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En février 2010, j'ai posté un article intitulé « Élégie écrite dans un cimetière de campagne - poésie anglaise » .
Je décrivais, dans cette brève étude, mon long attachement à ce poème de Thomas Gray (1716-1771), ainsi que la visite que j'avais faite au cimetière de Stoke Poges, en Angleterre, qui constitue tant le décor du poème que le lieu où le poète a été inhumé.
J'y incluais le poème lui-même, accompagné d'une traduction française par Tollemache Sinclair.
J'ignorais alors que le chercheur américain James D. Garrison avait publié, trois mois auparavant, un ouvrage
intitulé A Dangerous Liberty, Translating Gray's Elegy, [1] dans lequel il consacrait 335 pages aux différentes traductions du poème. Parmi les traducteurs français évoqués, on compte Pierre Letourneur, dont la vie a donné lieu à une biographie anglaise écrite par Mary Cushing en 1908. Selon James Garrison, la biographe considère Letourneur comme un « traducteur noble d'âme et consciencieux, emporté dans l'immense enthousiasme pour la littérature anglaise qui s'est emparé de la France dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. » En revanche, elle
allait se montrer très critique de sa traduction de l'Élégie de Gray, n'y trouvant rien qu'elle puisse approuver : « le lecteur accoutumé au flux harmonieux des vers anglais ne saura guère les reconnaître lorsqu'ils sont revêtus d'une prose informe et sans couleur. »
En 1925, Alfred C. Hunter écrivit une biographie littéraire : « J. B. A. Suard :[2] un introducteur de la littérature anglaise en France ». Il se réfère au Journal étranger et à la Gazette littéraire de l'Europe, dirigés par Suard lui-même avec l'aide de l'Abbé François Baculard d'Arnaud, et dont l'objectif était de rendre la littérature britannique contemporaine accessible au public. Hunter estimait que ces revues contribueraient de manière significative au renouveau de la poésie française. Evoquant la formation du romantisme français, il estime que « cette mise au point commença en France dès le jour où l'on publia l'Élégie de Gray. »
En 1765, un écrivain anonyme et mystérieux écrivit une traduction : « L'Élégie écrite sur un cimetière de campagne, traduite de l'Anglois de M. Gray. », publiée dans la Gazette littéraire. Cependant, dans une note en fin du document, les rédacteurs notèrent que « Cette traduction est l'ouvrage d'une Dame jeune et amiable qui joint aux agréments de son sexe des connoissances et des talens qu'un homme de Lettres lui envieroit. »
Qui était donc la mystérieuse traductrice ? Elle s'appelait Suzanne Curchod de Nasse Necker. Après avoir
été la maîtresse d'Edward Gibbon, célèbre historien britannique (auteur de L'Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain) et Membre du Parlement anglais, elle avait épousé en 1764, peu de temps auparavant, le banquier et homme politique genevois, et ministre des Finances de Louis XVI, Jacques Necker. Plus tard, elle donnerait naissance à Anne-Louise-Germaine Necker, mieux connue sous son nom d'épouse, Madame de Staël [3].
Telle est l'une des histoires fascinantes narrées dans A Dangerous Liberty, Translating Gray's Elegy. Cet ouvrage va bien au-delà de l'étude de l'Élégie de Gray : par le tableau qu'il brosse de l'influence qu'ont exercée divers textes littéraires anglais sur le paysage littéraire français au XVIIIème siècle, il constitue un vrai tour de force.
Cinq ans après la publication de l'ouvrage de James Garrison, la maison d'édition australienne Leopold Classic Library a publié « Elegy Written in a Country Church-Yard : With Versions in the Greek, Latin, German, Italian, and French Languages » (Élégie écrite dans un cimetière de campagne : avec des versions en langues grecque, latine, allemande, italienne et française). [4] [5]
Certaines expressions utilisées dans ce poème font aujourd'hui partie de l'anglais littéraire. En voici quelques exemples : "the paths of glory"; "celestial fire" ; "far from the madding crowd", "the unlettered muse" ;"kindred spirit".
[1] Un autre poème auquel tout un livre est consacré est « Les fenêtres » par Apollinaire : “One poem in search of a translator: Rewriting ‘Les fenetres’ by Apollinaire”, Loffredo et Perteghella (published by Verlas Peter Lang).
[2] Jean-Baptiste-Antoine Suard, (1732-1817), homme de lettres et journaliste français.
[3] Germaine de Staël, femme de lettres passionnée, est morte le 14 juillet 1817
[4] Ceci s'inscrit dans les objectifs de publication de cette maison, qui cherche à faciliter un accès plus rapide à une grande réserve d'œuvres littéraires qui, n'ayant plus été publiées depuis des décennies, ne sont plus accessibles pour un public non spécialisé. Le contenu de la plupart des titres de la collection a été scanné depuis les éditions originales.
Pour le catalogue de Classic Library, voir www.leopoldclassiclibrary.com
[5] Gray's "Elegy" in translation
Jonathan Goldberg
Rédigé à 16:14 | Lien permanent | Commentaires (1)
Nous sommes heureux de retrouver notre précieuse collaboratrice, Silvia Kadiu, Ph.D., et nous l'accueillons chaleureusement. Silvia est traductrice et universitaire française. Née en Albanie, elle est arrivée en France à l’âge de sept ans. Après avoir effectué des masters de Littérature comparée et d’anglais à l’Université Sorbonne Nouvelle, elle a vécu à Londres pendant plus de dix ans, travaillant dans l’édition, la traduction et l’enseignement supérieur.
Silvia est titulaire d’un master et d’un doctorat de traduction décernés par University College London. Sa thèse de doctorat sur la traduction des textes traductologiques a été publiée par UCL Press en 2019 sous le titre Reflexive Translation Studies : Translation as Critical Reflection. Elle est également l’auteure de plusieurs articles de traductologie, de traduction littéraire et de didactique de la traduction, et co-traductrice de plusieurs poèmes depuis l’albanais vers l’anglais (via le français) pour le recueil de poésie Balkan Poetry Today 2017, dirigée par Tom Phillips.
Silvia est actuellement Maîtresse de conférences invitée à University of Westminster London. Elle travaille en parallèle comme traductrice indépendante pour différentes agences de l’ONU, des ONG et de grandes marques internationales.
La Bible. Hamlet. Ismail Kadare.
Leur point commun ? Ils ont été traduits dans une autre langue via une troisième langue intermédiaire. Ce sont, autrement dit, des exemples de traduction indirecte.
Les termes pour décrire ce phénomène ne manquent pas et leur utilisation divise les linguistes. Également appelée second-hand (de seconde main), relay (pivot) ou mediated (médiée), la traduction indirecte est généralement définie, selon la formule du linguiste Yves Gambier, comme la « traduction d’une traduction ». Elle se distingue de la traduction dite « directe » en ce qu’elle s’appuie non pas sur l’original qu’elle est censée représenter, mais sur une traduction de celui-ci.
La traduction indirecte est une pratique très ancienne. La traduction de la Bible en est sans doute l’un des plus vieux exemples, puisque les premières traductions latines de la Bible furent rédigées non pas à partir du texte original hébreu, mais à partir d’une version grecque de la Bible juive, la Septante. Au tournant du Ve siècle, Saint Jérôme, le patron des traducteurs, entreprendra de réviser ces versions jugées imparfaites dans la perspective d’un retour à la « vérité hébraïque ». [1]
Traduire à partir d’un texte intermédiaire a mauvaise réputation. Du fait de sa distance accrue avec l’original, la traduction indirecte est généralement perçue comme mensongère et inexacte—non seulement par le grand public et les commentateurs mais aussi par la plupart des traducteurs, qui cherchent au mieux à l’éviter, au pire à la dissimuler. Rien de surprenant puisque dans l’imaginaire collectif la traduction est elle-même souvent considérée comme un produit dérivé et défectueux, inférieur à l’original. Or la traduction indirecte redouble l’acte traductif : elle est donc, pour ainsi dire, doublement fautive.
La traduction indirecte n’a pourtant pas toujours été une pratique répudiée. Aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, par exemple, le recours à la traduction indirecte était le principal mode de diffusion des œuvres de Shakespeare en Europe. En cette période d’hégémonie néoclassique, les pièces de Shakespeare furent importées sur le continent par l’intermédiaire du français. Les
traductions de Jean-François Ducis et Pierre Le Tourneur, notamment, furent retraduites dans plusieurs langues européennes, telles que le néerlandais, l’italien, le polonais, le portugais, le russe et l’espagnol. Puis, à mesure que l’opposition à la domination néoclassique devint plus forte, la France perdit progressivement son emprise au profit de l’Allemagne. La position dominante de cette dernière en faveur de l’anticlassicisme poussa les traducteurs européens à utiliser davantage les traductions intermédiaires allemandes, considérées comme plus « fidèles ». [2]
Le choix de la langue pivot dans une traduction indirecte est souvent fonction de son prestige.
La raison généralement invoquée par les diverses entités ayant recours à la traduction indirecte (éditeurs, organismes internationaux, entreprises privées) est l’absence de traducteurs expérimentés dans la combinaison de langues souhaitée. En effet, lorsque les traducteurs manquent dans une combinaison de langues donnée, s’appuyer sur une langue intermédiaire devient une nécessité. Mais la pénurie de traducteurs dans la combinaison de langues en question est elle-même en partie révélatrice du statut « mineur » de la langue source—et, inversement, de la position dominante de la langue choisie comme langue intermédiaire. Qu’elle soit volontaire ou motivée par des considérations purement pratiques (qui peuvent aussi être d’ordre économique, puisque traduire des langues structurellement et géographiquement éloignées coûte plus cher), la traduction indirecte met en lumière des relations de pouvoir complexes entre les langues, les cultures et les parties concernées.
La traduction anglaise du roman d’Ismail Kadare, Dosja H, par David Bellos offre un parfait exemple de cette complexité. Publiée en 1997 sous le titre The File on H, la traduction de Bellos s’appuie non pas sur l’original albanais paru entre 1980 et 1981 dans la revue littéraire Nëntori, mais sur la traduction française de Jusuf Vrioni, Le Dossier H,
publiée chez Fayard en 1989. Les raisons de ce détour par le français sont multiples. [3] Notons d’abord l’absence de traducteurs littéraires anglophones aptes à traduire directement l’œuvre de Kadare depuis l’albanais. Après quarante années de dictature isolationniste durant lesquelles l’Albanie d’Enver Hoxha interdisait tout contact avec l’Ouest, peu de traducteurs anglophones possédaient une connaissance suffisamment approfondie de la langue albanaise pour pouvoir se lancer dans une entreprise de telle envergure.[4]
Par ailleurs, Ismael Kadare était tout à fait favorable à l’idée que son œuvre soit traduite en anglais à partir des versions
françaises : c’était même sa préférence, selon Bellos. [5] L’Albanie n’ayant signé la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques qu’en 1994, la majeure partie des écrits de Kadare en albanais n’était pas protégée par le droit d’auteur international, contrairement à ses traductions françaises. Engager des négociations à partir des versions françaises parues chez Fayard ou Albin Michel semblait donc plus simple que de passer par les originaux albanais libres de droit. Sans oublier que Kadare relisait et révisait lui-même chacune des traductions françaises de ses textes, et qu’il lui arrivait même de changer l’original albanais à la lumière de la version française de Vrioni, [6] conférant ainsi aux traductions françaises une légitimité égale, si ce n’est supérieure, aux originaux albanais.
The File on H le montre bien. La traduction indirecte bouleverse les frontières entre original et traduction, et remet en cause la hiérarchie qui les sous-tend. Par son biais, l’œuvre traduite devient à son tour un texte à traduire, l’original d’une nouvelle traduction. La traduction indirecte nous rappelle ainsi que traduire est d’abord et surtout « un art du possible », [7] comme le précise Bellos. Elle souligne également la multiplicité des sources dont peut s’inspirer un traducteur lorsqu’il traduit—le fait qu’il peut avoir recours à tous types de documents afin de mener à bien sa tâche, y compris à des parties ou à un ensemble de traductions intermédiaires.
Aujourd’hui, la traduction indirecte est partout. Elle a lieu sur les bancs de l’ONU, de même que dans les domaines technique et commercial. C’est une pratique courante dans l’interprétariat [8] et une méthode fréquente en traduction théâtrale [9]. Elle concerne des langues très variées et souvent géographiquement éloignées, des langues répandues et des dialectes rares, des langues mortes et des langues indigènes. C’est une pratique, certes décriée, mais dont nous pouvons difficilement nous passer—une pratique qui intéresse de plus en plus les chercheurs et dont nous risquons d’entendre davantage parler dans les prochaines années.
[1] Voir G. BADY, « La vérité hébraïque » ou la « vérité des Hexaples » chez Saint Jérôme, d’après un passage de la « Lettre 106 » dans É. AYROULET et A. CANELLIS (éds), L’exégèse de saint Jérôme, PUSE, Saint-Étienne, 2018, p. 91-99.
[2] Voir Mona Baker & Kirsten Malmkjær, The Routledge Encyclopedia of Translation Studies, Routledge: London, 1998, p. 224.
[3] Dans « The Englishing of Ismail Kadare: Notes of a Retranslator » (2005), David Bellos raconte en détail dans quelles circonstances cette traduction indirecte a vu le jour, décrivant tour à tour les raisons pratiques de son implication dans le projet, le contexte politique de la dictature d’Enver Hoxha et la question épineuse des droits d’auteur qui entoure l’œuvre de Kadare.
[4] En revanche, Jusuf Vrioni, qui avait passé la majeure partie de sa jeunesse en France avant la Seconde Guerre mondiale et maîtrisait parfaitement le français, se vit confier diverses traductions à sa sortie de prison en 1959, dont celle du Général de l’armée morte, le premier roman d’Ismail Kadare, qui parvint à quitter les frontières albanaises et fut acquise par Albin Michel.
[5] David Bellos, (2005). « The Englishing of Ismail Kadare: Notes of a Retranslator », The Complete Review, 6(2). Disponible sur : http://www.completereview.com/quarterly/vol6/issue2/bellos.htm
[6] David Bellos, « The Englishing of Ismail Kadare: Notes of a Retranslator ».
[7] David Bellos, « The Englishing of Ismail Kadare: Notes of a Retranslator ».
[8] Voir Danica Seleskovitch et Marianne Lederer, Pédagogie raisonnée de l’interprétation, Bruxelles et Luxembourg : Office des Publications de Communautés européennes, et Paris : Didier Érudition, 1989.
[9] La traduction indirecte dans le théâtre contemporain a ceci de particulier qu'elle n'implique le plus souvent que deux langues. Dans ce contexte, la traduction est considérée comme « indirecte » dans la mesure où la traduction finale s’appuie sur une première traduction littérale du texte. Voir Geraldine Brodie, The Translator on Stage, London : Bloomsbury, 2017.
Rédigé à 13:39 | Lien permanent | Commentaires (1)
Nous sommes heureux de retrouver notre contributrice fidèle, Joelle Vuille. Joëlle est juriste et criminologue et habite en Suisse.
Il y a quelques années, j’avais rédigé une contribution sur la linguistique forensique, qui permet parfois d’attribuer des écrits à leur auteur à cause des habitudes de langage de ce dernier [1]. Le cas le plus célèbre est celui de Ted Kaczynski, alias Unabomber, identifié grâce à son frère, qui avait reconnu son style d’écriture dans des extraits de documents rendus publics par les forces de l’ordre [2].
L’intelligence artificielle permet aujourd’hui de faire passer la technique à la vitesse supérieure. En effet, deux groupes de chercheurs [3] pensent avoir identifié qui se cache derrière le pseudonyme « Q », à l’origine de la mouvance conspirationniste QAnon [4]. Q a commencé à publier des messages conspirationnistes sur certains sites du « darkweb » en octobre 2017. L’auteur, se présentant comme un agent de la CIA, prétendait savoir qu’un certain nombre de politiciens états-uniens sont des pédophiles adorateurs de Satan [5]. Ses théories se sont répandues comme une trainée de poudre dans la société américaine et aujourd’hui des milliers [6] d’Américains sont convaincus que Donald Trump sauvera bientôt les États-Unis d’une élite malfaisante (le « deep state ») qui contrôle les gouvernements du monde, le système bancaire, l’industrie, les médias, etc. et qui s’active à maintenir le citoyen lambda dans la pauvreté et l’ignorance tout en s’adonnant à un trafic d’enfants de grande ampleur [7].
Avant de nous pencher sur le cas de Q, rappelons en quelques lignes les bases fondamentales de toute identification forensique : une personne ou un objet présente des caractéristiques très variables dans une population donnée (intervariabilité élevée) mais très peu variables à travers le temps (intravariabilité basse), et laisse des traces reproduisant ces caractéristiques. Après avoir observé un certain degré de correspondance entre les caractéristiques de la trace et les caractéristiques de la personne ou de l’objet qui pourrait en être la source, l’expert peut quantifier la probabilité d’observer la correspondance si la trace provienne effectivement de telle source ou si elle ne provient pas de telle source, ce qu’il fait au moyen de bases de données répertoriant la rareté des caractéristiques d’intérêt dans la population en question.
Par exemple, la comparaison de profils d’ADN est fondée sur les présupposés suivants : chaque individu possède une combinaison très variable de caractéristiques génétiques (semblable à une suite de lettres), et laisse des traces ADN (sur les surfaces touchées, par exemple) qui reproduisent cette combinaison. Par ailleurs, le profil ADN est en principe immuable au fil de la vie. Si un expert observe un certain nombre de caractéristiques en commun entre une trace ADN et un profil de référence pris à un suspect, il pourra quantifier la probabilité d’observer cette concordance si le suspect est la source de la trace, ou si un tiers, pris au hasard dans la population d’intérêt, est la source de la trace.
A un niveau fondamental, la fiabilité de la comparaison dépend de la capacité de l’expert à rapprocher des traces et des profils de suspects ayant une apparence différente mais provenant en réalité de la même source [8] et à distinguer des traces et des profils de suspects qui se ressemblent mais proviennent de sources différentes. Dans toute technique forensique, il y a des risques de faux résultat positifs (identifier une personne comme étant la source de la trace alors qu’elle ne l’est pas) et de faux résultats négatifs (exclure une personne comme étant la source de la trace alors qu’elle en est bien la source).
La stylométrie fonctionne selon les mêmes principes : on compare les textes signés par Q avec des textes rédigés par une population de suspects. La technique employée par les chercheurs suisses [9] consiste à identifier des groupes de 3 lettres, et à relever ensuite à quelle fréquence chaque groupe de 3 lettres apparaît dans les écrits de Q, respectivement dans les écrits d’une population de suspects. L’idée sous-jacente est, comme en linguistique forensique « traditionnelle », que nous avons chacun des habitudes de langage qui nous sont propres, et que nous les reproduisons de façon consistante sur une certaine période de temps, ce qui permet de rapprocher nos écrits d’aujourd’hui de ceux de 2017, et de nous distinguer des millions d’autres internautes qui laissent des messages sur les mêmes sites internet que nous. En l’occurrence, les chercheurs ont comparé plus de 100'000 mots écrits par Q avec environ 12'000 mots écrits par chacune des 13 personnes soupçonnées d’être Q (notamment des proches de Donald Trump) [10].
Selon les chercheurs, deux hommes se cacheraient ainsi derrière le pseudonyme Q :
Paul Furber, informaticien sud-africain passionné depuis longtemps par les thèses conspirationnistes et la politique américaine ; il aurait « inventé » Q et aurait posté les premiers messages en 2017;
Ron Watkins, politicien républicain candidat au congrès de l’Etat de l’Arizona, aurait repris le flambeau dès 2018 ; il était pendant plusieurs années l’administrateur du site 8chan [11] sur lesquels de nombreux messages de Q ont été publiés.
Les deux hommes ont nié être Q [12].
Des critiques ont relevé que ce type d’analyses présentent un risque d’erreur. Tout d’abord, le style même de Q se prêterait mal à une analyse stylométrique car il utilise beaucoup de formulations très courtes et plus ou moins cryptiques, ainsi que du jargon militaire [13]. Par ailleurs, le style d’écriture d’une personne pourrait ne pas être si stable que cela à travers le temps (intravariabilité élevée), et plusieurs personnes pourraient, à un moment donné, avoir des écritures qui se ressemblent car elles subissent les mêmes influences extérieures (intervariabilité basse). D’ailleurs, l’un des suspects, Furber, a reconnu que son style d’écriture ressemble à Q, mais a mis en avant le fait que, étant un grand admirateur de Q, il l’avait probablement imité inconsciemment, comme d’autres admirateurs [14]. L’argument ne tient toutefois pas, puisque les scientifiques n’ont pas rapproché les écrits de Q de tous, ou plusieurs, admirateurs, mais seulement de Furber. Et certains écrits de Furber sur lesquels l’analyse a porté ont été rédigés tout au début de l’activité de Q, si bien que le phénomène d’imitation inconsciente avancée par Furber ne tient pas la route [15].
Les chercheurs, quant à eux, estiment que leurs techniques sont extrêmement fiables [16], et le fait que deux équipes soient parvenues au même résultat par le biais de méthodes différentes renforce encore la crédibilité des résultats [17]. Par ailleurs, il semblerait que, avant que les résultats de ces recherches stylométriques aient été rendues publics, des indices indépendants pointaient déjà en direction de Ron Watkins (et de son père) [18].
La question de l’identité de Q reste donc ouverte pour le moment.
Q, quant à lui, semble muet depuis décembre 2020…
[1] La linguistique judiciaire. Analyse de livre
[2] https://www.washingtonpost.com/wp-srv/national/longterm/unabomber/trialstory.htm (dernière consultation le 19.5.2022)
[3] Claude-Alain Roten et Lionel Pousaz de OrphAnalytics, une start-up suisse ; et les Français Florian Cafiero et Jean-Baptiste Camps.
[4] La lettre Q est censée renvoyer à un niveau d’accréditation ultrasecret du département de l’énergie états-unien. Quant à « anon », c’est une aberéviation de « anonymous ». Voir le glossaire de la Anti-Defamation League : https://www.adl.org/blog/qanon-a-glossary
[5] The New York Times, Who is Behind Qanon ? Linguistic Detectives Find Fingerprints, Febuary 19, 2022, consultable ici : https://www.nytimes.com/2022/02/19/technology/qanon-messages-authors.html
[6] Le mouvement étant largement clandestin, il est difficile de savoir combien de personnes y adhèrent idéologiquement. La Anti-Defamation League estime que plusieurs dizaines de milliers de personnes aux Etats-Unis sont des sympathisants de Q.
[7] https://www.adl.org/qanon
[8] Par exemple, parce que la trace est détériorée car elle a été exposée aux éléments pendant une certaine période.
[9] A noter que les deux groupes de chercheurs n’ont pas utilisé exactement la même méthode.
[10] https://www.letemps.ch/monde/createurs-qanon-demasques-une-startup-suisse
[11] idem
[12] https://www.courrierinternational.com/article/theorie-du-complot-les-mysterieux-messagers-de-qanon-enfin-demasques
[13] The New York Times, Who is Behing Qanon ? Linguistic Detectives Find Fingerprints, Febuary 19, 2022, consultable ici : https://www.nytimes.com/2022/02/19/technology/qanon-messages-authors.html
[14] https://www.siliconrepublic.com/business/qanon-authors-identity-paul-furber-ron-watkins-linguistics
[15] The New York Times, Who is Behing Qanon ? Linguistic Detectives Find Fingerprints, Febuary 19, 2022, consultable ici : https://www.nytimes.com/2022/02/19/technology/qanon-messages-authors.html
[16] idem
[17] https://www.siliconrepublic.com/business/qanon-authors-identity-paul-furber-ron-watkins-linguistics
[18] https://www.insider.com/who-is-q-why-people-think-jim-watkins-qanon-8chan-2020-10
Lecture supplémentaire :
QAnon: An Objective Guide to Understand QAnon, The Deep State and Related Conspiracy Theories: The Great Awakening Explained
Michael D. Quinn KRPACEGROUP LLC (November 22, 2021)
Rédigé à 20:51 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Hélène Papot a bien voulu traduire l’entretien avec Damon Galgut qui suit. Ce n’est pas par hasard que nous avons demandé à Hélène, qui habite Bruxelles, de le traduire – elle a traduit plusieurs livres de Damon Galgut, à savoir L’été arctique Dans une chambre inconnue, L’imposteu, Un docteur irréprochable (tous éditions de l’Olivier, Paris), et La faille (éditions Verticales, Paris). Ses autres traductions sont accessible ici.
Il est intéressant de constater qu’on a annoncé l’attribution du Goncourt à Mohamed Mbougar Sarr et du Booker Prize à Damon Galgut le même jour (le 1 decembre 2021) – chacun des ces auteurs provenant de l’Afrique sub-saharienne. (Un autre écrivain africain qui a remporté lui le prix Nobel de littérature en 2021 est Abdulrazak Gurnah, originaire de Zanzibar (Tanzanie). Donc une année historique pour la littérature africaine.)
Mohamed Mbougar Sarr | Damon Galgut | Abdulrazak Gurnah |
Nous avons mentionné dans le passé l’organisation littéraire Pen America, qui réunit écrivains, journalistes et poètes – tous ceux qui utilisent l’écriture pour promouvoir des idées – dans la conviction commune que c’est par ce partage que des ponts de compréhension peuvent être construits entre les peuples, Ces ponts franchissent les clivages politiques, géographiques, ethniques, culturels, religieux et autres.
Maintenant PEN America propose une série d’interviews hebdomadaire, nommée PEN Ten. Viviane Eng s’est entretenue sur le site de PEN America avec Damon Galgut. Mme. Eng nous a gentiment autorisé de faire traduire le texte de l’interview et de publier la traduction sur ce blog.
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V.E. Quel premier livre ou texte vous a profondément marqué ?
D.G. J’ai été étonné et impressionné à la lecture de Au cœur de ce pays de J.M. Coetzee [2] lorsque j’avais dix-huit ans. Au-delà de la qualité de l’œuvre, le fait qu’elle ait été écrite par un Sud-africain, une personne qui n’était finalement pas si éloignée de moi, m’a sidéré. J’ai compris que la littérature n’était pas un idéal abstrait prenant naissance seulement en Europe et en Amérique mais une chose accessible, réalisable.
V.E. Enfant, vous avez souffert d’un lymphome et votre entourage vous faisait la lecture. Quelles histoires retenez-vous de cette époque ?
D.G Rien d’extraordinaire. C’était essentiellement des livres d’Enid Blyton [3] – en particulier Le Club des cinq. Pauvre Enid, elle en prend pour son grade, de nos jours, mais elle a indiscutablement nourri mon imagination d’enfant. Pas tant par le niveau de la narration que par les histoires en elles-mêmes. Puis je suis passé à Agatha Christie [4] et Ngaio Marsh [5], les romans policiers de ma mère qui traînaient dans la maison.
V.E. Comment votre écriture aborde-t-elle la vérité ? Quelle est la relation entre vérité et fiction ?
D.G Toute fiction est un mensonge au sens où elle parle d’événements qui ne se sont jamais produits, de dialogues qui n’ont jamais eu lieu, des personnes qui n’ont jamais existé. Mais qui sont autant de moyens artificiels d’approcher la « vérité » à propos de ce qu’est un humain. Dans la perception humaine, il n’y a pas de vérité objective, bien sûr – seulement des impressions subjectives de la vérité mais où la fiction intervient, et où elle apporte son lot de vérité.
V.E. Quelle œuvre d’art, littéraire ou non, vous stimule et vous mobilise, dans votre travail ?
D.G Je ne suis pas « mobilisé » par une œuvre d’art en particulier. D’un autre côté, l’art est une source et un moteur dans lequel chacun puise. En ce qui concerne les livres, je reviens régulièrement à Tandis que j’agonise, de William Faulkner [6] , qui sans cesse m’éblouit quant aux possibilités qu’offre la langue.
V.E. La promesse se passe à Pretoria, la ville où vous avez grandi. Pourquoi avoir choisi de situer le roman dans cette ville ? Ce choix a-t-il modifié votre regard sur votre enfance ?
D.G Mon enfance a été profondément marquée par le fait de vivre à Pretoria, mais pas de manière joyeuse ou bénéfique. C’était un lieu oppressant, conservateur, violent et étouffant, surtout à cette époque. D’une certaine manière, il fallait que j’écrive là-dessus, le roman a exorcisé certains démons. Pas tous, et il se pourrait que j’y revienne.
V.E. Dans une interview récente au New York Times, vous doutez que les romans aient le pouvoir de changer le monde : « Les romans nous disent ce que ça fait de vivre à un moment particulier de l’histoire. Je les vois plus comme des documents que comme des agents du changement. » Pourquoi les romans sont-ils importants en tant que matériaux d’archives, en plus des textes universitaires et des sources premières ?
D.G Les romans sont certainement utiles en tant qu’archives. Si je lis Tolstoï, par exemple, j’apprends des choses sur la vie dans la Russie de son époque, depuis les moyens de transport jusqu’aux croyances religieuses en passant par les traditions sociales. D’un autre côté, ces informations sont peut-être aussi accessibles dans des textes qui ne relèvent pas de la fiction. Ce que la fiction apporte, c’est la possibilité de sentir, de manière authentique, la façon de penser et de raisonner d’un esprit russe, ce que des études et des textes non fictionnels sont peu susceptibles de permettre. Les comédiens, par exemple, ont souvent recours à des romans pour comprendre comment fonctionnaient les êtres humains à une période particulière de l’histoire. Mais il serait difficile de leur attribuer un rôle d’archive.
V.E. Quels auteurs comptent parmi vos amis ? Dans quelle mesure ils vous aident à améliorer votre écriture ?
D.G Je ne vais pas citer de noms mais j’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis écrivains, dont certains sont parmi les meilleurs dans leur domaine. Malheureusement, rien de ce que nous faisons ou disons n’est d’aucune aide dans le travail d’écriture de nos propres livres, une tâche qui reste incroyablement difficile. J’imagine qu’un esprit de compétition généralisé pourrait générer une certaine émulation, bien que cela puisse aussi ne pas être bénéfique. Écrire est une activité très difficile, en réalité, et pratiquement rien ne parvient à adoucir cette difficulté.
V.E. La promesse est un livre sur la famille et l’héritage. Si vous pouviez revendiquer une généalogie littéraire parmi des écrivains du passé, quels seraient vos ancêtres ?
William Faulkner, Virginia Woolf, Samuel Beckett.
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William Faulkner | Virginia Woolf | Samuel Beckett |
V.E. Vous êtes le lauréat de la dernière édition du prestigieux Booker Prize. En quoi cette reconnaissance a-t-elle changé votre quotidien ?
J’ai surtout été accaparé par une série d’occupations plutôt envahissantes. J’ai donné un nombre considérable d’interviews depuis le mois de novembre et ce n’est pas fini. Parler nuit aux mots – ou du moins éloigne, hélas, de l’écriture.
V.E. Quel conseil donneriez-vous à un écrivain essayant de se faire éditer en général et plus particulièrement dans la période actuelle ?
De nos jours, les livres sont perçus comme entrant en concurrence avec les médias sociaux, et les attentes autour de ce qui rend un livre digne d’intérêt sont déformées par cette pression. Certains, en particulier, semblent croire que les romans doivent être portés par de l’action, mêlée à de brefs fragments d’information qui n’épuisent pas le cerveau des consommateurs facilement lassés, et contenir un « message » réconfortant. Ce raisonnement me paraît mauvais. Le matériau de cette forme de narration est la langue, et la langue permet ce que d’autres médias ne permettent pas. De fait, la langue est au cœur de l’expérience littéraire et elle devrait s’efforcer de déployer sa pleine puissance au lieu de se contenir et se soumettre. Mais cette question relève peut-être plus de l’édition que de l’écriture – et dans ce cas, je n’ai aucun conseil à donner. Trouver un éditeur qui accepte de vous publier a toujours été un challenge et ce challenge reste le même. Essayer, encore et encore, je dirais.
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Notes de la redaction :
[1] Le Prix Booker, créé en 1968, est l'un des plus importants prix litteraires remis annuellement. Seuls les romans de fiction rédigés en anglais et écrits par un auteur vivant, et publiés en Royaume Uni, sont susceptibles d'être primés. Le gagnant de ce prix est assuré d'une gloire internationale, souvent assortie d'un succès de vente pour l'ouvrage. Il faut distinguer entre ce prix et celui du Prix international Booker, un prix litteraire récompensant des écrivains de fiction de toute nationalité, de son vivant pour l'ensemble de son œuvre, dans la mesure où cette œuvre était disponible en anglais, soit dans sa langue d'origine, soit en traduction.
[2] John Maxwell Coetzee (1940 -) est un romancier et professeur en littérature australien, d'origine sud-africain, et d'expression anglaise, né au Cap en Afrique du Sud. Il est lauréat de nombreux prix littéraires de premier ordre dont le prix Nobel de littérature en 2003.
[3] Enid Blyton (1897- 1968) est une romancière britannique. Spécialisée dans la literature pour la jeunesse, elle est surtout connue pour avoir créé les séries Oui-Oui (Noddy) Le Club des cinq, (The Famous Five) et Le Clan des sept (The Secret Seven). Ses ouvrages, qui abordent un large éventail de thèmes et de genres (dont l’éducation, l’histoire naturelle, le fantastique, les histoires à suspense et les récits bibliques, figurent parmi les meilleures ventes mondiales depuis les années 1930, avec plus de six cents millions d'exemplaires écoulés traduits dans près de 90 langues.
[4] Selon l'« Index Translationum » de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), un répertoire des ouvrages traduits dans le monde entier, et la seule bibliographie internationale des traductions, Agathe Christie est l'auteur(e) le plus traduit(e) du monde. .
Rang |
Auteur/e |
langue de source |
Langues cibles |
Totat de traductions |
1 |
anglais |
103 |
7,236 |
[5] une dramaturge et auteure neo-zélandaise de romans policiers.
[6] William Cuthbert Faulkner (1987-1962) est un romancier et nouvelliste américain. Publié à partir des années 1920, il reçoit le prix Nobel de littérature en 2003, alors qu'il est encore relativement peu connu.
Rédigé à 16:41 dans Interviews 2022 | Lien permanent | Commentaires (0)
L'analyse qui suit a été rédigée par notre contributeur fidèle, René Meertens, linguiste du mois de janvier 2019 et auteur du Guide anglais-français de la traduction.
Cette fois-ci René partage avec nous ses intérêts zoologiques.
Le jardin qui entoure ma maison n’est pas une pelouse tondue deux fois par semaine, mais une friche urbaine. En d’autres termes, je ne l’entretiens pas, ce qui favorise la biodiversité. Divers animaux y ont élu domicile, pour l’essentiel des renards, des écureuils et des oiseaux.
Les renards
Ce sympathique animal qu’est le renard ne s’est pas toujours appelé ainsi en français. Jusqu’au XIIIe siècle, il était appelé « goupil », mot est dérivé du latin populaire « vulpiculus », lui-même dérivé du latin « vulpes ». Ce mot a été détrôné par « renard » au milieu du XIIIe siècle en raison de l’énorme succès, en France et dans d’autres pays européens, du Roman de Renart, dont le héros était dénommé « Reinhart » ou « Reginhart » en ancien allemand.
Il y a quelques années, j’ai dû enterrer deux renards qui ont terminé leur vie chez moi, à un an de distance, sans que je sache pourquoi. Ont-ils été victimes d’un empoisonnement ?
Depuis quelques semaines, quatre renards vivent dans mon jardin, où ils ont repris un terrier à deux issues probablement creusé par l’un de leurs congénères des années plus tôt. Je vois souvent les renardeaux jouer devant la baie vitrée de mon bureau.
Dans notre quartier, les renards ont mauvaise réputation car, la nuit, ils déchirent les sacs-poubelles pour y trouver de la nourriture. Les autorités de la commune ont exigé des résidents qu’ils placent ces sacs dans des poubelles en dur.
En anglais, renard se dit « fox » et renarde, « vixen ». Cependant, ce dernier mot peut aussi désigner une mégère ou une bombe sexuelle de sexe féminin. Quant à l’adjectif « foxy », il s’utilise pour qualifier une personne physiquement attirante. [1]
Pour vivre heureux, vivons cachés
Photo: René Meertens
Les écureuils
Les écureuils sont très agiles. On les voit rarement à l’arrêt et ils sont trop vifs pour se laisser photographier.
Celui qui cultive des légumes doit s’attendre à devoir les partager avec ces bestioles.
En anglais, écureuil se dit « squirrel ». Un genre particulier d’écureuil, le spermophile, se dit « gopher » ou « ground squirrel » en anglais. « Gopher » désigne aussi d’autres animaux et, souvent orthographié « gofer », un garçon de course ou, avec une majuscule initiale, dans le domaine d’Internet, un gopher ou protocole de navigation et de récupération de documents (Jacques Hildebert, Dictionnaire de l’anglais de l’informatique). Dans ce dernier sens, il semble que ce terme soit tombé en désuétude.
Les chats
Des chats me rendent souvent visite dans mon jardin, mais ils ne font que passer. Ils sont tous farouches et on ne peut les caresser sans risquer un coup de griffe. Ils sont amateurs de restes de poisson.
Bien que ces chats soient, je pense, habitués à l’humain, ils ne se laissent pas approcher. Je l’ai appris à mes dépens quand le chat noir aux extrémités de patte blanches m’a griffé. J’ai souvent attiré les chats en posant sur une assiette des restes de poissons qui, sinon, risquent de vite sentir mauvais dans le sac-poubelle. Certains oiseaux se servent aussi.
Le vrai maître ici, c’est moi
Photo: René Meertens
Les hérissons
N’ayant pas de hérissons dans mon jardin, j’ai demandé à Jacquie Bridonneau d’en parler. Voici ce qu’elle nous en dit.
Venant du Wisconsin où il fait très froid en hiver, je n’ai personnellement jamais vu d’hérissons quand j’étais plus jeune. Ce n’est que lors de mon déménagement en Normandie que j’ai eu le plaisir de rencontrer cette petite bête, l’ami des jardiniers. Depuis, je fais tout pour les attirer chez moi, et cela marche.
Tous les soirs une demi-gamelle de croquettes pour chien, ils semblent préférer cela aux croquettes pour les chats, sans oublier une gamelle d’eau juste à côté. Le matin, plus de croquettes, et l’eau a bien diminué. Ils ne sortent que la nuit, donc si vous voyez un hérisson en journée, c’est qu’il est malade. Ils ont le surnom d’ami des jardiniers, car ils mangent beaucoup de nuisibles : pucerons, limaces, escargots etc. Chaque hérisson a sa petite personnalité, il y en a qui n’ont pas du tout peur quand on les prend (en faisant attention, ils piquent quand même !) et qui au contraire sont curieux de savoir ce qui se passe dans une maison. D’autres se roulent en boule, on ne voit ni queue ni tête, d’autres font de petits bruits. Au début du printemps ils n’ont ni tiques ni puces, cela semble venir plus tard en été, les pauvres. Je retire les tiques quand j’en vois avec un tire-tique.
Le hérisson est un mammifère, les mamans les nourrissent de leur lait et restent à côté quand ils sont petits. Les hérissons hibernent en hiver, mais avant ils mangent tout ce qu’ils trouvent pour s’engraisser et survivre pendant le froid.
Mais surtout ils sont inoffensifs pour l’homme et tellement mignons !
En anglais, hérisson se dit « hedgehog », c’est-à-dire « cochon des haies », pour des raisons assez obscures. La dénomination française est descriptive et met en évidence le moyen de protection de cet animal, hérissé de piquants.
Les taupes
Ces insectivores n’ont pas bonne réputation car ils vivent sous terre, où ils creusent des galeries. Je n’en ai pas chez moi. Ils sont la terreur des propriétaires de terrains de golf. Au sens figuré, une taupe (« mole » en anglais) est une personne, en particulier un espion, qui travaille dans une organisation pour récolter des informations qu’elle transmet à un ennemi de cette dernière. Un des romans de John Le Carré s’intitule La taupe (en anglais Tinker, Tailor, Soldier, Spy, allusion à la comptine Tinker, Taylor).
Les tortues
Enfant, j’avais un jardin fréquenté par quelques tortues. Tortue se dit « tortoise » en anglais, mais « turtle » pour les tortues marines.
[2] & [3]
Les oiseaux
Je recense en particulier les pigeons, les corneilles et les pies. Ils déchirent les sacs-poubelles pour se nourrir. Un jour, j’ai entendu un remue-ménage dans mon insert. J’ai libéré une pie et découvert un pigeon mort. Les deux volatiles étaient certainement tombés par la cheminée. J’ai eu le plus grand mal à laisser sortir la pie, qui semblait ne pas comprendre pourquoi elle ne parvenait pas à traverser la vitre.
Les oiseaux se disputent parfois entre eux, ce qui produit un vacarme désagréable.
Comment sortir d’ici ?
Photo: René Meertens
Les escargots et les limaces
Ma maison est précédée d’une allée en pierre d’une bonne dizaine de mètres. A la belle saison, pour peu qu’il ait plu, les escargots et les limaces se rassemblent sur cette allée, ce qui m’oblige à faire des acrobaties quand je sors ou rentre pour ne pas les écraser, ce qui arrive cependant de temps en temps. Mes escargots sont petits et jaunes.
S’il vous plaît, ne m’écrasez pas !
Photo: René Meertens
Les insectes
Si les papillons animent agréablement mon jardin, les fourmis me plaisent moins. Il y a un an environ, j’ai découvert une fourmilière dans la partie arrière du jardin. Ces insectes peuvent envahir une maison et il est alors difficile de s’en débarrasser. Il me semble que mes fourmis ont changé de domicile.
NDLR:
[1] Un rénard a réussi a se glisser dans l'enclos des flamants roses du zoo de Washington. Ces oiseaux étaient tres vulnérables car leurs gardiens leur rognent les ailes pour les empêcher de s'envoler. Vingt cinq d'entre eux sur soixante-quatorse ont malherusement peri.
[2] Il ne faut pas confondre votre blogueur fidèle avec un Jonathan encore plus ancien - la tortue (âge de 190 ans aujourd'hui, l'animal le plus âgé du monde dont l'âge est connu), en confinement sur l’île de Sainte Hélène, comme Napoléon Bonaparte autrefois. Les deux (Jonathan et Jonathan, non Jonathan et Napoléon) se sont rencontrés lors d’une visite de l’île effectuée par votre blogueur.
Voir le reportage : https://bit.ly/39091qe
[3} D'après le site ThoughtCo.com, etablir une distinction entre « turtles » et « tortoises » est une question tout autant linguistique que biologique. Aux États-Unis, turtles désigne généralement les deux espèces alors qu'au Royaume-Uni, turtles désigne spécifiquement les tortues d'eau douce et les testudinidés (la famille animale qui englobe les tortues aquatiques et terrestres). De manière générale, le mot tortoise s'applique aux testudinidés qui vivent sur terre, tandis que turtle est plus communément réservé aux espèces qui vivent en mer ou dans les cours d'eau. En outre, la plupart (mais non la totalité) des tortoises sont végétariennes, alors que la plupart (mais non la totalité) des turtles sont omnivores, se nourrissant à la fois de végétaux et d'animaux.
Lectures supplémentaires :
The Dogs of War - expression inventée par Shakespeare
Arrêtons d'avoir d'autres chats à fouetter (pour rendre des expressions « végétaliennes »)
Le parc de Yellowstone - un aperçu géographique, historique, zoologique et linguistique
Rédigé à 20:16 | Lien permanent | Commentaires (0)
Nous accueillons notre nouvelle contributrice avec grand plaisir.
Christine Pagnoulle a enseigné les littératures de langue anglaise et la traduction à l’Université de Liège
(Belgique) ; elle est membre-fondatrice du CIRTI (Centre interdisciplinaire de recherches en traduction et interprétation) et de la collection Truchements aux Presses universitaires de Liège.
Elle est traductrice militante pour des associations altermondialistes et traductrice littéraire, avec une prédilection pour les poèmes. À côté d’articles et de recueils de textes, elle a publié des traductions de poèmes dans des magazines et des anthologies ainsi que quelques volumes : la séquence posthume de David Jones Le Livre de l’ânesse de Balaam (2003), un recueil de poèmes de Michael Curtis, Marcher sur l’eau (2008), le poème narratif de Kamau Brathwaite, RêvHaïti (2013), l’épopée de six mois dans les tranchées de décembre 2015 à juillet 2016, de David Jones, Entre parenthèses (2019), (avec Valérie Bada) la pièce d’August Wilson Gem of the Ocean (2020), le roman de l’auteur trinidadien Lawrence Scott Balai de sorcière (2020), le roman-scénario Goyaves coupées d’un autre auteur des Caraïbes, Robert Antoni (le roman du même auteur As Flies to Whatless Boys, littéralement ‘Comme des mouches pour timouns bébés’, paraîtra en 2023), les mémoires poétiques de Stephanos Stephanides, Le vent sous mes lèvres, un recueil de Desmond Graham, La Bourse et la Vie, trois longs poèmes pour la paix, La Mère des Batailles, de Michael Hulse, Babel Nouvelle de Leonard Schwartz et Arche de Kamau Brathwaite (sur le site Wallonica.org). Ses tiroirs numériques sont pleins de traductions en quête d’éditeurs : une anthologie de poètes autochtones canadiens écrivant en anglais, des fragments de David Jones, des recueils de Kamau Brathwaite, Gordon Meade, Kate Armstrong,…
Christine Pagnoulle et sa collègue et co-traductrice Valérie Bada ont gentiment consenti à nous accorder un entretien au fils des prochains mois.
Un texte de ces deux amies et collègues que nous avons trouvé passionnant (mais qui exige une lecture assidue, vu son niveau d’érudition), est Traduire Gem of the Ocean d’August Wilson : démarche politique et limites de la traduction ? . L’article constitue un chapitre du livre Langues et rapports de force. Les enjeux politiques de la traduction (Presses Universitaires de Liège, 2021).
Avant de nous plonger dans ce texte, nous avons demandé à Christine Pagnoulle de nous expliquer en quelques mots en quoi consiste la difficulté principale lors de la traduction de l’œuvre de grand auteur dramatique africain-américain qu’est August Wilson. Voici son explication :
« L’obstacle quasi insurmontable à la traduction d’œuvres d’August Wilson, comme de beaucoup d'auteurs africains-américains, c’est l’utilisation du vernaculaire noir américain, un ethnolecte plutôt qu’un sociolecte [1] puisqu’il est moins lié à une appartenance sociale qu’à une condition raciale. L’étiquette de sociolecte peut cependant être revendiquée dans la mesure où cette langue à part entière s’est forgée dans l’esclavage. Dans certaines pièces de Wilson, situées plus tard au XXe siècle quand l’utilisation de ces formes connotées sera un geste délibéré de certains personnages, la traduction se devra de marquer l’écart, et pourquoi pas en recourant au français des cités, comme suggéré par une participante au cycle ‘Traduire les voix minoritaires’. »
|
Ici, cela nous aurait paru déplacé. En effet tous les personnages noirs, qu’ils soient aisés ou sans le sou, cupides ou généreux, utilisent la même langue, souvent empreinte d’une belle résonance poétique. C’est donc avant tout ce rythme, et cette chaleur que nous avons tenté de rendre dans le texte français, qui doit encore être mis à l’épreuve des planches – et donc chamboulé de fond en comble. »
Voici le texte du chapitre rédigé par les professeures Pagnoulle et Bada.
Traduire Gem of the Ocean d’August Wilson
[1] NDLR : ethnolecte : variante d’une langue propre à un groupe ethnique ; sociolecte : variante d’une langue propre à un groupe social.
Lecture supplémentaire :
Black Enough? African American Writers and the Vernacular Tradition
University of Portland, 2015
Rédigé à 12:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
En 2017 FRANCE CULTURE a diffusé une série de quatre émissions sur « L'histoire du village » dont le deuxieme et le troisieme épisodes ont été consacrés au «mysterieux kibboutz de Pardailhain : Reportage dans le village abandonné de Pardailhan près de Béziers où un groupe de parisiens vit en communauté sur le modèle des Kibboutz israéliens. Institut national de l’audiovisuel 1961. «
Le programme a proposé un documentaire sur une expérience originale qui eut lieu au début des années 60 dans un bourg situé à cinquante kilomètres de Béziers, à Pardailhan. Là, un jeune Parisien qui avait vécu deux ans en kibboutz en Israël convainc un certain nombre de famille de le suivre dans une expérience communautaire qui intéressera les médias de l’époque et durera trois ans.
M'étant installé dans ce village un an après sa fondation, j’ai trouvé particulièrement intéressant ce programme audio (ainsi qu’une vidéo sauvegardée dans les archives de l’INA, qui est accessible sur YouTube, et dans laquelle j’ai pu reconnaître certains participants avec qui j’ai passé du temps dans le village).
J’ai essayé de joindre les producteuses du programme, Séverine Liatard et Séverine Cassar, mais sans succès.
Ce qui suit est mon reportage personnel du village de Pardailhan :
A l’âge de 23 ans, à la fin de mes études de droit en Afrique du Sud, qulequ'un ma montré un article dans Paris-Match sur le kibboutz. Je me suis fais inviter par cette communauté de gens qui avaient quitté Paris pour s’emparer d’un village démuni du Midi et je me suis joint à ces pionniers robustes pendant quelques mois. J’y étais le seul étranger et le seul juif. Le but de mon séjour était de m’immerger dans la langue française (que je n’avais jamais apprise à l’école ou à l’université) et de parvenir à une maitrise minime qui me permettrait d’étudier à la Sorbonne et d’obtenir un diplôme en Civilisation française.
Les conditions de ce village abandonné étaient très rudes. J’avais passé quelques mois auparavant dans un kibboutz en Israël à cueillir des bananes, mais par comparaison avec les conditions de vie à Pardailhan, le kibboutz israélien (habité d’ailleurs par des juifs originaires d’Alsace-Lorraine) était comme un hôtel de luxe. A Pardailhan j’ai passé de longues journées dans les champs à arracher des pommes de terre. La nuit, j’étudiais les conjugaisons françaises à la chandelle.
Votre bloggeur fidèle comme ouvrier agricole
(celui portant un pull de couleur foncée)
-à une époque où les blogs n'existaient pas
Il n’y avait pas d’électricité, donc dans mon temps libre je coupais des arbres et jetais les bûches dans le feu pour réchauffer la nourriture – souvent une soupe de pommes de terre (premier plat) suivie par de simples pommes de terre (second et dernier plat). Aucun risque de prendre du poids.
J’ai acquis un français parlé très familier en cassant la croute avec mes camarades. Le langage judiciaire et le latin que j’avais acquis à l’université me semblaient un rêve appartenant à un passé lointain. J’ai été exposé à une première influence de la culture française, par exemple en écoutant les Compagnons de la Chanson, George Brassens et d’autres chanteurs dont les disques 78 tours se trouvaient dans une « boite de nuit » improvisée, où les membres qui survivaient aux journées éprouvantes de travail estival sous le soleil du Midi se rassemblaient le soir.
Pendant mon séjour à Pardailhan j’ai rédigé un article sur mes expériences au sein de cette communauté ; l’article a été publié dans le quotidien Jérusalem Post et on m’en a envoyé une copie qui est arrivée par la poste quand j’étais en dehors du kibboutz. Un membre du secrétariat a ouvert l’enveloppe et a vu l’article et une photo de moi qui y figurait. La gérance du kibboutz a été persuadée que j’étais un « espion ».
On m’a poliment demandé de quitter le kibboutz. Néanmoins, je garde des souvenirs très chaleureux de cette courte période. Chaque fois que je vois mon diplôme de civilisation française*, je me sens éternellement reconnaissant envers ces braves gens qui m’ont aidé à me délier la langue, même s’il m’arrive souvent à ce jour d’assassiner la langue de Molière.
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[*] Littérature française du XXVIIe siècle ; Littérature française du XVIIIe siècle ; Politique française (1er Semestre) ; Géographie de la France
Lecture supplémentaire :
Étapes dans l’apprentissage de la langue française - l'apercu d'un anglophone
Rédigé à 10:51 | Lien permanent | Commentaires (1)
J.K. Rowling réplique à Vladimir Poutine après que le président russe a comparé le traitement de son pays par l’Occident à la culture d’effacement dont a été victime l’auteure d’Harry Potter.
La première actualité ci-dessous a paru dans la presse américaine et a été traduite par notre contributrice fidèle, Nathalie Généreux, traductrice agréée de l'anglais et de l’espagnol vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ).
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Nathalie Généreux | H.P. | J. K. Rowling |
J.K. Rowling riposte à Vladimir Poutine après que le président russe a comparé le traitement de son pays par l’Occident aux critiques contre l’autrice d’Harry Potter.
Dans un message partagé sur son compte Twitter, l’écrivaine a déclaré que les critiques de la culture de l’effacement (ou cancel culture [1] ) ne sont « pas des plus appropriées » lorsqu’elles sont faites par ceux qui « massacrent des civils ».
L’écrivaine a également ajouté un lien vers un article de 2021 de la BBC News sur Alexei Navalny, l’opposant russe condamné à la prison, et dénoncé l’invasion de l’Ukraine.
« Les critiques de la culture de l’effacement du monde occidental ne sont pas des plus appropriées lorsqu’elles sont faites par ceux qui massacrent des civils dont le seul crime est de résister, ou qui emprisonnent et empoisonnent leurs critiques », a-t-elle écrit sur Twitter, ajoutant le mot-clic [2] #StandWithUkraine.
Poutine s’est plaint de la culture de l’effacement lors d’une vidéoconférence télévisée avec des personnalités du monde culturel, affirmant que l’Occident essayait d’ « effacer » la Russie, et a comparé le traitement de son pays aux critiques auxquelles Rowling a fait face pour avoir émis des opinions qui ont été perçues comme transphobes par certains. Le président russe, qui se présente comme le porte-drapeau des valeurs culturelles conservatrices, s’est élevé contre les droits des personnes transgenres et homosexuelles.
« J.K. Rowling a récemment été effacée parce qu’elle ... ne plaisait pas aux gens qui soutiennent la soi-disant liberté des personnes transgenres », a déclaré Poutine, s’adressant par lien vidéo aux travailleurs du secteur des arts et de la littérature. Aujourd’hui, ces mêmes personnes essaient d’effacer un pays au complet dont l’histoire remonte à plus de 1 000 ans. Je parle de la discrimination croissante de tout ce qui est lié à la Russie, de cette tendance qui ressort dans certains États occidentaux. »
La Russie a fait face à une forte condamnation internationale et à de nouvelles sanctions à la suite de la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine fin février. Dans ses remarques, le président russe a poursuivi en comparant la situation actuelle de la culture russe en Occident à la censure dans l’Allemagne nazie.
« Tchaïkovski, Chostakovitch et Rachmaninov sont exclus des lieux culturels, les écrivains russes et leurs livres sont interdits, a déclaré Poutine », sans présenter de preuves. « La dernière fois qu’une campagne aussi massive visant à détruire la littérature défavorable à la Russie a été menée par les nazis en Allemagne il y a près de 90 ans. »
Rowling avait précédemment révélé que son association caritative pour les enfants, Lumos, travaillait avec le gouvernement ukrainien depuis 2013, et elle a lancé un appel aux dons le lendemain de l’invasion russe pour aider « les milliers d’enfants piégés par les combats dans les orphelinats d’Ukraine ».
« Un rappel : Je vais personnellement égaler tous les dons à notre appel de dons d’urgence, jusqu’à concurrence d’un million de livres sterling (1,17 million d'euros). Si vous en avez la possibilité, vous pouvez faire un don ici. Encore une fois, merci à tous ceux qui l’ont déjà fait », a-t-elle tweeté.
[1] le "cancel culture" - paru sur ce blog
[2] Dans le cadre d’une révision des textes publiés ici, il s’est avéré que « mot-clic » est employé au Canada tandis que « mot-dièse » est préféré en France et dans d’autres pays francophones. La recommandation officielle pour la francisation de "hashtag", publiée en 2013 au Journal officiel français, a beaucoup fait rire les utilisateurs de Twitter. Les inventeurs du « mot-dièse » répondent sur BFMTV .
Voir aussi :
« En France il ne faut plus dire hashtag, mais mot-dièse. A tort. »
Hashtag ou mot clic ? Le Devoir (Canada)
Lectures supplémentaires :
Madame Brink contre Monsieur Poutine
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La diffusion de la langue anglaise sur les voies de circulation
Un camion chargé de milliers d'exemplaires du thesaurus de Roget a renversé sa charge en quittant New York. Les passants ont été stunned, startled, aghast, stupefied, confused, shocked, rattled, paralyzed, bewildered, dazed, surprised, dumbfounded, flabbergasted, confounded, astonished & numbed.
(Le thésaurus de Roget est un thésaurus tres connu de langue anglaise, créé en 1805 par Peter Mark Roget (1779–1869), médecin britannique, théologien naturel et lexicographe. Le manuscrit original est conservé aux Karpeles Manuscript Library Museums, aux États-Unis, une collection privée de plus d'un million de manuscrits et de documents, la plus grande collection de ce type au monde.)
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Un linguistique passionné devant la justice américaine
L'actualité ci-dessous a paru dans la presse américaine et a été traduite par notre contributrice fidèle, Magdalena Chrusciel, interprète/traductrice jurée à Genève, a été notre traductrice du mois de mars 2013.
Un homme anti-LGBTQ est accusé d’avoir menacé l’éditeur Merriam-Webster d’attentat à la bombe en raison d’une définition du mot « girl » (fille). Un homme a été arrêté cette semaine, soupçonné d’avoir proféré des menaces, inspirées par ses convictions anti-LGBTQ, contre Merriam-Webster, éditeur d’un dictionnaire américain réputé.
Selon le bureau du procureur fédéral pour le district du Massachusetts, Jeremy David Hanson, 34 ans, a été accusé d’avoir menacé de commettre des actes de violence. Du 2 au 8 octobre, 2021, selon la plainte pénale, l’éditeur avait reçu des messages et des commentaires menaçants « indiquant un parti pris contre certaines identités de genre sur la page de contact de son site Web, ainsi que dans la section des commentaires des pages Web correspondant aux articles consacrés aux mots "girl" (fille) » et "female" (femme) ». Hanson a été identifié comme l’auteur desdits messages et commentaires, ont déclaré les procureurs.
Le 2 octobre, Hanson a publié, sous le pseudonyme « @anonYmous » un commentaire sur la définition de « female » (femme) du site Web du dictionnaire, ont déclaré les procureurs. Il précisait dans son commentaire: « Il est absolument écœurant que Merriam-Webster raconte maintenant des mensonges flagrants et fasse de la propagande anti-science. Il n’existe pas d’«identité de genre ». L'imbécile qui a écrit cet article devrait être traqué et abattu. »
On accuse également Hanson d'avoir utilisé la page de contact du site Web pour envoyer un message d’insulte anti-transgenre. Dans son message, il déclare qu’il faudrait « tirer des coups de feu sur le siège de la maison d’édition et y poser une bombe », aux dires des procureurs. Selon Hanson, l’entreprise avait « cédé au programme culturel marxiste » en modifiant « la définition de "female" (femme) dans le cadre des efforts de la gauche visant à corrompre et dégrader la langue anglaise, en niant la réalité ». Dans ce même message, il a traité l’éditeur de « repère de marxistes malfaisants », déclarant que tous ses employés devraient être tués, a précisé le parquet.
Les procureurs ont également allégué qu'il avait, le 8 octobre, publié un autre message dans lequel il menaçait de poser une bombe dans les locaux de Merriam-Webster. Suite aux menaces reçues, les bureaux de l’éditeur ont été fermés pendant environ cinq jours ouvrables, ont indiqué les procureurs.
Arrêté mardi, Hanson a comparu une première fois devant un tribunal de Californie, ont indiqué les procureurs. S'il est reconnu coupable, il encourt une peine maximale de cinq ans de prison fédérale et de trois ans de liberté surveillée, ainsi qu’une amende de 250 000 dollars, a indiqué le parquet.
avec l'aide précieuse de René Meertens
Lectures supplémentaires :
Une jeune femme fait changer la définition du mot racisme dans un dictionnaire
Dictionnaire critique du sexisme linguistoque - recension
La dimension genrée de la traduction automatique
Rédigé à 09:47 | Lien permanent | Commentaires (0)
Dans un article publié sur ce blog, nous avons analysé le mot anglais brinkmanship et proposé deux définitions :
1) Pratique consistant, notamment en politique internationale, à marquer un point en donnant l'impression que l'on veut et que l'on peut pousser une situation très dangereuse à ses limites plutôt que de faire des concessions (American Heritage® Dictionary of the English Language, Fifth Edition. Copyright © 2016)
2) Une stratégie du bord de l'abîme, de la corde raide, est une stratégie qui consiste à poursuivre une action dangereuse dans le but de faire reculer l'adversaire et d'obtenir le résultat le plus avantageux possible pour soi. Ce type de stratégie se retrouve en politique internationale, en relations du travail, et dans des actions militaires impliquant la menace d'utilisation d'armes nucléaires. (Wikipedia). [1]
Le terme, dérivé de brink (le bord), est calqué sur statesmanship ou sportsmanship, vocables désignant des activités censées être essentiellement masculines.
Il semble raisonnable d'attribuer une telle politique à Vladimir Poutine depuis sa décision d’envahir l’Ukraine. D’autre part, la politique des États-Unis de mener une guerre par procuration (comme d'aucuns la considèrent) contre la Russie, est susceptible d'augmenter l’enjeu et d’amener le monde jusqu’au brink d'une confrontation plus large.
À cette étape de l'invasion, le nom de l’Ambassadrice des États-Unis d’Amérique que le Président Biden vient de nommer nous paraît tout à fait adéquat - Barbara Brink.
Avec la précieuse aide de Christine Pagnoulle, traductrice littéraire.
[1] Voir aussi le Guide ANGLAIS-FRANÇAIS de la traduction, deuxième édition, 2021, (René Meertens) :
brinkmanship n. stratégie du risque calculé maximum, art de frôler la catastrophe, (politique de la) corde raide, rituel d'intimidation, haute voltige, (comportement d'une) audace folle, acrobaties au bord du gouffre / du précipice, manœuvres téméraires, va-tout, coup de dé, coup de poker à haut risque, jeu dangereux, roulette russe, tactique du tout ou rien, tactique du « ça passe ou ça casse », art de savoir aller trop loin; the annexation of Crimea was a uniquely dangerous act of of brinkmanship l'annexion de la Crimée a été un coup de poker particulièrement dangereux; nuclear brinkmanship poker nucléaire; to use brinkmanship jouer le tout pour le tout , jouer son va-tout, jouer avec le feu.
Lecture supplémentaire :
Voir ici l’analyse d’autres jeux de mots, dont Chauvin et chauvinism, parue sur ce blog.
Livre recommandé : Guillaume Serina, Reagan Gorbatchev Reykjavik 1986 : Le sommet de tous les espoirs
Rédigé à 11:07 dans Actualité linguistique et littéraire | Lien permanent | Commentaires (1)
Jonathan Goldberg
[Initialement publié après la première élection d'Emmanuel Macron comme Président de la République)
For several years distinguished linguists have been interviewed for this blog every month. Our readers may therefore understandably ask: How have I, Jonathan, managed to insinuate myself into this exclusive club, which is usually reserved only for the illustrious? The answer is that this month we are short of a high-level interviewer and interviewee. Desperate times call for desperate measures [1], so I decided, with an excess of immodesty, to fill the gap. "Fools rush in where angels fear to tread." [2]
But because my chutzpah [3] has its limits, I stopped short of asking anyone to interview me. So here I am, wearing two hats, those of both the interviewer and interviewee. On n'est jamais mieux servi que par soi-même !
In preparing this "interview", the first decision I needed to take was whether to draft it in English or in French. That was what is called a "no brainer" [4] in the USA. I have too much respect for la belle langue to maul it and I feared that the hachis parmentier that I wanted to cook would come out of the oven smelling like Shepherd’s Pie.
The next decision was whether to ask one of our band of faithful French translators to render this text into the language of Molière [5]. I decided that just this one time our French readers would not be molly-coddled [6], but would have to bite the bullet (forgive the mixed metaphor) and read the interview in what the French like to refer to as « la langue de Shakespeare ».
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Question: Describe the experience of managing a blog to which so many gifted wordsmiths contribute their time and talents.
Answer: My motives for running the blog are both altruistic and egoistic: on the one hand, the desire that I often have to share with others the material I read; on the other hand, the fact that the blog is very good for my ego. Like many professional translators, I normally perform my work in the shadows. The blog, on the other hand, gives me a platform and a pretext to communicate with some of the crème de la crème of English and French linguists. Whenever I am able to introduce a gifted translator or contributor on the pages of Le Mot juste, I enjoy the opportunity, however fleeting, to stand shoulder to shoulder with one of the best linguists around.
Question: You are not a literary translator with a slew of books to your name, so how could you expect to come out of the darkness into the world of fame and fortune and to reach an audience beyond the readers of the blog? Travailler non seulement pour des prunes mais pour la gloire.[7] [8]
Answer: Well, by chance, I did recently come under the bright lights and I have been enjoying a short-lived moment of fame, if not of fortune. I was not going to mention this, but if you insist, I'll tell you about it. Last year I was commissioned to translate Emmanuel Macron's memoir cum political manifesto, Révolution. Because of time constraints, I contracted with a British translator to translate half the book, and we edited each other's translations. The book was published in November and the translators were invited to London for a panel discussion to launch it.
Question: Was the co-translation a synergistic effort? Was it a successful collaborative work?
Answer: In my Translator's Note, I stressed the point that it was indeed a collaborative endeavour, with synergistic benefits, and I went out of my way in that Note to highlight my co-translator's skills. But you will probably get a very different answer if you ask her. Most likely the same view as that expressed by my first wife, following our divorce.
Question: What did your first wife say?
Answer: "Never again!."
Question: How were you able to gauge the public's appreciation of your translation of Révolution ? Even Anglo-Saxons [9] who read French with ease don't usually compare and contrast the source text of a book with the translation in order to grade the level of the translator's skill.
Answer: Paradoxically, the warmest expression of appreciation I received for this project came from two people who have probably not read the translation: M. E. MACRON and his Chef de Cabinet, M. François-Xavier LAUCH (see the images below).
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Question: Mr. Macron's handwritten dedication in your book is rather difficult to decipher.
Answer: Indeed. The language of the dedication, like that of the book, is somewhat cryptic, and to judge by the handwriting, you would think that M. Macron had trained as a doctor, not an economist. I leave it to our readers to decipher the President's handwriting. I'm sure they will enjoy the challenge.
Question: Will you now take on the translation of works by other famous French politicians, scholars or writers?
Answer: Never again! Working on a single project for 10 hours and more a day, seven days a week, at the expense of my other interests, is not my cup of tea. But for regular work projects, being only 80 years old (twice the age of the President of the Republic [10]), I do not intend to slow down. I will continue to ply my trade in the shadows as an anonymous and unknown translator and interpreter (French>English and Hebrew>English), and to devote part of the hours of each day outside of my regular work to research for the blog across a range of linguistic and cultural subjects. (My other blog activity involves roping in contributors, which is sometimes as difficult as herding cats. But once they submit their contributions, they usually prove themselves to be linguistic tigers.)
I have also revived an English-language blog that I had created some time ago and that had been dormant: The Lives of Linguists : Interviews with Writers, Translators and other Wordsmiths. It is accessible at WordsmithsBlog.com. And I am in the process of creating a French-language blog named Clio, un blog pour les amateurs de l'histoire. [11] Articles dealing with historical subjects that have been written for Le Mot juste over the course of the years will be imported into the new blog. Stay tuned!
As a staunch Francophile, I will have the continuous pleasure of seeing material posted in the mellifluous French language. [12] Together with the contributos and readers, I will continue the search for le mot juste en anglais - as well as in French.
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[1] Alexander Pope, An Essay on Criticism, 1711
[2] Oxford Dictionaries:
mass noun, informal
Extreme self-confidence or audacity
Origin: Late 19th century: Yiddish, from Aramaic ḥu ṣpā.
[3] Selon Video Language Network sur le site Femme actuelle, cette expression est utilisée pour exprimer qu'un choix est facile à faire et ne nécessite pas d'y réfléchir plus longtemps.
[4] According to one theory, all or many of Molière's works were in fact written by Corneille, the historic French dramatist. See: https://www.youtube.com/watch?v=aaaqqLkz5t4
[5] pouponner, chouchouter
Mollycoddling - World Wide Words
[6] L'Aiglon de Edmond Rostand - Nous avons fait tout cela pour la gloire et pour des prunes ! (Flambeau)
Dans L'Aiglon (Acte 2, scène IX), Edmond Rostand fait dire à Flambeau, vélite de la garde, après le rappel de ses glorieux états de service :
[7) The French word prune and the English word "prune" are false friends. Prune (fr.) = plum (Eng.); prune (Eng.) = pruneau (fr.)
plum = prune | prune = pruneau |
[8] The Anglo-Saxons
Aeon
[9] When Macron is 80 years old, I will be 120 years. Between now and that time, I expect to receive a card from him containing the Biblical greeting: שתחיה עד מאה עשרים - "May you live to be 120 years."
[10] What Makes French Sound Sexy
Mental Floss
[11] Clio was the Muse of History
Other articles by the author on his experience as a translator and interpreter:
The colonial influences on participants in a Los Angeles courtroom— from the perspective of a French-English interpreter.
Rédigé à 14:00 | Lien permanent | Commentaires (1)
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