Honni soit qui mal y pense
L’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais
364 pages Edition Le Livre de Poche
Collection Littérature & Documents |
L’auteur : Henriette Walter, professeur émérite a l’université de Haute-Bretagne, directrice du laboratoire de phonologie a l’école pratique des hautes études et membre du conseil supérieur de la langue française. |
Critique de Marie Tran, auteur-journaliste française
« Depuis bientôt mille ans, la langue française a eu des contacts si fréquents, si intimes et parfois si passionnels avec la langue anglaise qu’on est tenté d’y voir comme une longue histoire romanesque où se mêlent attirance et interdits… ». C’est ainsi que la linguiste française Henriette Walter commence son « incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais ». Une histoire qu’elle déroule sur plus de trois cents pages (dans le format de poche), entrecoupée de « récréations » et d’un dictionnaire des « très bons amis » soit tous ces mots que l’on peut dire en anglais comme en français sans se tromper, des homographes au nombre de 3 221 (une bonne base). L’ensemble est riche, très riche, entre histoire des relations franco-anglaises et linguistique, à tel point que l’on peut avoir parfois un peu tendance à se perdre. Plongé sous le flot d’une telle érudition. Synthétiser l’ensemble n’est pas évident. Voilà donc, très arbitrairement deux ou trois choses que l’on pourra retenir.
Où l’on apprend que les toasts et le bacon sont français…
La bataille d’Hastings, en 1066, n’aura pas que signer la victoire de Guillaume le Conquérant (Guillaume The Bastard pour les Anglais !) sur les troupe d’Harold.
Guillaume de Normandie, intronisé roi d’Angleterre, au début du XIXe siècle, place ses fidèles à la tête de son royaume. Des barons et des hommes d’église qui parlent français, et plus spécifiquement le normand. A compter de là, la langue française ne va plus arrêter de s’inviter dans l’anglais qui, juste avant, avait déjà subi les assauts des langues viking.
C’est pour ces raisons, nous explique Henriette Walter que le mot anglais « toast » vient de l’ancien français « toster », soit « griller, rôtir ». Que le bacon anglais est en fait la reprise de l’ancien français « bacon » qui signifie « chair de porc salé »... Ces mots en provenance directe de Normandie, ce sont aussi « canvas », (« toile » en français), qui tire ses racines du normanno-picard « canevas », venant lui-même de « cannabis » (chanvre). Autre exemple : « captain », à savoir « capitaine », qui vient de l’ancien français « chieftain ». L’anglais « proud » (fier) signifiant autrefois « vaillant » avec, pour origine, le vieux-français « prud » devenu « preux ».
… que les accents circonflexes sont des « T » anglais.
Henriette Walter note en passant que l’on peut dater d’avant le XIIIe siècle ces séries d’emprunt de l’anglais au français. Notamment parce que c’est à cette période que le français va remplacer les « t » placés après une voyelle en accent circonflexe… d’où « roast » tiré de « rôtir ». Mais aussi pastry (pâtisserie), priest (prêtre), forest (forêt). Sa conclusion : l’anglais est une bonne introduction pour qui voudrait s’initier à l’ancien français !
Ces échanges linguistiques vont cependant prendre fin en 1204 avec Philippe Auguste, puis la guerre de Cent ans. Pour ce qui est de la France, il faudra attendre le XVIIIème siècle pour que notre langue emprunte des mots au vocabulaire anglais (aujourd’hui les emprunts du français à l’anglais sont de l’ordre de 4 %).
Pourquoi une Library n’est pas une librairie
C’est parce que le « library » anglais vient de l’ancien français « librairie », dans le sens où Montaigne l’entendait, à savoir une bibliothèque, que le mot est devenu un faux ami et ne désigne pas un magasin de livre (« bookshop »). Mais cette hégémonie du français sur l’anglais ne va pas durer. L’Angleterre va prendre le dessus au milieu du XIVème. L’enseignement outre-manche à cette période passe à l’anglais qui, avec Henry IV, devient la langue officielle. Ce n’était pas le cas auparavant.
Henriette Walter date ensuite avec Chaucer et ses Contes de Cantorbéry, le premier texte littéraire important et vulgarisateur de la langue anglaise. Chaucer écrit dans un anglais de la région de Londres – le « moyen-anglais »- qui va se répandre à travers la création des universités prestigieuses d’Oxford (milieu du XIIème siècle) et Cambridge (XIIIe siècle). Petit à petit, la langue va se construire. Plus tard, vont naître les dictionnaires rédigés en anglais, alors que le latin est encore très présent.
La différence entre pâte à dents et dentifrice
Mais bientôt, la langue anglaise ne va plus se contenter de son île. A la fin du XVIe siècle, elle « prend le large », signale Henriette Walter, notamment en Amérique du Nord où elle débarque en 1584. Cette fois-ci, ce sont des Français (ceux de Québec, d’Acadie) qui vont traduire de l’anglais vers le français pour créer de drôle d’associations… le toothpaste devenant de la pâte à dents. A partir du XIXe siècle, les savants de langue anglaise vont participer à son rayonnement dans le monde. C’est encore le cas aujourd’hui. Mais que l’on se rassure. L’anglais a tellement puisé dans le français que l’on y participe aussi un peu. 2/3 du vocabulaire anglais est issu du français, estime Henriette Walter.
Présentation de l’éditeur :
Quand on aime, on donne sans compter..., et quand on sait que plus des deux tiers du vocabulaire anglais vient du français ou du latin, que le mushroom anglais est en fait le mousseron français assaisonné à la mode anglaise et que le bol français est à l'origine le bowl anglais prononcé à la française, on comprend alors qu'entre ces deux langues, c'est une véritable histoire d'amour qui a commencé il y a plusieurs siècles... et qui dure.
Bien sûr, les peuples ont connu tour à tour une guerre de Cent Ans ou une Entente cordiale, mais les langues, de leur côté, ont constamment mêlé leurs mots pour donner parfois naissance à des " faux amis ", voire bien souvent aussi à de nombreux " bons amis " : il y en a plus de trois mille dont la forme graphique est parfaitement identique dans les deux langues, parmi lesquels anecdote, caricature, garage, horizon, jaguar, moustache, silicone, structure, unique...
C'est l'histoire peu commune de deux langues voisines et néanmoins amies qu'Henriette Walter conte ici en parallèle, au fil de multiples traversées de la Manche dans les deux sens, interrompues par un grand voyage à la conquête du Nouveau Monde. En revivant cette aventure sentimentale au pays des mots, ponctuée d'une foule d'exemples, de jeux insolites et de piquantes anecdotes, on découvre que l'érudition n'est pas forcément ennuyeuse, et que l'on peut apprendre tout en s'amusant. Et honni soit qui mal y pense.
Fascinant! Merci
Rédigé par : Maria Cochrane | 26/01/2012 à 16:45
"que les accents circonflexes sont des « T » anglais"
Des "s" plutôt non ?
Rédigé par : Moran | 29/01/2016 à 09:48
Guillaume de Normandie au début du XIX ème siècle ??????
Rédigé par : Mouss | 31/05/2018 à 22:33