Tres récemment nous avons publié un article de Mme Nassima El-Médjira, intitulé "Fidélité en traduction ou l'éternel souci des traducteurs" , avec le consentement de l’auteur.
Vous pouvez lire cet article en deux parties en cliquant sur les liens suivants: première partie et deuxième partie.
Nous souhaitons maintenant publier les opinions sur ce sujet de plusieurs traducteurs parmi nos lecteurs et contributeurs qui ont démontré dans le passé une maîtrise linguistique de très haut niveau.
Nous commencerons par la contribution de M. Jean Leclercq, traducteur chevronné, qui a commencé sa carrière il y a 45 ans, quand, ayant achevé des études de lettres et de droit, il a été orienté vers la traduction par les circonstances de la vie.
Après des débuts au Canada, Jean a été engagé au Siège de l'Organisation mondiale de la Santé, à Genève (Suisse) où, pendant 26 ans, il a essentiellement traduit depuis l'anglais et l'espagnol vers le français. À la retraite depuis 14 ans, il continue à traduire, le plus souvent bénévolement, et à s'intéresser à la linguistique, notamment grâce aux nombreuses possibilités offertes par l’Internet.
Photo : Jean Leclercq, dans son jardin à Divonne-les-Bains (France)
Commentaires de Jean Michel Leclercq:
Traducteur de fortune, venu à ce métier par hasard, j'ai cependant fréquenté la traduction assez longtemps pour pouvoir dire tout l'intérêt qu'a éveillé en moi l'article de Madame El-Medjira où j'ai trouvé, brillamment passées en revue, les positions défendues par les uns et les autres quant à la fidélité en traduction. Faut-il privilégier le sens ou les mots? Faut-il traduire en serrant le texte original de très près (et en risquant le fameux mot-à-mot amphigourique) ou peut-on s'autoriser une certaine liberté dans la mise en forme, pourvu que le sens du message soit sauf ? Faut-il traduire ou transposer ? Quarante années de métier m'incitent à me ranger à l'avis de Saint-Jérôme et à opter tantôt pour le mot-à-mot, tantôt pour le sens par sens, selon la nature même du texte à traduire.
Prenons le cas des résolutions d'une assemblée délibérante – celles que les traducteurs sont souvent appelés à traduire sous haute pression pendant des suspensions de séances. Chaque mot va peser d'autant plus lourd que chacune des versions linguistiques fait foi et qu'il ne saurait y avoir la moindre différence entre elles. Dans ce cas, la « balance du traducteur » dont parle Valéry Larbaud, devient un instrument de haute précision. Malgré cela, le texte se doit d'être lisible, voire élégant. À cet égard, les recueils de résolutions des institutions onusiennes sont de véritables morceaux choisis dont les auteurs restent à tout jamais anonymes !
À l'autre extrême, je situerai la traduction publicitaire. Là, c'est le sens qui l'emporte sur toute autre considération. Dernièrement, en Suisse, un organisme regroupant les agences de publicité a lancé une campagne de promotion sur le thème « Keine Werbung, keine Ahnung! », traduit servilement en français par: « Pas de publicité, pas d'idée! » (sic). Ici, il fallait s'affranchir totalement des mots et ne retenir que le message: « Pas de publicité, pas de visibilité! » ou, tout simplement, « Ni vu, ni connu! ». Dans une organisation internationale que je connais bien (selon la formule consacrée), l'association du personnel publiait un petit bulletin satirico-humoristique intitulé Le Serpent enchaîné. Due à une talentueuse plume anglophone qui disposait d'un réseau d'informateurs à tous les niveaux de la hiérarchie, cette petite feuille de chou donnait périodiquement des crises d'urticaire à l'Administration. Là aussi, la plus grande liberté était de mise pour l'adaptation française... Et ceux qui la traduisaient bénévolement ne se le faisaient pas dire deux fois ! Longtemps après, j'ai appris qu'un enseignant de l'école de traduction et d'interprétation locale se servait de ce petit journal pour des séances de travaux pratiques !
Entre ces deux extrêmes, entre des résolutions d'assemblées délibérantes ou des conventions internationales (c'est-à-dire des textes « religieux », au sens où l'entendait Philon d'Alexandrie) et des slogans publicitaires, la plupart des textes requièrent un juste équilibre entre les mots et le sens, entre littéralité et liberté, auquel le « peseur de mots » parvient peu à peu, au fil des lignes et des ans.
Pour conclure, je serais tenté de dire que, faute d'une certaine marge de liberté, sans une once de créativité, le travail de traduction serait d'une parfaite insipidité. Heureusement pour les traducteurs de notre époque, la machine est maintenant là pour les dispenser du mot-à-mot. Avec les progrès de l'informatique, ils peuvent maintenant se consacrer entièrement à la transposition et à la recréation des textes. La machine les dispense d'être eux-mêmes des machines!
Jean Michel Leclercq
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