« Si vous parlez à un homme dans une langue qu'il comprend, cela va dans sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, cela va dans son coeur." Nelson Mandela ».
Dans un précédent article, j'ai raconté mon séjour dans la lointaine île de Sainte-Hélène, au milieu de l'Atlantique, où Napoléon a été exilé, il y a près de 200 ans. Vous pouvez lire l'article en cliquant sur ce lien.
En rédigeant cet article, je me suis souvenu de ma visite, bien des années plus tard, dans une autre île (située dans le même océan) et qui est associée à une autre grande figure historique. Cet îlot, Robben Island, est situé à sept kilomètres au sud de la ville côtière du Cap (Afrique du Sud) et le personnage s'appelle Nelson Mandela, dirigeant de l'African National Congress (ANC), qui, pour avoir combattu la suprématie absolue des Blancs en Afrique du Sud, fut convaincu de trahison en 1963 et emprisonné à Robben Island pendant 27 ans.
Dans ma jeunesse, le chef de file de la lutte contre l'apartheid n'était pas Mandela, mais le Chef Albert Luthuli. À cette époque, j'ai assisté à une conférence donnée à Durban* par Luthuli qui dirigeait alors le « Congrès du Peuple », le précurseur de l'ANC.
Le Congrès avait adopté la « Charte de la Liberté » que Luthuli voulut bien me dédicacer à l'issue de sa conférence. La Charte déclare:
« Nous, peuple d'Afrique du Sud, faisons savoir à tout le pays et au monde: que l'Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, noirs et blancs, et qu'à moins d'être fondé sur la volonté du peuple, aucun gouvernement ne peut légitimement prétendre la régir... »
Mon exemplaire de la Charte de la liberté,
signé par le Chef Albert Luthuli
Luthuli devait recevoir le Prix Nobel de la Paix en 1960, tout comme Mandela, 33 ans plus tard.
Le poème Invictus avait à tel point inspiré Mandela qu’il l’aida à surmonter ses longues années de captivité à Robben Island.
Le titre latin signifie « invaincu, dont on ne triomphe pas, invincible » et se fonde sur la propre expérience de l'auteur puisque ce poème fut écrit en 1875 sur son lit d'hôpital, suite à une amputation du pied. À l’origine, ce poème ne possédait pas de titre, mais celui-ci fut ajouté plus tard par le critique littéraire anglais, Sir Arthur Quiller-Couch.
William Henley disait lui-même que ce poème était une démonstration de la résistance à la douleur dont il avait fait preuve à la suite de son amputation.
Anglais] |
Traduction libre |
Out of the night that covers me, |
Depuis l'obscurité qui m'envahit, |
Ces deux dernières lignes retentissantes ont fortement imprégné le langage littéraire anglais.
En 2000, je suis retourné faire un tour en Afrique du Sud et j'ai pris le bac du Cap à Robben Island. Une visite guidée m'a permis de voir la cellule où Mandela a passé sa longue captivité, avant d'être libéré en 1990 et de gagner, en 1993, le Prix Nobel de la Paix. Mandela est devenu Président de l'Afrique du Sud en 1994.
Pendant ce voyage, j'ai acheté un tapis de souris (dont je me sers en écrivant cet article) sur lequel figure une citation d'Ahmed Kathrada, un autre prisonnier de Robben Island qui devait devenir plus tard député de l'ANC au Parlement. La voici:
« Sans pour autant oublier la brutalité de l'apartheid, nous ne voulons pas que Robben Island devienne un monument à nos épreuves et à nos souffrances. Nous souhaiterions qu'elle soit un triomphe de l'esprit humain sur les forces du mal; un triomphe de la sagesse et de la largeur d'esprit sur la petitesse et la mesquinerie; un triomphe du courage et de la détermination sur la fragilité humaine et la faiblesse. »
Si Mandela continue d'inspirer et d'être un symbole du remplacement du régime d'apartheid par celui de la « Nation Arc-en-ciel », de nombreux observateurs ont jugé son héritage décevant. Aujourd'hui, l'Afrique du Sud est ravagée par la violence, le SIDA et la corruption.
En outre, le gouvernement sud-africain est resté en étroites relations avec les régimes répressifs de Mugabe, au Zimbabwe, de Castro, à Cuba, et de Kadhafi, en Libye.
En conclusion, je souhaite relever une analogie historique entre Robben Island et Sainte-Hélène: 70 ans avant que le régime des Blancs d'Afrique du Sud emprisonne ses opposants noirs à Robben Island, le régime colonial britannique qui gouvernait la province du Natal (désormais le KwaZulu-Natal) déporta à Sainte-Hélène un autre rebelle noir, Dinuzulu kaCetshwayo, Roi des zoulous.
Pour terminer sur une note linguistique, on peut opposer la démarche intellectuelle de Mandela à Robben Island à celle de Napoléon à Sainte-Hélène. Bonaparte fit de gros efforts pour apprendre l'anglais, la langue de son ennemi, mais avec apparemment peu de succès. Mandela, quant à lui, maîtrisait parfaitement l'anglais et l'afrikaans (les deux langues officielles de l'Afrique du Sud de l'apartheid, et donc les langues de ses oppresseurs). Pendant sa détention à Robben Island, Mandela étudia le droit par correspondance à l'Université d'Afrique du Sud (UNISA), un établissement de téléenseignement d'avant l'ère électronique. Ses épreuves et examens étaient expédiés sur la terre ferme par le bac puis jusqu'à l'université par le service postal, et les diplômes revenaient par l'itinéraire inverse. Il obtint un diplôme de droit de l'UNISA et, par la suite, un doctorat honoraire.
Pauvre Napoléon – Les Anglais ne lui offrirent pas les mêmes possibilités de s'instruire.
Sources:
Nelson Mandela et sa vie de combattant de la liberté
Robben Island – Wikipedia (en anglais)
Robben Island – Wikipedia (en francais)
Liste des prix et distinctions conférés à Nelson Mandela – Wikipedia
* Durban est un port de l'Océan Indien où je suis né et qui est devenu une ville lorsque des colons britanniques s'y installèrent en 1824; ils lui donnèrent par la suite ce nom en souvenir de Sir Benjamin d'Urban, un patronyme anglais d'origine française (Urban ou Urbain, en Languedoc).
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