La traductrice française, Danièle Laruelle, expose sa traduction de "The Invention of Hugo Cabret" pour les lecteurs du Mot Juste
L’auteur et illustrateur américain, Brian Selznick, a accepté de contribuer a cet article concernant son livre, « The Invention of Hugo Cabret ».
Inspiré par le réalisateur français, George Méliès, « The Invention of Hugo Cabret » a été publié par Scholastic, la plus grande figure mondiale de l'édition jeunesse, et a remporté un vif succès au niveau international.
Il a obtenu le Prix Caldecott 2008 remis chaque année aux États-Unis par l’Association for Library Service to Children.
Par ailleurs, Danièle Laruelle, traductrice de la version française, L’Invention de Hugo Cabret (Éditions Bayard Jeunesse, 2008), a eu la gentillesse de traduire en français les paroles de l’auteur, et d’y ajouter quelques réflexions sur son propre rôle dans la traduction de l’œuvre.
Les contributions faites par ces deux linguistes distingués ont été recueillies par le Dr Trista Selous, traductrice anglaise agréée par l'UNESCO et membre de l'association des traducteurs du Royaume-Uni, une spécialiste du domaine cinématographique.
Danièle Laruelle :
Pour commencer, j’aimerais dire que, pour moi et pour beaucoup d’enfants que j’ai rencontrés au cours d’interventions en librairie ou dans un cadre scolaire, Brian Selznick a gagné son pari : le récit écrit et les séquences narratives en images se fondent en un tout indissociable dans l’esprit du lecteur de cet étonnant « livre-film ».
Avant la traduction, il y a parfois – souvent – le rapport du traducteur au livre. Hugo Cabret est arrivé chez moi en lecture, avec mission de faire une fiche critique pour l’éditeur. Le livre m’a enchantée et transportée ailleurs, du côté des années cinquante de mon enfance, qui ressemblaient encore beaucoup au monde de Méliès et de Hugo Cabret – beaucoup plus qu’au monde d’aujourd’hui. J’ai grandi avec des locomotives à vapeur, des montres mécaniques et des boutiques d’horlogers comme celle du papa d’Hugo. Qu’un auteur-illustrateur américain, né trop tard pour avoir connu ce monde-là, en parle et en rende l’ambiance avec autant de justesse affectueuse m’a profondément émue. Je n’ai pas hésité une seconde lorsqu’on m’a proposé de traduire cet ouvrage – j’en mourais d’envie.
Quels problèmes peut poser la traduction d’un livre pour les enfants ? Le cliché voudrait qu’il n’y en ait pas ; le vocabulaire reste simple, la syntaxe n’est jamais très complexe, on se dit que ça ne peut pas être bien compliqué, et on se trompe.
Quel que soit le lectorat cible, lorsqu’on traduit un roman de l’anglais, on rencontre invariablement deux problèmes, dont un double.
D’une part, lorsque des personnages se parlent, l’anglais ne connaît que « you » ; en français, ils peuvent se vouvoyer ou se tutoyer selon leur degré de familiarité, et c’est au traducteur que revient la décision, en fonction de certaines conventions sociales, selon le milieu et/ou l’époque, en fonction du contexte aussi, de ce qu’ils se disent, du ton qu’ils emploient. Ici, les enfants se tutoient, même s’ils ne se connaissent pas, ils vouvoient les adultes dont ils ne sont pas proches, et les adultes tutoient les enfants – parce que nous sommes dans un milieu populaire ; ce ne serait pas le cas dans la haute société, surtout à cette époque. Dans certaines situations, le tutoiement peut-être un signe de mépris – par exemple, quand la dame de la bibliothèque de l’Institut cinématographique refuse l’entrée à Hugo et lui dit : « Tu es trop jeune et trop sale » ; s’il avait été propre et bien vêtu, elle l’aurait sans doute vouvoyé à cette époque. Quand j’avais l’âge d’Hugo, la bibliothécaire municipale me vouvoyait ; ce ne serait plus le cas aujourd’hui.
D’autre part, l’anglais dispose de ce qu’on appelle savamment les « verbes à particule ». Avec ces verbes brefs, fréquents, dont le sens est modifié par des prépositions, les mouvements sont précis, leur succession rapide et le rythme effréné dans les scènes d’action ou de poursuite. En français, le traducteur se trouve vite avec des mots trop longs, des explications lourdes sur les changements de direction, et la scène se traîne comme un train de marchandises. Pour tenir le lecteur en haleine, il faut ruser, couper, réécrire autrement afin de rendre le sens comme le rythme. Ces mêmes verbes, avec leur cortège de prépositions, posent un autre problème aigu en littérature jeunesse car, s’ils sont très courants, s’ils font partie de la langue de tous les jours, ils permettent d’exprimer des notions complexes que le français traduirait par des termes abstraits, hors de portée du jeune lecteur. Il faut donc, là encore, se battre pour rendre l’idée avec la même précision, de manière simple et accessible.
Viennent ensuite les problèmes spécifiques à l’ouvrage qu’on traduit. Ici, il fallait veiller à employer la langue de l’époque, à ne pas être trop moderne. Par exemple, lorsqu’Isabelle dit à Hugo : « Chic ! J’adore les secrets », elle pouvait aussi dire « Chouette ! », mais pas « Génial ! » ou « Super ! », encore moins « Trop bien ! » – ce que diraient des enfants français d’aujourd’hui. De même, lorsqu’on parle des enveloppes non décachetées qui s’entassent sur la petite table d’Hugo semaine après semaine, il vaut mieux parler de la « paie » de son oncle disparu que d’employer le mot « salaire » – c’est le vocabulaire des ouvriers de l’époque. La langue n’est pas marquée en anglais, elle le devient en français pour des raisons d’ambiance, de justesse de registre. Cela demande des vérifications.
Toujours dans le domaine du vocabulaire, j’ai dû faire un travail de traducteur technique, m’intéresser aux mécanismes d’horlogerie, au fonctionnement des automates et à la terminologie afin de traduire certains passages.
Il n’y a pas de traductions sans recherches. Quels sont les titres français des films mentionnés dans le roman ? Certains coulaient de source, ceux de Méliès étaient faciles à retrouver, mais j’ai dû fouiner un moment sur le Net pour découvrir que Safety Last de Harold Lloyd était traduit par Monte là-dessus, et A Clock Store de Walt Disney par Quel bazar ! L’ancienneté de ces films complique la recherche. Et je remercie l’informatique ; c’était beaucoup plus long quand j’ai commencé, au temps des machines à écrire et du papier…
Il y aurait encore à dire sur d’autres choix et ce qui les a motivés, mais je terminerai sur celui de transposer le récit au présent. L’idée est venue de la directrice littéraire à la lecture des premières pages de mon manuscrit en français ; je me souviens encore de son coup de fil : « Écoute (elle me lit un passage en transposant à la volée). Moi, ce texte, je l’entends au présent. C’est plus immédiat, on y est, comme au cinéma. Regarde de ton côté s’il n’y a pas trop de problèmes de concordance avec les flashbacks et dis-moi ce que tu en penses ». Il n’y avait pas trop de problèmes (juste quelques-uns), et l’idée était bonne ; elle servait bien le récit dans la langue d’arrivée, et, en le plongeant dedans, elle rapprochait le jeune lecteur d’aujourd’hui de cette époque lointaine, peu familière, que même ses parents n’ont pas connue.
Références supplémentaires :
Brian Selznick - The Invention of Hugo Cabret book trailer
Children’s Books, New York Times, March 11, 2007
Reads Like a Book, Looks Like a Film, New York Times January 26, 2008
Cet article est le deuxième d’une série de trois articles. Vous pouvez lire les première et troisième parties en cliquant sur les liens suivants :
L'auteur américain, Brian Selznick, expose son œuvre pour les lecteurs du Mot Juste
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