Des jeunes américains d'origine
indienne dominent le championnat
d'orthographe
Washington D.C., le 30 mai 2013
Certaines langues, comme l'espagnol, s'écrivent comme elles se prononcent. Ce n'est pas le cas d'autres, telles que l'anglais ou le français. Si l'on présentait à une personne qui connaît très mal l'espagnol un texte rédigé dans cette langue, qu'elle ne comprendrait évidemment pas, et si elle le lisait à haute voix, les sons qu'elle produirait seraient dans l'ensemble compréhensibles pour un locuteur espagnol (si ce n'est que l'accent risquerait d'être mal placé dans le cas d'un grand nombre de mots). Il n'en serait pas de même pour le français notamment parce que dans un grand nombre de mots la dernière lettre ne se prononce pas (toit, aux, quand, janvier, etc.) ou que, dans certains cas, la dernière syllabe est muette (assurent, veille, fesses, etc.). En anglais, l'écart entre la prononciation des mots et leur orthographe est encore beaucoup plus important.
Le dramaturge irlandais George Bernard Shaw aurait dit, par boutade, que le mot "fish" pourrait s'écrire "ghoti" si l'on utilise les lettres "gh" telles qu'elle sont prononcée dans le mot "enough", la lettre "o" telle qu'elle est prononcée dans le mot "women" et les lettres "ti" telles qu'elles sont prononcées dans le mot "action". En fait, ce raisonnement facétieux ne serait pas dû à Shaw et aurait en outre été réfuté. [1]
Le grand nombre d'orthographes irrégulières en anglais et la grande étendue du vocabulaire de cette langue (même si un très grand nombre de mots sont rarement utilisés) est à l'origine d'une tradition américaine : le championnat d'orthographe (spelling bee, en anglais). Le Collins English Dictionary, Complete and Unabridged, définit spelling bee comme suit : a contest in which players are required to spell words according to orthographic conventions (une compétition au cours de laquelle les joueurs doivent épeler des mots conformément aux conventions typographiques). Pour connaître l'origine de cette expression, cliquez ici. Noah Webster (1758-1843) écrivit le premier dictionnaire anglais d'orthographe en 1783.[2]
Le championnat national d'orthographe des Etats-Unis se déroule chaque année à Washington depuis 1945. L'âge des participants va de 8 à 15 ans, mais 80 % d'entre eux sont âgés de 12 à 14 ans. Chaque participant doit épeler les mots, un par un, et peut demander des informations à son sujet, par exemple son origine, une définition ou une phrase contenant le mot. A la première erreur, le participant est éliminé. Avant de parvenir en finale, les participants doivent réussir (cette année pour la première fois) dans un examen de vocabulaire.
Ces dernières années, une proportion importante des participants et des vainqueurs des différentes années était des Indo-Américains (Américains dont les familles sont originaires d'Inde. [3] Dans le cadre du championnat actuel, 9 jeunes gens parmi les 11 finalistes viennent des familles d'origine indienne. Pour expliquer cette domination du championnat d'orthographe par un seul groupe ethnique, la chaine de radio publique (PRI) présente un programme « Indians, Indian-Americans and Spelling » (le 30 mai 2013).
Cette année 181 participants assistent au championnat. Ils viennent des tous les 50 États du pays, ainsi que le District de Columbia est des territoires qui appartient aux États Unis. Le plus jeune compétiteur est Tara Singh, qui a 8 ans. Les autres participants ont 9 jusqu'à 14 ans. Vanya Shivashankar (11) est la sœur cadette de sa Kavya, le champion de 2009 et Ashwin Veeramani (13) est le frère d'Anamike, la championne de 2010. En 2012 Snigdha Nandipati (14) a remporté la trophee après avoir epelé correctement tous les mots dont guetapens.
La personne chargée de donner lecture des mots, Jacques A. Bailly, parle couramment le français et l'allemand, et enseigne le grec classique et le latin.
Les téléspectateurs peuvent voir l'orthographe correcte sur leurs écrans sur une chaine de télévision ou, s’ils le préfèrent, regarder le championnat sans voir les bonnes réponses sur une autre.
Le championnat a été remporté par Arvind Mahankali, qui a correctement épelé les mots tokonoma, knaidel, dehnstufe et galere, entre autres, après que ses concurrents se soient afrontés avec des mots comme cyanophycean, kaumographer, haupia, zenaida, cravenette, myelogenous, shillibeer. (En 2011 Arvind a raté le mot anglais jugendstil et en 2012 il a raté le mot schwannoma, ce qui l'a poussé à bien se familiariser avec les mots d'origine allemande pour le championnat de 2013.)
Il était reparti avec le trophée, un prix de 30 000 dollars et d'autres prix, tout en annoncant qu'il délaisse l'orthographe pour se consacrer à la physique.
Un livre très intéressant, intitulé American Bee: The National Spelling Bee and the Culture of Word Nerds, (James Maguire, 2006) suit les participants du championnat de 2005, qui se préparent aux éliminatoires, en lisant des dictionnaires et en étudiant l'étymologie. Un autre est Verbomania : Experiencing the National Spelling Bee, (Amelia Gormley, 2009).
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[1] Dans la Language Column du New York Times datée du 27 juin 2010, le linguiste Ben Zimmer examine cette question et conclut comme suit : "La plupart des gens qui verraient le mot ghoti le prononceraient simplement goaty… On ne peut pas tout se permettre en anglais".
[2] Son titre initial était The First Part of the Grammatical Institute of the English Language. De son vivant, pas moins de 385 éditions furent publiées et le titre de l'ouvrage devint, en 1786, The American Spelling Book et, en 1829, The Elementary Spelling Book. Il s'agissait du livre américain qui eut le plus de succès à son époque ; en 1837, 15 millions d'exemplaires avaient été vendus et le chiffre atteint environ 60 million en 1890, de sorte que la majorité des élèves et des étudiants consultèrent ce livre pendant le premier siècle d'existence de la nation américaine. Pour mieux connaître le rôle de Webster dans l'évolution de l'anglais aux États-Unis, vous pouvez vous reporter à l'article de Wikipedia consacré à Noah Webster.
[3] Il faut distinguer ce terme des « indiens » qui sont les premiers habitants du continent américain.
Lecture supplementaire :
AlterNet, June 12, 2012
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