Alors, j’ai décidé d’en créer un moi-même ! Ça a été le début d’InnerFrench. Deux ans plus tard, j’ai créé mon premier cours pour des étudiants de niveau intermédiaire (« Build a Strong Core ») et ensuite une chaîne YouTube.
C’est devenu impossible de gérer InnerFrench tout en enseignant à l’Institut français donc au bout d’un moment, j’ai décidé d’arrêter mes cours là-bas.
JB : J’ai regardé quelques-unes des tes vidéos YouTube. Comment tu décides des sujets dont tu vas parler ?
HC :Au début, je parlais des choses qui m’intéressaient, comme la philosophie, la technologie, la psychologie, l’apprentissage des langues, etc. Maintenant, c’est plus facile, puisque les gens m’envoient des suggestions par e-mail, avec les sujets qui les intéressent comme les différences culturelles, les différentes régions et les accents en France. Je crois que j’ai assez de sujets pour les cinq prochaines années !
JB : En tant que professionnel des langues, quels conseils peux-tu donner à quelqu’un qui veut apprendre une deuxième (ou troisième) langue, en particulier à l’âge adulte ?
HC : Je commencerais en disant de ne pas trop se concentrer sur la grammaire. Elle a sa place, mais elle ne devrait pas être la priorité. Essayez de chercher des contenus simples à comprendre – des histoires courtes avec un vocabulaire simplifié, par exemple Duolingo a un bon podcast pour les débutants.
Ensuite, le plus important est de former une habitude : en pratiquant chaque jour, même si c’est seulement 10 minutes. La langue doit devenir une partie intégrante de votre vie quotidienne, ça ne doit pas être une chose que vous « faites » seulement une fois par semaine.
Vous verrez que plus vous vous améliorerez et plus vous serez capables de comprendre des contenus avancés, plus vous voudrez passer du temps avec la langue.
Enfin, et c’est important, vous devriez chercher un professeur particulier ou au moins un partenaire de conversation. C’est essentiel de vous mettre en condition en commençant à utiliser la langue. Il y a des centaines de sites web et d’applications pour ça, mais je recommande en particulier Italki et conversationexchange.com. Beaucoup de personnes sont bloquées à la maison en ce moment, donc c’est le bon moment pour trouver un partenaire de conversation !
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[1] Note du blog : ESCP Business School (anciennement École Supérieure de Commerce de Paris (aussi surnommée Sup de Co Paris) puis ESCP-EAP, puis ESCP Europe) est une grande école de commerce consulaire. Fondée en 1819, ESCP Business School est détenue par la chambre de commerce et d'industrie de Paris depuis 1868. De fait de son ancienneté, l'ESCP est également souvent considérée comme la doyenne mondiale des écoles de commerce.
* Voici une courte autobiographie de Jacquie :
Jonathan m'a demandé d'interviewer Hugo Cotton - une expérience enrichissante et j'ai rencontré virtuellement une belle personne !
Je suis traductrice technique du français vers l'anglais depuis 2005, et pendant les deux dernières années j'ai élargi mes prestations vers des livres fiction, également une opportunité pour moi de rencontrer des auteurs intéressants et doués.
La traduction cependant n'est qu'une petite partie de mon expérience professionnelle. J'ai débuté ma carrière en tant que professeur de français à l'Université du Wisconsin - Milwaukee, mais lorsque j'ai déménagé en France, j'ai eu une surprise désagréable et inattendue - je ne pouvais plus travailler comme prof, comme je n'étais pas française, donc je ne pouvais pas être fonctionnaire dans l'Education Nationale.
J'ai commencé à travailler avec mon mari dans deux négoces familials de construction et suis restée 18 ans, et j'ai donc appris à faire la compta, etc. et plus que je ne voulais savoir sur les matériaux de construction ! Quand on a vendu nos négoces, j'ai trouvé du travail comme formatrice d'anglais technique dans des entreprises en Normandie. C'était également très varié et intéressant et c'est ce qui m'a amené vers la traduction, comme je leur traduisais également beaucoup de documents.
Mon Old English Bulldog, Cornelius, ou Coco pour les intimes (c.a.d. tous ceux qui l'ont vu plus d'une fois), m'assiste au quotidien dans mon travail.
Rédigé à 13:40 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le mot « slut » (à la fois adjectif et substantif) possède deux significations : la première, plus fréquente en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis, correspond à une femme négligée ou désordonnée (« souillon »), la seconde à une femme aux mœurs légères, voire une prostituée (« salope »). Citons comme synonymes bimbo (argotique), hussy, minx, floozy, trollop, wench et whore. Les femmes sont parfois accusées de s'habiller comme des « salopes », dans les sociétés machistes ou sexistes notamment.
Le mot « stud », quant à lui, n'est utilisé qu'en référence au sexe masculin (« étalon »).
L'une des définitions de « stud » est celle d'un jeune homme, particulièrement viril et doué d’un grand pouvoir de séduction. Ce concept dérive de la signification plus classique de « stud », à savoir un cheval ou tout autre animal destiné à la reproduction.
deux étalons
Comme nous l'avons vu ci-dessus, « slut » a une connotation négative, alors que « stud » est souvent utilisé pour décrire le pouvoir de séduction d'un homme.
Lors d'une conférence au Canada, un policier de Toronto ayant recommandé aux femmes de ne pas s'habiller comme des « sluts » pour éviter d'être violées, a suscité des manifestations baptisées « SlutWalks », d'abord à Toronto puis dans de nombreuses villes à travers le monde, de Delhi à Mexico et Seattle.
L'un des objectifs du mouvement est de changer la connotation du mot « slut » pour le ramener à l'équivalent féminin de « stud ». Il s'agit d'un phénomène sociologique et linguistique intéressant : c'est l'un des rares cas dans l'histoire où changer la signification d'un mot est devenu l'une des revendications d'un mouvement de droits civiques.
Ces deux mots sont sans conteste écrits différemment, mais puisque les mots anglais se terminant par la lettre « r » sont prononcés avec un « r » muet dans certains pays anglo-saxons, « hooker » et « hookah » peuvent être parfois identiques sur le plan phonétique.
« Hooker » est un synonyme de « whore » (putain), s'appuyant sur la métaphore d'une prostituée qui met le grappin sur ses clients. « Hookah » désigne une pipe à eau, (également dénommée « narguilé » ou « shisha ») couramment utilisée au Moyen-Orient. C'est un instrument à un ou plusieurs tubes (souvent en verre) pour fumer dans lequel la fumée est refroidie par l'eau.
Pipe à eau (« narguilé » ou « shisha »)
Slut - the other 4-letter S-word
Jeffrey Nunberg, linguist
US ‘Slut Walk’ comes to Texas, TheBlaze.com, April 26, 2011
SlutWalks and the future of feminism, The Washington Post, June 3, 2011
Let’s go for a Slutwalk, Madame Figaro, June 11, 2011
Hundreds March Against Sexual Assault in ‘Slutwalk, National Public Radio, June 20, 2011
Slut Walk Comes to India, next one in Delhi, The Economist, June 20, 2011
Ladies, We have a problem, New York Times, July 20, 2011
Rédigé à 19:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
les mots qui font partie du débat politique dans la presse anglo-saxonne
L'article qui suit fut rédigé par Joëlle Vuille, Ph. D., notre collaboratrice dévouée et auteure de plusieurs traductions d'articles rédigés en anglais au fil des années. Joëlle est juriste et criminologue et habite en Suisse. Toutes les contributions de Prof. Vuille sur ce blogue se trouvent a https://www.le-mot-juste-en-anglais.com/joelle-vuille/
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Cancel culture = culture de l'annulation, culture du bannissement. Parfois aussi appelée “call-out culture”, ou culture de la dénonciation.
Selon le dictionnaire Merriam-Webster, « to cancel someone » signifie « to stop giving support to a person » ; un synonyme est « to boycott » [1] . L'expression « Cancel culture » désigne un phénomène social dans lequel une masse d’individus appellent à isoler une personne de son cercle professionnel ou familial, ou plus largement de lui ôter l’opportunité de s’exprimer publiquement, lorsque le public (ou un certain public) pense que le discours ou le comportement de cette personne est choquant ou inapproprié ; ou le fait de censurer certains propos, d’effacer certains symboles, etc. La « cancel culture » touche souvent des personnages publics, mais peut également affecter une personne lambda filmée en train d’agir d’une façon choquante ; on pensera au grand nombre de femmes blanches américaines filmées ces dernières années en train de discriminer une personne afro-américaine vaquant à ses occupations [2]. (Ce type de femmes est communément appelée une « Karen », soit une femme blanche qui abuse de sa position privilégiée dans la société américaine pour obtenir la réalisation de ses moindres désirs).
Le fait d’identifier publiquement et d’isoler une personne qui a agi d’une façon qui déplaît au groupe social n’est pas un phénomène nouveau. Mais l’expression « cancel culture » est intimement liée aux réseaux sociaux [3] , et, d’après le dictionnaire Merriam-Webster, est apparue pour la première fois en 2017 [4]. L’un des premiers mouvements massifs de « cancelling » a été le mouvement #MeToo sur Twitter, lors duquel des milliers de femmes ont soudain identifié publiquement des hommes qui les avaient agressées sexuellement, entrainant l’ostracisation de ces derniers, surtout dans le cas de personnages publiques [5] .
Depuis lors, le terme est utilisé de façon beaucoup plus large. Relèvent de la « cancel culture », par exemple :
Ce sont en général les conservateurs qui accusent les progressistes d’annuler les discours qui ne leur plaisent pas et les personnes considérées comme non politiquement correctes. Les progressistes ne sont toutefois pas à l’abri de l’ire de leur propre camp, comme lorsque le sénateur américain Al Franken a été forcé à la démission par le chef de file du parti démocrate au Sénat, Chuck Schumer, après qu’une photo de lui semblant caresser la poitrine d’une femme endormie a fait surface dans les médias [9].
Pour bon nombre de conservateurs, la culture de l’annulation est contraire à la liberté d’expression ; ils se moquent des progressistes qui ne sont pas capables de supporter des propos qui les heurtent en les traitant de « snowflakes » (flocon de neige, symbole de la fragilité extrême puisqu’il fond dès qu’on le touche).
Savoir si la « cancel culture » est une bonne chose ou non est controversé. Il est vrai que la « cancel culture » donne un pouvoir immense à des individus qui n’en ont pas, c’est-à-dire nous tous, qui par le biais des réseaux sociaux pouvons exprimer notre approbation ou notre réprobation en temps réel et par millions. Par exemple, lorsque J.K. Rowling prend soi-disant la défense des femmes « biologiques » contre les femmes trans [10], il est à mon sens utile et constructif que la twittosphère lui rappelle que la libération des unes ne doit pas se faire en écrasant les autres, et qu’on peut se battre pour l’égalité des genres sans tout ramener à une question de chromosomes XX ou XY. En ce sens, la « cancel culture » concrétiserait une forme de justice populaire qui permet de tenir responsables les personnes puissantes qui discriminent, harcèlent, et insultent leur prochain.
D’autres considèrent, à l’inverse, que la cancel culture est une forme de censure. Pour eux, par exemple, le fait que Twitter suspende indéfiniment le compte de Donald Trump serait une entrave inadmissible à la liberté d’expression d’un personnage public qui devrait pourvoir communiquer avec son électorat [11] . Cela serait d’autant plus problématique que Twitter est une entreprise privée, qui occupe une position de quasi-monopole sur ce marché, et qui de facto peut donc museler un autre individu privé, sans être limitée par les libertés fondamentales garanties par la Constitution.
Certains commentateurs voient même dans la « cancel culture » la forme moderne du lynchage, pour trois raisons [12] :
On peut également se demander si la « cancel culture » ne serait pas parfois (voire souvent ?) provoquée par des considérations économiques plutôt que par une saine indignation morale. Par exemple, lorsque le parlementaire pro-Trump Josh Hawley, qui avait prévu de publier un livre exposant sa vision politique, a vu son contrat annulé par la maison d’édition Simon & Schuster à la suite des émeutes au Capitol en janvier 2021 (dont Hawley est considéré comme partiellement responsable par l’opinion publique), on peut imaginer qu’une part au moins des préoccupations de la maison d’édition était d’éviter le dommage économique découlant d’une association avec un homme politique désormais très controversé [14].
Certains épisodes récents montrent que la cancel culture peut être poussée à des extrémités absurdes. Par exemple, un professeur de la University of Southern California (USC), à Los Angeles, a récemment été suspendu après un cours en management de la communication. Le sujet du jour était les « filler words », comme « err », « hum », « like » (en anglais). Ayant travaillé en Chine, il a illustré son propos en expliquant que, en chinois, un « filler word » commun est « ne ga », qui sonne, en anglais, comme le mot « nigger », un tabou absolu dans la société américaine (où il n’est jamais dit, et encore moins écrit ; si cette contribution était destinée à un public américain, je l’aurais d’ailleurs écrit « n*** » ou utilisé la péri-phrase « the N word »). Des étudiants se sont plaints au doyen de l’usage de ce mot, et le professeur a été remplacé par un collègue pour donner son cours [15].
La « cancel culture » ne connaît pas tellement de nuances. Ainsi, le chef de la communication de Boeing a récemment dû démissionner lorsqu’il est apparu qu’il avait soutenu en 1987 que les femmes n’avaient pas leur place dans l’armée [16]. Veut-on vraiment punir les gens pour des opinions exprimées il y a 33 ans, s’ils n’ont plus rien dit de tel depuis lors ?
De surcroît, la « cancel culture » semble définitive : une fois ostracisé, il n’est pas possible de s’excuser, de faire amende honorable et de reprendre sa place dans le groupe social. Le paria garde son statut sur le long terme. La comédienne Kathy Griffin, par exemple, avait fait une plaisanterie de très mauvais goût en 2017, lorsqu’elle avait été prise en photo avec une fausse tête de Donald Trump ensanglantée, comme s’il avait été décapité [17]. Depuis lors, une enquête des services secrets a établi qu’il ne s’agissait pas d’une menace réelle, qu’elle n’avait aucune intention de l’attaquer physiquement [18], et elle s’est excusée publiquement à de nombreuses reprises ; pourtant, en 2021, sa carrière est toujours à l’arrêt.
En ce qui concerne les évènements historiques, la « cancel culture » a été accusée de récrire le passé. Ainsi, par exemple, ses opposants estiment que les statues de généraux américains confédérés devraient être préservées au nom de l’héritage qu’elles représentent. Elles symboliseraient non pas la coupable sédition d’un groupe d’états désireux de protéger leur système esclavagiste, mais le noble combat d’honnêtes planteurs de coton se battant pour la préservation de leurs droits face à un gouvernement fédéral abusif. Nous sommes toutefois de l’avis que cette position occulte elle aussi une part du passé. En effet, les statues des généraux américains confédérés n’ont pas été érigées juste après la guerre de Sécession dans le but d’honorer la mémoire de concitoyens et de proches tombés au combat. Elles ont été réalisées à la fin du XIXème siècle, soit des décennies plus tard, dans le but d’intimider les personnes noires vivant dans ces Etats au moment où celles-ci commençaient à revendiquer des droits civiques égaux à leurs concitoyens blancs [19]. Ces statues ne symbolisent donc pas le combat pour la liberté, mais bien le combat pour l’oppression, et en tant que telles, il est légitime de se demander si elles doivent vraiment être préservées.
Le problème que nous voyons dans la « cancel culture » est qu’elle limite le type de discours acceptable dans la société, ce qui met directement en péril la démocratie. En droit constitutionnel [20], il est en effet largement admis que la liberté d’expression doit être totale [21] dans une démocratie, non seulement parce qu’une seule restriction (légitime) à ce droit fait naître le risque d’en entraîner d’autres (non légitimes), mais également parce que, sur le « marché libre des idées » (marketplace of ideas), les mauvaises idées seront naturellement éliminées, et les bonnes idées seront promues et partagées toujours plus largement [22]. Pour trouver un consensus social qui nous permette de vivre ensemble, il est donc nécessaire que nous participions tous à ce marché des idées et que nous soyons libres d’y exprimer nos souhaits, nos craintes et nos aspirations, quels qu’ils soient.
Ce concept de marché libre des idées a été concrétisé récemment dans certaines solutions alternatives à la « cancel culture ». Par exemple, à Lausanne (Suisse), il y a une rue Agassiz. Louis Agassiz était un biologiste et géologue suisse très connu et respecté à son époque, qui fut nommé professeur à Harvard en 1847. Agassiz était opposé à l’esclavage, mais il était raciste, et ses travaux ont été utilisés pour justifier l’esclavagisme aux Etats-Unis. Lorsque des voix se sont élevées pour réclamer que la rue soit renommée, la municipalité a décidé de garder le nom de la rue et de placer sous les plaques qui indiquent le nom de la rue des panneaux d’information sur les travaux et la pensée de Agassiz, expliquant pourquoi sa vision des « races » est problématique et pose un danger réel encore aujourd’hui [23]. La solution nous semble intéressante, même si elle n’est pas praticable dans toutes les situations. Le pic Agassiz (un sommet dans les alpes bernoises), par exemple, n’a pas (encore) été renommé et on ne sait pas trop où il faudrait placer une éventuelle plaque d’information si on souhaitait le faire. Dans le même débat, la ville de Neuchâtel a pris l’option inverse, et a simplement renommé la place Louis Agassiz en place Tilo Frey (du nom d’une femme politique suisse de mère camerounaise) [24].
En conclusion, la « cancel culture » est un concept protéiforme. Si elle engendre parfois des débats de société importants et intéressants, il nous semble qu’elle présente également le risque de limiter les discours exprimés dans l’espace public, par peur des représailles. Or, dans des sociétés toujours plus diverses, la communication entre groupes et entre individus est essentielle pour faire avancer notre projet social commun. Toutefois, il n’y a pas de communication possible si chaque mot de travers peut valoir à celle qui le prononce une lettre écarlate.
1. https://www.merriam-webster.com/words-at-play/cancel-culture-words-were-watching
2. On pensera à Amy Cooper, filmée en mai 2020 alors qu’elle dénonçait calomnieusement à la police un ornithophile afro-américain se promenant dans Central Park ; à Alison Ettel qui, en juin 2018, a appelé la police pour dénoncer une fillette noire de 8 ans qui vendait des bouteilles d’eau devant sa maison pour financer une visite à Disneyworld ; ou encore à Jennifer Schulte qui, en mai 2018, a téléphoné à la police pour dénoncer un groupe de jeunes afro-américains en train de faire un barbecue dans un parc à Oakland (Californie).
3. https://statenews.com/article/2020/09/a-look-into-cancel-culture?ct=content_open&cv=cbox_latest
4. https://www.merriam-webster.com/dictionary/cancel%20culture
5. Pour certains, comme Harvey Weinstein, cela a mené à de multiples condamnations pénales ; pour d’autres, comme Louis CK, la mise à l’index a été temporaire et leur carrière a repris quelques années plus tard.
6. https://www.forbes.com/sites/lisettevoytko/2020/06/07/british-protesters-throw-slave-trader-statue-into-river-and--other-stunning-global-protest-moments/
7. https://www.nytimes.com/2018/05/29/business/media/roseanne-barr-offensive-tweets.html
8. https://www.lepoint.fr/medias/nagui-je-ne-passerai-pas-les-chansons-de-bertrand-cantat-02-12-2017-2176832_260.php
9. La photo est reproduite ici : https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2017/11/al-franken-that-photo-and-trusting-the-women/545954/
10. https://www.scotsman.com/arts-and-culture/books/jk-rowling-twitter-why-harry-potter-author-has-been-accused-transphobia-social-media-platforms-2877977
11. Il échappe apparemment à ces personnes que Donald Trump peut à tout moment convier n’importe quelle agence de presse ou télévision nationale ou locale, et faire une déclaration qui sera immédiatement transmise à la planète entière. La censure est donc toute relative…
12. Une position apparemment partagée par des individus aussi divers que l’activiste canadienne d’extrême droite Lauren Southern (https://www.skynews.com.au/details/_6175184070001) et le comédien britannique Rowan Atkinson (https://www.express.co.uk/comment/expresscomment/1380339/freedom-of-speech-britain-culture-offence-woke). On peut quand même douter du fait que se faire lyncher soit équivalent au fait de voir son compte Twitter suspendu…
13. Tout comme un homme afro-américain pouvait jadis être lynché pour un acte anodin. Même si les faits sont encore peu clairs aujourd’hui, il semblerait ainsi que le tristement célèbre Emmett Till ait été lynché pour avoir sifflé une femme blanche ; il avait alors 14 ans.
14. Hawley a rapidement trouvé une nouvelle maison d’édition. Pour d’autres exemples de sorties de livres annulées (dont celle de l’autobiographie de Woody Allen), voir https://time.com/5798335/woody-allen-memoir-canceled/
15. https://www.insidehighered.com/news/2020/09/08/professor-suspended-saying-chinese-word-sounds-english-slur
17. https://www.hollywoodreporter.com/news/more-kathy-griffin-shows-canceled-as-backlash-trump-stunt-grows-1009749
18. https://abcnews.go.com/Entertainment/kathy-griffin-president-trump-ordered-secret-service-investigation/story?id=54757722
19. John J. Winberry (2015). "'Lest We Forget': The Confederate Monument and the Southern Townscape". Southeastern Geographer. 55(1): 19–31.
20. La liberté d’expression est notamment garantie par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 1er Amendement à la Constitution américaine, et l’article 16 de la Constitution suisse.
21. Une exception communément admise étant la criminalisation de la diffamation et de la menace, car cela met directement en péril les droits d’une personne déterminée (la victime). Ma liberté d'expression s’arrête lorsque je porte atteinte à la réputation d’autrui, et lorsque je l’effraie. Chaque ordre juridique a ses propres règles en la matière.
22. https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/999/marketplace-of-ideas
23. L’affaire Agassiz a également un pendant américain, puisque la descendante d’esclaves photographiés par Agassiz a récemment attaqué l’Université Harvard en justice, exigeant le versement d’une compensation financière (puisque Harvard commercialise encore les photos de ses ancêtres en faisant un profit). Voir https://www.lematin.ch/story/le-racisme-du-suisse-louis-agassiz-devant-la-justice-americaine-122740635409
24. https://www.letemps.ch/suisse/part-dombre-louis-agassiz
Rédigé à 07:43 dans Actualité linguistique et littéraire, Mots et expressions anglais, Joelle VUILLE | Lien permanent | Commentaires (2)
Le mot anglais « nitty-gritty » est, en linguistique anglaise, un exemple de rhyming reduplication (redoublement rimé), à l’instar de namby-pamby, hanky-panky, wee-wee, okey-dokey, boogie-woogie ou ship-shape.
L’Oxford English Dictionary (OED) définit nitty-gritty comme suit : « The fundamentals, realities or basic facts of a situation or subject. The heart of the matter. » (Les éléments fondamentaux, les réalités ou les faits essentiels d’une situation ou d’une question. Le vif du sujet.)
Fin 2020, un auditeur de la BBC s’est plaint parce que Laura Kuenssberg, journaliste politique primée, avait utilisé ce terme. Selon lui, ce dernier est raciste, fondé sur la traite des esclaves. Les producteurs de l’émission ont rejeté sa plainte. Cependant, cet auditeur a persisté et sa réclamation est remontée jusqu’aux responsables du service des réclamations, qui ont soutenu la décision des producteurs et ont donc écarté l’objection.
On peut lire dans The Phrase Finder, un site Web réputé, ce qui suit : [https://www.phrases.org.uk/meanings/nitty-gritty.html]
« … il a été affirmé que « nitty-gritty » est un terme péjoratif qui renvoie à la traite des esclaves pratiquée par les Anglais au XVIIIe siècle. […] Il désignerait des débris sans importance qui restaient dans le fond de la cale d’un navire une fois que les esclaves avaient été débarqués, et ce sens aurait été étendu aux esclaves eux-mêmes.
Rien ne permet de dire que « nitty-gritty » ait un lien avec les navires utilisés pour le transport d’esclaves. Ce mot a probablement été forgé par des Afro-Américains, mais il s’agit là du seul lien avec l’esclavage. Il n’est attesté dans des textes imprimés qu’à partir des années 1930, longtemps après la disparition des navires de transport d’esclaves, et près de cent ans après l’abolition de l’esclavage.
Il a aussi été affirmé que « nitty-gritty » désigne des poux (aussi appelés « nits ») ou du maïs moulu (aussi appelé « grits »), mais ici encore ces hypothèses ne reposent sur aucune preuve solide.
Cependant, The Scotsman, dans son édition du 26 janvier 2021, prend une position différente :
« De nombreuses publications font état d’un manque de preuve d’utilisation de ce mot pendant la période de l’esclavage pour écarter tout lien avec la traite des esclaves, mais il n’est pas difficile de voir qu’il désignait autrefois des débris se trouvant dans un navire transportant des esclaves.
Le mot « nit » désigne la lente d’un pou, insecte qui pullulait dans les mauvaises conditions dans lesquelles les esclaves étaient transportés.
Et, aux Etats-Unis, « grits » désigne une céréale grossièrement moulue, ce qui devait être une nourriture bon marché tout juste capable de sustenter des esclaves pendant leur longue traversée de l’Atlantique.
Des lentes de poux et des céréales moulues se trouvaient presque certainement dans le fond de la cale d’un navire de transport d’esclaves.
The Scotsman poursuit :
« Nitty-gritty » n’est pas le seul mot apparemment anodin d’origine raciste ou sexiste.
La prochaine fois que vous qualifiez quelqu’un d’ « uppity » (présomptueux), [1] vous utiliseriez un terme à connotation raciste : pendant la période de ségrégation, des sudistes racistes auraient employé ce mot pour désigner des Noirs « qui n’acceptaient pas leur condition socioéconomique inférieure », selon The Atlantic.
L’expression « rule of thumb » (qui signifie littéralement « règle du pouce », mais désigne en fait une « règle empirique ») proviendrait d’une ancienne loi anglaise qui autorisait un homme à battre sa femme à l’aide d’un bâton à condition que ce dernier ne soit pas plus épais que son pouce.
Il est même soutenu que l’expression « hip hip hooray » (hip hip hip hourra) a un relent antisémite. On pense que les Allemands lançaient l’interjection « hep hep » (qui sert à rassembler le bétail dans leur langue) lorsqu’ils faisaient sortir de force des juifs de leurs habitations lors de manifestations au XIXe siècle.
[1] Le substantif one-upmanship (ou upmanship), en revanche, décrit l'acte d'une personne qui fait de la surenchère sur les autres. (Voir : " Manship, suffixe anglais à tout faire").
Jonathan Goldberg.
Traduction (anglais>français) : René Meertens
Votre blogueur fidèle est traducteur et interprète assermenté auprès du Judicial Council of California (hébreu/anglais, français/anglais). Il a vécu sur quatre continents et a passé un an à Paris, où il a obtenu un diplôme en Civilisation française de la Sorbonne - un cas de opsimathie, vu le fait qu'il n'a jamais appris le français à l'école ni pendant ces années d'études précédentes en droit. Il a été membre du Barreau d'Afrique du Sud et du Barreau d'Israël. Il a traduit en anglais RÉVOLUTION d'Emmanuel Macron. Il ne faut pas le confondre avec un autre Jonathan encore plus ancien - la tortue (âgée de 188 ans) en confinement sur l'île de Sainte Hélène (comme Napoléon autrefois). [*] Les deux (Jonathan & Jonathan, non Jonathan & Napoléon) se sont rencontrés lors d'une visite de l'île effectuée par votre blogueur. Voir le reportage : https://bit.ly/2KS6Wxe
Lecture supplémentaire :
Rédigé à 06:52 dans René MEERTENS | Lien permanent | Commentaires (0)
14 mars 1939, neuf heures du soir. Les nazis aux portes de Prague. Max Brod, alors célèbre écrivain, et son épouse prennent le dernier train pour la Pologne. Une des valises contient d'innombrables feuilles de papier, en majorité couvertes de l'écriture nerveuse de son meilleur ami, littéraire inconnu, Franz Kafka.
Kafka condamne ses écrits à la destruction par le feu après sa mort dans deux notes que Brod trouvera posées sur le désordre de son bureau à Prague. Brod ignore le message : il aurait toujours dit à Franz que pour rien au monde il ne brûlera ses papiers. Éditeur des premières publications de Kafka, il y avoue avoir ignoré ces notes ; c’est grâce à cette trahison que « Le procès », « Le Château" et « l’Amerika » voient le jour.
Arrivé à Tel Aviv, Brod rencontre la famille d’Esther et Otto Hoffe. Après la mort de sa femme, Esther devient sa secrétaire (il l'appelle son ange sauveur) et sa maîtresse. Dans les années cinquante Brod, décédé en 1968, fait cadeau à Esther, par une série de notes (encore des notes !) et non par testament, de ses propres écrits et des papiers de Kafka, entre autres le manuscrit du « Procès ».
Ces manuscrits sont devenus désormais l'objet d'un acharnement judiciaire que nous raconte le livre de Benjamin Bakint « Kafka's Last Trial » – « Le dernier procès de Kafka ».
Le procès | Kafka's Last Trial |
Ce texte reprend en partie une recension rédigée pour ce blog par Anna Chruschiel
Lecture supplementaire :
Franz Kafka rêvait au confinement
Google Translate comme traducteur littéraire (allemand > français)
Rédigé à 12:13 | Lien permanent | Commentaires (0)
Notre contributrice Françoise Le Meur a bien voulu rédiger l'analyse qui suit à notre intention. Nous la remercions vivement.
Homophilie et homophile
Homophile (subst. et adjectif).
Etymologie : de homo (signifiant « même, égal, comme » (opposé à hétéro), du grec homos + -phile (« celui qui aime, apprécie »)
Dans son usage, largement désuet de nos jours, signifie « celui.celle qui est attiré(e) par un individu du même sexe ou une personne active dans la défense des droits des personnes homosexuelles »
Ce mot n’est pas l’antonyme de homophobe mais le synonyme de homosexuel, un temps préféré par les militants de la cause homosexuelle, parce qu’il évite la référence à la sexualité pour lui substituer celle des affinités et de l’amour.
En effet après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement homosexuel international s’était structuré autour du terme « homophile », représenté en France par Arcadie, « Mouvement homophile de France » et sa revue Arcadie (existence de 1954 à 1982).
Ne pas confondre ce terme avec son paronyme hémophile (personne atteinte d’une maladie liée à un défaut de coagulation du sang). [1]
Homophilie (subst. fém.). Attirance sentimentale ou sexuelle d'un individu pour un individu du même sexe. Ce terme est vieilli et est maintenant remplacé par le terme homosexualité depuis les années 70.
Une citation équivalente en français serait « qui se ressemble s’assemble ».
En sciences sociales, l'homophilie est la tendance à s'affilier à ses semblables (pairs). La propension à préférer entretenir des relations avec des personnes qui se ressemblent et ont des caractéristiques communes telles que le lieu géographique, l'origine sociale, la langue ou la race est un indicateur de la persistance des catégorisations sociales globales à l’intérieur des structures relationnelles.
Le sociologue français Pierre Bourdieu a relié en 1980 la tendance à l'homophilie à la notion de capital social et aux autres formes de capital; les gens ont ainsi tendance à s'associer à leurs semblables (en termes de position sociale, de rôle social, etc.).
Dans sa version anglaise, le terme homophily [2] défini par le dictionnaire numérique Lexico.com comme « The tendency for people to seek out or be attracted to those who are similar to themselves », a fait l'objet de plusieurs analyses dans la presse américaine à propos de l'influence des réseaux sociaux (et plus encore à la suite du siège du Capitole, le 6 janvier.)
Dans le journal Foreign Affairs, l’ article «The False Prophecy of Hyperconnection » de Niall Ferguson souligne « Because of the phenomenon known as “homophily”, or attraction to similarity, social networks tend to form clusters of nodes with similar properties or attitudes ».
Un autre mot anglais, groupthink, défini par Lexico.com comme "The practice of thinking or making decisions as a group, resulting typically in unchallenged, poor-quality decision-making” figure dans le même champ lexical.
Cela étant dit, peut-on parler d’homophilie au sujet des supporters de D.Trump ?
Cette homophilie concerne sans doute davantage les opinions émises par les supporters influencés par les réseaux sociaux ou les chaînes TV telles Fox news (même si certaines caractéristiques en termes de sexe, de couleur de peau, de religion, éducation, niveau social peuvent être communes et d’autres plus éloignées (par exemple républicains convaincus ou hommes d’affaires fortunés).
L’homophilie influence l’enfermement dans « une bulle de filtres » (par l’intermédiaire des publications partagées, des échanges avec des contacts/amis/suiveurs sur les réseaux sociaux et à la croyance à des thèses conspirationnistes.
Les fameux algorithmes (Google et Facebook en tête de liste) avaient, à ce titre, été montrés du doigt comme ayant été responsables de la victoire du candidat Républicain à la Maison Blanche en 2016.
De-platforming (ou no Platform)
Méthode de censure par laquelle on refuse au censuré tout moyen d'expression (notamment sur les « plateformes » et réseaux sociaux), en incitant (si nécessaire par le boycott) ses fournisseurs potentiels (hébergeurs, universités...) à ne rien lui fournir (vendre, louer, prêter...).
Suite à l’envahissement du capitole le 6 janvier 2021 et à plusieurs tweets du président Trump le 7 janvier 2021, Facebook, Instagram, YouTube, Reddit et Twitter ont tous privé D.Trump d'accès à leur services, et Twitter a désactivé son compte personnel pour avoir continué à tweeter de faux messages sur la fraude électorale.
« Platform » désigne Twitter etc., mais a surtout le sens de tribune où s'exprimer en public.
Dès les années 1970, des étudiants britanniques avaient instauré, sous le nom de « No Platform », un boycott visant à interdire les campus à tout groupe ou individu jugé fasciste ou raciste.
En 2017 U.C. Berkeley avait déprogrammé Richard Dawkins du séminaire sur la biologie humaine en raison de ses commentaires incendiaires sur l'Islam.
Il n’y a pas pour le moment de traduction officielle reconnue en français
L'idée à retenir étant « priver de tribune », les traductions possibles de « deplatforming » sont nombreuses : refuser de donner la parole à, chasser ou bannir (d'un réseau, d'un lieu), mettre à l'index, censurer.
dédié à la culture de l'annulation par la purge de statues de 2020 |
Le de-platforming ou no-platforming est également lié à la Cancel Culture dont il est une méthode d’action.
La « Cancel culture », soit littéralement la culture de l’annulation, consiste à pointer du doigt une personnalité ou une entreprise dont un propos, ou une action, a été considéré comme répréhensible ou « offensant » et à lui retirer son soutien via les réseaux sociaux.
D’autres méthodes d’action consistent en des dénonciations publiques, le boycott, les procès, le déboulonnage de statues le cyber-harcèlement, les sit-in sur la voie publique.
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[1] L’hémophilie fut aussi appelée « maladie royale », étant donné que la reine Victoria du Royaume-Uni a transmis l’hémophilie aux familles royales d’Espagne, d’Allemagne et de Russie. On notera que sans cette maladie, Grigori Raspoutine n'aurait jamais été aussi célèbre qu'il l'a été. Ce dernier aurait réussi à soulager le tsarévitch Alexis (fils de Nicolas II) de ce mal que les médecins de l'époque connaissaient peu. (Source : Wikipedia)
Rédigé à 20:18 | Lien permanent | Commentaires (0)
E n t r e t i e n e x c l u s i f
Seconde partie
La première partie de cet entretien est accessible ici:
https://bit.ly/2XUL0rD
Le professeur Noah Feldman occupe la chaire de droit "Felix Frankfurter" à l'université d’Harvard. Sa réputation de constitutionnaliste émérite et d'historien du droit n'est plus à faire. Lors de la procédure engagée en 2019 pour destituer le président Trump, son nom est devenu familier à des millions de téléspectateurs américains qui ont pu le voir, accompagné de deux autres constitutionnalistes américains, présenter le dossier de destitution.
Il a obtenu sa licence en langues et civilisations du Proche-Orient en 1992 au Harvard College (Artium Baccalaureus summa cum laude, mention excellent) qui lui a valu le prix Sophia Freund décerné au diplômé summa cum laude le mieux classé.
Le professeur Feldman est moins connu du public américain pour sa connaissance des langues, en particulier les langues du Proche-Orient. L'ampleur de ses connaissances est reflétée dans l'interview qui suit, lequel a été mené entre Los Angeles et Boston par votre blogueur fidèle, Jonathan G.
Nadine Gassie, qui a bien voulu traduire l'entretien ci-dessous, et sa fille Océane Bies, étaient nos linguistes du mois d'avril 2017. Nous remercions infiniment Nadine d'avoir accepté de traduire cet entretien.
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A posteriori, diriez-vous que vos années d'étude de langues ont été bénéfiques par-delà l'exercice intellectuel qu'elles ont représenté ?
Absolument. Je dirais qu'apprendre une autre langue, c'est entamer le processus d'entrée dans un autre mode de pensée. Pour moi tout particulièrement, qui étais élevé dans un milieu juif, qui fréquentais une école juive où j'apprenais l'hébreu moderne, étudier l'arabe a vraiment consisté à entamer ce processus de tentative de voir le monde par les yeux d'autrui, en l'occurrence des gens d'origine religieuse différente, avec des expériences religieuses différentes. Et cela même si le monde médiéval classique, en particulier le monde juif médiéval, était profondément arabisé, puisque Moïse Maïmonide par exemple, comme je vous l'ai dit précédemment, était lui-même arabophone et a rédigé Le Guide des égarés, son œuvre philosophique la plus célèbre, entièrement en arabe.
Bien sûr, je savais que de nombreux penseurs juifs majeurs avaient écrit et pensé en arabe, et avaient de fait été influencés par la civilisation islamique, mais le savoir de façon abstraite est très différent d'en faire l'expérience concrètement. Pouvoir parler à des gens, en particulier au Moyen-Orient, qui ont grandi dans des pays arabophones, ou même en Israël tout en ayant l'arabe pour langue maternelle, a profondément changé ma façon de voir le monde. Plus que tout autre facteur ayant contribué à ma bildung*, je dirais que le fait d'avoir été exposé à l'arabe à un âge relativement précoce a transformé mon mode de rencontre avec le monde. Et cela a par la suite influencé tout ce que j'ai fait sur les plans professionnel et universitaire. Car au-delà de la valeur intrinsèque que représente la connaissance de la langue et la capacité qu'elle offre de communiquer avec les gens et d'avoir accès aux textes, il y a la prise de conscience de la multiplicité des points de vue existant sur toutes sortes de questions et de problèmes. On mesure les différences profondes qui séparent ces points de vue et à quel point tout un chacun, partout dans le monde, peut être intimement convaincu de la justesse de son expérience et de son point de vue (moi y compris : je ne fais pas exception à la règle). Or malgré tout, en tant qu'humains, nous avons aussi la capacité de nous ouvrir aux autres et de les écouter. C'est cela le plus incroyable. On pourrait penser que les êtres humains, en se regroupant autour d'une langue, d'une culture ou d'un récit commun, se trouveraient dans l'impossibilité d'élargir leur perspective, mais en fait c'est le contraire qui se vérifie : nous sommes capables d'élargissement, et l'acquisition d'une autre langue, même à l'âge adulte, même si nous n'arrivons pas à parler aussi bien que les locuteurs natifs, est la preuve formidable de cette capacité de l'humain à tendre vers une compréhension réciproque, sans prétendre à une compréhension parfaite, mais déjà d'être capable de cet effort.
Nous connaissons l'histoire de la renaissance de l'hébreu en tant que langue vivante. L'araméen, en revanche, qui est aussi une langue sémitique historiquement liée à l'hébreu, est parlé, sous ses différentes formes, par un à deux millions de personnes mais risque de rejoindre la liste des langues menacées de disparition. Avez-vous eu l'occasion de comparer l'hébreu et l'araméen et quelles observations pouvez-vous faire sur leurs similitudes, leurs différences et leurs trajectoires respectives ?
Leur différence de trajectoire est réellement fascinante. L'hébreu, qui était à l'origine une langue vivante, n'a ensuite survécu que dans les livres et dans les cercles savants, et n'était plus que rarement parlé pour communiquer, et c'est à partir du 19ème siècle, à travers un processus très délibéré de revitalisation, qu'il a été rétabli en tant que langue moderne, similaire à l'hébreu classique à certains égards, mais très différent à d'autres, si bien que certains linguistes estiment qu'il devrait être considéré comme une langue différente : « l'israélien ». L'araméen en revanche n'a pas cessé d'être parlé par des communautés s'identifiant comme chaldéennes ou assyriennes, qui ont réussi à se préserver durant des milliers d'années grâce à leur forte identité communautaire et leur isolement. Elles ont ainsi maintenu la continuité de leur langue qui, cependant, n'a plus servi à gouverner un État depuis longtemps. Il y a eu par le passé des empires gouvernés en araméen, de grands empires : l'empire assyrien pour commencer, à diverses époques, mais il a cessé d'exister il y a très longtemps. L'araméen a donc une continuité que n'a pas l'hébreu moderne revitalisé, mais n'ayant pas d'État qui lui soit attaché, il reste toujours vulnérable comme sont vulnérables ses locuteurs, qui vivent ou ont vécu historiquement dans des régions déchirées par les guerres et dangereuses. Au cours des derniers 2 000 ans, ils n'ont cessé de constituer une minorité opprimée et c'est l'une des raisons pour lesquelles il y a lieu de s'inquiéter pour la survie de leur communauté linguistique. Ils n'ont jamais cessé de parler leur langue, mais il arrive qu'une langue se retrouve menacée non pas parce que ses locuteurs cessent de l'utiliser mais parce que ses locuteurs eux-mêmes sont menacés. C'est ce qui est en train de se passer pour les locuteurs natifs de l'araméen.
Vous avez publié de nombreux ouvrages, dont huit essais.[1] Voulez-vous nous en parler ?
Je peux diviser mes écrits en deux groupes : environ la moitié traite de la gouvernance politique au Moyen-Orient, historiquement et au présent. Ces travaux sont des émanations directes de ma thèse de doctorat sur la théorie politique dans l'islam médiéval, avec une réactualisation pour le monde contemporain. C'est ainsi que beaucoup d'entre eux portent sur islam et démocratie, et la question de savoir si les deux peuvent ou ne peuvent pas coexister, parmi lesquels je compte mon ouvrage le plus récent à ce sujet : The Arab Winter: a Tragedy [L'hiver arabe : une tragédie]. Vous pouvez deviner d'après son titre que son contenu n'est pas très optimiste ; mes premiers livres sur le sujet l'étaient davantage. L'autre moitié de mes écrits concerne globalement la tradition constitutionnelle américaine, ils se focalisent sur l'histoire intellectuelle des idées qui ont fondé la constitution américaine, à travers les personnages qui les ont développées et leur ont donné forme. J'ai donc à mon actif une longue biographie de James Madison, qui fut le principal rédacteur de la constitution américaine, et un livre tout aussi long sur quatre juges de la Cour suprême, nommés par F.D. Roosevelt, qui ont fait évoluer les idées constitutionnelles américaines dans l'ère moderne. Je suis en train de terminer un livre qui ne sortira pas avant un an environ sur Abraham Lincoln et la façon dont il a modifié la constitution au cours de la guerre de Sécession.
Vous avez évoqué une de vos interventions pratiques en Tunisie, hors de la sphère universitaire. Avez-vous d'autres expériences de ce type à nous relater ?
Oui, au cours des trois dernières années, par exemple, j'ai participé à la mise sur pied de l'Oversight Board (conseil de surveillance) de Facebook, que l'on appelle aussi la « Cour suprême » de Facebook. C'est une entité composée d'universitaires et de spécialistes indépendants, non-salariés de la plateforme. Elle fonctionne grâce à une dotation attribuée par Facebook, mais elle est indépendante. La « Cour » a statué récemment sur sa première série d'affaires, son rôle étant de trancher des litiges concernant des décisions de modération du réseau social, donc de décider en définitive si un contenu doit rester sur la plateforme ou être supprimé. Facebook s'est engagé à se conformer à ses décisions. Ce fut une expérience extraordinaire pour moi, impliquant également la pratique des langues, car Facebook opère dans plus de 100 pays et ses utilisateurs s'expriment dans des dizaines de langues différentes, la modération de contenu nécessite donc une compréhension nuancée de ces différentes langues, ce qui représente un énorme défi pour Facebook et sera un défi aussi pour le conseil de surveillance. Voilà un exemple d'intervention pratique à laquelle j'ai consacré beaucoup de temps ces dernières années dans l'espoir d'apporter des améliorations progressives au fonctionnement de Facebook, car au-delà de l'aspect positif de mise en relation des internautes que permet ce réseau social, son utilisation comporte aussi de nombreux risques et inconvénients liés à la désinformation, aux propos haineux et à toutes sortes de choses. La vocation du conseil de surveillance est de tenter de résoudre certains de ces problèmes par la motivation de ses décisions en toute indépendance, transparence et responsabilité.
Pour nos lecteurs francophones, quelle comparaison ou quel contraste pourriez-vous faire entre le français et d'autres langues que vous maîtrisez ? Vous qualifieriez-vous de francophile ?
Bien sûr, je me qualifierais de francophile, ou plus précisément de « francophonephile ». Non que je n'aime pas la France, mais c'est d'abord la langue française que j'aime énormément, et comme tout francophone le sait, les auteurs français ont extraordinairement parlé des beautés de leur langue, donc je ne m'aventurerais pas à en proposer une vision originale, mais je pense que le français a ceci d'extraordinaire qu'il est simultanément adapté à la pensée et à la réflexion philosophiques et capable d'un degré important de licence poétique tout en étant une langue assez strictement formalisée. Cette ubiquité est assez inhabituelle, car de nombreuses langues sont plus à l'aise dans l'un ou l'autre domaine. L'anglais est très fort pour le langage simple et clair, en particulier dans la philosophie et le droit et même dans la diction poétique, mais il n'est pas très à l'aise avec les formulations plus lyriques. Le français est à l'aise dans deux domaines extrêmement différents et c'est selon moi une caractéristique remarquable. L'allemand aussi est à l'aise dans ces deux domaines, mais les directions que prend la pensée, lorsqu'on fait de la philosophie en français ou qu'on écrit et lit de la poésie en français sont tout à fait identifiables et très différentes de leurs équivalents en allemand, c'est donc à cet égard que selon moi se différencient ces deux langues.
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[1]
Rédigé à 11:53 | Lien permanent | Commentaires (0)
Amanda Gorman, poète nationale des États-Unis, récite son poème lors de l'investiture [1] du Président Biden, le 20 janvier 2021. [2]
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Nous fournissons ci-dessous quelques faits biographiques concernant Amanda Gorman mais tout d’abord nous souhaitons présenter une estimation de son œuvre, rédigée par Hélène Cardona à notre intention.
Hélène, elle aussi poétesse et auteure, résidente de Los Angeles, comme la jeune Amanda, a remporté un nombre de prix, dont l'Independent Press Award et l’International Book Award et a publié plusieurs livres dont Life in Suspension / La Vie Suspendue (Salmon Poetry) et Dreaming My Animal Selves / Le Songe de mes Âmes Animales (Salmon Poetry) – tous les deux bilingues.
Dans le passé Hélène fut notre “linguiste du mois”. (L’entretien avec Hélène est accessible à https://bit.ly/3qEdySt) Elle s’est également entretenue avec le grand poète américain (récemment décédé), John Ashbery.
Nous la remercions chaleureusement pour le commentaire précieux qui suit :
« L'amour devient notre héritage »
Amanda Gorman est la plus jeune poète à écrire et réciter un poème pour une inauguration présidentielle. Elle marche ainsi sur les traces illustres de Maya Angelou et de Robert Frost. C’est sa lecture passionnée de son poème « In This Place: An American Lyric », à la Bibliothèque du Congrès en 2017, qui attira l’attention du Dr. Jill Biden.
« La poésie est une forme d’art, mais pour moi, c’est aussi une arme, c’est aussi un instrument », déclare-t-elle lors d’une interview avec Jeffrey Brown pour PBS NewsHour.
Elle finit de composer son poème, « The Hill We Climb » (La Colline que nous gravissons), le 6 janvier, jour où le Capitole de Washington D.C. fut pris d’assaut par les partisans de l’ancien président Donald Trump.
Ce fut une tâche intimidante. C’est un poème qui tient compte des divisions politiques du moment et des tensions raciales aux États-Unis, mais c’est aussi un baume offert à ceux qui souffrent, une manière de leur rendre justice.
C’est une composition originale, hybride, moitié poème, moitié slam « spoken word poetry », récitée avec grâce et aplomb, une courageuse recherche de la vérité, qui vise essentiellement à faire la lumière sur ces récents événements ainsi que sur des problèmes depuis trop longtemps restés dans l’obscurité. Amanda Gorman a créé un poème représentatif de tous et de toutes. Pour elle, ce fut l’occasion d’unir le people des États-Unis.
Elle commence par une question : « où trouver la lumière dans cette obscurité sans fin ? » Après cette invitation à méditer sur notre condition, elle propose un nouveau regard, généreux, à la fois intime et lyrique, porteur et optimiste :
The new dawn blooms as we free it
For there is always light,
If only we're brave enough to see it
If only we're brave enough to be it
L'aurore nouvelle fleurit alors que nous la libérons
Car la lumière est toujours là,
si seulement nous avons l’audace de la regarder
Si seulement nous avons l’audace de l’incarner
Hélène Cardona
http://www.imdb.me/helenecardona
Détails biographiques d'Amanda Gorman :
Amanda, née en 1998 à Los Angeles, est une poétesse et militante américaine.
Originaire de Californie, Amanda Gorman grandit à Los Angeles. Elle est élevée par sa mère, une enseignante du nom de Joan Wicks, avec ses deux frères et sœurs. Elle a une sœur jumelle, nommée Gabrielle Gorman, et également militante.
Amanda Gorman déclare avoir grandi dans un environnement où l'accès à la télévision était limité. Enfant, elle grandit avec un trouble de la parole. Sa mère l’encourage vivement dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Hypersensible aux sons, elle souffre d’un trouble du traitement auditif. Elle fréquente l’école privée New Roads à Santa Monica, de la maternelle à la terminale. En 2014, elle est choisie comme jeune poétesse lauréate de la ville de Los Angeles.
En avril 2017, Amanda Gorman est nommée comme la toute première poétesse officielle de la jeunesse des États-Unis. En 2020, elle obtient son diplôme de sociologie de l’université Harvard.
Elle est la poétesse invitée à l'inauguration (inaugural poet) du 46e président des États Unis, Joe Biden. Elle lit un texte écrit après l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, The Hill We Climb. [3]
Amanda Gorman, Bibliothèque du Congrès,
Washington, D.C., 2017.
Les textes d’Amanda Gorman se concentrent sur les questions d'oppression, de féminisme, de race et de marginalisation, ainsi que sur la diaspora africaine. En 2015, elle publie One for Whom Food Is Not Enough, un premier recueil de poèmes aux éditions Urban Word LA.
Amanda Gorman est la fondatrice et la directrice exécutive de l'organisation à but non lucratif One Pen One Page, une organisation qui propose des programmes de création littéraire gratuits pour les jeunes défavorisés.
Elle déclare avoir souhaité devenir une jeune déléguée de l’organisation des Nations Unies en 2013, après avoir assisté à un discours de la militante pakistanaise des droits des femmes, Malaya Yousafzais nommée prix Nobel de la Paix en 2014
En 2017, elle devient la première jeune poétesse à ouvrir la saison littéraire de la Bibliothèque du Congres. Elle est invitée sur la chaîne américaine MTV pour une lecture de ses poèmes.
La même année, elle est la première autrice à figurer dans le Livre du mois du XQ Institute, un cadeau mensuel pour partager les livres favoris inspirants de la Génération Z. Elle écrit un hommage aux athlètes noirs pour la marque Nike, et conclut un accord avec Viking Children's Books pour écrire deux livres d’images pour enfants.
Amanda Gorman déclare vouloir se présenter à l’élection présidentielle américaine 2036.
La Morgan Library and Museum a acquis son poème In This Place (An American Lyric). Celui-ci est exposé en 2018, aux côtés d'œuvres de la poétesse et femme de lettres américaine, Elizabeth Bishop.
Amanda Gorman est choisie par l'administration de Joe Biden pour lire un poème original lors de l’investiture du nouveau président américain le 20 janvier 2021. Elle devient ainsi la plus jeune femme et poétesse à occuper ce rôle. Après le 6 janvier 2021, elle modifie le contenu de son poème afin de tenir compte de la prise d'assaut du Capitole des États-Unis. (Source: Wikipedia)
[1] Note linguistique : inauguration (English) = investiture (français); inaugural (English) = inaugural (français).
Voir aussi : https://www.etymonline.com/search?q=inauguration
[2] Note historique :
Le 20 janvier 1961, il y a exactement 60 ans, un autre poet national des États Unis, Robert Frost, a récité son poème à l'investiture d'un autre president démocratique, John F. Kennedy.
[3] The Hill We Climb par Amanda Gorman:
Mr. President, Dr. Biden, Madam Vice President, Mr. Emhoff, Americans and the world, when day comes we ask ourselves/ where can we find light in this never-ending shade? /The loss we carry/ a sea we must wade./ We’ve braved the belly of the beast./ We’ve learned that quiet isn’t always peace./ In the norms and notions/ of what just is isn’t always just-ice./ And yet, the dawn is ours/ before we knew it./ Somehow we do it./ Somehow we’ve weathered and witnessed/ a nation that isn’t broken,/ but simply unfinished./ We, the successors of a country and a time/ where a skinny black girl/ descended from slaves and raised by a single mother/ can dream of becoming president/ only to find herself reciting for one.
And yes, we are far from polished,/ far from pristine,/ but that doesn’t mean we are/ striving to form a union that is perfect./ We are striving to forge our union with purpose./ To compose a country committed to all cultures, colors, characters, and conditions of man./ And so we lift our gazes not to what stands between us,/ but what stands before us./ We close the divide because we know to put our future first,/ we must first put our differences aside./ We lay down our arms/ so we can reach out our arms/ to one another. We seek harm to none and harmony for all./ Let the globe, if nothing else, say this is true./ That even as we grieved, we grew./ That even as we hurt, we hoped./ That even as we tired, we tried/ that will forever be tied together victorious./ Not because we will never again know defeat,/ but because we will never again sow division.
Scripture tells us to envision/ that everyone shall sit under their own vine and fig tree/ and no one shall make them afraid./ If we’re to live up to her own time,/ then victory won’t lie in the blade,/ but in all the bridges we’ve made./ That is the promise to glade,/ the hill we climb if only we dare./ It’s because being American is more than a pride we inherit./ It’s the past we step into/ and how we repair it./ We’ve seen a force that would shatter our nation/ rather than share it./ Would destroy our country if it meant delaying democracy./ This effort very nearly succeeded./
But while democracy can be periodically delayed,/ it can never be permanently defeated./ In this truth,/ in this faith we trust./ For while we have our eyes on the future,/ history has its eyes on us./ This is the era of just redemption./ We feared it at its inception./ We did not feel prepared to be the heirs/ of such a terrifying hour,/ but within it, we found the power/ to author a new chapter,/ to offer hope and laughter to ourselves/ so while once we asked,/ how could we possibly prevail over catastrophe?/ Now we assert,/ how could catastrophe possibly prevail over us?
We will not march back to what was,/ but move to what shall be,/ a country that is bruised, but whole,/ benevolent, but bold,/ fierce, and free./ We will not be turned around/ or interrupted by intimidation/ because we know our inaction and inertia/ will be the inheritance of the next generation./ Our blunders become their burdens./ But one thing is certain,/ if we merge mercy with might/ and might with right,/ then love becomes our legacy/ and change our children’s birthright.
So let us leave behind a country/ better than one we were left with./ Every breath from my bronze-pounded chest/ we will raise this wounded world into a wondrous one./ We will rise from the gold-limbed hills of the West./ We will rise from the wind-swept Northeast/ where our forefathers first realized revolution./ We will rise from the lake-rimmed cities of the Midwestern states./ We will rise from the sun-baked South.[4]/ We will rebuild, reconcile and recover/ in every known nook of our nation,/ in every corner called our country/ our people diverse and beautiful will emerge/ battered and beautiful./ When day comes, we step out of the shade/ aflame and unafraid./ The new dawn blooms as we free it./ For there is always light./ If only we’re brave enough to see it./ If only we’re brave enough to be it.
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[4] Ces vers rappellent ceux du discours de Martin Luther King, prononcé le 28 août 1963 à proximité du Capitole de Washington, et connu comme "Je fais une rêve" :
"And if America is to be a great nation, this must become true. So let freedom ring from the prodigious hilltops of New Hampshire. Let freedom ring from the mighty mountains of New York. Let freedom ring from the heightening Alleghenies of Pennsylvania. Let freedom ring from the snow-capped Rockies of Colorado. Let freedom ring from the curvaceous slopes of California. But not only that: Let freedom ring from Stone Mountain of Georgia. Let freedom ring from Lookout Mountain of Tennessee. Let freedom ring from every hill and molehill of Mississippi. From every mountainside, let freedom ring."
Lecture supplémentaire :
Amanda Gorman, plus jeune poétesse jamais invitée à une cérémonie d'investiture dans l'histoire des États-Unis
France Culture 20.1.2021
Amanda Gorman Captures the Moment, in Verse
New York Times, January 21, 2021
American lyricist
The Crimson, Harvard University
Rédigé à 18:43 | Lien permanent | Commentaires (2)
Le dictionnaire LEXICO (auparavant Oxford Dictionaries.com) a choisi "quarantine" comme mot de l'année écoulée.
Le terme anglais quarantine est associé au français « quarantaine », mais son origine remonte plus loin. En latin, le chiffre quarante se disait quadraginta, origine du vieil anglais quarentyne désignant "le désert où le Christ jeûna pendant quarante jours ». Dans les années 1520, le mot prit sa forme actuelle, mais pour désigner cette fois la période de quarante jours pendant laquelle la veuve avait le droit de demeurer dans la maison de son époux défunt. Cette règle fut édictée dans la Grande Charte (Magna Carta) de 1215 et consacrée par le droit coutumier afin de donner à la veuve la possibilité de faire le deuil de son mari en toute sérénité et d'écarter d'éventuels héritiers un peu trop pressés de la chasser de son domicile.
La racine latine quadraginta a donné quaranta en italien mais, si quarantina signifie « quarantaine » (environ quarante),le mot quarantena désigne la période de 40 jours pendant laquelle un navire soupçonné de transporter une maladie était tenu en isolement. Les navires arrivant à Venise en provenance de ports infectés étaient obligés de rester au mouillage pendant 40 jours avant d'accoster. En effet, Venise risquait d'être une proie facile pour la peste car c'était un port d'escale et de transit pour toutes les voies maritimes reliant l'Europe à l'Orient, un vrai carrefour qui accueillait des navires et des gens de partout. La Sérénissime république se dota donc de moyens de prévention modernes, créant des zones de quarantaine sur quelques îles éloignées de la ville, les lazzaretti, imitée en cela par d'autres ports italiens et européens. En France, la plupart des ports méditerranéens (dont Sète et Toulon) disposaient d'un lazaret.
Le délai de quarante jours n'avait pas été fixé au hasard. Il correspondait à la durée maximale d'incubation des maladies infectieuses contagieuses, d'après l'état des connaissances à l'époque. Il a été ramené à 14 jours et même moins, selon les maladies. Les mesures et les délais de surveillance des maladies soumises à surveillance sont désormais définis par le Règlement sanitaire international.
Lectures supplémentaires :
The Collins Word of the Year 2020 is lockdown
Merriam-Webster's Word of the Year is pandemic
The Greeks had a word for it … until now, as language is deluged by English terms
The Guardian, January 21, 2021
Coronaspeak - les blogues et la presse commentent les mots à la mode (suite)
Rédigé à 16:17 | Lien permanent | Commentaires (0)
E n t r e t i e n e x c l u s i f
Première partie
Le professeur Noah Feldman occupe la chaire de droit "Felix Frankfurter" à l'université d’Harvard. Sa réputation de constitutionnaliste émérite et d'historien du droit n'est plus à faire. Lors de la procédure engagée en 2019 pour destituer le président Trump, son nom est devenu familier à des millions de téléspectateurs américains qui ont pu le voir, accompagné de deux autres constitutionnalistes américains, présenter le dossier de destitution.
Il a obtenu sa licence en langues et civilisations du Proche-Orient en 1992 au Harvard College (Artium Baccalaureus summa cum laude, mention excellent) qui lui a valu le prix Sophia Freund décerné au diplômé summa cum laude le mieux classé.
Le professeur Feldman est moins connu du public américain pour sa connaissance des langues, en particulier les langues du Proche-Orient. L'ampleur de ses connaissances est reflétée dans l'interview qui suit, lequel a été mené entre Los Angeles et Boston par votre blogueur fidèle, Jonathan G.
Nadine Gassie, qui a bien voulu traduire l'entretien ci-dessous, et sa fille Océane Bies, étaient nos linguistes du mois d'avril 2017. Nous remercions infiniment Nadine d'avoir accepté de traduire cet entretien.
Voulez-vous dire à nos lecteurs quel parcours éducatif a été le vôtre avant l'université ?
J'ai fréquenté la Maimonides School de Brookline, Massachusetts, Moïse Maïmonide étant le nom d'un des plus éminents représentants de la pensée juive médiévale, qui vécut toute sa vie dans le monde islamique et parlait l'arabe.
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Moïse Maïmonedes (1138-1204) |
Au cours de ma scolarité, j'ai eu la chance d'apprendre l'hébreu biblique mais aussi l'hébreu « mishnique » ou rabbinique, ainsi que l'araméen, l'anglais évidemment, et le français. Ensuite, à 15 ans, j'ai étudié l'arabe à l'université d'été d'Harvard avec le Dr Wilson Bishai, de même que l'été suivant, à 16 ans, à l'université hébraïque de Jérusalem, toujours dans le programme d'été, avec des professeurs extraordinaires. Ce programme comprenait l'arabe classique, l'arabe médiéval et l'arabe moderne. Entre ces différentes sessions, j'ai également eu la grande chance de bénéficier des cours d'arabe particuliers de Michael Cooperson, un génie linguistique, qui était doctorant à l'époque et qui est maintenant professeur d'arabe à l’université de Californie à Los Angeles.
Vous venez d'évoquer différentes catégories d'arabe et d'hébreu. Pourriez-vous être un peu plus explicite pour nos lecteurs ?
Il existe quatre variantes de l'hébreu : les trois plus anciennes sont l'hébreu biblique, l'hébreu rabbinique ou « mishnaïque », et l'hébreu médiéval qui s'inspire de ces deux traditions antérieures mais a sa propre saveur, surtout s'agissant de l'hébreu philosophique médiéval, pour la bonne raison qu'il dérive de traductions directes de l'arabe et possède donc sa propre grammaire et syntaxe, très proches de l'arabe. Et il y a évidemment l'hébreu moderne.
En arabe, il y a l'arabe pré-coranique, dont un corpus est principalement conservé en poésie, l'arabe coranique (classique) et l'arabe philosophique médiéval, qui est largement basé sur des traductions du grec, même si ces traductions sont venues par le syriaque, lui-même version de l'araméen. En effet, aux 8ème, 9ème, 10ème et 11ème siècles, les parties des œuvres d'Aristote et de Platon dont disposaient les savants arabes étaient d'abord traduites du grec en syriaque, puis du syriaque en arabe. C'est ainsi qu'au moment où a émergé l'arabe philosophique médiéval, sa syntaxe et ses modes étaient assez caractéristiques. Et bien sûr, il y a l'arabe moderne, généralement daté du 19ème siècle, qui s'inspire de certains tropes et faits de langue de l'arabe classique mais qui est parlé différemment. Et enfin, il y a l'arabe parlé, qui est différent dans presque tous les pays arabophones, de sorte qu'un Marocain et un Irakien parlant tous deux un dialecte familier éprouveraient des difficultés, pour ne pas dire une impossibilité, à communiquer. Pour se comprendre, ils auraient recours à l'arabe standard moderne, qui est le dérivé de l'arabe classique, compréhensible pour tous car c'est celui qui est employé à la télévision et qui est écrit dans les journaux.
Quels cours de premier cycle avez-vous suivis à Harvard ?
À Harvard, j'ai fait de l'hébreu biblique et beaucoup d'hébreu philosophique médiéval. J'ai aussi fait de l'arabe, principalement de l'arabe philosophique médiéval, mais j'ai aussi suivi un cours d'arabe parlé moderne donné par le Dr Bishai. En partant des bases de l'arabe standard moderne, il nous enseignait des « astuces » grammaticales pour transformer cet arabe standard en arabe égyptien parlé. C’est une façon unique et très inhabituelle d’enseigner l’arabe parlé, qui est propre au Dr Bishai. C'était un professeur merveilleux, charmant et encourageant. Il m'a dit que « quiconque souhaite s'attabler au banquet de la langue arabe sera toujours le bienvenu ». Il a eu une grande influence sur moi par son enseignement spécifique des langues et je lui dois beaucoup.
On vous qualifie d'« hyperpolyglotte », du fait de votre maîtrise de plus de 6 langues parlées et/ou écrites : l'anglais, l'hébreu, l'arabe et l'araméen mais aussi le français, l'allemand, l'italien et l'espagnol. Vous parlez et lisez aussi le coréen, et vous savez lire le grec et le latin.
Pour le français, l'espagnol et le coréen, je m'explique : je parle français quand je vais en France et je regarde des films en français. J'ai eu la chance de séjourner en Tunisie, en tant que conseiller et observateur du processus constitutionnel tunisien, et j'ai surtout utilisé l'arabe, mais il existe une classe de Tunisiens très instruits qui aiment parler français et le français y est un phénomène incontournable dans le monde du travail. Il en va de même au Liban, où les Libanais instruits sont tout aussi à l'aise en anglais qu'en arabe et en français, donc le français m'est très utile, non seulement en France mais aussi plus largement dans le monde francophone.
En ce qui concerne l'espagnol, un pourcentage élevé d'Américains du Nord le parlent, donc c'est vraiment une deuxième langue pour nous. Nous avons beaucoup de chaînes de télévision en espagnol, il est donc facile d'apprendre la langue et de la parler de façon familière et informelle. Pour le coréen, j'ai commencé à l'étudier à Washington, DC avant de me fiancer avec mon ex-femme américaine-coréenne. Ses parents étaient des immigrants coréens de première génération et ils parlaient un anglais parfait, mais chez eux ils parlaient coréen et je voulais pouvoir participer à la conversation. Fait extraordinaire, à cette époque, l'ambassade de Corée à Washington proposait des cours du soir de coréen gratuits : j'ai donc pris deux ans de cours du soir de coréen, donnés très sérieusement par des professeurs de premier plan dans un magnifique immeuble sur « Embassy Row » (le quartier des ambassades) à Washington, DC. Après notre mariage, je suis revenu à Harvard pour mon stage postdoctoral et je me suis inscrit en deuxième année de coréen. Ce fut une drôle d'expérience pour moi car j'avais déjà 29 ans alors que les autres étudiants en avaient 18, avaient déjà appris à parler couramment le coréen chez eux mais ne savaient ni le lire ni l'écrire ou ne possédaient pas une grammaire correcte. En tant que seul locuteur non-natif de coréen de la classe, j'ai trouvé très difficile de suivre le rythme.
À Harvard, la majeure partie des enseignements de langues se fait dans un très ancien bâtiment appelé Vanserg Hall, construit pendant la Seconde Guerre mondiale pour servir de laboratoire additionnel. Dix ans après y avoir étudié l'arabe, je me retrouvais donc de nouveau à un pupitre de Vanserg. Et c'est là que je me suis douloureusement aperçu qu'en une décennie, entre 19 et 29 ans, ma capacité de mémorisation du vocabulaire s'était dégradée. C'était très déstabilisant de constater cela en temps réel. Aujourd'hui, à 50 ans, je repense à mes capacités cérébrales d'il y a 20 ans et je me demande combien j'ai perdu en termes de compétences en acquisition linguistique. C'est une question douloureuse.Depuis que vous êtes sorti diplômé de la faculté de droit de Yale (Yale Law School) et avez entamé une carrière prestigieuse de
professeur de droit à l'université Harvard, avez-vous pu vous maintenir à niveau dans toutes ces langues ? Je pense en particulier aux langues mortes telles que le grec ancien, le latin et l'araméen.
J'ai la chance d'utiliser l'araméen tout le temps car je dirige un enseignement sur le droit juif et israélien (le programme Julius- Rabinowitz).
C'est un séminaire que je donne tous les quinze jours tout au long de l'année universitaire et les textes principaux émanent de toutes les périodes de l'histoire juive, beaucoup étant de source rabbinique, talmudique ou médiévale, et d'autres plus modernes et contemporains, ce qui me permet d'exercer très régulièrement mes compétences linguistiques. J'utilise souvent les textes talmudiques, dont beaucoup sont en araméen talmudique. Il m'arrive aussi de travailler en arabe classique lorsque je supervise des doctorants ou que je me consacre à des études islamiques ou que j'écris sur le monde islamique classique, ce que j'ai fait sous la forme de livres à plusieurs reprises. Je dois reconnaître que mon grec et mon latin sont un peu rouillés, mais ils me sont encore d'un grand secours lorsque je dois lire ou traduire un passage. Les professeurs de droit ont cette chance de pouvoir travailler sur toutes sortes de projets divers, aussi bien historiques qu'ancrés dans le présent, et j'ai pour ma part un manuscrit en cours depuis des années, qui explore le concept d'équité chez Aristote à travers un large éventail de systèmes juridiques différents, dont le droit athénien, le droit romain, le droit islamique, le droit juif classique, le droit canonique et le droit britannique des origines à l'ère moderne. Pour ce projet, j'ai affaire à des textes dans toutes ces langues. J'espère publier un jour ce manuscrit, mais ce que j'aime surtout dans ce travail, c'est qu'il exige de moi un investissement dans toutes ces langues, ce qui est parfaitement cohérent avec ce que je fais en tant que professeur de droit, ce va-et-vient entre le passé et le présent. Mon manuscrit croît chaque jour davantage, mais j'ai le projet ultimement de l'élaguer afin qu'il ne rebute pas le lecteur, et de le publier.
La seconde partie de cet entretien sera publiée
vers la fin de ce mois.
Rédigé à 13:28 dans Interviews 2021 | Lien permanent | Commentaires (1)
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