Une histoire d'amour
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Premier actede la plume de notre auteur invité, Jean Leclercq |
Introduction
« Une histoire d'amour », titre volontiers provocateur puisque la romance s'est déroulée sur fond d'affrontements souvent violents, mais qui se veut aussi un clin d'œil aux lecteurs, duo et duel étant étymologiquement liés!
En effet, à trois époques de leur histoire, l'Angleterre et la France ont bien failli ne faire qu'un seul et même pays: en 1066, en 1420 et en 1940/1956.
Le premier acte de cette histoire d'amour commence en 1066, avec Guillaume le Conquérant. Pendant près de deux siècles (jusqu'en 1258), le roi d'Angleterre est également duc de Normandie et sa souveraineté s'étend des deux côtés de la Manche.
Au cours du deuxième acte, la couronne de France échappe de peu au roi Henri V d'Angleterre qui meurt deux mois avant le roi Charles VI de France dont il est devenu l'héritier en 1420. Les souverains anglais n'en porteront pas moins le titre de roi de France jusqu'en 1802.
Le troisième acte sera encore plus éphémère puisqu'il ne sera envisagé que pendant quelques heures, en juin 1940, et qu'il restera même secret en 1956.
Cette vie sentimentale mouvementée n'en a pas moins suscité une interpénétration des cultures sans laquelle les deux nations ne seraient pas ce qu'elles sont devenues.
En 1066, Guillaume de Normandie conquiert l'Angleterre
Dès la fin du VIIIe siècle, des Vikings, ceux-là venus du Danemark, commencent à envahir l'est de l'Angleterre, tandis que d'autres s'installent sur les bords de la Seine. Ce sont donc les mêmes peuplades qui s'établissent dans les régions littorales de la Manche. En Angleterre, elles s'intègrent peu à peu au fond de population celtique et saxonne. En France, ces Normands (Nortman, homme du Nord), d'abord honnis et redoutés, vont assez vite se latiniser et se fondre dans la population locale où ils feront merveille en instaurant un état de droit que relèveront les chroniqueurs de l'époque.
Des liens n'en subsistent pas moins entre les deux rameaux danois, notamment successoraux. Le roi d'Angleterre, Édouard le Confesseur, n'ayant pas d'héritier, aurait promis la couronne à son cousin, Guillaume le Bâtard (dont on comprend qu'il avait hâte de changer de nom), duc de Normandie.
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Édouard le Confesseur, roi des Anglo-saxons 1042-1066 |
Guillaume le Bâtard, duc de Normandie v. 1027 – 1087. Détail de la Tapisserie de Bayeux. Ici, le duc Guillaume ordonne qu'on construise des bateaux. |
D'ailleurs, il semble qu'il l'ait également promise à son beau-frère Harold ainsi qu'à Sweyn, le roi du Danemark. Mais, il n'en dispose pas puisqu'à cette époque, la monarchie anglaise est élective et que le choix appartient au Witan. Toujours est-il qu'à la mort d'Édouard, le Witan désigne sans hésitation Harold qui est immédiatement couronné dans la nouvelle abbaye de Westminster.
Guillaume passe à l'action. Comme le montre fidèlement cette magnifique bande dessinée qu'est la Tapisserie de Bayeux, il fait construire une flotte de 750 vaisseaux pour transporter de douze à quinze mille hommes dont cinq à six mille cavaliers.
Détails de la Tapisserie de Bayeux - XIe siècle. Documents obligeamment fournis par la mairie de Bayeux et publiés avec l’autorisation spéciale de la Ville de Bayeux.
Harold étant occupé à repousser une invasion norvégienne sur la côte est de l'Angleterre, Guillaume débarque sans coup férir à Pevensey, le 28 septembre 1066.
La bataille d'Hastings, par Tom Lovell. Tableau commandé par le National Geographic.
Guillaume bat son rival à Hastings et se fait couronner roi d'Angleterre, toujours à Westminster, le jour de Noël 1066. Comme Édouard le Confesseur avait déjà attiré à sa cour un grand nombre de Français, Guillaume le Conquérant et ses vassaux installent à la tête du pays une aristocratie franco-normande qui va diriger l'Angleterre pendant près de quatre siècles, sous la devise: « Dieu et mon droit » (voir note à la fin de l’article).
L'Angleterre s'étend désormais de part et d'autre de la Manche, mais le roi de France, Philippe II Auguste, reprendra la Normandie à Jean sans Terre en 1204 et, deux ans plus tard, l'Anjou, le Maine, la Touraine et le Poitou. Au traité de Paris, en 1258, les négociateurs, en bons terriens, oublient les îles anglo-normandes qui, de ce fait, demeurent anglaises.
Le français devient alors la langue de la cour et des nobles, tandis que le saxon continue d'être parlé par le peuple. D'où la grande richesse de la langue anglaise dans laquelle, par la fusion progressive des deux idiomes, on dispose souvent de deux mots pour chaque concept. L'un concret et populaire, issu du saxon et, l'autre, plus abstrait et littéraire, venu du français. Prenons l'exemple du mot liberté. Lorsqu'il s'adresse à l'assemblée de Virginie, Patrick Henry dit : as for me, give me liberty or give me death! Mais, quand Martin Luther King prononce son célèbre discours, c'est : Let freedom ring from the mighty mountains of New York. Comme l'écrit fort bien André Maurois, « les beaux vocables saxons qui désignent les outils du paysan, les bêtes de son troupeau ou les fruits de ses récoltes garderont jusqu'à notre temps leurs formes simples et vigoureuses. »
(À suivre)
L'auteur tient à remercier de son aide précieuse Madame Evelyne Spahn, de la mairie de Bayeux.
© Tous les droits réservés à l’auteur.
Sources:
Maurois, André. Histoire d'Angleterre. Arthème Fayard, Paris,1937.
Morel, D. & Le Clainche, M.-F. Les Brodeuses de l'Histoire, Éditions Coop Breizh, 29540 Spézet, 2006.
Note: À l'origine, ce dut être: « Dieu est mon droit », les Plantagenêts étant ducs de Normandie « par la grâce de Dieu ».
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