Robert Killingsworth, traducteur financier, travaillant uniquement du français vers l’anglais, est interviewé par votre blogueur, Jonathan Goldberg (lui-même traducteur professionnel français-anglais). Robert est né à New York. Il vit en Californie depuis 1994, et habite actuellement à Oakland.
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Photo prise à l’entrée de la Rue du Cardinal Lemoine, Paris (5e), là où Robert a loué un appartement, sans savoir que James Joyce y avait écrit « Ulysse ». et qu'Ernest Hemingway avait vécu en face. (Voir en bas l’image de la plaque dédiée à Joyce, posée sur la clôture de l'immeuble).
Jonathan : Vous êtes né aux États-Unis. Où et quand avez-vous appris le français ?
Robert : Dans le secondaire, j’ai fait quatre ans d’apprentissage du français. Des années plus tard, je me suis rendu compte que j’avais appris là tout ce dont j’avais besoin en grammaire et encore. (Je n’ai jamais eu besoin de traduire le plus-que-parfait du subjonctif !) Mais, à l’oral, ce n’était pas brillant. Je n’ai été capable de pratiquer le français à un niveau correct qu’après ma sortie de l’université, alors que je me trouvais au Sénégal, ancienne colonie française, comme volontaire du Corps de la Paix. J’ai oublié le peu de wolof que j’y avais appris, mais le français est resté.
Jonathan : Comment êtes-vous devenu traducteur ?
Robert : Par hasard, et assez tard dans ma vie. En 1990, ma femme s’est vue offrir une affectation de deux ans à Paris. C’était lune trop belle occasion qu'il ne fallait pas laisser passer! J’ai abandonné mon emploi salarié, nous avons déménagé en France avec nos deux filles, alors toutes jeunes, et je suis resté à la maison pour m’occuper d’elles. Je suis devenu « homme au foyer ».
Après quelques mois, j’ai commencé à chercher à m’occuper sur le plan professionnel, pendant que les filles étaient à l’école. J’avais un ordinateur, je savais bien me servir du clavier, et je connaissais bien le logiciel MS Word. Une relation avait ouvert un cabinet de traduction à Paris, et j'ai eu l'audace de penser que je pouvais traduire du français vers l’anglais. J’ai demandé à faire un essai; et c’est ainsi que j’ai commencé, à 35 centimes (de franc, à cette époque) le mot. J’étais généraliste alors, je traduisais tout ce que l’on me donnait.
Jonathan : Quelles sont vos spécialisations ?
Robert : Je n’en ai qu’une seule : la finance (ou plutôt « le financier », avec ses composantes bancaires, juridiques, comptables, etc.). Au bout de six mois, je me suis rendu compte que je pouvais me spécialiser dans le domaine de ma « vie antérieure ». J’avais un diplôme universitaire en sciences économiques et une accréditation professionnelle en analyse financière comme CFA (Chartered Financial Analyst). J’avais encore beaucoup à apprendre en technique bancaire, en droit, en comptabilité et autres matières connexes, mais j’étais bien mieux placé que d’autres pour me mettre au courant.
Jonathan : Préférez-vous traduire ou interpréter ?
Robert : Je ne fais pas du tout d’interprétariat. Je n’en serais pas du tout capable, et cela ne me convient pas. S’il y a une chose que j’aime dans le métier de traducteur, c’est de ne pas avoir à sortir de chez soi pour l’exercer !
Jonathan : Quels sont vos clients ?
Robert : Actuellement je n’en ai que deux. Ce sont de petites agences de traduction parisiennes, pour qui je travaille depuis 15 ans. Mon marché est en Europe, pas en Amérique du Nord. Je suis très content de ne PAS travailler pour des clients directs. Au vu des neuf heures de décalage horaire, je n’ai pas du tout envie d’être debout en même temps que les Parisiens ; je suis très heureux de passer par un intermédiaire.
Jonathan : Utilisez-vous des logiciels d’aide à la traduction (TAO) ?
Robert : Oui, pour chaque traduction. J’ai tellement l’habitude de travailler avec un logiciel de mémoire de traduction, qu’il me serait difficile maintenant de m’en passer. Pour la traduction, j’utilise depuis neuf ans le même logiciel de TAO. Pour faire de l’alignement de textes et produire des bi-textes, j’utilise un autre logiciel. J’ai l’intention, au cours des prochains mois, d'apprendre à maîtriser un des nouveaux logiciels qui permettent de bien exécuter ces deux tâches. J’ai acheté ce nouveau logiciel il y a plusieurs mois, mais je n’ai pas encore trouvé le temps de me familiariser avec lui.
Jonathan : Quel est pour vous le plus grand défi de la traduction de textes financiers ?
Robert : Je répondrai, sans hésitation : trouver la bonne terminologie !.Trouver les termes appropriés et les utiliser à bon escient. C’est aussi, de mon point de vue, la description de la tâche du traducteur spécialisé, quel que soit son domaine.
Les plus grandes difficultés de la terminologie financière concernent souvent des termes et des mots d’usage courant. Prenons, par exemple, le mot consolidation, avec une acception comptable. Ce mot est utilisé aussi bien en français qu’en anglais, très souvent avec le même sens, mais il y a pourtant une différence clé dans ce que ce mot est supposé vouloir dire en France. Dans ce cas particulier, je n’ai aucun moyen de donner l’équivalent en anglais en moins de huit mots, ce qui est problématique car, justement dans ce cas particulier, une erreur de traduction entraînerait une grossière erreur de compréhension.
Le terme « franchissement de seuil[s de détention] », qui est courant dans les questions de lois et de réglementation concernant les valeurs mobilières, pose aussi un véritable défi de traduction. Dans ce cas, le terme équivalent en anglais est “notification of major holdings” qui, du point de vue sémantique, n’a pas beaucoup de rapport avec son homologue français. De fait, il ne s’agit pas stricto sensu d’une traduction, mais c’est pourtant là le terme que le traducteur devra utiliser dans presque tous les cas faisant référence au sujet en question. Dans les deux langues, le terme est un raccourci utilisé dans un contexte d’une obligation de divulgation d’information financière, mais, selon la langue, on met en valeur un point différent de ladite obligation.
Jonathan : Très intéressant. Merci infiniment, Robert.
Robert : Je vous en prie.
– réponses traduites par Danièle Heinen
Photo: Douce France (Conall Hamil)
Hi Robert!
Very nice to see you featured as the translator of the month. I wonder if we have ever collaborated on a project during my previous life as PM?
What an impressive career!
Financial disclosures: so glad someone is translating them, I would be so much happier if I was not asked to interpret them on the spot... even the "simpler" ones give me headaches.
All the best to you!
Rédigé par : Lemotdubonjour | 28/02/2012 à 14:16