Directrice pédagogique et Directrice Adjointe de l'Alliance française,
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Il semble que seule la traduction littéraire ait été prise en compte pour cet article, or il eût été intéressant de présenter le défi de la traduction technique. Il est indispensable non seulement qu’une traduction technique fasse/ait du sens, mais aussi de lui conserver une certaine “littéralité”, car toute faute dans le choix d’un mot peut avoir des conséquences désastreuses : je pense ici aux traductions médicales ou de documents d’ingénierie. Il est même toujours judicieux d’inclure un glossaire dans ce type de traductions.
Dans les traductions linguistiques, le sens peut littéralement être transformé d’une langue à une autre. Par exemple, le CECR (Cadre Européen Commun de Références pour l'enseignement des langues étrangères, 2001) adopté par les 27 Etats de l’UE, dans la version originale en anglais, parle de "action-oriented approach" [à l’enseignement des langues étrangères], alors que le traducteur français a pompeusement traduit cela en: "approche actionnelle", ce qui est pour le moins verbeux et dénué de sens pour tout professeur non formé à la linguistique. Il aurait été plus humble (et plus simple) de traduire cela en : "approche orientée sur l'action", littéral mais porteur de sens, puisqu’il s’agit après tout d’enseigner une langue étrangère afin que l’apprenant puisse agir / produire des actions dans cette langue-cible.
Dans les traductions littéraires, un bon exemple est la traduction de L'élégance du hérisson (le livre –phénomène écrit par Muriel Barbéry). En soi cette traduction du français vers l’anglais est un coup de maitre (Europa Editions), mais elle contient deux erreurs majeures. La traductrice est hors pair, mais ces deux erreurs changent le sens du récit. Par ailleurs, la traductrice n’a pas toujours su traduire les connotations culturelles, ce qui, en soi, est extrêmement difficile, voire impossible. Dans ce cas, un glossaire est un outil meilleur qu’une traduction approximative. Prenons un exemple du livre, celui du bonbon Michoko. Tous les lecteurs et toutes les lectrices français, à la lecture de ce simple nom: Michoko, auront immédiatement à l’esprit l’image d’une marionnette, une pie très exactement, utilisée pour la promotion publicitaire du bonbon en question. Et leur reviendra peut-être aussi en mémoire un jingle, ou la façon dont une voix française japonisée prononçait “Mi-Cho-Ko” en détachant bien les syllabes. La traduction qui en a été faite, sous le générique "chocolate truffle", ne rend aucunement justice à l’original, ni à l’originalité de l’auteur dans l’utilisation qu’elle en fait, et dans la trame du roman (Le Japon est un élément important du livre)… Car le bonbon Michoko N’est PAS DU TOUT une truffe au chocolat….
Dans ma lecture d’œuvres traduites, j’ai trouvé une exception, et non des moindres, celle d’un “Couple en traduction”. Tous les traducteurs littéraires devraient s’inspirer d’eux avant d’entreprendre une traduction littéraire et au lieu de théoriser sur une traduction "mot-à-mot" ou une "traduction libre". Il s’agit de Richard Pevear et Larissa Volokhonsky, un couple “réel” dans la vie qui a réussi la gageure de traduire (enfin et magistralement) la grande littérature russe en anglais. La traduction de Guerre et Paix leur a pris plusieurs années, car leur but était non seulement de rendre le plus fidèlement possible le style de Tolstoï, mais aussi le sens et les connotations culturelles. Sans oublier que cette traduction fut un défi de taille puisque 75% du livre est écrit en français ou “parlé en français” (Tolstoï prévient le lecteur que tel et tel personnage mènent leur conversation en français ; le texte est en russe mais la conversation en français dure pendant une vingtaine de pages…. J’ai écrit un article sur l’utilisation de la langue française par les auteurs russes, c’est un sujet que je connais bien. Ce couple de traducteurs a aussi brillamment traduit Anna Karénina, ainsi que les plus grandes œuvres de Dostoïevski et de Gogol.
Un autre traducteur qui a fait un travail excellent en traduction littéraire est Geoffrey Strachan qui traduit les livres d’Andrei Makine du français vers l’anglais. Il a réussi à préserver le style de l’auteur et le sens qu’il donne aux mots. Sa traduction est particulièrement fidèle sans pourtant être mot à mot.
Quant à la poésie, hormis la superbe traduction que Nabokov fit de Pouchkine, je dois dire que je suis plutôt de l’avis de Joachim du Bellay et suggèrerait de ne pas la traduire. J’ai lu trop de mauvaises traductions des poèmes de Baudelaire, Hugo, Ronsard, du Bellay et quelques autres (du français en anglais). Les traducteurs avaient décidé de donner la priorité au sens sur la littéralité, si bien qu’une fois traduits, ces poèmes n’ont plus eu de sens. Dans la plupart des cas, Les traducteurs détruisent l’âme du poème… Il y a même des poètes qui s’essaient à traduire en anglais des poèmes originellement écrits dans une langue qu’ils ne parlent pas ou qu’ils n’ont même pas apprise –ce fut le cas de feu Anthony Hecht – un très grand poète américain, mais dont les traductions sont déplorables. J’essaie encore de comprendre pourquoi quelqu’un qui n’a jamais parlé ou appris le grec, l’allemand, le russe, le bulgare ou le français traduit en anglais des poèmes originellement écrits dans des langues qui lui sont totalement inconnues. J’ai assisté à un séminaire sur la traduction en poésie il y a une dizaine d’années et j’ai été très choquée de la malhonnêteté intellectuelle de certains poètes, parfois très connus, qui expliquaient négligemment qu’ils traduisaient en utilisant simplement un dictionnaire et qu’ensuite ils réécrivaient le poème… Quel culot!
Sarah Diligenti :
Sarah a étudié le Droit et la Science Politique (Maitrise – LLM- de Droit International et Master 2 - Master of Ph.- en Science Politique), à l’Université de Toulouse-1. Elle a aussi enseigné l’Histoire, la Géographie, la Littérature française et l’anglais pendant ses études. Elle a passé le CAPES de français, puis celui d’anglais et a enseigné en tant que titulaire de l’Education Nationale pendant deux ans avant de déménager aux Etats-Unis en 1995.
Lauréate du Prix des Jeunes Poètes, Académie des Jeux Floraux, Toulouse, 1984 (médaille de bronze pour un poème qu’elle avait d’abord écrit en anglais et ensuite traduit en français).
Co-organisatrice de deux expositions à Toulouse: " Antisémitisme et Génocide: Déchiffrer les cendres", 1984 et "Les Juifs de Vienne" en 1986.
Productrice du programme culturel radiophonique: "Investigations" sur Radio Centre-Ville- Toulouse de 1984 à 1987
Présidente de Washington Accueil Association de 1998 à 2000.
Membre fondateur et du Conseil d’Administration de Word Fest (Le Festival International Annuel de Poésie de Washington DC) de 2001 à 2006.
Traductrice freelance pour la Banque Mondiale, le FMI et d’autres entités privées de 1995 à 2005.
Sarah a rejoint l’Alliance Française de Washington au poste de Directeur Pédagogique en 1995 et a été nommée Directrice Adjointe en 2010.
Elle écrit de la poésie, des revues littéraires et des éditoriaux.
Mariée, deux enfants. Elle vit à Bethesda, MD, dans la banlieue immédiate de DC.
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