Première partie
En 2002, le romancier canadien Yann Martel a créé la surprise en remportant le prestigieux prix littéraire britannique qu'est le Man Booker Prize, pour « Life of Pi » (L'Odyssée de Pi). Le cadre géographique des aventures dans lesquelles se lance le héros du livre est le port de Pondichéry (Puducherry, depuis 2006) où la culture indienne se mâtine de survivances françaises.
Pour comprendre le contexte historique, il faut se rappeler qu'à l'issue de la Guerre de Sept ans (1756-1763) et de la victoire de la Grande-Bretagne sur la France et l'Espagne, la France (par ce que Tocqueville appelle « l'ignominieux traité de Paris » de 1763) a dû céder au vainqueur non seulement le Canada et ses territoires de la rive orientale du Mississippi mais aussi ses possessions en Inde, ne gardant que cinq comptoirs [1], désignés par la suite établissements français de l'Inde. Ainsi se trouvaient définitivement anéantis les vastes projets d'expansion coloniale entrepris, au temps de la Compagnie des Indes orientales, par Dumas et Dupleix depuis plus de cent ans. Encore disputée par la suite, cette poussière d'empire passa plusieurs fois des mains françaises à celles des Britanniques avant d'être restituée à la France par les traités de Paris de 1814 et 1815. Avant d'être à leur tour rendues à l'Inde, les enclaves formaient un territoire d'une superficie totale de 513 km2 dont le chef-lieu était Pondichéry et qui comprenait quatre autres circonscriptions : Chandernagor (près de Calcutta), Karikal (sur la côte de Coromandel), Yanaon (sur la côte d'Orissa) et Mahé (sur la côte de Malabar), plus neuf loges [2]. Seule la ville de Pondichéry était viable car disposant d'un arrière-pays suffisamment vaste et d'un bon port sur le golfe du Bengale. Actuellement, les anciens « comptoirs français de l'Inde », comme on les appelait familièrement, ont une population d'environ 1, 25 million d'habitants. En 1940, ils furent parmi les premiers territoires d'outre-mer à se rallier à la France libre du général de Gaulle. Lors de l'indépendance et de l'instauration de la République de l'Inde (ou Bharat) en 1948, ces territoires lui furent transférés de facto, situation qui précéda le transfert officiel, en 1956. Bien que la langue officielle de l'Inde soit l'hindi (et que l'anglais y reste très présent), chaque État peut décider de sa langue officielle. À Pondichéry, la langue prédominante est le tamoul, mais 1% de la population parle le français.
La ville se divise en deux parties : le quartier français (Ville blanche) et le quartier indien (Ville noire). Plusieurs rues portent encore un nom français et les villas de style français ne sont pas rares. Dans le quartier français, les bâtiments sont typiques du style colonial, avec de longs enclos ceints de murs imposants. Le quartier indien se compose de maisons bordées de vérandas et de demeures à porte cochère et entourées de grilles. De style français ou indien, ces maisons historiques sont répertoriées et protégées de la destruction par l'Indian National Trust for Art and Cultural Heritage.
Rues du quartier français de Pondichéry.
Le décor de bon nombre des séquences de « L'Odyssée de Pi », le quartier français, a été le siège de la Compagnie des Indes orientales dès 1675. Ses artères tranquilles, comme la rue de la Caserne, la rue Suffren et la rue Dumas – où se trouve l'église Notre-Dame des Anges – s'ornent de villas françaises et de bougainvillées grimpantes. Devant le bâtiment des Travaux publics, scène majeure d'un des souvenirs de jeunesse de Pi, un écriteau, en anglais et en français dit : « Notre ville est beauté, Gardons-lui son identité ».
De l'autre côté de la rue se trouve Aayi Mandapam, un monument commémoratif du Second Empire qui a des airs d'Arc de Triomphe. Outre ce vestige de l'époque française, subsistent aussi le consulat de France et plusieurs associations culturelles dont le Foyer du Soldat pour les anciens combattants des guerres françaises. On voit et on entend encore du français à Pondichéry.
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[1] Dans la chanson Chandernagor dans laquelle, en 1957, Guy Béart déclinait les Comptoirs de l'Inde sur le mode humoristique et dont nous ne reproduirons que le dernier couplet, dédié à Pondichéry :
Elle avait elle avait
Le Pondichéry facile
Elle avait elle avait
Le Pondichéry accueillant
Aussitôt aussitôt
C'est à un nouveau touriste
Qu'elle fit voir son comptoir
Sa flore sa géographie
Pas question
Dans ces conditions
De revoir un jour les Comptoirs de l'Inde
[2] Le terme loge désignait autrefois un établissement européen bénéficiant de l'exterritorialité (sorte d'enclave) en Asie ou en Afrique. Les établissements français de l'Inde en comptaient neuf situées dans les localités suivantes : Calicut, Masulipatnam, Balasore, Goréty, Yugdia, Dacca, Kassimbazar, Surate,Patna. Dans le même ordre d'idées, on parlait aussi autrefois des Echelles du Levant pour désigner les cités marchandes par lesquelles les voyageurs accédaient à l'Orient. Parmi celles-ci, on peut citer Constatinople, Smyrne, Adana, Beyrouth et Alexandrie. Dans cette dernière ville, ils étaient en outre justiciables des "tribunaux mixtes" qui, en cas de litige, les soustrayaient aux juridictions locales et qui furent abolis en 1947.
Suite et fin dans deux semaines.
Lecture supplémentaire :
Language in India,
The Economist, February 5, 2013
Le mot anglais de la semaine : rickshaw
Jonathan G.
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