Notre traductrice invitée, Françoise de la Plume de Dussert (pseudonyme), est une traductrice professionnelle, diplômée en littérature française, née en France, mais vivant en Angleterre depuis de longues années. Imprégnée des deux cultures, elle est adepte du grand écart linguistique.Françoise a collaboré à ce blog dès les débuts et y a signé une douzaine d’articles. Nous apprécions infiniment son talent et sa compétence, tant littéraire que linguistique. Françoise a obligeamment accepté de nous accorder l'interview qui suit.
- Vous êtes née en France. Où et quand avez-vous appris l’anglais ?
Au lycée. En première langue. Mais je réussissais mieux en italien qui était ma deuxième langue étrangère, alors au bac puis à la fac, où j’avais choisi d’étudier la littérature française, l’italien est devenu ma première langue étrangère, l’anglais, relégué au second plan (pour l’étude des textes de littérature comparée, par exemple, où la lecture du texte dans sa langue originelle était facultative) faisait figure de parent pauvre.
Mon premier amour, c’est la belle langue. Si j’aimais l’italien et y réussissais mieux c’est parce que, plus proche du français, sa beauté et ses subtilités m’étaient plus immédiatement accessibles. Le hasard a voulu que mon désir de partir comme assistante en Italie ne soit pas exaucé. M’étant promis de vivre à l’étranger, et avec la chance d’avoir de la famille éloignée en Angleterre, j’y suis venue au pair pendant un an et me suis éprise du pays. Pour y rester, j’y ai d’abord fait carrière d’enseignante pendant plus de vingt ans.
- Comment en êtes-vous arrivée à la traduction ?
J’en rêvais depuis longtemps. Au départ mon anglais n’était pas très bon et, instinctivement mais aussi avec les vifs encouragements de ma cousine (elle-même traductrice), je me suis tournée vers la lecture pour approfondir ma connaissance non seulement de la langue mais de la culture. La grande littérature et une bonne plume avaient suffi à mon bonheur : installée en Angleterre, j’avais un besoin viscéral des mêmes capacités dans ma nouvelle langue quotidienne. De temps à autre, le désir me prenait de traduire un livre qui m’avait séduite.
Et puis un jour, l’enseignement du français dans une école secondaire, qui m’avait aussi fourni ample matière à réflexion sur les fonctionnements respectifs de mes deux langues, m’est devenu un fardeau et j’ai décidé de quitter la profession et de satisfaire mon ambition.
- Vous traduisez vers le français et vers l’anglais, ça fait désordre…
Ce n’est pas toujours très bien vu. Mais, ironiquement, je n’avais pas le choix ! J’allais m’essayer à la traduction… Fort bien. Mais comment m’introduire dans la profession ? Il fallait se qualifier, se trouver des spécialisations. Je savais que the Institute of Linguists qui s’adresse à tous les spécialistes des langues étrangères proposait un Diploma in translation. Va pour le Diploma, mais quelques heures passées sur des annales des examens déjà organisés eurent tôt fait de me convaincre que j’avais beaucoup à apprendre.
Traduire donc, mais de et vers quelle langue ? Je savais que je pouvais intimider mes collègues britanniques par la qualité de mon anglais et les étudiants, par nature plus critiques que respectueux de notre savoir, se tournaient souvent vers moi pour les questions les plus subtiles. (J’avais emmagasiné un vaste vocabulaire et savais expliquer la grammaire.) En même temps, ma pratique forcenée de l’anglais avait affaibli ma maîtrise de ma langue maternelle. J’étais au chômage. Je me suis donc mise à la traduction de deux livres : l’un vers le français l’autre vers l’anglais, un jour pour chaque: on verrait bien. Or, la traduction de Puckoon vers le français s’avéra beaucoup plus difficile que la traduction du Très-bas vers l’anglais – ce qui n’étonnera pas les professionnels, avertis des difficultés spécifiques à la traduction de l’humour, alors l’humour irlandais …!
Or, à l’époque, pour s’inscrire à l’examen, il fallait avoir sa licence dans la langue à partir de laquelle on traduisait. J’avais une licence ès lettres françaises. Il fallait donc passer l’examen en traduisant vers l’anglais, avec les ‘native speakers’. Je réussis et obtins une mention pour la traduction littéraire. Mais voilà que, le français étant ma langue maternelle, l’Institute insista d’abord pour que je ne traduise que vers le français. Je décidai de passer outre et de répondre à la demande : j’avais, après tout la même qualification que mes collègues de langue anglaise. Aujourd’hui je suis reconnue bilingue.
- Vous a-t-il été difficile de trouver des clients et de vous établir en tant que traductrice professionnelle ?
Oui. Mes spécialisations en littérature et en histoire ne m’ouvraient pas beaucoup de portes… C’est aux associations professionnelles, et aux collègues, que je dois d’être entrée dans la profession. Un cabinet de traduction m’a offert un stage et a continué à me fournir du travail de temps à autre (notamment de l’interprétariat pour Oxfam). Mais, ce dont je suis le plus reconnaissante à Jamie Robertson d’AlphaPlus, c’est du soin qu’il a pris de me faire rencontrer des collègues et connaître des réseaux. Par ce biais, un petit groupe multilingue s’est formé qui a pu offrir des services en plusieurs langues et nous avons décroché quelques contrats avec des éditeurs. Nous avons mis au point un système coopératif, nous permettant de répondre rapidement et correctement à la demande, tant en langue qu’en spécialisation et reposant sur la confiance et le respect mutuel. C’est cette expérience qui m’a permis plus tard de répondre au pied levé à une demande du Ministère des Affaires étrangères et européennes. Chez les traducteurs, le professionnalisme et l’entre-aide semblent couler de source
- Est-ce que vous rencontrez souvent des collègues ? Trouvez-vous instructif de participer sur internet à des forums de traduction ?
Dans ma carrière, les contacts ont compté pour beaucoup. Par le biais des associations professionnelles (pas exclusivement linguistiques) j’ai pu rencontrer mes collègues géographiquement proches et nous avons pu nous entraider. À la même époque, plusieurs forums de traduction faisaient leur apparition sur le web et, là aussi, j’ai trouvé des collègues prêts à partager leurs ressources. J’ai bénéficié d’une immense générosité qui m’a permis par la suite de soutenir à mon tour des collègues débutants. J’ai même le plaisir de collaborer de temps à autre avec une de mes anciennes élèves ! Échanger en ligne est une source d’enrichissement permanent ; on y apprend beaucoup sur les langues, bien sûr, mais aussi sur l’éthique. Les langues changent sans cesse et il n’est pas rare de ‘tomber sur un os’ où c’est l’expérience collective et la discussion qui font émerger la solution. Les méthodes de travail sont aussi passées au crible. En plus, je me suis fait par ce biais de solides amitiés.
- La traduction est un métier très solitaire. Souffrez-vous de cet isolement ?
Non. À ma grande surprise, même à mes débuts, quand je n’avais pas encore l’Internet, qui du reste en était à ses balbutiements, cinq ou six heures en tête à tête avec un texte, fût-il un contrat de vente, étaient un enchantement. Il est vrai que le temps est subjectif et qu’elles pouvaient sembler infiniment moins longues qu’une heure et demie avec une trentaine de gosses dépourvus du moindre intérêt pour le français – et bien décidés à le faire savoir… Le fait est que la solitude m’avait manqué.
- Travaillez-vous pour des agences ou pour des clients privés ?
Le plus souvent pour des clients privés dans les domaines de l’art, de la politique, de l’aide au développement, de l’histoire, de la théorie socio-économique. Des liens amicaux se sont forgés avec certains.
- Quelle est votre plus grande ambition ?
D’arriver à ‘placer’ au moins un des quatre romans que j’ai traduits (deux vers le français, deux vers l’anglais). Pour trois de ces romans, les auteurs ont collaboré avec moi et mon impuissance à honorer leur patience et à les faire reconnaître me désole.
Françoise, j'adore votre pseudo... un petit parfum "siècle des Lumières"... Bravo pour votre obstination à combattre les clichés (du genre "ça fait désordre"). Vous avez sans doute vu la vidéo d'une interview de David Bellos que JG/JL ont mis sur le site à propos de "Is That a Fish in your Ear?", où Bellos expose très bien la notion de langue dominante et l'envie de traduire/écrire dans plusieurs langues selon nos parcours de vie.
Avez-vous essayé d'envoyer des extraits de vos traductions à des blogs tels que Words Without Borders, ou à différentes universités (américaines) avec des programmes de ce genre? Comme vous le savez, il faut faire circuler le nom de "nos" auteurs (souvent inconnus du plus grand nombre mais pourtant des voix à découvrir). Des sites comme ALTA et PEN American Center ont des programmes intéressants pour les traducteurs littéraires. Intralingo est aussi un site pour traducteurs, bourré d'informations utiles. Go for it!
Rédigé par : Catherine | 29/06/2012 à 09:45
Je suis ravi de faire connaissance d'une si grande traductrice. En effet j'essai de faire carrière dans la traduction car à la base je suis licencié es linguistique en anglais et j'ai enseigné pendant prés de neuf années dans les collèges et lycées de la place.j'aimerai de temps en temps correspondre avec vous.Je suis au Congo Brazzaville plus précisément à Pointe-Noire.
Rédigé par : jean claude tchizinga | 05/07/2012 à 02:47