À l'automne dernier, un jeune auteur suisse, Joël Dicker, a défrayé la chronique en remportant successivement deux grands trophées littéraires français : le Grand Prix du Roman de l'Académie française et le Prix Goncourt des lycéens. Son livre [1], La vérité sur l'affaire Harry Quebert, s'est déjà vendu à 250.000 exemplaires dont 25.000 avant l'obtention des deux prix !
Malgré l'agenda très chargé d'un auteur à succès, Joël Dicker a répondu aux cinq questions que Jean Leclercq lui a posées. Le mot juste l'en remercie et a le plaisir de publier cet entretien.
[1] Dicker, Joël. La vérité sur l'affaire Harry Quebert.
Paris, Éditions de Fallois/L'Âge d'Homme, 2012. 669p.
Joël Dicker
(c) Photo Jeremy Spierer
Le mot juste : Monsieur Dicker, vous êtes Genevois, juriste de formation, et vous n'avez que 27 ans. Or, votre livre révèle une connaissance intime des États-Unis. Qu'il s'agisse de la Nouvelle-Angleterre ou du Sud profond, vous semblez parfaitement à l'aise dans le quotidien américain. D'habitude, les auteurs européens se sentent obligés d'utiliser des clichés qui finissent par agacer le lecteur averti. Chez vous, rien ne sonne faux. Comment avez-vous acquis une telle connaissance de la culture américaine ?
Joël Dicker : À force d'y passer du temps, j'ai peu à peu appris à connaître les États-Unis de l'intérieur. Cela fait plus de vingt ans que je vais, chaque année ou presque, passer quelques semaines aux États-Unis. J'ai donc appris à comprendre le fonctionnement de la société américaine. Je connais très bien la Nouvelle-Angleterre, je m'y sens très à l'aise. Mais, je connais également bien d'autres parties du pays, comme le Midwest, que j'ai longuement sillonné. Je suis même allé à deux reprises dans l'État que vous considérez être la dernière frontière : l'Alaska.
Le mot juste : À tort, on a d'abord présenté votre livre comme un« roman policier », alors qu'il est bien plus que cela. L'Académie française ne s'y est pas trompée en vous décernant son Grand Prix. Ceci étant, l'intrigue policière n'en constitue pas moins le fil conducteur. Sous ses dehors lisses et son ambiance feutrée, Genève a connu bien des énigmes policières. Pourquoi situer votre roman aux États-Unis ?
Joël Dicker : J'avais envie de situer mon livre en Nouvelle-Angleterre pour raconter aux lecteurs français et européens cette région magnifique et exceptionnelle. J'avais également envie de rendre hommage à ces endroits qui m'ont tant inspiré. Vous avez cependant raison : j'aurais parfaitement pu situer mon intrigue à Genève, ou en Suisse. Mais j'avais envie de prendre de la distance avec mes personnages, avec mon intrigue. La Nouvelle-Angleterre me permettait un certain détachement avec le livre et je ressentais en avoir besoin.
Le mot juste : Votre livre semble comporter de nombreux éléments autobiographiques. Votre héros, Marcus Goldman, est un écrivain dont le premier livre a eu un énorme succès. Devenu célèbre, il connaît les affres d'un passage à vide - le syndrome de la page blanche – alors que son éditeur exige de lui un deuxième ouvrage. « Faire pour faire n'a jamais eu de sens » écrivez-vous (p. 274). Que pensez-vous de ces contrats qui obligent les auteurs à écrire un livre par an ? Peut-on bien écrire à jet continu et à la demande de son éditeur ?
Joël Dicker : Vous savez, il n'y a pas grand chose d'autobiographique dans ce livre. Marcus rencontre le succès avec son premier livre, en ce qui me concerne, c'est le sixième. Si des contrats obligent à la livraison d'un livre par an, c'est que les auteurs le veulent bien. La véritable réflexion qui m'intéressait était celle de la relation auteur-lecteurs. Il y a parfois chez les écrivains la peur de la perte du lien entre eux et les lecteurs. Au fond, c'est le plus passionnant, je trouve. Cette relation presque dépendante avec son public que peut créer le succès. Marcus a peur de voir le lien se rompre. Mais c'est le livre qui doit créer le lien, et non l'inverse.
Le mot juste : « Publier, cela signifie que ce que vous avez écrit si solitairement vous échappe soudain des mains et s'en va disparaître dans l'espace public. C'est un moment de grand danger: vous devez garder la maîtrise de la situation en tout temps. Perdre le contrôle de son livre, c'est une catastrophe » (p.385), dit le maître Harry à son élève Marcus. N'y aurait-il de sécurité et de tranquillité pour un auteur que dans l'œuvre confidentielle ou posthume, comme celle de Kafka ?
Joël Dicker : Non, je ne pense pas. La question ne réside pas tant dans l'ampleur de la diffusion que dans la diffusion elle-même. Aussitôt qu'un texte devient public, peu importe l'audience qu'il rencontre, l'auteur en perd partiellement la maîtrise. Une seule personne, une seule interprétation suffit. L'important réside donc dans la capacité de l'auteur à pouvoir réagir aux interprétations qu'on fait de son texte. Dès qu'il n'est plus en moyen de le faire, je pense qu'on peut considérer qu'il a perdu la maîtrise de son texte.
Le mot juste : Votre dernier roman est un grand succès. Reprendrez-vous vos travaux de révision constitutionnelle ou vous consacrerez-vous entièrement à l'écriture ? Dans ce cas, les Américains ayant reconduit dans ses fonctions un président qui avait vos faveurs, situerez-vous votre prochain roman outre-Atlantique ?
Joël Dicker : J'ignore encore de quoi seront faites les prochaines années, mais il y aura en tout cas un prochain livre. Se déroulera-t-il aux États-Unis ? C'est très probable. Non pas parce que Barack Obama a été réélu, mais parce que je ressens un grand intérêt personnel à y situer mon intrigue. Peut-être parce que cela me permet de créer un lien avec ce pays. Vivre à cheval entre la Suisse et les USA. Cela a quelque chose de très plaisant pour moi.
Portrait of Orleans par Edward Hopper
huile sur toile reproduite en couverture du livre
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