Un blog destiné à tous les locuteurs français qui s’intéressent à la langue anglaise
DE DIVONNE-LES-BAINS À LOS ANGELES : UN PONT ENTRE LE MONDE FRANCOPHONE ET LA CULTURE ANGLO-AMÉRICAINE
Laura Vallet est une jeune Française qui fait son master à Paris ; Jonathan Goldberg est résident permanent américain, habitant Los Angeles, à peu près trois fois plus âgé que Laura, avocat à la retraite, anglophone. Les co-bloggeurs s’interviewent ici l’un l’autre.
Laura : Nous célébrons le premier anniversaire de ce blog. Etes-vous satisfait de son progrès?
Jonathan : Lancer un blog, attirer des lecteurs et maintenir leur intérêt, c’est une tache digne de Sisyphe. Un nouveau blog doit nager dans la très vaste mer de l’internet, comme un pécheur perdu dans un océan tout en faisant appel aux sauveteurs pour survivre. Néanmoins, cette première année a été marquée par trois réussites. La première, c’est d’avoir été acceptés par le site www.tv5.org, qui appartient à la plus grande chaîne de télévision mondiale, TV5MONDE, et de se retrouver sur son blog. La deuxième est d’être arrivé a la 9ème place dans le concours « Top 100 Language Blogs 2010 (Section « Language Learning »). (Je me permets d’ajouter que, semble-t-il, nous avons atteint la première place parmi les sites français dans cette rubrique qui s’occupent effectivement de la linguistique.) En outre, le prestigieux magazine « France-Amérique », qui est la publication en langue française la plus répandue aux Etats-Unis, a publiéun article sur Le Mot Juste, qui se trouve ici .
Laura : A quoi attribuez-vous cette réussite ?
Jonathan : À part à mes efforts personnels, qui proviennent d’une passion pour l’usage des langues français-anglais, il y a trois facteurs qui peuvent expliquer les progrès faits jusqu'ici. Premièrement, ton soutien et ta dévotion en tant que co-bloggeuse, et la maîtrise de la langue française que tu apportes et qui vient compléter ma connaissance de l’anglais (ma langue maternelle), ainsi que ton habilité en informatique, une compétence essentielle pour gérer le blog. Et tu fais tout ça toujours très gracieusement et avec une grande volonté. Je pense donc que nos points forts à tous les deux marchent de manière complémentaire. Deuxièmement, je suis parvenu à faire participer au blog un groupe de contributeurs réguliers, de très haut niveau intellectuel et linguistique, comme Trista Selous, Dussert (pseudonyme) et Danielle Bertrand, ainsi que d’autres qui ont fait partagé au moins une fois leurs points de vue, comme par exemple les professeurs Jager et Dufresne de l’Université de Californie à Los Angeles, ainsi que Sarah Diligenti, la directrice pédagogique de l’Alliance française a Washington, D.C. Toutes ces personnes sont très occupées de par leurs professions et il faut parfois être astucieux (et persévérant) pour les persuader d’écrire des articles spécialement pour le blog. Enfin, j’ai un arrangement très avantageux avec le lexicographe et traducteur belge René Meertens (dont le blog « Traduction anglais-français » se trouve à http://vieduguide.blogspot.com). J'écris des articles en anglais pour René, qui les traduit en français ou confie leur traduction à Jean Leclercq. René publie ces articles dans les deux langues sur son blog et je publie ensuite la version française sur mon blog.
Laura : Que faut-il de plus pour maintenir le niveau du blog et l’ouvrir à un public plus vaste?
Je recherche des contributeurs supplémentaires. L’idéal serait de trouver des personnes prêtes à se joindre à notre équipe de rédaction de manière active et constante, ou bien à écrire des articles régulièrement - disons une fois par mois ou tous les deux mois. Un souhait plus modeste serait que plus de lecteurs commentent les articles publiés, pour le bénéfice des lecteurs mais aussi pour répondre à ceux qui ont bien voulu écrire des articles pour le blog.
Maintenant les rôles s’inversent dans cette interview.
Jonathan : Raconte aux lecteurs ce que tu étudies en ce moment.
Je suis inscrite en Master 2 dans une formation intitulée «Langues étrangères, relations et comparaisons internationales», mention «Civilisations anglophones et relations interculturelles anglophones et francophones». Dans les cours proposés, nous examinons par exemple la manière dont les livres voyagent d’une aire à une autre depuis le XIXème siècle (question de droits d’auteur/adaptation/ traduction, réception, influences réciproques etc… ), nous analysons les problèmes de traduction liés aux contraintes culturelles d’une langue à l’autre, ou encore le lien qu’entretiennent histoire et littérature. Mais qui dit Master 2 dit surtout mémoire à rédiger et mon séjour de 6 mois à Los Angeles l’an dernier m’a largement influencée dans le choix du sujet puisque j’étudie le vote Latino aux Etats-Unis.
Jonathan : Qu’est ce qui t’a fait accepter de jouer un rôle actif dans la gestion de ce blog, et ce avant même que nous ne nous soyons rencontrés (ce qui a eu lieu à seulement deux reprises, à Los Angeles) et de maintenir ton association une fois rentrée en France pour poursuivre tes études ?
Lorsque j’étais à la recherche d’un stage à Los Angeles il y a un an et demi, vous aviez généreusement proposé de m’aider et m’aviez suggéré de participer à ce blog. Même si l’idée de stage est tombée à l’eau, il me semblait normal de tout de même faire partie de cette aventure, d’autant plus que mon emploi du temps me le permettait largement. En plus du défi constant que la gestion d’un blog représente, il s’agit également d’un enrichissement sur le plan personnel et culturel, et qui me sera peut-être bénéfique plus tard au niveau professionnel. Un an après, la poursuite de mon Master implique un emploi du temps beaucoup plus chargé mais j’ai quand même tenu à conserver mon engagement envers le blog. Je tiens à préciser qu’il en serait probablement allé différement avec un autre partenaire. En effet, même si le travail que je fournis est bien moindre en comparaison au vôtre, votre générosité, votre reconnaissance et vos remerciements constants sont autant de raisons de poursuivre cette collaboration.
Jonathan : As-tu un message pour les lecteurs ?
Laura : Oui, je les prie de m’envoyer touts leurs messages, suggestions, idées, etc. On les lira soigneusement et les incorporera dans le blog, dans la mesure du possible. Merci pour votre soutien et votre fidélité.
Jonathan Goldberg, votre bloggeur (lui-même traducteur professionnel), pose des questions à la Dr. Karen M. Tkaczyk, traductrice freelance et membre de l'ATA. Elle traduit du français et de l'espagnol vers l'anglais (britannique et américain) et est à la tête d'un cabinet de traduction spécialisé dans la chimie, ses applications industrielles et la propriété intellectuelle. Karen est basée près du Lac Tahoe, dans le Nevada et a grandi au Royaume-Uni.
Jonathan:Veuillez nous donner une idée de votre parcours personnel et professionnel.
J’ai été élevée au Royaume Uni. J’ai obtenu un Master en Chimie avec Français à l’université de Manchester et un doctorat en Chimie à l’université de Cambridge. Dans le cadre de mon Master, j’ai passé une année à Lyon, France. L’expérience que j’ai acquise durant cette année où je travaillais pour une entreprise pharmaceutique française (Rhône-Poulenc, qui fait maintenant parti du groupe Sanofi Aventis) s’est avérée cruciale lorsque j’ai changé de carrière. En sortant de l’université de Cambridge j’ai travaillé pour deux grandes compagnies pharmaceutiques en Irlande. En 1999 j’ai déménagé dans le Nevada près du lac Tahoe où j’ai travaillé pour une société de cosmétique et de fabrication de dispositifs médicaux jusqu’en 2001. Je traduis du français et espagnol vers l’anglais britannique et américain. J’ai rencontré mon mari français durant mon année à Lyon. J’ai appris l’espagnol à l’école et durant un séjour en tant que fille au pair en Espagne.
Jonathan: Comment et pourquoi êtes-vous devenue traductrice ?
A vrai dire, la réponse est un peu banale. J’ai arrêté de travailler lorsque mon premier enfant avait neuf mois. Nous avions décidé qu’un style de vie avec deux carrières ne conviendrait pas pour notre famille. Nous avons eu ensuite deux autres enfants, et en 2005 je commençais à vouloir rejoindre la vie active mais je ne voulais pas retourner à un poste haute pression et en dehors de la maison. Maintenant c’est la partie banale. Mon mari pensait devenir indépendant dans sa profession et nous avons lu un livre qui s’appelle “What Business Should I Start?”. En faisant les exercices, il m’est arrivé tout à coup « Eurêka ! »: il existait un monde entier de traducteurs qui travaillaient en indépendant depuis leur domicile. Je maitrisais les compétences linguistiques nécessaires et j’écrivais assez bien en anglais. De plus, j’avais aussi un domaine d’expertise relativement rare. En partant de ce concept, mon cabinet de traduction s’est établi remarquablement rapidement.
Jonathan: À propos de vos débuts, auriez-vous une anecdote à me raconter ?
Oui – c’est à propos du pouvoir de « networking » et l’importance de quitter le confort de son petit chez soi et son bureau pour rencontrer d’autres traducteurs. Au premier événement du ATA où j’ai assisté, seulement quelques mois après avoir décidé de m’établir, j’ai fait la connaissance d’une traductrice très expérimentée et elle m’a donné les coordonnés de quatre clients potentiels. Deux d’entre eux sont immédiatement devenues des clients, dont un qui est devenu un mentor et qui m’a enseigné le métier de la traduction pendant les deux années suivantes. Si je n’avais pas fait cet investissement initial pour assister à cette conférence à une époque où je gagnais encore relativement peu, ma société n’aurait jamais démarrée de la même façon.
Jonathan:Avez-vous un client typique ?
Environ la moitié de mes clients sont des agences de traduction de petite ou moyenne taille basées aux Etats-Unis, qui attendent un travail de haute qualité et qui me donnent des délais de livraison corrects. Ma vie personnelle ne me permet pas de tout arrêter à tout moment pour faire des travaux urgents. Le reste se compose d’un mélange d’agences et de clients directs en Amérique du nord et en Europe.
Jonathan:Qu’est-ce qu’il y a de peu courant dans votre cabinet, en comparaison avec vos concurrents?
Il y deux choses qui me viennent a l’esprit. La plus évidente est mon niveau de spécialisation. Je travaille dans la chimie, ses applications industrielles, et sa propriété intellectuelle. Rarement dois-je sortir de ceci. L’autre chose est que j’écris et je présente pour l’industrie de traduction. Il y a beaucoup de traducteurs et interprètes qui assistent à des congrès pendant des années sans proposer de parler à une conférence, et de la même façon, qui lisent les journaux et les publications sans soumettre un article. Outre le plaisir que ces activités m’amènent, ceci augmente ma visibilité, et par conséquent augmente le nombre de recommandations de bouche à oreille que je reçois.
Jonathan: Avez-vous une expérience ou des remarques d’un client dont vous êtes tres fière ?
Oui. En l’année 2009 mon but annuel fût de travailler sur mon écriture technique pour l’améliorer. Durant l’automne de cette année, j’avais traduit un lot de procédures de validation pharmaceutique. Le client, qui n’était pas un expert dans le domaine, les a révisées et m’a dit, « Vous avez fait du travail merveilleux sur ces fichiers. Votre anglais est si clair que même moi, je peux comprendre le langage technique ! » Cela était très satisfaisant.
Jonathan:Votre compagnie a-t-elle une présence sur l’internet?
Jonathan: Faites-vous du travail bénévole pour la traduction?
Je ne fais pas de travail pro bono, puisque les compagnies multinationales industrielles pour lesquelles je traduis les documents n’en ont pas besoin ! En revanche je fais beaucoup de travail pour les associations des traducteurs et des interprètes. Je suis la présidente pour 2009-2011de NITA (Nevada Interpreters and Translators Association) et je sers aussi comme Administratrice de la division de la Science et la Technologie de ATA (American Translators Association.)
* Notre critique invitée est une traductrice professionnelle, diplômée en littérature française, née en France, vivant en Angleterre depuis de longues années. Imprégnée des deux cultures, elle est adepte du grand écart linguistique.
Si les Britanniques et les Américains sont deux nations divisées par une langue commune, les Anglais et les Français le sont par un bras d’Océan Atlantique long de 560 km et dont la largeur va de 240 à 34 km : la Manche. Cet article relève les défis de tous genres qu’elle a jetés aux deux peuples depuis des millénaires et les liens ainsi créés.
Le 12 Mars de cette année, Christine Bleakley, présentatrice TV, faisait les titres pour avoir traversé la Manche à ski nautique, ajoutant son nom à la longue liste des chevaliers du risque qui, leur arme choisie, défient le détroit depuis des siècles.
Jamais la route maritime la plus fréquentée du monde avec chaque jour 500 bâtiments la naviguant dans tous les sens à toute heure du jour et de la nuit n’a cessé d’inviter les expéditions médiatisées comme les tentatives les plus hasardeuses.
À pied, à cheval ou en voiture
Nous abandonnerons au folklore les expéditions à caractère purement sportif, fantaisiste ou pittoresque, du ski nautique à la planche à voile en passant par le pédalo, le tricycle, les lits, les tonneaux et canots pneumatiques, les « podoscaphes » et autres « chaussures de mer » dont il est, pour certains, difficile d’établir l’authenticité ou le succès, pour nous arrêter aux moments qui font date dans l’histoire mouvementée du détroit.
"La dame au podoscaphe", de Courbet "Le petit inventeur", 4 août 1925
Les premiers hommes à atteindre les terres connues aujourd’hui sous le nom d’Îles Britanniques le firent tout simplement à pied, ce qui resta possible jusqu’à il ya entre six et huit mille ans, comme l’attestent les ossements humains et animaux retrouvés de temps à autre. Contrairement à ses nombreux successeurs, le premier (ou la première) à défier les eaux issues de la fonte des glaces du Pléistocène n’est pas resté dans les mémoires, mais une embarcation capable de transporter passagers et cargaison découverte en 1995 fait remonter à 1550 av. J.C. les premières expéditions dont on ait la trace.
Ce bras de mer se réduisait-il alors à 34 kms minimum comme aujourd’hui ? L’histoire ne le dit pas, pas plus qu’elle ne nous informe des dangers que cette traversée présentait alors. Ce qu’elle confirme, c’est que l’ingéniosité humaine s’y mesure depuis la nuit des temps.
…de bruit et de fureur
Jules César ne savait guère ce qu’il trouverait de l’autre côté du détroit quand il y lança en 55 av. J.C. 80 nefs avec à bord deux légions et une cargaison de vivres et de matériel. En 1066, Guillaume le Conquérant, avec des idées bien précises remplit pleinement son contrat, le dernier chef de guerre à réussir une invasion de la Grande Bretagne. Mais on se regarderait encore longtemps en chien de Fayence de part et d’autre du canal – non sans inspirer les esprits innovants et les âmes intrépides.
L’Américain Fulton vit dans les guerres napoléoniennes une occasion rêvée de développer des inventions alors en gestation. C’est ainsi qu’il maintint sous l’eau pendant une heure l’embryon de sous-marin qu’il développa pour Napoléon tandis qu’avec une belle impartialité, il faisait exploser de l’autre côté de la Manche les premières torpilles.
C’est aussi à l’épopée napoléonienne qu’on doit la première traversée à la nage ‘homologuée’ : par Jean-Marie Salati, grognard de la grande armée qui, ayant peu de goût pour les « pontons anglais » de sinistre mémoire, leur tira sa révérence par un soir de tempête en 1817 et nagea de Douvres à Boulogne le corps enduit de suif.
La Deuxième guerre mondiale, de la flottille hétéroclite de Dunkerque au déferlement sur les plages Normandes, clôt la série sur un florilège de premières – tragiques pour beaucoup.
On ne se raconta pas moins en France, pour se consoler de la défaite de 1940, une ‘petite histoire’ qui analysait à sa façon la problématique de l’invasion :
Massées dans le Nord la Wehrmacht piétine avant de prendre place dans les péniches pour Douvres et Folkestone. Devant son infériorité navale, Hitler a une idée de génie : qu’on assèche le détroit !
Alignées sur toute la côte les troupes allemandes se mettent en devoir d’écoper sur l’ordre de
1, 2, 3, Puisez !
Les jours passent sans qu’aucun résultat n’y paraisse. On s’obstine – jusqu’au jour où un vent favorable rapporte à l’état-major les ordres donnés sur l’autre rive :
1, 2, 3, Pissez !
Nécessité fait loi…
Progrès technique, endurance et expérimentation
Nécessité, trêve de plaisanterie, est mère d’invention – la liaison entre les deux pays s’établit à coup de prouesses techniques et d’exploits où l’audace le dispute à l’ingénuité et la persévérance.
En 1785, deux ans après les premières expériences des frères Montgolfier, le Français Blanchard et son ami et mécène américain Jeffries survolent la Manche atteignant de justesse la côte Française – et pas avant d’avoir largué tout ce qu’il y avait à bord, y compris leur vêtements ! Quand Yost et Piccard reprendront, pour ainsi dire, le flambeau en 1963, ce sera pour ressusciter la pratique de la montgolfière.
Le premier bateau à vapeur à relier les deux côtes en 1818 fut l’Élise, dont l’équipage rallia la côte française en dix-sept heures, mené l’arme au poing par le capitaine Andriel. Mais à partir de 1820, le Rob Roy y assurait un service régulier. À cette date les bateaux à vapeur –au développement desquels avait en son temps contribué Fulton – n’étaient plus une nouveauté. Le premier car ferry sera mis en service en 1928 mais il faudra attendre 1959 pour que Peter Lamb traverse la Manche à bord d’un hovercraft – dont la mise en service régulier entre Douvres et Calais ne commencera qu’en 1966
En 1903, Samuel Franklin Cody, un Américain naturalisé britannique, avait lancé à travers le détroit un bateau tiré par un cerf-volant aux premiers balbutiements de l’aviation. Les machines qu’il ferait voler par la suite devraient encore beaucoup au cerf-volant et il n’est pas exclu que ce soit là la raison pour laquelle le terme argotique de kite correspond, pour le personnel de la RAF, à un avion.
Il reste que son rival pour la conquête des airs Louis Blériot, le premier en 1909 à survoler, entre Calais et Douvres, une importante étendue d’eau, pilotait lui un monoplan, le premier de ce type à rivaliser avec les biplans alors en usage. Et qu’en 1928, faisant la route en sens inverse à bord d’un autogire, hybride d’avion et d’hélicoptère, Juan de la Ciera jetait les bases de sa collaboration avec l’industrie et l’armée britanniques pour le développement d’appareils d’observation et de reconnaissance d’un nouveau type.
En 1979, c’est à la force du jarret qu’un Américain, encore un, survolera la Manche à bord de son vélo avion – ou, comme dira plus joliment Julos Beaucarne, ‘vélo volant’ et qui lui fera écrire :
Le mardi 12 juin 1979 un homme a traversé la Manche à bord d’un vélo volant, transformant du même coup l’espace en vaste voie cyclable, en vélodrome sans limite. Cette traversée c’est l’homme qui reprend son sceptre après avoir été longtemps l’esclave de la technique qu’il a lui-même inventée.
Technique qui n’en continue pas moins de tenir son rang dans beaucoup d’entreprises de plus en plus sensibles aux exigences écologiques, dont la SB Collinda (1997) actionnée par ses cellules photovoltaïques, et l’hydroptère d’Alain Thébault qui traversa la Manche de Douvres à Calais en 34 mn 24s, plus vite que Blériot en avion.
Plus près de Julos, citons encore pêle-mêle, la chute libre de Felix Baumgartner en 2003 et tout récemment en mai 2010 le vol de Jonathan Trappe, porté par une grappe de ballons gonflés à l’hélium.
Quelle que soit leur branche, leur origine ou leur époque, on retrouve chez tous ces pionniers, en dosages variés, l’ingéniosité, l’opiniâtreté, le cran, et la passion du concepteur. Yves Rossy, l’homme oiseau suisse, en résume assez bien le profil : sportif accompli, cet ancien pilote de chasse hautement qualifié en mécanique consacrera plusieurs années au développement d’une aile, d’abord gonflable.
Maintes fois remaniée, calibrée pour la flexibilité et la fiabilité au cours d’expériences et de tests parfois aléatoires et finalement dotée de quatre réacteurs, elle le verra en 2008, rejoindre Douvres en 13 minutes. Yves Jetman Rossy, l’homme oiseau suisse se soumet à un entraînement exigeant pour évoluer dans les airs à 200 km/h et poursuivre ses ambitions.
Entre temps (entre 1965 et 2007), plusieurs voitures amphibies, avaient relié les deux côtes mais la boucle ne fut vraiment bouclée que quand en 1994 Daley Thompson et ses compagnons refirent en sens inverse le chemin pris par nos ancêtres du néolithique, en retournant sur le continent à pied sec … par le tunnel sous la Manche. Dans cette dernière entreprise, les miracles de l’ingénierie le cèdent en importance au bouleversement géographique qui met le cœur de Londres à moins de deux heures et demie du centre de deux capitales européennes. Il rapproche, non sans soulever une vague d’émotions complexes, des peuples dont ces 34 kilomètres de mer avaient de longue date fixé les mentalités, une vraie révolution.
Jonathan Trappe, auteur de la dernière équipée en date a décrit la Manche comme « un ruban d’eau emblématique qui vous interpelle ». Elle restera le théâtre de choix d’exploits sportifs et techniques, de mise à l’épreuve – dans toutes les acceptions du terme. Ses peuples voisins en savent quelque chose, qui se souviennent des heures dramatiques – et épiques du siècle dernier.
Les mutations résultant du défi permanent qu’elle représente ne sont pas moins exigeantes. S’il a fallu de l’ambition, du courage et de la ténacité pour établir des liens solides entre ces voisins, il ne faudra pas moins de solidarité et de bonne volonté pour les entretenir.
Cet article a été écrit spécialement pour ce blog. Dr. Trista Selous a reçu son doctorat de l'Université de Londres, est traductrice agréée par l'UNESCO et membre de l'association des traducteurs du Royaume-Uni. Dr. Selous habite à Londres, où elle a enseigné la langue, la littérature et le cinéma français dans divers établissements de l'éducation tertiaire. Traductrice depuis plus de vingt ans, Trista traduit des livres, des essais et des dialogues de film, fait du sous-titrage et assure l'interprétation pour des cinéastes et acteurs francophones en visite aux festivals londoniens. Auteur de The Other Woman (Yale UP, 1988) sur Marguerite Duras, elle a aussi publié divers articles sur le cinéma et la littérature français.
La rédaction des grands titres des médias anglophones étant un art, qu’il en résulte de bons et de moins bons – voire des nuls – ne doit guère surprendre. Les quelques vraies trouvailles des décennies récentes flottent sur un océan de phrases dépourvues de tout intérêt. Encore heureux qu’il y en ait dont la maladresse fait rire, ou rêver, parfois les deux. Les exemples suivants m’ont été transmis par Jonathan Goldberg, que je remercie pour les sourires et la réflexion qu’ils ont suscités. J’essaie de les analyser et, si possible, proposer des versions plus valables.
1) Le bizarre Du site de The Daily Caller of Miami: "Boy chases away man who shot his dad with kitchen knife”
Gadget meurtrière à la James Bond? Bien sûr que non! On a affaire ici à un simple affrontement de propositions linguistiques. Car l’art du titre exige de communiquer toute l’information en une seule phrase de style télégramme. Or l’histoire du garçon comporte trois éléments, contenus dans la principale “Boy chases away man”; la relative “who shot his dad” et le complément de phrase “with kitchen knife”. Avec deux des trois, on fait une phrase valable, soit “Boy chases away man who shot his dad”, soit “Boy chases away man with kitchen knife”. Mais on ne peut pas enchaîner la relative et le complément de phrase sans en difformer le sens et/ou le tourner au ridicule. Le sujet s’identifiant à travers l’ordre des mots, le dernier nom valable précédant “who” devient inéluctablement sujet du verbe “shot”. À éviter le couteau-fusil on se retrouve face à l’homme à deux armes, voire au couteau tireur: “Boy chases away man with kitchen knife who shot his dad”.
Le français lui éviterait ce problème en séparant le verbe de la principale de son COD: “Garçon poursuit avec un couteau de cuisine l’homme qui a tiré sur son père”. La même chose en anglais: “Boy chases with kitchen knife man who shot his dad” est tout aussi valable du point de vu strictement grammatical, mais reste pour autant peu idiomatique, car l’anglais préfère ne pas trop séparer un verbe de son COD. Ici la seule solution semblerait donc de renoncer à l’idée de tout communiquer dans une seule phrase.
2) Le spectral Titre du site BBC: "Police chase man killed by train".
À croire que le zombie soit de nos jours phénomène banal au R-U. En fait, bien sûr, la mort de l’homme est survenue après la poursuite, mais la phrase ne le dit pas. Ici “man killed by train” fonctionne en unité, “killed by train” qualifiant pour toujours l’homme que la police a poursuivi de façon ponctuelle. Mais le contresens ici se corrige facilement par le rajout d’un tiret qui déplace le qualificatif en transformant le sujet “Police” et le verbe “chase” en nom composé apposé: “Police-chase man killed by train”. Et voilà l’homme défini par la poursuite, plutôt que la mort, qui devient par l’événement ponctuel.
3) La condition quasi-dermatologique Du Sydney Morning Herald: "Turks are notorious for breaking out into gunshots to celebrate weddings and sports victories."
Ici, bon, on comprend, mais avec une image assez bizarre en arrière-fond. C’est une question d’usage. Normalement, “to break out into” serait l’équivalent de “to burst into”, employé dans le contexte des gestes du corps: “to break out/burst into song/applause/cries of joy” etc..
Il y a aussi “to break out in(to)” utilisé des problèmes de la peau: “to break out in a rash/spots”.
Comme les “gunshots” ne sont pas des gestes corporels proprement dits (ce sont le fait des fusils, même déclenchés par des gestes humains), il y a comme un décalage entre la phrase et sa signification, qui ouvre la perspective d’un corps affligé tout d’un coup de trous-boutons…
4) L’ambigüité ambigüe Vancouver Province, le 5 Août: "Archeologist shoots dead rampaging polar bear".
Pour souligner le flou de la frontière entre le correct et l’inconvenant, j’ai choisi de finir par un exemple ambigu, sujet de désaccord chez les anglophones – en tout cas chez moi.
En principe les éléments d’un verbe à particule anglais comme “to shoot dead” doivent se séparer pour encadrer leur COD. Et le nom est précédé de l’adjectif qui le qualifie. Toujours en principe alors, la phrase ci-dessus devrait s’écrire “Archaeologist shoots rampaging polar bear dead” pour éviter de signifier qu’un archéologue a tiré sur un ours polaire mort et déchainé, ce qui serait idiot. Bien sûr. Sauf que moi, je n’ai pas lu la phrase originale de cette façon-la, et ceci pour des raisons de rythme.
Pour moi, le monosyllabe “dead” marque une pause dans une phrase qui se divise naturellement en deux parties au rythme semblable, chaque partie commençant par un mot polysyllabique et finissant en un monosyllabe, créant ainsi une césure au milieu. Si j’étais correctrice, je ne changerais pas la phrase originale, qui me semble donc claire telle quelle.
Mon compagnon est de l’avis contraire.
Mais il note aussi que le problème disparaîtrait à enlever le “dead”. Moi je préfère le garder, pour les raisons de rythme ainsi que de précision – on leur doit au moins cela à cet ours, et son archéologue.
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