Commentaire historique et linguistique
La semaine dernière, la décision prise par le Parlement britannique de s'opposer à une participation du pays à une action militaire en Syrie, est la première depuis 240 ans rejetant une proposition du gouvernement de lancer une intervention militaire. En effet, c'est en 1782 que la Chambre des Communes s'était prononcée contre une poursuite des hostilités en Amérique. Après la capitulation de Lord Cornwallis à Yorktown, le 19 octobre 1781, le roi George III et son premier ministre, Lord North, voulaient poursuivre la guerre.
L'opposition du législateur britannique mit fin aux opérations militaires et à la guerre d'Indépendance américaine. C'était à la fois la victoire des Insurgés américains et de leurs alliés français, mais aussi celle de la démocratie !
Dans son édition du 30 août dernier, la revue britannique, The Economist, a publié un article intitulé “The Vote of Shame”, fustigeant les parlementaires qui se s'étaient prononcés contre une intervention militaire en Syrie et dénonçant une dérive poujadiste (voire farageiste), c'est-à-dire une conception très étroite de l'intérêt national aboutissant à un repli sur soi.
" Increasingly, there is a tendency within the Conservative Party that takes such a narrow, Poujadist (or should that be Farageist?) view of national interest that it behaves as if Britain should cease to have any serious engagement with the outside world."
Le farageisme tire son nom de Nigel Farage, chef de l'Independence Party. Mais, plus importante est sans doute l’allusion à Pierre Poujade. Aujourd'hui quelque peu oublié, cet homme politique et dirigeant syndical français (1920-2003) fut l'initiateur du poujadisme, mouvement de défense des commerçants et artisans qui condamnait l'inefficacité du parlementarisme sous la IVe République.
Nigel Farage Pierre Poujade
Le poujadisme peut se définir comme une rébellion sectorielle érigée en politique, puisant largement dans le répertoire de la révolte contre les « gros », le fisc, les notables et le rejet des intellectuels au nom du « bon sens des petites gens ».
Peu de gens savent que certaines expressions anglaises que nous utilisons tous les jours sont nées dans la Chambre des Communes britannique.
Le Parlement britannique est le plus vieux du monde et au fil des ans, il est à l'origine de nombreuses expressions auxquelles on attribue souvent un sens différent. Voici quelques expressions courantes en anglais qui viennent de termes employés au Parlement britannique.[1]
It's in the Bag (L'affaire est dans le sac)
Derrière le fauteuil du Président de la Chambre des Communes et à l'abri des caméras se trouve un grand sac dans lequel les députés placent les pétitions devant être examinées par la Chambre des Communes ou par le gouvernement.
De nos jours, pour arriver au Parlement les pétitions doivent suivre une certaine procédure et bien qu'elles soient ensuite officiellement publiées, elles sont rarement reconnues comme étant d'une importance capitale et encore moins débattues comme il se doit.
Cependant, il y a plusieurs siècles, un député à qui on aurait présenté une pétition pouvait affirmer en toute honnêteté à ses électeurs que, oui, il avait attiré l'attention du Parlement sur tel problème, que tout allait être arrangé car en effet… l'affaire était dans le sac !
Toe the line (Ne pas dépasser les limites)
Dans le langage courant, cela signifie que l'on doit obéir à une règle comme tout le monde, qu'il y a une ligne/limite invisible que personne ne devrait franchir.
Au Parlement britannique, cette ligne n'est pas seulement métaphorique. La Chambre des Communes, une longue salle rectangulaire, est aménagée de façon à opposer les deux partis principaux, et deux lignes rouges parallèles la traversent, séparées par quelques mètres.
Les députés doivent s'exprimer depuis leur côté de la ligne et ne pas la franchir, sous peine d'être sévèrement rappelés à l'ordre. Ils ne doivent pas dépasser les limites !
The Whip (Le Whip, lit. Fouet)
Ce terme vient du vocabulaire de la chasse du XVIIIème siècle. Le « whip » désignait alors la personne qui s'occupait de ramener les chiens égarés dans la meute à l'aide d'un fouet.
Il y a 2 Whips dans chaque Chambre du Parlement britannique, l'un étant fidèle au Premier Ministre, l'autre au leader de l'opposition. Ils jouissent d'un certain pouvoir auprès des députés et doivent s'assurer que ceux-ci soient présents lorsqu'un vote a lieu. Autrement dit, ils font respecter la discipline de parti comme s'ils avaient un fouet en main.
Un député important a dit d'eux qu'ils sont « aussi indispensables que les toilettes ».
« Accepter le fouet » veut dire, appartenir à un parti et en accepter les règles.
Les whips de chaque parti transmettent à leurs députés un bout de papier signifiant que leur présence est requise à une session parlementaire. Un seul trait (whip) veut dire que la présence du député et son vote sont facultatifs.
Si le papier est souligné deux fois, le député doit être présent à moins d'arranger une « paire » avec un membre du parti opposé.
Trois lignes indiquent qu'il est absolument impératif de venir et de soutenir le parti. Aucune excuse ne sera acceptée, pas même un voyage à l'étranger ou être sur son lit de mort.
Jonathan G. & Jean L.
[1] D'après l'article "Mind Your (Parliamentary) Language" de David Porter et avec sa permission.
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