Une fausse bizarrerie française
L'interview suivant est traduit d'un article intitulé A faux French quirk paru dans le blog GrammarPhobia.com Nous le publions avec l'autorisation des bloggeurs, Pat O’Conner et Stewart Kellerman qui sont des linguistes américains bien connus et les auteurs de plusieurs livres sur la langue anglaise. Nos lecteurs voudront bien se rappeler que cet interview s'adressait au public anglophone et qu'il convient donc de le lire en se mettant à la place des lectrices et lecteurs de langue anglaise.
Q.: Dernièrement, j'ai lu une critique de A Death in Summer, le tout dernier roman à énigmes de Benjamin Black, nom de plume derrière lequel se cache le lauréat du Booker-Prize, l'écrivain John Banville. Il me paraît ridicule d'utiliser une expression française alors que nous avons en anglais, pen name, qui convient parfaitement. Qu'en pensez-vous ?
R.: Nous aussi préférons pen name, surtout parce que nom de plume n'est même pas français. C'est aussi anglais que Big Ben, la Tour de Londres ou les fish and chips.
Dans Origins of the Specious [1] le livre dans lequel nous traitons des mythes linguistiques, nous expliquons comment naquit cette expression faussement française.
La véritable expression française pour un pseudonyme est nom de guerre, que les Britanniques ont adoptée à la fin du XVIIe siècle. Mais, au XIXe siècle, il semble que des écrivains britanniques aient estimé que l'expression française pouvait prêter à confusion.
Et l'on comprend que nom de guerre (littéralement, war name) puisse surprendre.
Les Français ont d'abord utilisé l'expression pour désigner le sobriquet qu'un soldat donnait lorsqu'il s'enrôlait dans un régiment [2]. Mais, à l'époque où les Britanniques commencèrent à utiliser l'expression, elle désignait tous les pseudonymes, en anglais comme en français.
La fausse expression française nom de plume est entrée dans la langue anglaise au XIXe siècle. Un obscur romancier victorien du nom d'Emerson Bennett est à l'origine de son entrée dans l'Oxford English Dictionary.
Dans le roman Oliver Goldfinch qu'il publie en 1850, l'auteur précise que son héros est « mieux connu de nos lecteurs comme talentueux poète sous le nom de plume d'Orion. »
Bennett aurait pu employer le mot « pseudonyme » que nous avions emprunté au français à peu près à l'époque où nom de plume fut inventé. Bennett craignit peut-être que pseudonym manquât d'un certain je ne sais quoi.
Quelles qu'en soient les raisons, nom de plume fit florès dans le milieu littéraire – à tel point qu'il inspira le calque anglais pen name qui apparaît en 1864 dans le Webster's American Dictionary of the English Language.
La vieille expression française nom de guerre n'en subsiste pas moins en anglais.
Les dictionnaires anglais la définissent comme un « pseudonyme » ou un « nom fictif » mais, de nos jours, il sert le plus souvent à désigner des terroristes (ou des combattants de la liberté, selon le camp dans lequel on se situe) [3].
Dans Origins of the Specious, nous relatons une anecdote au sujet du poète Coleridge qui utilisait non seulement des noms de plume ("Cuddy" et "Gnome", entre autres), mais s'est également servi une fois d'un nom de guerre. Une jeune femme lui ayant refusé sa main, il abandonna Cambridge et s'engagea aux 15e dragons légers sous le pseudonyme de « Silas Tomkyn Comberdache » (un patronyme qu'il avait lu sur une porte de Lincoln's Inn Fields, à Londres).
Traduit par Jean L.
[1] Il s'agit d'un livre sur les étymologies erronées dont le titre est un jeu de mots fondé sur « The Origin of the Species » (« L'origine des espèces » de Darwin).
[2] Sous l'Ancien Régime, tous les soldats avaient un sobriquet. Parfois, ces sobriquets (La Tulipe, La Framboise, La Joie, Va de bon cœur, etc) devenaient des patronymes. Ainsi s'explique l'anthroponymie pittoresque du Canada francophone.
[3] Historiquement, Lénine, Staline, Trotsky, le maréchal Tito, le général Leclerc et le colonel Passy ont été des noms de guerre.
J.L.
Merci Jean pour le lien grammarphobia... Another useful resource... J'en apprends vraiment beaucoup TOUS les jours grâce à ce blog que vous "alimentez" avec tant de constance, vous et Jonathan !
Rédigé par : Catherine Cauvin-Higgins | 04/08/2012 à 15:20