Cet article a été écrit spécialement pour ce blog. Dr. Trista Selous a reçu son doctorat de l'Université de Londres, est traductrice agréée par l'UNESCO et membre de l'association des traducteurs du Royaume-Uni. Dr. Selous habite à Londres, où elle a enseigné la langue, la littérature et le cinéma français dans divers établissements de l'éducation tertiaire. Traductrice depuis plus de vingt ans, Trista traduit des livres, des essais et des dialogues de film, fait du sous-titrage et assure l'interprétation pour des cinéastes et acteurs francophones en visite aux festivals londoniens. Auteur de The Other Woman (Yale UP, 1988) sur Marguerite Duras, elle a aussi publié divers articles sur le cinéma et la littérature français.
La rédaction des grands titres des médias anglophones étant un art, qu’il en résulte de bons et de moins bons – voire des nuls – ne doit guère surprendre. Les quelques vraies trouvailles des décennies récentes flottent sur un océan de phrases dépourvues de tout intérêt. Encore heureux qu’il y en ait dont la maladresse fait rire, ou rêver, parfois les deux. Les exemples suivants m’ont été transmis par Jonathan Goldberg, que je remercie pour les sourires et la réflexion qu’ils ont suscités. J’essaie de les analyser et, si possible, proposer des versions plus valables.
1) Le bizarre
Du site de The Daily Caller of Miami: "Boy chases away man who shot his dad with kitchen knife”
Gadget meurtrière à la James Bond? Bien sûr que non! On a affaire ici à un simple affrontement de propositions linguistiques. Car l’art du titre exige de communiquer toute l’information en une seule phrase de style télégramme. Or l’histoire du garçon comporte trois éléments, contenus dans la principale “Boy chases away man”; la relative “who shot his dad” et le complément de phrase “with kitchen knife”. Avec deux des trois, on fait une phrase valable, soit “Boy chases away man who shot his dad”, soit “Boy chases away man with kitchen knife”. Mais on ne peut pas enchaîner la relative et le complément de phrase sans en difformer le sens et/ou le tourner au ridicule. Le sujet s’identifiant à travers l’ordre des mots, le dernier nom valable précédant “who” devient inéluctablement sujet du verbe “shot”. À éviter le couteau-fusil on se retrouve face à l’homme à deux armes, voire au couteau tireur: “Boy chases away man with kitchen knife who shot his dad”.
Le français lui éviterait ce problème en séparant le verbe de la principale de son COD: “Garçon poursuit avec un couteau de cuisine l’homme qui a tiré sur son père”. La même chose en anglais: “Boy chases with kitchen knife man who shot his dad” est tout aussi valable du point de vu strictement grammatical, mais reste pour autant peu idiomatique, car l’anglais préfère ne pas trop séparer un verbe de son COD. Ici la seule solution semblerait donc de renoncer à l’idée de tout communiquer dans une seule phrase.
2) Le spectral
Titre du site BBC: "Police chase man killed by train".
À croire que le zombie soit de nos jours phénomène banal au R-U. En fait, bien sûr, la mort de l’homme est survenue après la poursuite, mais la phrase ne le dit pas. Ici “man killed by train” fonctionne en unité, “killed by train” qualifiant pour toujours l’homme que la police a poursuivi de façon ponctuelle. Mais le contresens ici se corrige facilement par le rajout d’un tiret qui déplace le qualificatif en transformant le sujet “Police” et le verbe “chase” en nom composé apposé: “Police-chase man killed by train”. Et voilà l’homme défini par la poursuite, plutôt que la mort, qui devient par l’événement ponctuel.
3) La condition quasi-dermatologique
Du Sydney Morning Herald: "Turks are notorious for breaking out into gunshots to celebrate weddings and sports victories."
Ici, bon, on comprend, mais avec une image assez bizarre en arrière-fond. C’est une question d’usage. Normalement, “to break out into” serait l’équivalent de “to burst into”, employé dans le contexte des gestes du corps: “to break out/burst into song/applause/cries of joy” etc..
Il y a aussi “to break out in(to)” utilisé des problèmes de la peau: “to break out in a rash/spots”.
Comme les “gunshots” ne sont pas des gestes corporels proprement dits (ce sont le fait des fusils, même déclenchés par des gestes humains), il y a comme un décalage entre la phrase et sa signification, qui ouvre la perspective d’un corps affligé tout d’un coup de trous-boutons…
4) L’ambigüité ambigüe
Vancouver Province, le 5 Août: "Archeologist shoots dead rampaging polar bear".
Pour souligner le flou de la frontière entre le correct et l’inconvenant, j’ai choisi de finir par un exemple ambigu, sujet de désaccord chez les anglophones – en tout cas chez moi.
En principe les éléments d’un verbe à particule anglais comme “to shoot dead” doivent se séparer pour encadrer leur COD. Et le nom est précédé de l’adjectif qui le qualifie. Toujours en principe alors, la phrase ci-dessus devrait s’écrire “Archaeologist shoots rampaging polar bear dead” pour éviter de signifier qu’un archéologue a tiré sur un ours polaire mort et déchainé, ce qui serait idiot. Bien sûr. Sauf que moi, je n’ai pas lu la phrase originale de cette façon-la, et ceci pour des raisons de rythme.
Pour moi, le monosyllabe “dead” marque une pause dans une phrase qui se divise naturellement en deux parties au rythme semblable, chaque partie commençant par un mot polysyllabique et finissant en un monosyllabe, créant ainsi une césure au milieu. Si j’étais correctrice, je ne changerais pas la phrase originale, qui me semble donc claire telle quelle.
Mon compagnon est de l’avis contraire.
Mais il note aussi que le problème disparaîtrait à enlever le “dead”. Moi je préfère le garder, pour les raisons de rythme ainsi que de précision – on leur doit au moins cela à cet ours, et son archéologue.
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