Comment reconnaît-on un
anglicisme qui n'en est plus un? Quand il est accepté par l'Académie
française.
Si les médias anglophones remarquent de temps en temps l’existence de l’Académie française, c’est toujours pour noter son acharnement à protéger sa langue fragile de la contamination anglaise. Mais en réalité, l’Académie est bien plus philosophe – pour ne pas dire cool – à cet égard, et pour cause. À y regarder de plus près, il semblerait que le français n’a rien à craindre de son cousin insinuant et protéiforme.
En
effet bon nombre d’anglicismes relevant du vocabulaire technique – du
sport par
exemple (« le rugby », « le tennis »...) – arrivent au
français avec des papiers apparemment en
règle.
Tout comme les gallicismes diplomatiques entrés au 19e siècle dans la
langue anglaise, ils
auraient pour fonction de designer des
éléments bien spécifiques issus d’un autre
contexte linguistique. Mais le contre-exemple de l’informatique, champ
dominé
par l’américain s’il en est, montre que la justification par le jargon
est loin
d’être solide, puisqu’ici le vocabulaire qui s’est installé dans le
quotidien
est bien français : « le logiciel », « télécharger », voire
« l’informatique » elle-même, qui n’a pas d’équivalent simple en
anglais. Origines américaines ou pas, le français a bien intégré le
numérique.
Il ne
faut donc pas considérer le français comme simple victime d’un anglais
envahisseur, puisqu’il semble bien savoir se défaire de l’intrus quand
il le
veut…Pourquoi n’a-t-il pas réagi de même dans le domaine sportif ?
Serait-ce pour narguer ces rugbymans et footballeurs d’outre-manche qui
peinent
bien plus que les bleus à décrocher une coupe ? Ou bien est-ce parce
que,
nonobstant l’engouement de bon nombre de Français, au
fond il reste quelque chose
d’étranger à leur culture dans le fait de s’assembler entre hommes sous
la
pluie pour courir à onze ou quinze après un ballon ?
Plus
éloquents à cet égard sont les anglicismes au premier abord sans motif
et qui,
de surcroît, ne s’emploient forcément pas de la sorte en anglais. Pour
nous
autres Européens du nord fuyant nos étés pourris, la France est le
haut-lieu du
« camping » ; mais la langue nous indique que, malgré les
apparences, l’idée de passer des vacances sans conforts dans un champ
surpeuplé
ne s’est jamais naturalisée dans un pays où l’agriculture a gardé plus
longtemps son importance. Et que penser des traitements dits de beauté,
tels
« le lifting » et, bien plus terrifiant, « le peeling »,
processus qui ne s’applique en anglais qu’aux légumes ? Faut-il y
discerner,
au-delà du clin d’œil aux moeurs exotiques de Hollywood, un rien de
désapprobation pour des techniques tricheuses et superficielles ? Tout
aussi
explicite et donc inutilisable de la sorte en anglais, « le tossing »
des publicités pour le téléphone rose semble dérivé du verbe britannique
« to toss (off) » (se masturber) et du nom associé
« tosser », qui équivaut plus ou moins au « connard »
français. Encore un à ranger sans doute sous la rubrique « railleries
transmanches »
(où l’on trouve aussi les formules jumelles d’une autre ère « capote
anglaise » / « French letter » et « filer à
l’anglaise » / « to take French leave »).
Que le
français n’hésite pas à détourner de l’anglais à ses propres fins,
surtout ces
mots en « ing » exotique – rajouté s’il le faut, comme au
« shampooing » – et qui, tel « le footing », sont parfois
définitivement coupés de leurs origines par l’adoption, ne doit pas trop
surprendre : la déformation est la règle de l’échange entre langues.
Plus
remarquable, surtout dans le contexte médiatique des prescriptions
francophones
de l’Académie, est le fait que parfois il en invente. Combien
d’anglophones ont
été mystifiés par le terme « ball-trap », aperçu en affiche au
tournant d’une route campagnarde? – Mais qu’est-ce qu’ils pourraient
bien
faire, ces Français, d’un piège à ballons (à moins qu’il ne s’agisse
d’un jeu
masculin plutôt douloureux) ? On doit imaginer une incompréhension
analogue chez ces mêmes Français face au « clay pigeon shooting »,
dont le nom rebutant désigne une pratique peu utile dans un pays qui
abonde en
gibier en chair et en os. – Inventons donc, pour une activité qui n’a
pas de
sens, un terme qui ne signifie rien – tiens, de l’anglais par exemple !
Que cette langue sans rigueur et sans grammaire nous serve enfin à
quelque
chose !
Preuve
s’il en fallait que le français a fait de l’anglais un cagibi dans
lequel il
fourre tous les cadeaux qu’on lui fait – et qu’il accepte – mais qui
finalement
ne s’assortissent pas aux couleurs bien particulières de son décor
intime.
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