La dictée de la francophonie 2013.
Pour le mois de la Francophonie, le Service culturel et la médiathèque de la ville de Divonne-les-Bains (France) ont organisé différentes manifestations dont un jeu et une exposition sur le thème « Dis-moi dix mots semés au loin » qui a fait l'objet d'un précédent article. Le jeudi 21 mars, une dictée - spécialement composée par l'écrivaine libanaise Carole Dagher - a été proposée à une quarantaine de participants. Votre serviteur était de ceux-là, renouant ainsi avec un exercice auquel il ne s'était plus livré depuis l'âge de quinze ans. En voici le joli texte :
Carole Dagher
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Portrait
Femme à l'éventail (ou tête de jeune fille), Berthe Morisot (1876)
Marina est encore sous le choc. Le tableau trône au milieu de quelque deux cents toiles, accrochées aux murs d'une galerie célèbre, dans le huitième arrondissement de Paris. Ce portrait de femme aux cheveux relevés, regard rêveur et demi-sourire, portant avec grâce un bouquet de violettes de Parme, est bien le sien. Elle n'aurait jamais cru se voir ainsi soumise au jugement des visiteurs ! Dans la salle chacun y va de son commentaire sur la qualité de l'œuvre, le savoir-faire de l'artiste et son cachet d'originalité.
La peinture des exposants a un air tremblé, joyeux. Elle fait éclater les lignes, mélange le ciel et la mer, exalte la nature dans des contours infinis; la touche du pinceau est vive, morcelée, noyée de lumière, comme ce jardin à Pontoise, et ces reflets sur l'eau et ce berceau ayant pour écrin une palette de nacre. Sacrée équipe que ces artistes inspirés, fondateurs d'un véritable mouvement pictural qui bouleverse les normes classiques !
Marina
se remémore sa rencontre au Louvre avec l'un d'eux, un jeune homme plein
d'allant. Il l'observait pendant qu'elle admirait La Dentellière de
Vermeer. Elle s'était retournée, leurs regards s'étaient croisés. Les yeux
ardents de son vis-à-vis l'avaient troublée, elle avait feint de replonger dans
la contemplation du chef-d'œuvre du peintre néerlandais. Alors, il s'était approché
d'elle et avait décliné son nom.
La Dentellière de
Vermeer
© 2005 Musée du Louvre / Angèle Dequier
« Madame, je ne voudrais pas vous importuner mais je suis epintre et j'aimerais pouvoir dessiner votre portrait, si toutefois, vous m'y autorisez. »
Gustave avait l'habitude de peindre sur le vif et de reprendre son travail en atelier. À peine avait-il fait crisser sa mine de plomb sur le papier que la belle changea d'avis, interrompit la pose, balbutia quelques mots d'excuse et s'enfuit à tire-d'aile, comme un oiseau effarouché. Il la regarda s'éloigner, triste et perplexe. Désireuse de protéger son anonymat, elle ne lui avait laissé aucun moyen de la retrouver. Tout ce qu'il savait d'elle, c'est qu'elle avait l'accent chantant des gens du sud., un port de tête unique et du soleil dans les yeux. Il avait senti son cœur battre en accéléré à la minute où il l'avait vue et ne parvenait plus à détacher son regard d'elle. Était-ce donc ce que l'on appelait, non sans une pointe d'ironie, un coup de foudre ?
Les traits délicats de la jeune fille étaient demeurés dans sa mémoire. Pendant des jours, armé de son pinceau, il fit éclater l'alphabet des couleurs, éclaboussa sa toile d'une belle lumière éclairant le visage et apposa, au bas du tableau, son paraphe chargé d'émotion.
Trois mois plus tard, le tableau était l'une des œuvres phares de l'exposition. Il refusait cependant de le vendre, espérant contre tout espoir qu'elle aurait vent de l'événement et réapparaîtrait. Et voilà que ce jour-là, en entrant dans la galerie, son cœur bondit à nouveau dans sa poitrine : elle était là, face à son portrait. S'avisant de sa présence au bout de quelques minutes, elle se tourna vers lui et le salua d'un sourire lumineux...
Note linguistique
L'exercice de la dictée a été immortalisé par un certain Prosper Mérimée qui, voulant divertir la cour de Compiègne, lui soumit une dictée qu'il avait composée de manière à y accumuler les pièges et les exceptions, au risque de rendre le contenu incohérent et dépourvu de sens. Qu'on en juge par le premier paragraphe :
Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l'amphitryon, fut un vrai guêpier.
L'empereur Napoléon III fit 45 fautes et, l'impératrice Eugénie (qui avait l'excuse de ne pas être née francophone), en commit 62. Le grand vainqueur de ce petit tournoi fut (l'alibi de la naissance jouant ici a contrario) le prince de Metternich, l'ambassadeur d'Autriche, avec trois fautes seulement !
L'Impératrice Eugénie (source : site de Fontainebleau)
Bernard Pivot reprit l'idée avec sa célèbre dictée qui, pendant quelques années, mobilisa toute la communauté francophone. Cette fois, Carole Dagher n'a pas voulu accumuler les chausse-trappes (ou chausse-trapes) préférant composer un joli texte sur fond de début d'idylle impressionniste où l'on croit reconnaître Édouard Manet et Berthe Morisot.
Malgré tant d'années passées à jouer avec les mots, votre serviteur, n'en a pas moins commis deux fautes d'orthographe, en mettant un h à exalte et en omettant un s à phares. Il vous avoue bien piteusement avoir également eu des doutes à propos d'à tire-d'aile, expression au sujet de laquelle les différentes autorités (Littré, Académie française et dictionnaire Robert) ne sont pas d'accord. Se disant que les volatiles ont deux ailes, il écrivit à tire-d'ailes, forme que n'avait pas choisie l'auteure, mais que lui avait préférée Voltaire en écrivant: « Le phénix s'envola à tire-d'ailes ».
Jean Leclercq
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