Le Britannique James Campbell est l’auteur de livres dont les sujets vont de son Écosse natale à la prison en passant par James Baldwin et autres exilés à Paris et le jazz. Il a écrit, entre autres « Exiled in Paris: Richard Wright, James Baldwin, Samuel Beckett, and Others on the Left Bank ». Après avoir été rédacteur en chef pour la New Edinburgh Review, il écrit aujourd’hui pour le prestigieux Times Literary Supplement.
Françoise de la Plume est une traductrice professionnelle, diplômée en littérature française, née en France, vivant en Angleterre depuis de longues années. Imprégnée des deux cultures, elle est adepte du grand écart linguistique.
Le 9 juin, l’auteur Britannique James Campbell publiait dans le New York Times un essai intitulé The Pleasures and Perils of Creative Translation (‘ Les Plaisirs et les périls d’une traduction inventive’.)
Une récente lecture en français des romans qu’il avait lus avec fascination dans les années soixante-dix en anglais le sensibilise au rôle du traducteur. Il compare pour ses lecteurs des passages de l’original avec leurs traductions et constate les empreintes laissées partout dans le texte par leur honorable « passeur ». Nous avons demandé à Françoise de la Plume, une de nos précieuses collaboratrices, de partager avec nos lecteurs ses réactions à cet article. Voici son commentaire.
Aux mêmes livres lectures diverses ou les surprises de la traduction
Commentaires sur un commentaire
Dans son évocation pour le New York Times, de ses premiers contacts avec la littérature française, James Campbell réveille le monde endormi dans lequel il lisait les romans de Cocteau et de Camus (le même où je découvrais, à la même époque, D.H. Lawrence et Orwell). Un monde où l’Angleterre était encore industrielle et insulaire et où nos pays étaient si isolés l’un de l’autre que les mœurs de chacun paraissaient franchement exotiques à l’autre pour ne pas dire suspectes : ce que les uns appelaient (comme si l’anglais n’en avait même pas le concept) « risqué » et les autres « osé »
À le lire, je n’ai pu résister à réécouter ce tube élégiaque de l’époque :
Mais, foin de nostalgie, quelle ne fut pas la surprise de notre auteur devant le dépaysement, dont il a souvenir si vif, qu’il éprouva en relisant tout simplement les œuvres qui avaient enchanté sa jeunesse… dans leur langue. Dans le cas de l’Étranger de Camus, la libre interprétation du traducteur, bouscule les données psychologiques. Dans le cas des "Enfants Terribles" de Cocteau, le ton, les rythmes de Cocteau n’ont pas semblé mériter le moindre écho. « Ce que j’avais lu, constate Campbell, c’était les romans anglais de Gilbert et Lehmann à partir d’une idée originale » de Camus et Cocteau respectivement.
Cette conclusion me rappelle ma lecture sidérée de Iron in the Soul (La mort dans l’âme, J-P. Sartre) quelques années après mon installation en Angleterre : il m’était impossible de croire à ces conversations (qui, à en juger par notre article, ont du nourrir bien des discussions dans les Union bars), tant leur langue ampoulée était méconnaissable... on était bien loin du café de Flore ! C’est qu’en effet les traducteurs se sont crus obligés, du moins à une certaine époque, de rendre le texte familier au lecteur cible. On est allé jusqu’à justifier la traduction du français, dans lequel les personnages de Tolstoï s’expriment à l’occasion, effaçant d’un coup une importante dimension socioculturelle, simplement pour ne pas déranger le lecteur anglais que froisse les langues étrangères… il ne faut pas décourager les bonnes volontés : les Anglais lisent déjà si peu de traductions…
Campbell exprime joliment le dilemme de « la fidélité des traducteurs aux œuvres qu’ils sont chargés de passer en contrebande » et s’interroge à bon escient sur ce que « les académiciens suédois primaient exactement en récompensant Gao Xingjang avec le prix Nobel 2000 ». Ce qui me fait réaliser avec une sorte de vertige que le Kafka que j’ai lu n’est peut-être pas du tout celui que « beaucoup d’entre nous avons lu pour la première fois »…. help ! Il ajoute cependant que les traducteurs aujourd’hui se permettent beaucoup moins de fantaisie, tombant dans l’autre extrême, celui de textes sans relief, obéissant à des lois de traductions universelles (et, qui sait ? aux logiques informatiques des outils de traduction).
Mais les orfèvres de la traduction existent : ils travaillent de longues heures, quand ils le peuvent avec l’auteur, et toujours en conversation avec d’autres. À ceux qui ne craignent pas les aspérités d’un texte qui rend compte au plus près des caractéristiques de l’original, en épouse le style et le rythme, et qui aspirent à l’univers autre, habité ailleurs, par nos semblables, je recommande les traductions du Russe de Robert Chandler : ils ne les trouveront pas « raplaties »
Françoise de la Plume
I have never even given thought to the possibility of unfaithful translations. We who read a translation are at the mercy of the translator. I won't be so naïve any more. These days EVERYone has an agenda. But all the more reason to encourage my students to learn French in order to read literature in V.O.
Rédigé par : Maria Cochrane | 07/08/2011 à 19:01
quoting: "[...] et s’interroge à bon escient sur ce que « les académiciens suédois primaient exactement en récompensant Gao Xingjang avec le prix Nobel 2000 »."
Indeed... Eternal question. Very interesting post, and nice audio... :)
Rédigé par : Catherine Cauvin-Higgins | 02/11/2011 à 20:34