Washington D.C., le 31 mai 2012
Certaines langues, comme l'espagnol, s'écrivent comme elles se prononcent. Ce n'est pas le cas de l'anglais ou du français. Si l'on présentait à une personne ne connaissant pas vraiment l'espagnol un texte rédigé dans cette langue et qu'on lui demandait de le lire à haute voix, les sons produits seraient dans l'ensemble compréhensibles pour un locuteur espagnol (sauf que l'accent tonique risque de ne pas être au bon endroit sur certains mots). Il n'en serait pas de même pour le français qui comporte un grand nombre de mots dont la dernière lettre ne se prononce pas (toit, aux, quand, janvier, etc.) ou dont la dernière syllabe est muette (assurent, veille, fesses, etc.). En anglais, l'écart entre la prononciation des mots et leur orthographe est encore plus important.
Le dramaturge irlandais George Bernard Shaw aurait dit, par boutade, que le mot « fish » pourrait s'écrire « ghoti » si l'on utilisait les lettres « gh » telles qu'elle sont prononcée dans le mot « enough », la lettre « o » telle qu'elle est prononcée dans le mot « women » et les lettres « ti » telles qu'elles sont prononcées dans le mot « action ». En fait, ce raisonnement facétieux ne serait pas dû à Shaw et aurait en outre été réfuté. Dans la Language Column du New York Times, le linguiste Ben Zimmer examine cette question et bien qu'il avoue que « The spelling of English is a bizarre mishmash », il conclut comme suit : « La plupart des gens qui verraient le mot ghoti le prononceraient simplement goaty… On ne peut pas tout se permettre en anglais ».
Les nombreuses irrégularités orthographiques de l'anglais et la richesse de son vocabulaire (même si bien des mots sont trop rarement utilisés) sont à l'origine d'une tradition américaine : le championnat d'orthographe (spelling bee, en anglais). Le Collins English Dictionary, Complete and Unabridged, définit spelling bee comme suit : a contest in which players are required to spell words according to orthographic conventions (une compétition au cours de laquelle les joueurs doivent épeler des mots conformément aux conventions orthographiques). Pour connaître l'origine de ce terme, cliquez ici. Noah Webster (1758-1843) écrivit le premier dictionnaire d'orthographe en 1783.
Noah Webster
Le titre initial en était The First Part of the Grammatical Institute of the English Language. Du vivant de Webster, pas moins de 385 éditions furent publiées et le titre de l'ouvrage devint, en 1786, The American Spelling Book et, en 1829, The Elementary Spelling Book. C'est le livre américain qui a eu le plus de succès à son époque ; en 1837, 15 millions d'exemplaires avaient été vendus et ce chiffre a atteint environ 60 millions en 1890, si bien que la majorité des élèves et des étudiants consultèrent ce livre pendant le premier siècle d'existence de la nation américaine. Pour mieux connaître le rôle de Webster dans l'évolution de l'anglais aux États-Unis, vous pouvez vous reporter à l'article de Wikipedia consacré à Noah Webster.
Depuis 1945, le championnat national d'orthographe des États-Unis se déroule chaque année à Washington. L'âge des participants va de 8 à 15 ans, mais 80 % d'entre eux sont âgés de 12 à 14 ans. Chaque participant doit épeler un mot et peut demander des informations à son sujet, par exemple son origine, une définition ou une phrase contenant le mot. À la première erreur, le participant est éliminé.
Ces dernières années, une proportion importante des participants et des vainqueurs était d'origine asiatique. En 2010, sur les 273 candidats, 21 avaient une première langue autre que l'anglais. La personne chargée de lire les mots à épeler, Jacques A. Bailly, parle couramment le français et l'allemand, et enseigne le grec ancien et le latin.
Le championnat de 2012 vient d'être remporté par Snigdha Nandiparti, la cinquième Américaine d'origine indienne à s'être imposée ces cinq dernières années et la dixième lors des 14 derniers championnats. Elle est repartie avec le trophée, un prix de 30 000 dollars, des bons du Trésor d'une valeur de 2 500 dollars, un ensemble complet d'ouvrages de référence, la dernière édition de l'« Encyclopaedia Britannica », une bourse d'études d'un montant de 5 000 dollars et bien d'autres prix encore.
Pour gagner, Snigdha Nandiparti a dû épeler correctement le mot guetapens (emprunté au français guet-apens) après l'élimination des autres finalistes.
Snigdha Nandipati
La plus jeune candidate, Lori Anne Madison, âgée de six ans, savait déjà lire à deux ans.
Lors des derniers championnats, les mots qui ont permis aux gagnants de remporter la victoire ont été cymotrichous, stromhur, pococurante, autochthonous, appoggiatura, ursprache, serrefine, guerdon et Laodicean.
Dans un livre très intéressant, intitulé American Bee: The National Spelling Bee and the Culture of Word Nerds, l'auteur James Maguire suit les participants du championnat de 2005, qui se préparent aux éliminatoires en lisant des dictionnaires et en étudiant l'étymologie.
Sources :
A Dictionary of American English. Sir William A. Craigie and James R. Hulbert, eds. University of Chicago Press, 1944.
A Dictionary of Americanisms. Mitford M. Matthews, ed. Univ. of Chicago Press, 1951.
The American Language. New York: Alfred Knopf, Mencken, H.L. 1948, Knopf
Lecture supplémentaire :
San Diego eight grader wins National Spelling Bee with "guetapens"
Reuters, June 1, 2012
* connu comme The Scripps National Spelling Bee
J.G.
Commentaires