Deuxième Partie
La première partie de cet article, (« L'Odyssée de Pi », réminiscence du passé colonial de la France en Inde) a paru sur ce blog le 2 février 2013.
« L'Odyssée de Pi » narre l'aventure d'un jeune garcon indien que son père francophile a appelé « Piscine ». [1] Après le naufrage dans le Pacifique du bateau japonais qui l'emmenait au Canada avec sa famille et toute une ménagerie d'animaux sauvages, celui qui se nomme lui-même Pi, va passer 227 jours à bord d'un canot de sauvetage en compagnie d'un tigre du Bengale denommé Richard Parker.
Ces réminiscences du passé colonial de la France et de l'Angleterre se conjugent chez Yann Martel, l'auteur canadien de « Life of Pi ». En effet, bien que de languie maternelle française, c'est en anglais qu'il a écrit son chef-d'oeuvre.
Yann Martel Photo Credit: Nicolas Asfouri , Getty Images |
Dans la course au Booker Prize 2002, Martel a battu deux autres auteurs canadiens: Rohinton Mistry et Carol Shields. Son livre s'est vendu à neuf millions d'exemplaires. Il a reçu une lettre autographe de Barak Obama dans laquelle le Président lui écrivait : « Ma fille et moi avons achevé la lecture de « Life of Pi » en même temps...C'est un très joli livre, une preuve élégante de l'existence de Dieu et du pouvoir du conte. Merci ».
Lettre redigée par le President Obama sur papier à lettres de la Maison Blanc
Pour un critique, "Life of Pi" s'analyse en un débat philosophique sur le monde moderne qui privilégie la raison plutôt que l'imagination, la science plutôt que la religion, le matérialisme plutôt que l'idéalisme, les faits plutôt que la fiction ou l'histoire.
Erica Wagner, membre du jury du Booker Prize, a voté pour "Life of Pi" parce que ce livre lui a fait l'impression d'un tour de force de l'imagination, à la fois original et vivant. « Il est très rare de se trouver en présence de quelqu'un dont vous n'avez jamais entendu parler et qui vous stupéfie, et c'est ce qui s'est passé. »
Lisa Jardine, la présidente du comité Booker, a déclaré : « Avec "Life of Pi", nous avons choisi un ouvrage audacieux dans lequel l'inventivité explore la croyance. C'est, comme le dit l'auteur, un roman qui vous fait croire en Dieu ou vous demander pourquoi vous ne croyez pas en lui. » Selon Celyn Jones, un autre membre du jury, la communauté littéraire a vu dans l'attribution du Booker à "Life of Pi", un tournant décisif dans l'histoire du Prix, car ce choix a rompu avec une certaine tradition consistant à honorer des écrivains et des genres romanesques couvrant un champ très large en matière de perspectives culturelles.
Dans le livre, Pi raconte son aventure à un écrivain canadien qui est censé représenter l'auteur lui-même.
Comme le rapporte le quotidien britannique The Mail, l'auteur a confié que ses deux premiers livres, publiés à la fin des années 1990, n'avaient guère eu de succès. Il vivait une « mini-crise existentielle » lorsqu'il se rendit à trois reprises en Inde et écrivit "Life of Pi". Martel décrit l'Inde en ces termes:
« L'Inde n'est un pays émergent que sur le plan économique, culturellement, elle a émergé depuis longtemps.
« C'est une des plus anciennes cultures qui soient, un endroit vertigineusement beau et merveilleux. C'est toute la vie en un même lieu et au même moment.
« Il y a des éléphants dans les rues et des singes un peu partout. Un peu comme les pigeons de Trafalgar Square. La religion y est omniprésente.
« J'étais dans un pays hallucinant, plein d'animaux et pénétré de foi, et ce fut une illumination – tout est arrivé très vite et le roman m'est apparu. »
Le livre vient d'être adapté au cinéma, avec des trucages visuels fantastiques [2] (rendus possibles grâce à des lunettes 3D distribuées aux spectateurs). Le rôle de Pi est tenu par un inconnu: Suraj Sharma. Beaucoup jugeaient l'œuvre trop complexe et trop surréelle pour être portée à l'écran. « C'est très fidèle au livre et c'est visuellement époustouflant; c'est tout un voyage » a dit l'écrivain canadien, interrogé devant la foule de ceux qui attendaient de voir la version filmée de son roman, au Festival du nouveau Cinéma, organisé en octobre dernier à Montréal.
Selon une critique du film parue dans The Australian, les scènes de la jeunesse de Pi dans l'ex-comptoir de Pondichéry ne sont que l'introduction du débat philosophique que le réalisateur, Ang Lee, expose peu à peu. Néanmoins, cette échappée sur un vestige de l'expansion coloniale française ainsi que le petit rôle confié à Gérard Depardieu, ajoutent une touche linguistique pittoresque à ce film présélectionné pour un Oscar.
[1] Pi a un oncle qu'il appelle affectueusement Mamaji. Celui-ci est un grand nageur et, lorsqu'il a fait des études à Paris, dans les années 1930, il a fréquenté toutes les piscines de la capitale dont il a établi un classement très précis. "Aux yeux de Mamaji, aucune piscine n'atteignit la gloire de la piscine Molitor. C'était le joyau de la gloire aquatique de Paris, ou même de tout le monde civilisé." Cela faisait rêver le père de Pi qui, lorsque celui-ci vint au monde, lui donna le nom de Piscine Molitor Patel, vite abbrévié en "Pi".
[2] Dans les premières scènes du film, tournées à Pondichéry, le tigre du Bengale que l'on voit au zoo est un vrai. Par la suite, lorsque le bateau coule et que le tigre rejoint Pi dans le canot de sauvetage, c'est une animatronique. Ces virtualités sont si performantes, et le tigre artificiel a tellement l'air vrai, qu'il est impossible au spectateur de déceler la différence. Le 24 février dernier, le jury des Oscars a voulu saluer cette virtuosité technique en attribuant à L'Odyssée de Pi l'Oscar du meilleur trucage visuel, en plus de ceux du meilleur réalisateur, de la meilleure musique de film et de la meilleure cinématographie. Soit un total de quatre prix, le plus élevé de la cuvée 2013.
Une animatronique (contraction d'animal et d'électronique) est une créature, généralement réalisée en baudruche, qui peut être animée manuellement ou robotisée, grâce à la présence de mécanismes internes semblables à ceux des automates. À cet égard, on aurait aussi bien pu les dénommer « animates », tant ils concrétisent, à leur manière, la fameuse théorie des « animaux-machines » chère à Descartes. Les modèles les plus perfectionnés sont capables d'effectuer des mouvements complexes et même de les reproduire à volonté, en fonction des ordres qu'ils reçoivent d'un ordinateur. La société Disney a même mis au point des audio-animatronics® dont les mouvements sont synchronisés avec une bande sonore.
Lectures complémentaires :
Life of Pi is a masterful story.
Review by W.R. Greer
Author Yann Martel says film of his 'Life of Pi' is a stunning movie
Global Edmonton, October 21, 2012
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