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Rédigé à 12:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
E n t r e t i e n e x c l u s i f
Première partie
Le professeur Noah Feldman occupe la chaire de droit "Felix Frankfurter" à l'université d’Harvard. Sa réputation de constitutionnaliste émérite et d'historien du droit n'est plus à faire. Lors de la procédure engagée en 2019 pour destituer le président Trump, son nom est devenu familier à des millions de téléspectateurs américains qui ont pu le voir, accompagné de deux autres constitutionnalistes américains, présenter le dossier de destitution.
Il a obtenu sa licence en langues et civilisations du Proche-Orient en 1992 au Harvard College (Artium Baccalaureus summa cum laude, mention excellent) qui lui a valu le prix Sophia Freund décerné au diplômé summa cum laude le mieux classé.
Le professeur Feldman est moins connu du public américain pour sa connaissance des langues, en particulier les langues du Proche-Orient. L'ampleur de ses connaissances est reflétée dans l'interview qui suit, lequel a été mené entre Los Angeles et Boston par votre blogueur fidèle, Jonathan G.
Nadine Gassie, qui a bien voulu traduire l'entretien ci-dessous, et sa fille Océane Bies, étaient nos linguistes du mois d'avril 2017. Nous remercions infiniment Nadine d'avoir accepté de traduire cet entretien.
Voulez-vous dire à nos lecteurs quel parcours éducatif a été le vôtre avant l'université ?
J'ai fréquenté la Maimonides School de Brookline, Massachusetts, Moïse Maïmonide étant le nom d'un des plus éminents représentants de la pensée juive médiévale, qui vécut toute sa vie dans le monde islamique et parlait l'arabe.
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Moïse Maïmonedes (1138-1204) |
Au cours de ma scolarité, j'ai eu la chance d'apprendre l'hébreu biblique mais aussi l'hébreu « mishnique » ou rabbinique, ainsi que l'araméen, l'anglais évidemment, et le français. Ensuite, à 15 ans, j'ai étudié l'arabe à l'université d'été d'Harvard avec le Dr Wilson Bishai, de même que l'été suivant, à 16 ans, à l'université hébraïque de Jérusalem, toujours dans le programme d'été, avec des professeurs extraordinaires. Ce programme comprenait l'arabe classique, l'arabe médiéval et l'arabe moderne. Entre ces différentes sessions, j'ai également eu la grande chance de bénéficier des cours d'arabe particuliers de Michael Cooperson, un génie linguistique, qui était doctorant à l'époque et qui est maintenant professeur d'arabe à l’université de Californie à Los Angeles.
Vous avez évoqué différentes catégories d'arabe et d'hébreu. Pourriez-vous être un peu plus explicite pour nos lecteurs ?
Il existe quatre variantes de l'hébreu : les trois plus anciennes sont l'hébreu biblique, l'hébreu rabbinique ou « mishnaïque », et l'hébreu médiéval qui s'inspire de ces deux traditions antérieures mais a sa propre saveur, surtout s'agissant de l'hébreu philosophique médiéval, pour la bonne raison qu'il dérive de traductions directes de l'arabe et possède donc sa propre grammaire et syntaxe, très proches de l'arabe. Et il y a évidemment l'hébreu moderne.
En arabe, il y a l'arabe pré-coranique, dont un corpus est principalement conservé en poésie, l'arabe coranique (classique) et l'arabe philosophique médiéval, qui est largement basé sur des traductions du grec, même si ces traductions sont venues par le syriaque, lui-même version de l'araméen. En effet, aux 8ème, 9ème, 10ème et 11ème siècles, les parties des œuvres d'Aristote et de Platon dont disposaient les savants arabes étaient d'abord traduites du grec en syriaque, puis du syriaque en arabe. C'est ainsi qu'au moment où a émergé l'arabe philosophique médiéval, sa syntaxe et ses modes étaient assez caractéristiques. Et bien sûr, il y a l'arabe moderne, généralement daté du 19ème siècle, qui s'inspire de certains tropes et faits de langue de l'arabe classique mais qui est parlé différemment. Et enfin, il y a l'arabe parlé, qui est différent dans presque tous les pays arabophones, de sorte qu'un Marocain et un Irakien parlant tous deux un dialecte familier éprouveraient des difficultés, pour ne pas dire une impossibilité, à communiquer. Pour se comprendre, ils auraient recours à l'arabe standard moderne, qui est le dérivé de l'arabe classique, compréhensible pour tous car c'est celui qui est employé à la télévision et qui est écrit dans les journaux.
Quels cours de premier cycle avez-vous suivis à Harvard ?
À Harvard, j'ai fait de l'hébreu biblique et beaucoup d'hébreu philosophique médiéval. J'ai aussi fait de l'arabe, principalement de l'arabe philosophique médiéval, mais j'ai aussi suivi un cours d'arabe parlé moderne donné par le Dr Bishai. En partant des bases de l'arabe standard moderne, il nous enseignait des « astuces » grammaticales pour transformer cet arabe standard en arabe égyptien parlé. C’est une façon unique et très inhabituelle d’enseigner l’arabe parlé, qui est propre au Dr Bishai. C'était un professeur merveilleux, charmant et encourageant. Il m'a dit que « quiconque souhaite s'attabler au banquet de la langue arabe serait toujours le bienvenu ». Il a eu une grande influence sur moi par son enseignement spécifique des langues et je lui dois beaucoup.
On vous qualifie d'« hyperpolyglotte », du fait de votre maîtrise de plus de 6 langues parlées et/ou écrites : l'anglais, l'hébreu, l'arabe et l'araméen mais aussi le français, l'allemand, l'italien et l'espagnol. Vous parlez et lisez aussi le coréen, et vous savez lire le grec et le latin.
Pour le français, l'espagnol et le coréen, je m'explique : je parle français quand je vais en France et je regarde des films en français. J'ai eu la chance de séjourner en Tunisie, en tant que conseiller et observateur du processus constitutionnel tunisien, et j'ai surtout utilisé l'arabe, mais il existe une classe de Tunisiens très instruits qui aiment parler français et le français y est un phénomène incontournable dans le monde du travail. Il en va de même au Liban, où les Libanais instruits sont tout aussi à l'aise en anglais qu'en arabe et en français, donc le français m'est très utile, non seulement en France mais aussi plus largement dans le monde francophone.
En ce qui concerne l'espagnol, un pourcentage élevé d'Américains du Nord le parlent, donc c'est vraiment une deuxième langue pour nous. Nous avons beaucoup de chaînes de télévision en espagnol, il est donc facile d'apprendre la langue et de la parler de façon familière et informelle. Pour le coréen, j'ai commencé à l'étudier à Washington, DC avant de me fiancer avec mon ex-femme américaine-coréenne. Ses parents étaient des immigrants coréens de première génération et ils parlaient un anglais parfait, mais chez eux ils parlaient coréen et je voulais pouvoir participer à la conversation. Fait extraordinaire, à cette époque, l'ambassade de Corée à Washington proposait des cours du soir de coréen gratuits : j'ai donc pris deux ans de cours du soir de coréen, donnés très sérieusement par des professeurs de premier plan dans un magnifique immeuble sur « Embassy Row » (le quartier des ambassades) à Washington, DC. Après notre mariage, je suis revenu à Harvard pour mon stage postdoctoral et je me suis inscrit en deuxième année de coréen. Ce fut une drôle d'expérience pour moi car j'avais déjà 29 ans alors que les autres étudiants en avaient 18, avaient déjà appris à parler couramment le coréen chez eux mais ne savaient ni le lire ni l'écrire ou ne possédaient pas une grammaire correcte. En tant que seul locuteur non-natif de coréen de la classe, j'ai trouvé très difficile de suivre le rythme.
À Harvard, la majeure partie des enseignements de langues se fait dans un très ancien bâtiment appelé Vanserg Hall, construit pendant la Seconde Guerre mondiale pour servir de laboratoire additionnel. Dix ans après y avoir étudié l'arabe, je me retrouvais donc de nouveau à un pupitre de Vanserg. Et c'est là que je me suis douloureusement aperçu qu'en une décennie, entre 19 et 29 ans, ma capacité de mémorisation du vocabulaire s'était dégradée. C'était très déstabilisant de constater cela en temps réel. Aujourd'hui, à 50 ans, je repense à mes capacités cérébrales d'il y a 20 ans et je me demande combien j'ai perdu en termes de compétences en acquisition linguistique. C'est une question douloureuse.Depuis que vous êtes sorti diplômé de la faculté de droit de Yale (Yale Law School) et avez entamé une carrière prestigieuse de
professeur de droit à l'université Harvard, avez-vous pu vous maintenir à niveau dans toutes ces langues ? Je pense en particulier aux langues mortes telles que le grec ancien, le latin et l'araméen.
J'ai la chance d'utiliser l'araméen tout le temps car je dirige un enseignement sur le droit juif et israélien (le programme Julius- Rabinowitz).
C'est un séminaire que je donne tous les quinze jours tout au long de l'année universitaire et les textes principaux émanent de toutes les périodes de l'histoire juive, beaucoup étant de source rabbinique, talmudique ou médiévale, et d'autres plus modernes et contemporains, ce qui me permet d'exercer très régulièrement mes compétences linguistiques. J'utilise souvent les textes talmudiques, dont beaucoup sont en araméen talmudique. Il m'arrive aussi de travailler en arabe classique lorsque je supervise des doctorants ou que je me consacre à des études islamiques ou que j'écris sur le monde islamique classique, ce que j'ai fait sous la forme de livres à plusieurs reprises. Je dois reconnaître que mon grec et mon latin sont un peu rouillés, mais ils me sont encore d'un grand secours lorsque je dois lire ou traduire un passage. Les professeurs de droit ont cette chance de pouvoir travailler sur toutes sortes de projets divers, aussi bien historiques qu'ancrés dans le présent, et j'ai pour ma part un manuscrit en cours depuis des années, qui explore le concept d'équité chez Aristote à travers un large éventail de systèmes juridiques différents, dont le droit athénien, le droit romain, le droit islamique, le droit juif classique, le droit canonique et le droit britannique des origines à l'ère moderne. Pour ce projet, j'ai affaire à des textes dans toutes ces langues. J'espère publier un jour ce manuscrit, mais ce que j'aime surtout dans ce travail, c'est qu'il exige de moi un investissement dans toutes ces langues, ce qui est parfaitement cohérent avec ce que je fais en tant que professeur de droit, ce va-et-vient entre le passé et le présent. Mon manuscrit croît chaque jour davantage, mais j'ai le projet ultimement de l'élaguer afin qu'il ne rebute pas le lecteur, et de le publier.
La seconde partie de cet entretien sera publiée
vers la fin de ce mois.
Rédigé à 13:28 dans Interviews 2021 | Lien permanent | Commentaires (1)
L'analyse qui suit a été rédigée à notre intention par notre fidèle collaboratrice, Isabelle Pouliot. Isabelle est membre de la NCTA et ancienne résidente de la région de San Francisco. Elle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
En juin 2020, la revue scientifique Nature a publié une lettre rédigée par plusieurs chercheurs intitulée « COVID-19 lockdown allows researchers to quantify the effects of human activity on wildlife ». Dès le début de la lettre, après le chapeau et le premier paragraphe, un encadré attire l’attention des lecteurs, notamment des langagiers, puisqu’il s’intitule Introducing anthropause. L’explication de l’origine de ce néologisme est la suivante [notre traduction] : « Nous proposons ‘anthropause’ pour désigner tout particulièrement un ralentissement mondial considérable de l’activité humaine moderne, notamment des voyages. Nous savons que le préfixe approprié est anthropo (‘être humain’), mais avons opté pour une version plus courte, laquelle est plus simple à mémoriser et à utiliser, et où la syllabe po tronquée se retrouve dans la prononciation de pause. »
Ce terme est le même en français et en anglais (et antropausa en italien), mais les francophones constateront l’importance de bien prononcer le mot pour éviter toute confusion avec andropause….
Les scientifiques signataires de la lettre voulaient attirer l’attention sur l’importance d’étudier les interactions entre les populations humaines et animales puisqu’il existe désormais une interdépendance inégalée entre ces groupes.
L’explication sur la genèse de ce terme est très intéressante, mais nous laisse un peu sur notre faim. Pour en savoir plus, j’ai communiqué par courriel avec deux des signataires, deux scientifiques de renom qui, malgré leur emploi du temps bien chargé, ont répondu rapidement à mes questions.
Yan Ropert-Coudert [1] est directeur de recherche au Centre d'études biologiques de Chizé (lequel fait partie du Centre national de la recherche scientifique, CNRS, en France) et directeur du programme de recherche Antarctique, qui étudie les prédateurs marins.
D’emblée, il fait un aveu surprenant : « Tout d'abord, je suis content que ta question porte sur le mot plutôt que sur le contenu pour une fois. Les gens ne se rendent pas compte que le travail d'un chercheur l'amène souvent à créer de nouveaux mots ou de nouvelles expressions. (…) Entre les projets pour lesquels il faut maintenant impérativement trouver un acronyme, les espèces nouvelles ou les phénomènes qu'il faut identifier... les talents néologistes des chercheurs ont de quoi s'exprimer. »
Alors que j’étais étudiante en traduction à l’Université McGill de Montréal, au tournant des années 2000, un professeur avait dit en classe que la création de néologismes était rare dans une carrière de traducteur, mais qu’il fallait bien connaître les suffixes et préfixes d’origine latine ou grecque pour être prêt à toute éventualité. La petite histoire derrière anthropause en est un bon exemple, comme l’explique M. Ropert-Coudert : « "anthropause" est du fait de Mark Johnson, l'un des auteurs de l'article. Il a pensé à ce mot en relisant quelque part le mot anthropocène. »
Anthopocène est aussi un mot plutôt récent, qui remonte à l’an 2000. Paul J. Crutzen, Prix Nobel de chimie, et Erik Stoemer ont donné le nom d'anthropocène [2] à l'ère géologique dans laquelle nous vivons, une nouvelle époque géologique définie par l'action de l'humain. Anthropo signifie ‘être humain’ et cène, ‘récent’.
L’air du temps, ingrédient secret de la néologie
J’ai demandé au Professeur Mark Johnson de m’expliquer comment il en est arrivé à cet anthropause. M. Johnson est agrégé supérieur de recherche du Scottish Oceans Institute de l’Université de St Andrews en Écosse.
« Les mots et la manière dont ils se diffusent m’ont toujours fasciné et je suis ravi d’avoir apporté une petite contribution, même fortuite! Comme l’explique l’auteur principal de l’article, Christian Rutz, dans l’encadré, anthropause est un mot-valise assumé.[3] Le préfixe anthropo est un terme en vogue en biologie animale en ce moment, avec des mots comme anthropocène et anthropogenic. [4] Compte tenu de ce que nous ressentions tous plus tôt cette année, comme si la vie prenait une pause, les mettre ensemble coulait de source. Et c’était évident dès le départ qu’il fallait parler d’anthropause, plutôt que d’anthropopause, qui est plus logique, mais aussi un virelangue. Ce mot m’est venu à l’esprit au printemps et lorsque Christian a communiqué avec moi au sujet de l’article qu’il prévoyait écrire, je lui ai dit ʺJe sais comment tu vas l’appeler!˝. J’ai bien peur que ce soit tout ce qu’il y a dire là-dessus. »
Néologie, quand tu nous tiens
Ropert-Coudert est l’auteur d’un autre néologisme désormais fort usité, bio-logging : « Je promeus activement bio-logging, qui consiste à attacher des enregistreurs de données à des espèces en liberté afin de surveiller leur biologie et les paramètres physiques de leur environnement immédiat. » [5]
Il raconte qu’en 2003, son laboratoire Prédateurs supérieurs du National Institute of Polar Research de Tokyo devait nommer une conférence qui portait sur « les appareils enregistreurs miniatures embarqués sur ou dans les animaux et qui enregistrent les données biologiques de l'animal, les données physiques du milieu dans lequel il évolue et l'interaction entre les deux! Un titre de conférence comme celui-là n'aurait jamais attiré les foules. Nous avons donc planché plusieurs jours sur un mot, une expression qui pourrait synthétiser tout cela... Rien ne venait. Le soir avant que le grand patron n'aille déposer la maquette de la conférence au Ministère pour y quémander des sous, je faisais la vaisselle dans notre appartement de Tokiwadai dans la banlieue nord-ouest de Tokyo, et là, paf, l'illumination: "Bio-logging", logging venant du "log", le carnet de bord des marins qui consignent tout ce qu'ils voient. » C’est ainsi qu’à la suite de cet International Symposium on Bio-logging Science, le mot est passé dans l’usage de nombreuses disciplines scientifiques, et non seulement en biologie.
Parmi les néologismes ou termes ayant eu un élargissement de leur aire sémantique en 2020, il y a anthropause, confinement et déconfinement, supercontaminateur, présentiel, couvre-visage, gestes barrière ou dans un registre plus familier, covidiot, apéro virtuel, quatorzaine. Comme on peut le constater, les voies de la néologie sont maintenant variées et sous l’influence des réseaux sociaux, certains termes se diffusent très vite et illustrent la vitalité de la langue française.
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[1]
[2] Pour en savoir plus : http://www.igbp.net/globalchange/anthropocene.4.1b8ae20512db692f2a680009238.html (anglais) ou « Le concept d’anthropocène et son contexte historique et scientifique » de Jacques Grinevald, historien des sciences : https://tinyurl.com/yaso3pux
[3]
[4] Anthropogenic : Se dit des phénomènes qui sont le résultat de l'action directe ou indirecte de l'humain. En français, cette notion s’exprime dans le mot anthropique. Contrairement au terme anglais anthropogenic, l'adjectif français anthropogénique n'a pas le sens de « provoqué par l'action de l'homme », mais plutôt celui de « relatif à la genèse de l'espèce humaine ». Source : Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, fiche 17489311.
[5] Bio-logging et écophysiologie des prédateurs marins.
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Lectures supplémentaires :
Ecophysiology /L'écophysiologie, Ecopsychology /L’écopsychologie, Sostalgia /l'écoanxieté - sur ce blog
The Search for New Words to Make Us Care About the Climate Crisis - The New Yorker, February 21, 2020
Rédigé à 07:50 dans Isabelle POULIOT | Lien permanent | Commentaires (0)
L'analyse qui suit a été rédigée par notre contributeur fidèle, Rene Meertens, linguiste du mois de janvier 2019 et auteur du Guide anglais-français de la traduction, dont une nouvelle édition (2021) vient de paraître.
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Le 6 janvier 2021, à l’instigation de Donald Trump (« Nous allons nous rendre au Capitole »), des milliers d’émeutiers ont marché sur le bâtiment du Congrès et y ont fait irruption, chassant députés et sénateurs.
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Le Capitole (« Capitol » en anglais) est le bâtiment qui abrite le Congrès, c’est-à-dire la Chambre des représentants et le Sénat. Le mot « capitol » (souvent sans majuscule) peut aussi désigner le bâtiment occupé par l’assemblée législative d’un État fédéré des États-Unis. Selon Wikipedia, c’est Thomas Jefferson qui aurait choisi cette dénomination, sans que l’on sache pourquoi, si ce n’est que cet immeuble fut construit sur une petite colline.
Ce mot provient du latin « Capitolium », l’une des sept collines qui entourent Rome, sur laquelle se trouvait le temple de Jupiter Capitolin et la citadelle de la ville. Le Capitole était le centre de la vie politique et religieuse. D’autres villes ont désigné sous le même nom « leurs citadelles ou leurs temples les plus magnifiques » (Félix Gaffiot).
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Le mot latin provient de « caput » (tête), car le Capitole était la principale des collines et le lieu le plus en vue de la ville (F.E.J. Valpy). Le mot « caput » est à l’origine d’un grand nombre de mots français (chef, capiteux et capital, par exemple).
Le président élu Biden a invité Trump à s’exprimer à la télévision « to demand an end to this siege », pour exiger de ses partisans qu’ils mettent fin à cette occupation. De même, le Times de Londres a titré plus tard « Congress confirms Joe Biden’s victory after siege of Capitol ». Il s’agit bien d’une occupation et non d’un siège, même si, selon les dictionnaires, le mot anglais siege a le même sens que le mot « siège » en France. L’usage lui en donne un autre.
Je me souviens d'avoir traduit en 2004 un texte sur l'occupation de l'école de Beslan (Russie) par des terroristes. A cette occasion aussi, il fut question du « siege of Beslan ». Mais les terroristes ne faisaient pas le siège de l’école : ils se trouvaient à l’intérieur, où ils retenaient plus d’un millier d’otages.
Cela illustre le décalage qui existe entre les dictionnaires et l’usage. Cela résulte parfois, comme dans ce cas, de la transformation du sens d’un mot en son contraire.
Quant à « Democracy under siege », ce titre peut à la rigueur se traduire littéralement, car le mot est utilisé dans un sens figuré (« La démocratie en péril » conviendrait sans doute mieux).
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Diffusion audio: Épisode :Insurrection au Capitole : le populisme américain a-t-il dit son dernier mot ?
Notes du blog :
Dans un autre contexte (la situation chaotique régnant au Parlement de Londres au debut de 2019), nous avons publié le passage qui suit :
« Après notre publication récente d'un article intitulé « Shambles, mayhem, bedlam – Londres, Paris, même chienlit? », nous avions décidé de laisser de côté la situation chaotique de la politique britannique (et des rues françaises en fin de semaine), pour nous intéresser à l'état tout aussi chaotique des États-Unis, aux prises avec le shutdown (la paralysie partielle des services fédéraux gouvernementaux provoquée par le blocage budgétaire). Mais, nous ne saurions nous priver de l'occasion qui s'offre de relever ce cluster shambles qui a les allures d'un tout récent néologisme. Nous supposons qu'il est calqué sur l'expression cluster fuck-up, plus grossière encore. Pour les chastes oreilles qui peuvent ne pas connaître ses acceptions les plus récentes, fuck-up, substantif, se traduit par bordel, fiasco, chienlit, lorsqu'il s'applique à une situation, et « raté(e) », appliqué à une personne. Quant à cluster, il joue le rôle d'augmentatif et s'inspire de cluster bomb, la bombe à fragmentation qui fait tant de ravages dans les conflits contemporains. L'effet explosif d'une telle bombe est tel qu'il est plus meurtrier que celui d'une bombe ordinaire. » (From shambles to snafu to shutdown).
Revenant au « siège » du 6 janvier (mais pas dans le sens utilisé par Le Monde le lendemain - « ....une attaque odieuse au siège du Congrès, » - qui ne se traduit pas par siege dans ce cas [1]), il convient de rappeler que la dernière attaque sur le Capitole de Washington D.C. [2] a eu lieu en 1814, un épisode designé "Burning of Washington" (l'incendie de Washington), qui s'est déroulé le 24 août 1814 pendant la guerre anglo-américaine de 1812, quand le bâtiment a été pris d'assaut avant d'être incendié par les troupes britanniques seulement quatorze ans après son ouverture et alors qu'il était encore en construction. On le présente généralement comme la réponse à l'incendie de la capitale de la colonie britannique du Haut-Canada, York (aujourd'hui Toronto en Ontario), alors synonyme de traumatisme pour les Canadiens et d'humiliation pour le gouvernement britannique.
[1] René Meertens : Le Capitole est le siège (seat) du Congrès. Ce dernier est l’un des sièges (seats) du pouvoir. Les sièges (seats) sont remportés de haute lutte. Les élus siègent (sit) comme tout un chacun sur leur siège (bottom), lui-même posé sur un siège (seat).
[2] District de Columbia (en anglais : District of Columbia), souvent appelée Washington, D.C., The District, ou simplement D.C. (pour éviter la confusion avec l’État de Washington, est une ville indépendante des Etats-Unis dont elle est la capitale. En tant que capitale fédérale, elle ne fait pas partie des cinquante États de l’Union et dépend directement du Congrès. Son statut spécial vaut à ses habitants de ne pas disposer de députés ni de sénateurs. La ville est le siège de nombreuses institutions américaines et internationales, telles que la Maison-Blanche (résidence officielle du président), le Capitole, siège du Congrès ainsi que le siège de la Banque mondiale (BM) du Fonds monétaire international (FMI) de la Cour Suprême et d'autres organismes fédéraux, comme la Réserve fédérale des Etats-Unis (Fed.) Elle accueille en outre 176 ambassades et représentations diplomatiques.
Lecture supplémentaire :
Assaut du Capitole « insurrection, putsch, exorcisme ?
REVUE DES DEUX MONDES Jan 8, 2021
Le glossaire du blog - anglais - français :
agitation |
agitation, troubles |
arson, incendiarism, torching, setting fire |
incendie volontaire, action de bouter le feu par malveillance |
anarchy |
anarchie |
assault |
agression, attentat |
attack, onslaught |
attaque |
battery |
coups et blessures, voies de fait |
beating |
raclée |
bedlam |
chahut |
brawl, fight, scuffle |
rixe |
burglarizing, burglary |
cambriolage |
clashes, confrontations |
affrontements |
clubbing |
frappe à coups de massue |
commotion, din, uproar |
fracas, tapage |
crimes |
crimes |
defacement |
mutilation, défiguration |
destruction |
destruction |
disturbance, turmoil |
chambardement |
fighting |
combat, bagarres |
fire-bombs |
bombes incendiaires |
fires |
incendies |
hooligan, yob, thug |
vandale, voyou |
free-for-all |
pagaille, rixe, |
injuries |
blessures |
lawlessness, disorder |
anarchie, chienlit |
loot |
butin |
looting, pillaging, |
pillage, saccage, mise à sac |
marauding |
en maraude |
mayhem |
désordre, grabuge |
mugging |
agression |
uproar, tumult |
tumulte |
pandemonium |
tohubohu, charivari |
plunder |
pillage |
pyromania |
pyromanie |
ravaging, sacking |
saccage |
ruination, wrecking |
ruine |
riots, rioting |
émeutes, bagarres |
robbery |
brigandage, braquage |
rowdiness, rumpus, racket |
chahut |
ruckus |
grabuge |
shambles |
pagaille |
shooting |
fusillade, coups de feu |
smash and grab |
cambriolage |
smashing |
bris |
trash |
déchets, ordures |
unrest |
agitation, troubles, |
vandalism |
vandalisme |
violence |
violence |
Rédigé à 15:02 dans Thèmes historiques , René MEERTENS | Lien permanent | Commentaires (0)
à nos intervieweurs et interviewé(e)s de 2020 ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui, au fil de l’année, ont apporté leur contribution à notre blog sous forme d’articles et de commentaires.
Pour accéder à l'un des entretiens énumérés ci-dessous, cliquez sur le nom de la personne interrogée.
L'interviewé/e | L'intervieweur/euse | |
1/20 | Christina Khoury |
Jonathan G. |
2/20 |
|
Jean Findlay |
3/20 | La famille Hulse |
Jonathan G. |
4/20 |
Jonathan G. |
|
5/20 |
||
6/20 |
||
7/20 | Isabelle Pouliot |
|
8/20 | ||
9/20 | Éditions Assimil |
|
10/20 | ||
11/20 |
|
Ella BARTLETT |
12/20 | Raia DEL VECCHIO |
D'autres contributeurs et contributrices au fil de 2020:
Tous nos remerciements également à Jean-Paul DESHAYES et à Elsa WACK pour leur soutien rédactionnel très précieux.
Rédigé à 10:56 | Lien permanent | Commentaires (1)
Christmas in the Trenches
[7 minutes]
Christmas in the Trenches by John McCutcheon
My name is Francis Tolliver. I come from Liverpool.
Two years ago the war was waiting for me after school.
To Belgium and to Flanders, to Germany to here,
I fought for King and country I love dear.
It was Christmas in the trenches where the frost so bitter hung.
The frozen field of France were still, no Christmas song was sung.
Our families back in England were toasting us that day,
their brave and glorious lads, so far away.
I was lyin' with my mess-mates on the cold and rocky ground
when across the lines of battle came a most peculiar sound.
Says I "Now listen up me boys", each soldier strained to hear
as one young German voice sang out so clear.
"He's singin' bloody well you know", my partner says to me.
Soon one by one each German voice joined in, in harmony.
The cannons rested silent. The gas cloud rolled no more
as Christmas brought us respite from the war.
As soon as they were finished, and their reverent pause was spent.
'God rest ye merry, gentlemen', struck up some lads from Kent.
The next they sang was 'Stille Nacht". "Tis 'Silent Night'" says I
and in two toungues one song filled up that sky.
"There's someone commin' towards us now" the front-line sentry cried.
All sights were fixed on one lone figure trudging from their side.
His truce flag, like a Christmas star, shone on that plain so bright
as he bravely trudged, unarmed, into the night.
Then one by one on either side walked into no-mans-land
with neither gun nor bayonet, we met there hand to hand.
We shared some secret brandy and we wished each other well
and in a flare-lit football game we gave 'em hell.
We traded chocolates and cigarettes, photgraphs from home
these sons and fathers far away from families of their own.
Young Sanders played his squeeze box and they had a violin,
this curious and unlikely band of men.
Soon daylight stole upon us, and France was France once more.
With sad farewells we each began to settle back to war.
But the question haunted every heart who'd lived that wonderous night
"Whose family have I fixed within my sights?"
It was Christmas in the trenches and the frost so bitter hung.
The frozen fields of France were warmed as songs of peace were sung.
For the walls they'd kept between us to exact the work of war
had been crumbled and were gone for ever more.
My name is Francis Tolliver. In Liverpool I dwell.
Each Christmas come since World War One I've learned its lessons well.
For the ones who call the shots won't be among the dead and lame
and on each end of the rifle we're the same.
© 1984 John McCutcheon - All rights reserved
3:40 :
Peace is Possible [3:37 minutes]
Lecture supplémentaire :
PEACE ON EARTH:
The Christmas Truce of 1914
David Boyle
Kindle Single
Endeavour Press (November 30, 2014)
Rédigé à 10:36 | Lien permanent | Commentaires (0)
L'analyse qui suit a été rédigée par notre contributeur fidèle, Rene Meertens, linguiste du mois de janvier 2019 et auteur du Guide anglais-français de la traduction, dont une nouvelle édition (2021) vient de paraître.
Depuis quelque temps, l’expression « level playing field » est à la « une » de l’actualité dans la perspective d’un éventuel accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne au sujet du « Brexit », la sortie de la nation britannique du giron européen.
Les négociations achoppent sur trois questions principales : la pêche, le mécanisme de règlement des différends et le « level playing field ».
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Qu’entend-on par là ? C’est simple : l’UE ne souhaite pas une distorsion de concurrence qui pourrait surgir si le Royaume-Uni accordait des aides d’Etat à ses entreprises ou assouplissait la réglementation en matière de pesticides, d’environnement, de droits des travailleurs, etc.
Le « level playing field » est une situation dans laquelle aucune des parties n’est injustement désavantagée. Au sens propre, il s’agit d’un terrain de sport plat, qui ne pénalise aucune équipe. Au sens figuré, c’est une situation qui ne désavantage aucune partie dans l’exercice d’une activité donnée, en particulier dans le domaine économique.
Plusieurs traductions ont été proposées. Certaines d’entre elles peuvent convenir en fonction du contexte, mais la plus précise me paraît être « conditions de concurrence équitables ». On peut certes la raccourcir et parler de « concurrence équitable » ou même de concurrence tout court.
Citons Le Figaro du 6 décembre dernier : « Samedi, après leur visioconférence, Ursula von der Leyen et Boris Johnson ont admis dans un communiqué commun qu’il subsistait toujours des « différences importantes » dans les trois domaines clés que sont la concurrence, le mécanisme de règlement des différends et la pêche. » (Si le Royaume-Uni veut recouvrer sa pleine souveraineté, c’est notamment pour reprendre la maîtrise de ses eaux poissonneuses. Pour l’Union européenne, ce motif est spécieux, car en l’absence d’accord il ne pourra vendre sa pêche aux Européens qu’en supportant des droits de douane très élevés. Mais pour nos amis Britanniques, cet argument est lui-même spécieux, … ou fishy pour utiliser un mot anglais plus familier.)
Termium propose « règles du jeu équitables ». Dans certains cas, cette traduction est acceptable. De même, l’expression « garanties en matière de concurrence » peut être retenue, mais le « level playing field » n’est pas un ensemble de règles ou de garanties. Des règles ou des garanties peuvent assurer des conditions de concurrence équitables, mais elles ne sont pas synonymes de ces dernières.
Si déjà on s’écarte du sens précis, autant privilégier la concision.
Une fois qu’il aura été établi que le terrain de jeu est plat, il suffira de veiller à ce que nul ne change les règles du jeu pendant la partie (to move the goalposts during the game). Littéralement, « déplacer les montants du but pendant la partie ».
Lecture suppleméntaire :
Rédigé à 17:45 dans René MEERTENS | Lien permanent | Commentaires (0)
Le mot français fenêtre se traduit en anglais par « window » (bien que « window » puisse, suivant le cas, se traduire par vitrine, hublot, guichet ou créneau). De toute évidence, il n'y a aucun lien étymologique entre fenêtre et « window ». Toutefois, en anglais, il existe plusieurs termes connexes qui, comme fenêtre, dérivent du latin fenestra.
Fenestra - Ce mot sert à désigner différentes sortes d'ouvertures en anatomie, en zoologie et en architecture: un orifice dans la paroi médiane de l'oreille moyenne afin de restaurer l'audition, ou le trou pratiqué dans un os; une tache ou une marque transparente sur l'aile d'un phalène ou d'un papillon; et une baie vitrée dans un bâtiment.
Fenestration a des sens différents, selon qu'il s'agit de médecine, d'architecture ou de mobilier: c'est un acte médico-chirurgical consistant à pratiquer une ouverture dans différentes cavités du corps (ex.: fenestration des valvules cardiaques); la conception et l'aménagement des ouvertures d'un bâtiment; et un jour (réel ou simulé) percé dans un meuble à des fins décoratives.
Toutefois, plus intéressant que ces termes techniques, voici le mot defenestration, désignant l'action de jeter quelqu'un ou quelque chose par la fenêtre. Selon Wikipedia, le terme tirerait son origine de deux événements historiques qui se sont déroulés à Prague. En 1419, sept conseillers municipaux furent précipités par les fenêtres de l'Hôtel de Ville, déclenchant ainsi les guerres hussites (ou guerres de Bohême). En 1618, deux lieutenants des Habsbourg et leur secrétaire furent précipités par l'une des fenêtres du château de Prague, amorçant ainsi la guerre de Trente Ans. Ces événements, notamment celui de 1618, furent connus sous le nom de défenestrations de Prague et donnèrent naissance au terme et au concept.
La mort suspecte de Jan Masaryk, Ministre des affaires étrangères de Tchécoslovaquie, a été appelée la « Troisième défenestration de Prague » par ceux qui croient qu'il a été précipité par une fenêtre du Ministère des affaires étrangères, son corps ayant été retrouvé dans la cour du Palais Cernin, à Prague, le 10 mars 1948.
Il semble que l'usage de la défenestration remonte aux temps bibliques, lorsque la reine Jézabel fut précipitée par une fenêtre, au IXe siècle av. J.-C.
The Death of Jezebel by Gustav Doré* |
En octobre 2010, onze personnes se blessèrent en se jetant par une fenêtre du deuxième étage d'un immeuble de la banlieue parisienne, croyant échapper à un homme nu qu'elles prenaient pour le diable! À cette occasion, on parla d'auto-défenestration.
Sources:
The Oxford Dictionary of Phrase and Fable, Oxford University Press, 2006
The American Heritage® Dictionary of the English Language, Fourth Edition
Online Etymology Dictionary
* Aujourd'hui, en anglais, le mot “Jezebel” désigne une femme méchante et intrigante.
Lecture supplémentaire :
Vernissage - note linguistique
Jonathan Goldberg
Traduction de l'anglais : Jean Leclercq
Rédigé à 13:56 | Lien permanent | Commentaires (0)
e n t r et i e n e x c l u si f
l'interviewée |
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Diane Murez, écrivaine trilingue, est née à Baltimore. Son roman mosaïque Suite Américaine, dont « La Maison » a été choisie pour Da Costa a Costa, une anthologie italienne de littérature contemporaine, paraîtra dans une édition bilingue avec des dessins originaux de Françoise Pétrovitch. À présent elle travaille sur une trilogie parisienne dont le premier tome s'intitule Rites of Paris, et le second, A Dancer’s Diary. Elle habite près de Paris avec son mari photographe, où elle a fondé Mon Montrouge, une association de politique locale, et Amitié et Culture, un groupe qui organise des sorties culturelles. |
Raia Del Vecchio, est née à Jérusalem et a grandi en Suisse. Elle a traduit en français des auteurs israéliens tels que Eshkol Nevo, Etgar Keret, Sayed Kashua ou Gilad Seliktar et les films de Yaelle Kayam (Mountain, 2015), d’Avishai Sivan (Tikkoun, 2015) ainsi que de nombreux scénarios. Elle a aussi traduit de l’allemand le livre pour la jeunesse d’Arnold Schönberg La Princesse et des articles pour la presse de l’italien.
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Une fois vos études universitaires terminées, vous avez décidé de vous installer à Paris alors qu’à priori, vous n’aviez aucune attache particulière avec la France. Pouvez-vous expliquer ce choix ?
En fait, c’était un hasard. J’étais malheureuse en amour et voulais partir « très loin. » À ce moment-là, on m’a proposé un poste de professeure à l’École américaine de Paris. Et comme le hasard fait bien les choses, c’est là-bas que j’ai rencontré un groupe de jeunes intellectuels qui m’ont invitée à écrire pour leur nouveau journal, « Le Paris Métro », le premier « city magazine » de Paris. Cette équipe dynamique fourmillait d’idées, et j’ai eu la chance de participer à leur projet de montrer une vision anglo-saxonne de notre ville adoptive.
Quand avez-vous commencé à écrire et dans quel contexte ?
Bien avant d’écrire, j’adorais « raconter des histoires. » Je crois que j’ai hérité cela de ma grand-mère paternelle, qui me racontait plein d'histoires qui n’étaient pas destinées aux oreilles des enfants : un voisin menacé par la Mafia, une émigrée analphabète qui avait donc confondu un laxatif avec une tablette de chocolat. À mon tour, je racontais des histoires à tous les gamins du voisinage. En C.P., la maîtresse a marqué dans mon carnet de notes que j’allais certainement devenir écrivain. Effectivement, j’écrivais des poèmes, des sketchs, des récits, mais j’ai pris longtemps avant d'assumer mon désir d’écrire de la littérature. D’abord, je suis passée par l’enseignement et le journalisme, puis j’ai écrit des livres pour enfants.
Pour votre recueil de nouvelles Suite Américaine, écrit principalement à Paris, pouvez-vous décrire l’expérience de créer un texte littéraire dans une langue (en l’occurrence l’anglais) à une époque où vous viviez dans un environnement qui en parle une autre (francophone) ? Est-ce une sorte de schizophrénie, familière à de nombreux exilés, ou bien une façon de se reconstituer un « chez soi » ou un « home away from home »?
Probablement les deux, mais je n’ai jamais envisagé mon écriture de cette façon. Pendant ma jeunesse, je me sentais davantage « chez moi » dans le monde des livres que parmi mes contemporains, et quand j’ai commencé à écrire, j'ai reconstruit ce refuge dans mon propre imaginaire. Lorsque mes personnages ont commencé à m’entraïner dans leurs aventures, cela m’a procuré un immense plaisir. Pour moi, la schizophrénie était moins une question d’écartèlement entre deux pays, ou deux langues, qu’une coupure entre l’intérieur et l’extérieur. Parfois, je me culpabilisais d’être si contente dans mon monde à moi, mais heureusement, ce n’est pas une excentricité qui nuit à autrui… Il se trouve que les personnages dans Suite Américaine vivent aux Etats-Unis et parlent anglais, mais ce n’est pas toujours le cas dans mes textes.
Pour ce projet, vous avez opté pour une édition bilingue en ayant recours à des traducteurs francophones. Avez-vous d’abord pensé à traduire le texte vous-même ? Je pense aux cas d’écrivains tels que Nabokov, Beckett…. capables d’écrire en plusieurs langues et pour qui cette expérience s’est avérée un nouveau processus créatif.
C’est une question multiple, qui soulève une problématique intéressante. Avant de répondre, il faut dire que je garde un souvenir inoubliable de l’après-midi où j’ai pris le thé avec Samuel Beckett [2] à la Closerie des Lilas.
Buvant son Irish Coffee, il parlait avec une éloquence et un talent de raconteur époustouflants, passant sans pause de sa dernière découverte lexicale à ses dîners avec James Joyce. Jamais je n’avais entendu quelqu’un manier l’anglais oral de façon si belle, sans aucune hésitation ni répétition de vocabulaire. Beckett était un génie des langues, qui passait des heures à faire des recherches dans le dictionnaire. Cela transparaît dans son écriture, pour laquelle j’ai une admiration sans bornes.
Je pense que Beckett, Nabokov, Conrad [3] , et quelques autres génies ont un talent rare pour écrire dans deux langues (ou plus). Honnêtement, ce n’est pas mon cas. Je n’ai jamais pensé que ma maîtrise du français écrit était suffisamment forte pour pouvoir traduire vers cette langue. Par contre, dans mon travail avec mes traducteurs (Pascale-Marie Deschamps, Jean-Paul Deshayes, et Catherine Wallisky) j’ai été amenée à m’exprimer beaucoup sur les choix de traduction puisque je comprends réellement la langue. Ce n’était pas le cas, par exemple, pour une traduction italienne de ma nouvelle La Maison. J’étais très étonnée quand une lectrice italienne a remarqué que l’histoire devait se passer à Florence, parce que le personnage principal utilisait le mot florentin « babbo » pour « Papa ».
Pascale-Marie Deschamps |
Jean-Paul Deshayes |
Et quelle a été votre part dans la révision de la traduction française ? Était-ce compliqué avec les traducteurs de trouver chacun sa place ? On dit parfois ironiquement que si un auteur est content d’une traduction, c’est mauvais signe. Au passage, ce n’est pas le cas ici où la traduction est remarquable.
Chacun des talentueux traducteurs ne pouvait faire qu’une partie du texte — pour des raisons personnelles. La traduction finale est donc le fruit de leurs approches diverses. Il a fallu reprendre tout le texte pour « lisser » leurs styles, et surtout pour faire correspondre les niveaux de langue : vouvoiement ou tutoiement, etc. Ce travail collaboratif sur les traductions a été extrêmement enrichissant pour moi, et j'ai appris à goûter le fait que le texte français, bien que très ressemblant à l’anglais, possède son propre caractère.
Par ailleurs, j'ai eu la chance de travailler avec une excellente correctrice, Cybèle Castoriadis, qui savait bien peser la signification de la ponctuation d’une langue à l’autre et trouver des solutions pour qu’elle soit non seulement correcte mais aussi expressive.
Enfin, mon travail avec les traducteurs a parfois demandé de la réécriture, surtout quand l’équivalent de l’anglais n’existait pas en français — par exemple, pour des jeux de mots. Heureusement tous mes traducteurs se passionnent pour leur travail, et se sont montrés inventifs pour chercher le mot ou la phrase au plus près de ce que je voulais exprimer.
Quels sont les auteurs européens ou américains qui vous ont le plus influencée ? Aujourd’hui lisez-vous en français et en anglais ? Et pensez-vous qu’une part des sonorités françaises ou quelque chose de français transparaît dans votre écriture ?
Quand j’étais petite, je lisais surtout des livres dans la bibliothèque de mon école. J’adorais les biographies et avais épuisé tout leur stock. J’ai commencé à lire la littérature pour jeunes de mon époque, souvent des histoires de jeunes filles détectives. Un jour, mon père a déclaré que ce gavage de livres sans intérêt était une perte de temps. Il a acheté la collection des « Great Books » (les grands classiques de la littérature) [4] et m’a fait promettre que pour tous les trois livres de divertissement, je lirais aussi un classique. C’est grâce à ce deal, que lui a presque tout de suite oublié, mais que j’ai suivi pendant des années, que j’ai découvert Henry James. [5]
Henry James m’a initiée à la littérature. Ses livres n’étaient pas de mon âge, ni de mon milieu, mais ils m’ont révélé un monde jusqu’alors insoupçonné. Il parlait de choses dont personne dans mon entourage ne mentionnait l'existence. Et peut-être que la vie romanesque de ses expatriés américains m’a donné envie de découvrir l’Europe.
Plus tard, j'ai été influencée par Thomas Mann et Virginia Woolf, et j’ai écrit sur leur utilisation de la mythologie grecque dans la construction de leurs personnages. Je pense que Woolf a élargi le champ de l’anglais comme Proust l’a fait pour le français, et que tous deux ont repoussé les limites du roman dans leur exploration du temps.
En allemand, j'aime Ingeborg Bachmann et Walter von der Vogelweide, si éloignés dans le temps, mais si modernes tous les deux.
Parfois, je préfère lire dans une autre langue étrangère quand je travaille sur un texte en anglais, pour ne pas ressentir d'interférence de style. Mais je reviens toujours vers Shakespeare si je ressens un assèchement de mon écriture. Je me replonge dans la langue du poète et en ressors pleine d'une énergie nouvelle.
Quant à l’influence des autres langues, je pense que c'est un sujet mystérieux. Il y a des fois où certains mots ne me viennent à l’esprit que dans telle langue. Si un mot français ou allemand vient avec insistance, j’essaie de creuser sa signification pour moi afin de trouver comment exprimer l'équivalent en anglais.
Plus que les sonorités, les rythmes des autres langues ont une influence sur mon écriture. On cite souvent Kafka comme écrivain qui utilise des phrases « simples. » Mais je trouve qu’au contraire, sa façon étonnante de manier des phrases courtes avec un rythme haletant, crée une angoisse sous-jacente. Ce remarquable sens du rythme est quelque chose que j’essaie de soigner dans ma propre écriture. Souvent, je me lis certains passages à haute voix pour écouter leur rythme.
Pouvez-vous raconter comment a eu lieu la collaboration avec Françoise Pétrovitch, dont les illustrations du recueil de Suite
Américaine sont magnifiques. Sauf erreur, elle n’a pas eu accès au texte original, ne maîtrisant pas vraiment l’anglais. A-t-elle découvert, grâce à la traduction, une autre facette de votre personnalité et vous de la sienne ?
Françoise Pétrovitch a tout de suite accueilli avec enthousiasme l’idée de collaborer à ce projet. Avec la graphiste Elsa Cassagne, nous avons beaucoup parlé de la meilleure forme à donner à cette collaboration. Françoise a insisté sur le fait que des simples illustrations ne l’intéressaient pas ; elle voulait dessiner ce que les textes lui inspiraient. Effectivement, elle a lu les textes en français et a choisi de dessiner un seul objet par histoire— comme invitation à la lecture et comme évocation de son contenu. D’abord, nous avons pensé aux dessins en noir et blanc, mais à la fin nous avons préféré la couleur pour évoquer le changement de saisons. Ce qui m’a épatée, c’est que les images que lui ont inspiré mes textes sont telles que j’aurais pu les rêver. C’est passionnant de travailler avec une artiste d’une telle sensibilité et je suis ravie de cette rencontre de nos deux mondes imaginaires.
 présent, une question sur votre texte. La première nouvelle, « Après le bip, » met en scène une femme bourgeoise « SDF », sans difficulté financière comme on dit ironiquement. La vie semble s’acharner contre cette pauvre veuve, Janet, qui accumule à elle seule beaucoup de clichés bourgeois… de la façon la plus cruelle. À l’heure du féminisme, est-ce une façon de dénoncer ce rôle inconsistant des femmes qui n’ont pas eu besoin de travailler et se sont laissé vivre, par générosité, dans le don de soi ou par paresse ? Et d’où vient cette fascination pour la cruauté ?
Cette appréciation de « cruauté » dans mon écriture m’étonne, mais je l’ai entendue plusieurs fois de la part des lectrices et lecteurs français — mais pas des anglophones. Il y a même une lectrice qui a fait une comparaison avec Les Contes Cruels de Villiers de l’Isle Adam. Est-ce à cause des sujets dits difficiles dont je parle ? Ou bien est-ce que j’ai été influencée par les Contes de Grimm que la mère de la famille allemande dans laquelle j’ai vécu m’a donnés à lire pour apprendre la langue ? Je n’en sais rien.
Quant au féminisme, c’est une question qui me touche profondément. Pour moi, le féminisme oblige à donner une voix aux femmes — à toutes les femmes — dans toute leur diversité, et non seulement dans de beaux rôles ou comme objets du regard masculin. J’ai été frappée par une lettre de Charlotte Brontë, qui parlait de son désir de créer une héroïne qui ne soit pas belle, avant d’écrire Jane Eyre. Alors, je pense qu'il est également intéressant d’écrire sur une veuve désœuvrée, dont la vie pose de réelles questions de société.
Vous avez étudié la littérature comparée à Princeton et vivez à Paris depuis longtemps. En quoi la culture américaine vous est-elle étrangère aujourd’hui et en quoi la culture française reste-t-elle étrangère à vos yeux/ou est-elle devenue familière ? Avez-vous aussi l’impression par ce statut particulier, d’être une passeuse et de pouvoir expliquer une culture à l’autre, au-delà des clichés ?
Un jour une amie française m’a dit, « Tu n’es plus américaine, tu es… parisienne ! » Elle parlait de ce brassage cosmopolite de populations qu’on trouve à Paris, où le mélange des cultures est habituel et où il est courant de parler plus d’une langue. Par contre, il est compliqué de comprendre à fond la société et la culture françaises, et je crois qu’on ne perd jamais certaines attitudes de sa culture d’origine, inculquées depuis l’enfance. Bien que mes habitudes culinaires soient françaises depuis des années, j’ai toujours tendance á être trop exactement à l’heure pour mes amis français. J’ai la double nationalité et j’aime ce statut particulier qui me permet de profiter des deux cultures et d’en extraire ce que je préfère de chacune. Je crois pouvoir jouer un rôle de « passeuse », comme vous dites, et mon actuel projet littéraire est une trilogie « parisienne » où il s’agit de différences culturelles.
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[1] « avec la plus haute louange » = mention très bien
[2] Paru sur ce blog :
« Le 110e anniversaire de l'auteur de En attendant Godot »
12/04/2016
[3] Paru sur ce blog :
« Joseph Conrad : Geneve-les-Bains ou Spy City ? »
6/8/2013
[4] Great Books of the Western World (54 volumes)
[5] (1843-1916) écrivain américain, naturalisé britannique, figure majeure du réalisme littéraire du XIX e siècle.
Rédigé à 07:56 dans Interviews 2020 | Lien permanent | Commentaires (4)
L'Américain John Magee (mort le 11 décembre 1941 à l'âge de 19 ans) et le Français Antoine de Saint-Exupéry (à l'âge de 44 ans) étaient tous deux pilotes. L'un et l'autre se tuèrent en avion et ont laissé leur marque dans la littérature, John Magee grâce à son poème High Flight et Saint-Exupéry en écrivant Le Petit Prince.
John Magee pilotait un Spitfire pour la Force aérienne du Canada lorsqu'il fut tué en vol au-dessus de l'Angleterre à l'âge de 19 ans, trois mois après avoir écrit High Flight.
Saint-Exupéry a écrit des livres dans lesquels il relate des aventures liées à l'aviation, mais il est surtout l'auteur du Petit Prince, traduit dans plus de 190 langues. Il s'engagea dans l'armée de l’air française et rejoignit plus tard les Forces françaises libres. Son avion disparut alors qu'il survolait la Méditerranée en juillet 1944, un an après la rédaction du Petit Prince.
Saint-Exupéry est un auteur mythique dans la littérature pour les enfants, tandis que Magee n'écrivit aucune autre œuvre littéraire. Cependant, High Flight jouit d'une popularité immense dans le monde de l'aviation. En 1971, James Irwin, pilote du module lunaire d'Apollo 15 transporta le poème High Flight jusqu'à la Lune. Le Président Ronald Reagan lut des vers de ce poème après la mort des sept astronautes qui se trouvaient à bord de la navette spatiale Challenger lorsque celle-ci explosa en vol en 1986. Quand Alan Shepard, le premier astronaute américain, mourut en 1998, High Flight fut cité dans de nombreux hommages qui lui furent rendus.
Dans cette vidéo, le poème High Flight est chanté par John Denver, qui lui-même se tua lorsque l'avion qu'il pilotait s'écrasa.
Oh! I have slipped the surly bonds of Earth Up, up the long, delirious burning blue |
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* http://www.efg-squadron.com/forums/viewtopic.php?pid=14112
"Nous pouvons dormir tranquilles parce que, la nuit, des hommes bourrus sont prêts à s'en prendre à ceux qui nous veulent du mal." George Orwell
Pour découvrir d'autres écrits sur la guerre, voir http://iwvpa.net
Le Pilote poète Le Petit Prince
Disponibles chez Amazon.fr et Amazon.com
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LE PETIT PRINCE Rédigé par Jonathan Goldberg et traduit de l’anglais par René Meertens,dont le blog est http://vieduguide.blogspot.com. |
Lecture supplémentaire :
Le 75e anniversaire d’Antoine de Saint-Exupéry
Rédigé à 13:28 | Lien permanent | Commentaires (0)
Edmond Huot de Goncourt, (1822-96) est un écrivain français, fondateur de l'Académie Goncourt qui décerne chaque année le prix du meme nom. Il a collaboré avec son frère, Jules. Les ouvrages des frères Goncourt appartiennent au courant du naturalisme.
L’auteur et dramatiste irlandais, Oscar Wilde a écrit une lettre à Edmond de Goncourt en français en
décembre 1891 :
« On peut adorer une langue sans bien la parler, comme on peut aimer une femme sans la connaître. Français de sympathie, je suis Irlandais de race, et les Anglais m’ont condamné à parler le langage de Shakespeare. »
Valery Giscard d’Estaing, ex-président de France, vient de disparaître à l’âge de 94 ans, rédigea un livre La Princesse et le Président. D’après certains, ce roman d’amour traita d’une affaire, réelle ou imaginaire, entre d’Estaing et Diana Spencer, princesse de galles.
A 29 ans, Voltaire, malade de la « petite vérole », échappe de peu à la mort. Il ressort de cette épreuve convaincu de l’intérêt de l’inoculation, ancêtre des vaccins et combat des Lumières.
Le Monde, 30 juillet 2020
L'auteur le plus traduit est Agatha Christie (Royaume-Uni), avec 7236 traductions tirées de ses œuvres écrites cataloguées par l'Index Translationum de l'UNESCO, ce qui a été vérifié le 7 mars 2017. Voir « Les auteurs les plus traduits dans le monde ». https://bit.ly/2VtgR1J
Christie est la créatrice des détectives de fiction populaires Miss Marple et Hercule Poirot, et ses œuvres incluent Le Meurtre de Roger Ackroyd et Le Meurtre sur l'Orient Express.
Rédigé à 11:25 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Ros Schwartz,
traductrice du mois de Septembre 2012