Nous avons choisi d'analyser des termes qui comportent une couleur employée au sens figuré. Les personnes les plus averties (surtout celles de langue maternelle anglaise) en reconnaîtront certains. Les autres leur seront moins familiers puisqu'ils ne sont pas encore entrés dans l'usage.
White shoe firms (traduction littérale : sociétés de chaussures blanches)
L'expression américaine white shoe firms désigne habituellement les sociétés dominantes des secteurs juridiques, bancaires et de consultation en gestion.
White hat bias (traduction littérale : préjugé du chapeau blanc) White hat bias apparaît pour la première fois en janvier 2010 dans un article de David Allison et de M.B. Cope, publié dans le volume 34 de la revue International Journal of Obesity. Il s'agit d'une « interprétation tendancieuse menant à la déformation d'une information au profit de prétendues bonnes intentions ».
Le terme prendrait son origine dans les films de cow-boys, où les « bons » portent des chapeaux blancs. [1]
Bluestocking (bas-bleus)
Bluestockings est à la fois une librairie militante et un café du quartier Lower East Side de Manhattan, à New York. Des bénévoles et un collectif de travailleurs-propriétaires gèrent les activités de l'entreprise.
Pink collar worker, grey-collar worker (traductions libres : col rose, col gris)
Blue-collar worker (« ouvrier », familièrement appelé « col bleu » au Canada) et white-collar worker (« employé » ou « cadre », familièrement appelé « col blanc » au Canada) sont des termes communs en anglais comme en français. Le détournement de fonds ou la fraude sont parfois qualifiés de « crimes en col blanc ». En anglais, on a commencé à utiliser ces termes dans les années 1910 et 1920.
Pink-collar worker (traduction libre : « col rose ») et grey-collar worker (traduction libre : « col gris ») sont beaucoup moins connus.
Selon la définition anglaise de Wikipedia, les grey-collar workers [2] (« col gris ») ne sont ni des cols blancs, ni des cold bleus. Le terme se rapporte souvent aux travailleurs qui ont dépassé l'âge de la retraite, mais aussi à ceux dont l'occupation englobe des caractéristiques liées aux cols bleus et aux cols blancs, ou dont l'occupation est complètement différente.
L'agriculture, la pêche, la foresterie et les autres industries . agroalimentaires sont des secteurs liés aux « cols gris »
Le terme Pink-collar worker (« col rose ») ne figure pas dans le langage courant. Il est employé pour désigner un homme qui occupe un métier traditionnellement féminin (par exemple, nounou, gardien d'enfants, travailleur domestique, infirmier).
Aspects sociologiques :
La participation des femmes à la vie active fut autrefois considérée comme un énorme progrès pour les femmes dans un monde où l'on avait toujours estimé que leur place était à la maison et que l'homme constituait le seul gagne-pain de la famille. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les femmes ont d'abord confectionné des vêtements dans des ateliers de misère. Entre 1850 et 1900, malgré une paye rachitique et des conditions de travail difficiles, dangereuses et malsaines, ces femmes étaient souvent contentes de pouvoir contribuer au gagne-pain de leur famille.
Atelier de misère (sweatshop en anglais)
La machine à écrire fut le tremplin inestimable des femmes désireuses d'échapper aux conditions difficiles des emplois mal payés ou des ateliers de misère. Brevetée en 1714, la première machine à écrire moderne fut inventée en 1866. Selon Daniel J. Boorstin, un bibliothécaire américain distingué, la machine à écrire créa de nouveaux emplois de bureau. Par ailleurs, elle donna aux femmes des métiers socialement acceptables, en plus de leur permettre, avec le téléphone, de passer de la cuisine au monde des affaires.
Machine à écrire, 1885
Dans l'excellente série télévisée britannique Downton Abbey, Gwen est une femme de chambre qui caresse le rêve de devenir dactylographe. Cette jeune femme jugée très ambitieuse dans la Grande-Bretagne de l'avant et de l'après-Première Guerre mondiale serait qualifiée aujourd'hui de « carriériste ».
Depuis l'arrivée et l'ascension des femmes sur le marché du travail, on observe trois évolutions [3]. D'abord, les emplois offerts aux femmes se sont diversifiés (bien que l'inégalité des salaires entre les hommes et les femmes soit toujours d'actualité, même dans les pays développés; on parle d'« écart de rémunération entre les genres » ou de « plafond de verre »). [4] Ensuite, certaines professions sont moins connotées socialement. Ainsi, la présence accrue et acceptée des hommes infirmiers a valorisé la profession. Enfin, au cours de périodes de ralentissement économique comme celle que nous connaissons actuellement, les hommes préfèrent occuper un emploi, même mal payé, plutôt que d'être au chômage. C'est pourquoi ils acceptent en plus grand nombre des postes traditionnellement réservés aux femmes : nounous, gardiens d'enfants ou travailleurs domestiques. La présence croissante de ces pink collars (« cols roses ») sur le marché du travail devrait influer sur la fréquence d'utilisation du terme, introduit en 1970 par l'auteure et critique sociale Louise Kappe Howe. Dans le jargon, le pink-collar ghetto (« ghetto des cols roses ») se rapporte aux emplois traditionnellement féminins. Au fil des années, bon nombre de femmes ambitieuses se sont battues pour sortir de ce ghetto. Notons également qu'à leur arrivée sur le marché du travail, les femmes ont remplacé les hommes dans plusieurs secteurs d'emploi. Paradoxalement, on observe aujourd'hui une inversion de ces tendances : dans la conjoncture économique, le « ghetto des cols rose » attire les « cols roses ». Autrement dit, le rôle sexuel évolue constamment.
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[1] Cette explication nous vient de David Allison, qui a gentiment accepté de partager ses connaissances sur le white hat bias. À la question de savoir si le terme est d'usage courant, le professeur Allison croit qu'il entre progressivement dans le vocabulaire des universitaires.
[2] Graphie aux États-Unis : gray. Graphie au Royaume-Uni : grey.
[3] Cette brève analyse des différences entre les genres sur le marché du travail n'est ni approfondie, ni basée sur une recherche. Un article sur les occasions d'emploi pour les femmes a suscité la controverse aux États-Unis : « Why women still can't have it all » d'Anne-Marie Slaughter, publié dans l'édition de juillet-août 2012 du magazine Atlantic. La version Web de l'article a reçu 900 000 visites.
[4] Aux États-Unis et dans d'autres pays développés où le féminisme est à l'origine d'avancées considérables, les femmes gagnent au mieux 70 à 80 % du salaire des hommes pour le même travail. Le 5 juin 2012, le Sénat américain procéda au vote d'un projet de loi sur l'équité salariale entre les hommes et les femmes (Paycheck Fairness Act). En réaction au rejet du projet de loi, le parti démocrate qualifia cette défaite de pas en avant du parti républicain dans sa guerre contre les femmes.
Lecture supplémentaire :
« The Pink Collar Future »
Jamais Cascio, Institute for Ethics and Emerging Technologies
« Working Man's Blues »
Forrest Wickman, Slate, 1st May, 2012
« Pink-Collar Ghetto »
Linda Napikoski, Women's History
« Newly created jobs go mostly to men »
Don Lee, Los Angeles Times, 16 jJuly 2012
« Pink-collar worker »
Wikipédia
The Unfinished Revolution: Coming of Age in a New Era of Gender, Work, and Family
Kathleen Gerson, Oxford University Press, 6 mai 2011
Jonathan G. Traduction Patricia Barthélémy.
Merci à notre contributrice fidèle de sa traduction précieuse.
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