L'article suivant etait redigé par Michael ERARD, l'auteur de Babel No More, et traduit par Jean Leclercq, avec la permission de l’auteur.
Michael Erard,
journaliste, écrivain, linguiste
Babel No More : The Search for the World's Most Extraoridinary Language Learners, a paru en janvier 2012. (Maison d’édition : Free Press). Il est disponible aussi en Kindle.
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Les Américains sont-ils vraiment monolingues?
Par Michael ERARD
L'article suivant a paru dans le Sunday Review du journal "The New York Times". Un lien au texte originel est fourni en bas.
Les Américains s'entendent souvent dire que, dans un monde planétarisé, leur monolinguisme paresseux les défavorise. « Pendant trop longtemps, les Américains se sont attendus que d'autres parlent leur langue, » a déclaré le Secrétaire à l'Éducation, Arne Duncan, lors du Sommet des langues étrangères de 2010. « Mais, nous ne pourrons continuer ainsi dans un monde de plus en plus complexe et interconnecté. »
Depuis 1980, Le Bureau du Recensement des États-Unis a posé la question: « Cette personne parle-t-elle une langue autre que l'anglais à la maison ? Quelle est la qualité de son anglais ? ». Le Bureau signale qu'en 2009, environ 20% des Américains parlaient une langue autre que l'anglais à la maison. Ce chiffre témoigne souvent du nombre de locuteurs bilingues aux États-Unis d'Amérique.
Mais, il suffit d'une minute de réflexion pour comprendre que demander quelle langue on parle à la maison n'équivaut pas à demander si l'on parle plus d'une langue. J'ai une certaine maîtrise de l'espagnol et, il y a vingt ans, je parlais couramment le mandarin. Mais, lorsque le questionnaire du Bureau de Recensement [1] est arrivé dans ma boîte à lettres le mois dernier, il m'a fallu répondre négativement à cette question, parce qu'à la maison, nous ne parlons que l'anglais.
Je sais que je ne suis pas seul. Il y a d'innombrables Américains qui, hors de chez eux, parlent d'autres langues que l'anglais. Pas seulement ceux qui ont appris d'autres langues à l'école ou en vivant à l'étranger, mais aussi des employeurs qui ont acquis suffisamment d'espagnol pour s'adresser à leur personnel, des gens qui travaillent dans des hôpitaux, des dispensaires, des tribunaux ou des commerces et qui ont appris des bribes d'une autre langue pour se faciliter la tâche; des militaires rentrant d'Irak ou d'Afghanistan avec quelques rudiments d'arabe, de pachto ou de dari; des enfants de la troisième génération qui, en fin de semaine et dans des structures extra-scolaires, étudient la langue de leurs aïeux immigrés ; des conjoints ou des partenaires qui captent un peu de la langue maternelle de l'être aimé; des passionnés qui étudient des langues avec des logiciels comme Rosetta Stone. Aucun de ceux-là n'est identifié comme bilingue par la question du Bureau du Recensement.
Tous les recensements effectués aux États-Unis depuis 1890 (à une exception près, en 1950) ont interrogé la population sur ses caractéristiques linguistiques, et la question a toujours semblé supposer que l'anglais est la seule langue de mise pour tout ce qui se déroule hors de la maison. Bien que dépassée, cette hypothèse n'en est pas moins assez compréhensible. Après tout, l'objectif fondamental du Bureau en posant cette question n'est pas de brosser un tableau exhaustif des aptitudes linguistiques des Américains mais plutôt de mesurer le degré d'intégration des immigrants à la société américaine dominante et de déterminer de quels services ils ont besoin, et dans quelles langues. (En octobre, par exemple, le Bureau du Recensement a diffusé une liste de circonscriptions où de très nombreux électeurs ont besoin d'instructions de vote dans une langue autre que l'anglais.)
Néanmoins, pour mieux recenser les aptitudes linguistiques des Américains, le Bureau devrait adopter la question que la Commission européenne a posée dans son enquête de 2006: Pouvez-vous avoir une conversation dans une langue autre que votre langue maternelle? (Incidemment, la réponse a fait mentir la réputation très multilingue des Européens: seulement 56% des enquêtés, qui tendaient à être plus jeunes et plus instruits, ont répondu affirmativement.) Jusqu'à ce que le Bureau affine sa question, il sera presque exagéré de prétendre parler de monolinguisme américain.
Le célèbre multilinguisme non pas seulement de l'Europe, mais aussi du reste du monde, est peut-être surfait. Les lamentations quant à l'infériorité linguistique supposée des Américains vont souvent de pair avec l'idée selon laquelle les monolingues constituent une petite minorité à l'échelle du monde. Suzanne Romaine, la linguiste d'Oxford, a prétendu que le bilinguisme et le multilinguisme « sont une nécessité normale et banale de la vie quotidienne pour la majorité de la population du monde. »
Mais, les statistiques noircissent quelque peu ce tableau. Dernièrement, Mikael Parkvall, le linguiste de l'Université de Stockholm, a eu bien du mal à se procurer des données sur le bilinguisme à l'échelle mondiale. Les chiffres fiables dont on dispose ne couvrent que 15% des quelque 190 pays du monde et moins d'un tiers de la population mondiale. Dans ces pays, M. Parkvall a calculé (dans une étude encore inédite) que le nombre moyen de langues (maternelle ou non) parlées par individu est de 1,58. Assemblant du mieux qu'il le pouvait les données disponibles pour le reste du monde, Parkvall a estimé que 80% des terriens parlent 1,69 langues – chiffre insuffisant pour conclure que l'individu moyen est bilingue.
Il se peut que les multilingues soient plus nombreux que les monolingues, mais on ne sait pas au juste de combien. Il se peut que l'Américain moyen ne soit ni plus monolingue ni moins multilingue que n'importe quel autre individu dans le monde. Au minimum, nous ne pouvons le dire de façon certaine – et dans aucune langue.
Article originel en anglais : Are We Really Monolingual
Les Américains s'entendent souvent dire que, dans un monde planétarisé, leur monolinguisme paresseux les défavoriser.
Il y a une faute de frappe sur le dernier mot du paragraphe. Le "r" est en trop.
Cordialement
Rédigé par : Robert | 03/03/2012 à 04:50