Bienvenue à notre nouveau contributeur, Philippe Gandiol, peintre français qui habite le Nord de la Californie depuis 1975. Philippe a bien voulu rédiger à notre demande un article pour ce blog sur deux peintres français du 19eme siècle qui ont, chacun dans son style, décrit la vie quotidienne dans la campagne française. Tous les deux portent le même nom de famille «Dupré», des prénoms très proches, Jules et Julien ; ils ne sont pas liés par des attaches familiales mais par leur passion et excellence artistique.
Philippe contribue activement à la vie artistique de la Californie. Il a peint des paysages européens et américains aussi que des scènes urbaines « en plein air », tout en utilisant les huiles. Il anime des ateliers d'art et donne des cours en Europe et à la Californie, y compris au Centre d'art de Davis. Son site s'appelle PHILIPPE GANDIOL FINE ART.
Nous montrons à la suite de son article deux de ses propres peintures.
Jules Dupré (1811 – 1889) et |
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Jules Dupré |
Julien Dupré |
Le 5 avril 1811 Jules Dupré est né à Nantes dans la famille de sa mère. Son père, François Dupré, originaire de l'isle-Adam, est propriétaire de deux manufactures de faïence à Creil et à Saint-Yrieix-la-Perche, dans le canton de Limoges. En 1815, il ouvre une nouvelle fabrique de porcelaine à Parmain. Par la suite, il est appelé à la direction d'une manufacture de porcelaine à Limoges et amène avec lui sa famille. Là, Jules apprend grâce à son père toutes les techniques de fabrication de la porcelaine et plus important, le décor des assiettes. Il y découvre aussi la joie et la richesse profonde de peindre sur le vif et d'après nature en s'inspirant des motifs floraux de la région. Vers 1823, il part à Paris pour travailler chez l'un de ses oncles faïencier. Là, il fait la connaissance de Narcisse Diaz de la Peña et Louis Cabat, eux aussi décorateurs de porcelaine et aussi de Constant Troyon ouvrier peintre à la manufacture de Sèvres. Ensuite il s'inscrit à l'école des Beaux-arts de Paris. Pour allier la théorie à la pratique, il prend aussi des cours dans l'atelier de Jean-Michel Diéboldt, un élève de Jean-Louis Dename. Son œuvre se situe entre David, Géricault et Delacroix ce qui ravi Dupré qui admira toute sa vie Géricault et Rembrandt.
C'est à ce moment là que Dupré commence à voir la nature avec un nouvel œil, prenant conscience de l'atmosphère particulière d'un lieu, de la richesse des tons et la subtilité des valeurs. Il est fasciné par le mauvais temps, les changements de lumière, les couchers de soleil. Il commence à peindre seul, en plein air. À cette époque il se lie à d'autres membres de l'école de Barbizon : Paul Huet, Flers et surtout Théodore Rousseau avec lequel il effectue de nombreux voyages en France à la recherché de paysages champêtres.
A 20 ans, en 1831, il expose pour la première fois au salon où il montre, entre autre "une Vue de l'Isle Adam" et " une Cour de Ferme". Il rencontre Lord Graves grâce à qui il découvre le paysage anglais et John Constable [1] , le maitre en la matière.
Dupré est fasciné par les ciels tourmentés et Constable aura une influence profonde sur son œuvre. Dupré est l'un des premiers peintres français qui visite l'Angleterre. Il séjournera à Londres, Plymouth et Southampton où il peint plusieurs paysages urbains. (« Environs de Southampton », 1835). Il rencontre aussi Turner et Richard Parkes Bonington.
Dupré exprime alors dans son travail les aspects dramatiques de la nature qui représentent sa passion pour son art et ce sera encore plus évident lorsque, quelques années plus tard, ses couleurs vont être beaucoup plus contrastées et appliqués avec beaucoup plus d'impasto.
Après ce voyage Dupré va obtenir ses premiers succès au Salon et la reconnaissance de ses pairs. Lors du salon de 1835, Eugène Delacroix admire le ciel orageux et immense de "Environs de Southampton" probablement le chef-d'œuvre de sa période anglaise. Il voyage beaucoup avec Cabat, Troyon et surtout Rousseau dans le Berry, la Normandie et même la Sologne.
Environs de Southampton. 1835.
Huile sur toile, 115 x184 cm
Musée d'Art et d'Histoire Louis Senlecq.
Bien que membre de l'école de Barbizon, il ne visite guère la forêt de Fontainebleau et préfère la solitude de L'Isle Adam où il s'installe en 1849. Lorsqu'il reçoit la légion d'honneur son amitié fraternelle, passionnée et souvent orageuse avec Théodore Rousseau prend fin car ce dernier ne l'a pas reçue. En 1860 Il épouse Stéphanie- Augustine Moreau avec qui il a 2 enfants. C'est à cette période qu'il peint toute une série de marines sous l'influence de Gustave Courbet lors de ses séjours à Cayeux-sur-Mer, parfois en compagnie de Jean-François Millet. En 1889, il est promu commandeur de la légion d'honneur. Cette même année Il meurt de la maladie de la pierre à l'Isle-Adam.
Monument et fontaine Jules Dupré à L'Isle-Adam
Jules Dupré fut souvent considéré comme l'un des précurseurs de l'impressionnisme, peignant la nature et les scènes de la vie courante, souvent en "plein air". Il se laisse imprégner par la vie, l'ambiance qui l'entoure pour créer une œuvre très fraiche et très appréciée par un public enthousiaste. L'influence des peintres anglais et hollandais et aussi de l'école de Barbizon a eu un impact profond sur son travail. Au cours des années, il se dégage de ses toiles une paix de plus en plus profonde due à la simplicité et l'harmonie de ses couleurs. De son vivant, il vit fort bien de sa peinture mais après sa mort, il souffrira d'une réelle méconnaissance en France. Par contre un grand nombre de ses toiles se vendent aux Etats-Unis où les amateurs sont friands de ses paysages grandioses aux ciels torturés et aussi outre-manche où ses toiles du paysage anglais ravissent les collectionneurs.
Julien Dupré
Né en 1851 et mort à Paris en 1910, il est le fils de Jean-Marie Pierre Dupré et de Marie-Madeleine Pauline Célinie Bouillé. Il a un frère ainé de la première femme de son père et une petite sœur Julie. Il épouse Marie Laugée, la fille aînée de Desiré François Laugée qu'il a connu en étudiant la peinture dans son atelier. Ils ont eu 3 enfants, Thérèse, Jacques et Madeleine. Thérèse devient peintre, Jacques médecin, dessinateur et illustrateur et Madeleine pianiste. Quelle famille d'artistes!
Il étudie aux Beaux-arts dans l'atelier de Desiré François Laugée peintre à l'image de Jean-François Millet, Bouguereau et Jules Breton puis avec Isidore Pils et Henri Lechmann. Il se lie d'amitié avec Georges Laugée le fils de Desiré qui suit les mêmes cours.
Très exigeant dans son art, il observe et décrit avec finesse et précision la vie campagnarde des paysans tout comme Millet avant lui. Il reproduit avec fidélité la lumière et le mouvement de ses sujets. Peintre réaliste et animalier – il peint beaucoup d'animaux de ferme et surtout les vaches – il excelle dans on genre. Il capture son sujet en pleine action, que ce soit au travail ou au repos. Il a un toucher que l'on appellerait à notre époque photoréaliste. Bien que dans la plupart des cas ses paysages soient imaginaires, ils représentent fidèlement la vie à la campagne, en Picardie. Il travaille dans son atelier parisien mais aussi en plein air, sur le vif.
Présentation sonore et visuelle des ouevres de Julien Dupré : cliquez ici
[Le commencement de la présentation peut prendre plusieurs secondes]
Il expose régulièrement dans les Salons où il glane les récompenses: médaille de 3eme classe en 1880, une médaille de 2eme classe l'année suivante. En 1889, il reçoit la médaille d'or à l'Exposition Universelle de Paris et finalement en 1892, la Légion d'Honneur.
Bien qu'ayant connu un grand succès en France, c'est aux Etats-Unis qu'il fut très vite reconnu. Il vend beaucoup de toiles qui ornent de nombreux musées ici. Ses œuvres sont très prisées et sont en vente dans des galeries prestigieuses surtout sur la cote Est du pays.
Voici donc deux peintres français :Le premier, Jules, fidèle à la tradition de l'école de Barbizon, travaille beaucoup en plein air et s'inspire de la nature pour produire des œuvres dramatiques, majestueuses remplies d'émotions, de passion et d'un certaine douceur dans l'application à la fois délicate et libre de ses huiles. On dénote dans ses œuvres une grande variété de contours, de coup de pinceaux, jouant avec des applications variées. On ressent dans son travail l'énergie, la spontanéité et l'engagement passionné de la peinture en plein air.
Le deuxième, Julien, lui aussi s'inspire de la nature mais ne se laisse pas influencer par le mouvement impressionniste. Il peint d'une manière très réaliste et précise. Le coup de pinceau est contrôlé, les contours bien définis, le jeu de l'ombre et la lumière soigneusement observé pour donner à son œuvre cet aspect "photographique". La luminosité de son œuvre est tout à fait remarquable et a une touche très actuelle. Le mouvement des travailleurs loin d'être figé reste très actif dû à une observation précise et une connaissance profonde de l'anatomie.
Tous deux eurent une carrière remplie de succès au combien mérités et ont vécus leur vie d'artiste reconnus par leurs pairs et sans soucis d'argent alors que d'autres contemporains, comme Van Gogh par exemple, n'ont survécu que grâce à la générosité de membres de leur famille où de mécènes.
Mais c'est surtout à l'étranger et plus précisément dans les pays anglo-saxons (USA, Angleterre) qu'ils ont été reconnus, admirés et prisés. (après sa mort dans le cas de Jules) D'une certaine manière, l'expression "nul n'est prophète en son pays" s'applique parfaitement à ces deux peintres. Bien qu'ils aient tous deux remportés de nombreux prix et reçu la Légion d'Honneur – ce qui les a brouillé avec des amis proches – l'un fut plus ou moins oublié après sa mort et l'autre fit carrière outre-Atlantique. L'Europe du 19ème siècle jouissait d'une réputation mondiale dans le domaine des arts. Elle était à l'avant-garde de l'élan artistique et a attiré de nombreux créateurs et acheteurs venu du monde entier. C'est aussi l'époque où les découvertes scientifiques se succèdent et l'essor des moyens de transports entre les pays et même les continents permet la propagation de l'information et la culture. Lorsque Julien voit le jour en 1851 la photographie est déjà là. L'a-t-elle aidé à si bien reproduire le mouvement spontané des moissonneuses au travail? D'autre part l'apparition des bateaux à vapeurs qui permet de traverser l'atlantique en une quinzaine de jours, facilitant le tourisme et l'acheminement des denrées aura pu avoir un impact très favorable à l'exportation de leur toiles. Quelles que soient les réponses à ces questions, voici deux artistes peintres exceptionnels qui méritent bien toute notre attention.
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[1] John Constable était un peintre paysagiste, peintre d'histoire et de sujets religieux. Il était aquarelliste et graveur. Ses peintures n'avaient pas une réussite en Grande-Bretagne et la plupart ont été vendue en France, jusqu'à ce que Constable atteignit l'âge de 52 ans et était admis au « Royal Academy ». Aujourd'hui ses œuvres sont très demandées. Cette année sa peinture, « The Lock » a été vendu à 35 million dollar [article].
John Constable (1776 – 1837)
Daniel Gardner,
'Portrait of John Constable', 1796
© Victoria and Albert Museum, London
Stapleton Collection
Bridgeman Art Library
L'écluse de John Constable
[2] Joseph Mallord William Turner était lui aussi un peintre, aquarelliste et graveur britannique. En 2010 le Musée Getty de Los Angeles a acheté la peinture « Campo Vecino» de Turner pour 48 million dollar [article].
autoportrait
Joseph Mallord William
"J. M. W." Turner (1775 – 1851)
Detail of Modern Rome - Campo Vecino
Information supplémentaire :
Julien Dupré : Rehs Galleries, Inc. New York
Jules Dupré : Rehs Galleries, Inc. New York
Des peintures de Philippe Gandiol :
End of the Tracks (vendu) |
Bistro 64 |
Voir aussi : http://philippegandiol.com/works
Merci pour cette très intéressante rétrospective dont j'ai beaucoup apprécié la lecture. Comme c'est le cas pour tous vos articles d'ailleurs.
Rédigé par : traduction francais anglais | 17/02/2013 à 03:22