How the Bard Conquered France
By John Pemble
(Hardcover - 2005)
de la plume de Dussert.
Notre critique invitée est une traductrice professionnelle, diplômée en littérature française, née en France, vivant en Angleterre depuis de longues années. Imprégnée des deux cultures, elle est adepte du grand écart linguistique.
Variations sur Shakespeare Goes to Paris par John Pemble ou l’esprit français à l’épreuve du génie anglais.
Dans un livre qui par le prisme de Shakespeare expose la complexité des relations entre ces deux peuples, John Pemble nous renseigne ainsi sur leurs cultures, leur civilisation, leurs préjugés. Il met en scène, fort à propos, la confrontation de deux démarches intellectuelles fondamentalement différentes
Les Français se targuent d’universalisme, ce qui s’est longtemps exprimé par une ouverture aux littératures étrangères qui aujourd’hui encore au Royaume Uni vous fait passer pour cultivé si vous avez lu des auteurs étrangers. Cet universalisme, cette conviction que la raison, le bon sens est « la chose du monde la mieux partagée » ils les doivent aux beaux esprits des Lumières. Et pourtant ! leur ouverture aux idées d’autrui, leur désir d’absorber les richesses offertes par l’art d’un autre peuple, cela n’est pas venu sans peine.
Voltaire, grand admirateur de l’Angleterre où il vécut en exil ayant jeune homme manqué de la souplesse d’échine nécessaire pour faire son chemin dans le monde en tira un livre où il vante ses nombreux mérites. Et c’est peut-être à la morgue aristocratique des Rohan que les Français doivent leur première rencontre avec un des titans de la littérature… Si je puis me permettre de prendre un siècle d’avance et d’avoir pour Shakespeare les yeux des romantiques (et les mots de Corneille). Car Voltaire, tout gagné qu’il fût à la civilisation Britannique, resta péremptoire sur l’absence de « la moindre étincelle de bon goût » dans « ses farces monstrueuses ». Ah ! le style, qui selon Buffon faisait l’homme, la forme, le beau, le noble… Combien tout cela compte pour les Français.
Et Pemble de rappeler qu’en France le théâtre de l’époque restait soumis à la règle des trois unités et s’exprimait en alexandrins classiques césurés à l’hémistiche comme l’illustre, tant dans le fond que dans la forme l’édit de Boileau :
Qu’en un lieu, en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Cette formule avait bien mérité du théâtre classique français ; elle avait fait la gloire de Corneille et de Racine. Et leurs successeurs - dont Voltaire – ne concevaient pas de s’en dispenser. Serait-ce que le tempérament français, naturellement prompt à s’enflammer, trouve dans ces impositions son équilibre et assure, comme chez Racine aux émotions les plus violentes toute leur véhémence en en forçant le jet par le conduit le plus étroit ?
La règle est l’oxygène du Français même s’il en fait fi. Défier la règle fait partie de la règle or ce fut tout le génie des Britanniques d’en retenir un minimum en sorte qu’elles soient impossibles à contourner. Ce dédain des règles chagrinait Voltaire : il n’y trouvait, chez ses contemporains anglais, que l’imitation servile d’un précurseur inimitable… tout en s’empressant d’agir de même vis à vis de ses maîtres classiques, et avec moins de succès : l’œuvre théâtrale de Voltaire est passée aux oubliettes de l’histoire.
Par contre son introduction de Shakespeare dans le monde des lettres françaises devait avoir des conséquences fracassantes. Après la révolution, le souffle romantique fait sauter les verrous et cette retenue, cette clarté qui, figeant le théâtre et la poésie, avaient prêté aux essais et aux idées tant d’élégance, assuré leur rayonnement, sont passées de mode. La délicatesse de langage qui interdisait la discussion du mouchoir de Desdémone sur une scène française fond devant la virulence d’un Hugo qui tonne : « j’appellerai le cochon par son nom ! » Et il règle son compte à la sévère métrique qui sclérosait le dialogue théâtral : « J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin »
C’est qu’Hugo, lui aussi exilé après quelque peccadille politique découvre à son tour Shakespeare et s’extasie devant la juxtaposition des genres, la liberté et le lyrisme de la langue… Un peu trop au goût de Pemble et il est assez amusant de retrouver sous sa plume les mêmes critiques appliquées à Hugo que Voltaire avait eues pour Shakespeare, soit la boursouflure, l’exaltation dithyrambique. Il est vrai qu’Hugo n’y allait pas de main morte : Shakespeare, rapporte Pemble, « devient océan, terre existence, ‘toute la nature’, point culminant, la fertilité, la force, ‘l'exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie de vie … végétation, germination, lumière, flamme’ ».
Cependant, comment retourner à « je ne te hais point » (« je t’aime » manquant de mesure) après les pavés gluants de sang de la place de la Révolution et l’épopée napoléonienne ?
"William Shakespeare" par Victor Hugo (1864), texte intégral
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