L'article suivant a été
rédigé par Marie Tran, auteure-journaliste française, exclusivement pour Le Mot Juste. Marie
collabore régulièrement à notre blog et nous attachons un grand intérêt à
ses
collaborations. Nous recommandons également son article, Querelle de talons rouges, publié sur ce blog.
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Un article paru dans Le
Devoir, quotidien d’information québécois, s’interrogeait en mai dernier
sur les relations entre journalistes et attachés de presse (appelés
relationnistes au Québec) et dénonçait le churnalism. Né de la
contraction de journalism et de to churn (baratter, brasser,
agiter…), ce procédé consiste à reprendre une information mot pour mot dans un
dossier de presse, en la faisant passer pour un article neutre… Ce néologisme
traduit par « infobaratteur » dans Le Devoir est proche en cela du publi-reportage ou de la
publi-information, terme qu’un éditeur de presse – en France - doit
obligatoirement mentionner lorsqu’il fait paraître une publicité qui prend la
forme d’un article rédactionnel (dans sa mise en page comme dans sa
conception). Mais qui est parfois indiqué de façon si discrète que le lecteur
s’y laisse prendre…

Attention : Cet article n'est rien d'autre qu'un communiqué
de presse copié et collé
Pour le churnalism, pas de mention spéciale, pas
d’avertissement, le rédacteur n’est pas rétribué (cela se voit) pour
copier-coller l’information qu’il est allé puiser directement dans un
communiqué de presse.
Nadège Broustau Professeure, Département de communication sociale et publique, Université du Québec à Montréal
Citée dans l’article du Devoir, l’enquête menée en
2012 par Nadège Broustau, enseignante au département de communication sociale
et politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), fait remonter
l’irruption des attachés de presse dans les messages publics aux années 70.
Depuis, tout laisse à penser que le phénomène ne s’est pas ralenti, voire s’est
amplifié. En effet, en 2008,
une étude de l’université de Cardiff soulignait qu’au Royaume-Uni 60 % des
articles de presse provenaient de communiqués … [1]
Tout cela n’est pas bon signe pour le journalisme et nuit à
la déontologie de la profession. Le churnalism, en reprenant des
informations officielles, validées par un service de presse, des informations
parfois fausses ou vides est à l’opposé du travail du journaliste qui est
d’effectuer lui-même ses recherches (en se méfiant justement des communiqués de
presse), de vérifier ses sources, de croiser les points de vue, et de délivrer
une information neutre…
L’un de mes premiers patrons de presse avait à ce titre érigé
en règle le fait de toujours passer au-dessus des attachés de presse lorsque
nous voulions obtenir une information… Une règle que nous appliquions et qui
nous permettait d’aller directement à la source en court-circuitant le
« filtre » du bureau de presse dont le travail est de diffuser un
discours toujours très positif pour l’information qu’il doit promouvoir et donc
vendre. Car l’attaché de presse, il ne faut pas se leurrer, est une personne –
interne ou externe à une société – payée par ladite société pour qu’on en dise
du bien et rien d’autres.
Le procédé est par ailleurs malhonnête
vis-à-vis du lecteur. Il fait croire que le journaliste a quitté son bureau, a
enquêté, recueilli des informations, interviewé des intervenants. Un exemple ?
Voici, en partant d’un communiqué de presse concernant un partenariat entre
Sonia Rykiel et Robert Clergerie, une illustration de cette dérive. D’abord le
texte « officiel » : Les maisons Sonia Rykiel et
Robert Clergerie ont le plaisir d’annoncer la signature d’un contrat de licence
portant sur la fabrication et la distribution par Robert Clergerie des souliers
Sonia Rykiel. (…) « Avec Sonia Rykiel et Robert Clergerie nous investissons dans
des maisons à l’identité et au savoir-faire très rares. Il est naturel de faire
jouer des dynamiques et des synergies internes à notre groupe et ainsi
d’accélérer le développement de ces sociétés » déclare Jean Marc Loubier,
Président de Fung Brands. (…) « Nous sommes honorés de mettre nos ateliers,
notre savoir-faire au service d’une marque française si proche des femmes et de
contribuer à la réussite du rayonnement de Sonia Rykiel » déclare Eva Taub,
Présidente de Robert Clergerie.
Dans cet extrait du communiqué, tout le monde semble heureux
dans le meilleur des mondes. Quand la presse reprend l’information (sur
Internet moyen de communication, il est vrai, beaucoup moins pointilleux que la
presse écrite), ce sont les mêmes citations que l’on retrouve.
Sonia Rykiel aura des
chaussures made in Robert Clergerie. Les souliers de la créatrice rousse seront
désormais fabriqués et distribués par le chausseur français (…) « Avec Sonia Rykiel et Robert Clergerie, nous
investissons dans des maisons à l'identité et au savoir-faire très rares.
Il est naturel de faire jouer des dynamiques et des synergies internes à
notre groupe et ainsi d'accélérer le développement de ces sociétés »,
estime Jean Marc Loubier, Président de Fung Brands. (…) Eva Taub, sa
présidente, semble elle aussi ravie de cette association : « Nous sommes honorés de mettre nos ateliers,
notre savoir-faire, au service d'une marque française si proche des femmes
et de contribuer à la réussite du rayonnement de Sonia Rykiel. »
(Journal des femmes (daté du 30/05/13))
Ce qui est « drôle » dans cet article c’est que
l’on peut supposer que la journaliste a interrogé les deux personnes citées
dans l’article. D’autant qu’elle précise : « Eva Taub, sa présidente,
semble elle aussi ravie de cette association », ce qui peut laisser penser
que durant l’entretien, Eva Taub affichait un large sourire… La journaliste
aurait dû préciser « selon le communiqué… »
Le ton est léger. En fait, Robert Clergerie (depuis 2011) et
Sonia Rykiel (depuis 2012) appartiennent au même groupe – la société
d’investissement hongkongaise Fung – dont la prise de participation majoritaire
dans ces deux sociétés vise à leur faire prendre de l’ampleur. Jouer sur la
« synergie interne » est une décision financière tout autant qu’artistique.
Mais tout cela est beaucoup moins glamour…
En
cherchant encore un peu sur Internet, toujours autour de ce communiqué, on
trouve aussi la citation reprise dans un article du quotidien La Dépêche du 29/05/13, reproduite
d’après un communiqué de RelaxNews (agence de presse relayant les informations
loisirs).
« Je suis heureuse de pouvoir associer
le nom de Robert Clergerie à la stratégie de relance de Sonia Rykiel », a
expliqué le PDG Éric Langon.
La
citation est cette fois-ci reprise avec une faute de frappe (heureusement
révélatrice ? Mais, au moins, l’emploi du passé composé « a
expliqué », même s’il est ambigu, peut faire penser que la déclaration
était « publique ». C’est en tout cas un procédé utilisé dans ces
circonstances (tout comme le « a déclaré »).
Certes cet exemple est facile et ne prête pas à conséquence.
Mais il en existe de plus problématiques comme les vraies/fausses interviews de
personnalités politiques** bâties à partir de communiqués de presse.
À la décharge des journalistes, la grave crise qui touche la
presse écrite tend à renforcer ce churnalism. Les rédactions sont de
plus en plus réduites – le journaliste doit donc écrire plus vite et consacre
moins de temps à ses enquêtes. Il faut toujours écrire plus d’articles, ce qui
conduit à recopier un dossier de presse. Dans le même ordre d’idées, les frais
qu’occasionnent les déplacements d’un journaliste pour enquêter sont le plus
souvent pris en charge par le « client ». Dès lors, comment lorsqu’on
vous invite pendant deux jours ou une semaine dans un hôtel de luxe, comment
lorsqu’on vous fait visiter une usine en ne vous montrant que ce que l’on veut
bien vous montrer, comment à la suite d’un tel voyage de presse écrire un
article qui ne soit pas élogieux pour le produit que l’on vous a présenté ?
Enfin, le besoin de nourrir les sites Internet de contenus a
industrialisé la gestion de l’information. Il en faut toujours plus et toujours
plus vite. Des sociétés se sont même créées pour fournir ce contenu. On parle
alors de fermes de contenus (contents farm) et l’on ne peut s’empêcher de
penser aux poulaillers industriels !
Heureusement, toute la presse n’est pas contaminée. Qu’elle
soit écrite ou en ligne. Mais il est vrai que certains secteurs sont plus aptes
à favoriser ce churnalism – la mode et le luxe, le tourisme, la beauté,
la gastronomie. En fait, tous les secteurs où l’article va permettre de faire
« vendre » quelque chose.
Je conserve pour ma part une vieil hors-série du Monde comme référence (Le style du Monde – 2002) qui fait état
des règles et des usages du journalisme en s’appuyant sur la charte du
journaliste signée à Munich en 1971. Quelques exemples : au rang des
devoirs du journaliste, on trouve ainsi « S’interdire le plagiat, la
calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir
un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une
information. » Autre devoir : « Ne jamais confondre le métier de
journaliste avec celui de publicitaire ou de propagandiste ; n’accepter
aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ». Ou encore :
« Refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que
des responsables de la rédaction ».
Certes, respecter ces principes n’est pas toujours évident.
Mais, c’est selon moi ce qui explique que l’on choisisse d’être journaliste… et
non pas attaché de presse.

[1] The Quality and
Independence of British Journalism
Tracking the change over 20 years
Cardiff School of Journalism, Media and Cultural Studies
[2] La vraie/fausse interview d’un député du PS par Les
Échos
ACRIMED 10 septembre 2008
Petit lexique du journalisme :
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editor (in chief)
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report, reporting, coverage
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rubrique
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column
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[3] A priori, le terme anglais "news" (qui dérive du mot français "nouvelles") équivaut à "actualités", mais en fait son usage est un peu plus compliqué. D'abord, bien que "news" porte la marque du pluriel, le mot s'emploie au singulier, au moins depuis 1923, époque à laquelle on a commencé à l'employer dans les médias. Avant cela, le mot signifiait "nouvelles".
L'usage au singulier s'observe dans les phrases suivantes : "Today's news is promising", "London is the place where the news is made".
Ensuite, en anglais, il n'existe pas un mot unique qui veuille dire "actualité" ou "information (d'actualité)". Le plus proche est peut-être "a news item."
L'expression "no news, good news" remonte aux années 1640.
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