Dans les pages culturelles d'un récent numéro [1] du quotidien milanais Il Giornale, l'écrivain et critique d'art Giordano Bruno Guerri analyse l'ouvrage que Cynthia Saltzman [2] vient de consacrer à la correspondance entre Vincent Van Gogh et son frère cadet Théo.
Vincent | Théo |
Le livre s'achève avec la dernière lettre que Vincent lui écrivit le 12 février 1890, mais qu'il n'envoya jamais. Cette missive se termine par une sorte de bilan de sa vie et l'explication de son suicide : « Eh bien, mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a fondré (sic) à moitié » [3]. Évoquant le drame du 27 juillet 1890, Guerri termine en ces termes :
Nell'agonia, a chi gli chiede « perché ?», spiega gentilmente: « Miscocciavo, e allora mi sono ucciso ». Miscocciavo. Ma nessuna lingua può tradurre bene il verbo che usò in francese : « Je m'emmerdais ». Per questo si sparò in una buca del letame.
[Mourant, à quelqu'un qui l'interroge sur les raisons de son geste, il répond doucement : « Je m'emmerdais, alors je me suis tué ». Mais aucune langue ne peut bien traduire le verbe qu'il employa en français : « Je m'emmerdais ». Sur ce, il se tira une balle, près d'un tas de fumier.]
Des différents synonymes : emmerder, emmouscailler, embêter, Vincent choisit sans doute le plus percutant. Est-il pour autant intraduisible ? Les lecteurs traducteurs des différentes langues (anglais, espagnol, polonais, gaélique, etc.) démentiront-ils G.B. Guerri ?
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[1] Giordano Bruno Guerri. I segreti della notte stellata che resero folle Van Gogh. Il Giornale, 26 novembre 2013, page 32.
[2] Cynthia Saltzman. Lettere, Torino, Einaudi Giulio Editore, 2013, LXXXI, 761 p.
[3] Néerlandophones tous les deux, les frères Van Gogh correspondaient cependant en français.
[4] N'ayant jamais pratiqué la traduction, je suis néanmoins une lectrice trilingue et j'aimerais y être de mon commentaire. Si le français puise volontiers dans le lexique scatologique pour manifester certaines expressions "libératrices" (qu'on se souvienne de la bataille de Waterloo et de la réponse du général Cambronne à l'injonction venant des rangs anglais : "Français, rendez- vous !"..."Merde"), l'italien qui est ma langue quotidienne depuis cinquante ans, fait appel aux attributs de Priape, Dieu gréco-romain de la virilité physique.
Traduire " je m'emmerdais" par "mi scocciavo", comme le fait Giordano Bruno Guerri, est très juste, familier et conforme aux convenances, en quelque sorte : " je m'embêtais", mais il n'y a rien de percutant car, au niveau moins décent, nous aurions " mi ero rotto le palle" ( pour ne pas dire i cogli...). Toutefois, le rapport de continuité logique du premier terme "je m'emmerdais" avec le lieu où se déroula la tragédie (la proximité d'un tas de fumier) est complètement anéanti.
Je ne vois pas de traduction possible qui rende pleinement l'image et je suis d'accord avec G.B. Guerri en ce qui concerne la langue italienne.
Madeleine Bova
Commentaire d'un lecteur passionné :
Lecture supplémentaire :
New Theory on Van Gogh's Ear: Blame Brother Theo
Newser, 26 December 2009
Portrait of Dr. Gachet: The Story of a van Gogh Masterpiece,
Cynthia Saltzman
New York Times, 28 April 1998
Vincent van Gogh- his letters to Theo
Understanding the lyrics of "Starry, Starry Night"
Van Gogh Gallery
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