En 1727, un entreprenant avocat anglais et auteur de spectacles pour enfants ayant pour ambition de devenir une figure incontournable dans le théâtre a mis en scène son coup le plus audacieux : une pièce originale de Shakespeare qui avait été perdue.
Le London Journal a accueilli la production de Lewis Theobald avec enthousiasme: « Le bon vieux Maître du Théâtre anglais est par un certain miracle rappelé de sa tombe et nous a été rendu une fois de plus ».
Cependant, pendant les trois siècles suivant ses débuts, Double Falsehood; or, the Distrest Lovers a la plupart du temps été tourné en ridicule, qualifié de « canular », ou simplement ignoré.
Cela vient de changer avec la publication par The Arden Shakespeare, une des maisons d’édition de pièces de Shakespeare les plus respectées, de Double Falsehood, cautionnant ainsi son authenticité et le rendant disponible en version annotée pour la première fois en 250 ans.
Cet été, Double Falsehood deviendra plus ancré encore dans le canon avec l’organisation par la Royal Shakespeare Company d’une production basée sur la pièce, dans le cadre de la première saison depuis la rénovation de son QG à Stratford-upon-Avon.
Theobald prétendait détenir pas moins de trois différents manuscrits d’une pièce appelée (L’Histoire de) Cardenio, basée sur une partie de Don Quichotte de Cervantès maintenant égarée. Don Quichotte fût publié en 1605, ses traductions en 1612 et l’année suivante, on jouait la pièce Cardenio.
D’après Brean Hammond, qui a passé ces dix dernières années à chercher l’origine de la pièce, Theobald aurait travaillé avec un authentique script de Shakespeare écrit, comme Henri VIII, en collaboration avec son protégé John Fletcher. La pièce fût « bricolée » de manière à satisfaire l’idée que Theobald se faisait du public du XVIIIème siècle mais « on reconnaît la main de Shakespeare dans les Actes I, II et un peu dans l’acte III ».
Certains passages de la première moitié de la pièce (avant que Fletcher ne prenne la relève) « ont la densité, la sophistication métrique et la richesse métaphorique » caractéristique de Shakespeare. On y trouve également des mots « que vous ne trouverez nulle part ailleurs (touche encore une fois caractéristique de Shakespeare) ».
L’intrigue comporte des éléments typiques du théâtre élisabéthain et de celui du XVIIIème : deux charmantes protagonistes, l’une venant d’un milieu défavorisé, l’autre d’un rang élevé, et deux hommes qui s’opposent au centre de la pièce, l’un d’origine modeste, plein d’honneur et de probité et l’autre incarné par le méchant aristocrate.
Il est possible que Double Falsehood eût été plus connu si Theobald n’avait pas contrarié Alexander Pope. Pope critiqua vivement Double Falsehood et immortalisa son metteur en scène en tant que Roi des cancres dans les premières versions de sa satire La Dunciade. La réputation de Théobald ne s’en est jamais remise.
Source :‘The Times’, Angleterre (16 mars 2010)
Lectures supplémentaires :
Une pièce "perdue" de Shakespeare sort en librairie - Figaro, 16.03.2010
Rare original copy of Shakespeare’s First Folio sells for £2m
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