Préface:
À la suite d'un article publié récemment dans ce blog, nous avions ajouté la note suivante :
« On a souvent comparé Martin Luther King à Nelson Mandela, le champion des droits civiques à qui l'on reconnaît le mérite d'avoir fait tomber le régime de ségrégation raciale, connu en Afrique du Sud sous le nom d'apartheid. Ce qui les distingue surtout, c'est que MLK a été assassiné à 39 ans, tandis que Mandela vit toujours à 95 ans. Tous deux étaient des visionnaires mais, dans les deux cas, leurs proches se sont ensuite sordidement disputé leur héritage. Chez les King, l'un des fils a fait un procès aux autres membres de la fratrie à propos de sa part successorale. Chez les Mandela, lorsqu'on crut à la fin prochaine de l'ancêtre, son petit-fils, sachant que son grand-père voulait être inhumé près des sépultures de trois de ses enfants décédés avant lui, aurait fait transporter leurs restes là où il était chef de tribu. L'idée était de pouvoir ainsi édifier un complexe touristique autour d'un sanctuaire dédié à Mandela. À la demande de 16 membres de la famille, un juge a ordonné le retour des tombes à leur emplacement initial. » [publié avant le décès de Mandela le 15 décembre 2013].
Ces jours-ci, le Los Angeles Times a fait état d'une querelle de famille, tout aussi bizarre, à propos d'un athlète américain, « Jim » Thorpe. James Francis « Jim » Thorpe (1988-1953) fut un joueur et un dirigeant de football américain, un joueur de baseball et de basket-ball, un athlète et un acteur américain d'ascendance à la fois blanche et amérindienne. [1]
Né de parents mi-blancs, mi-indiens, Thorpe grandit comme un petit indien sous le nom de Chemin radieux, en langue locale. Ce qui, pendant la plus grande partie de sa vie, lui valut des propos ridicules ou condescendants sur ses origines indiennes.
Considéré comme l'un des athlètes les plus polyvalents du sport moderne, il a remporté la médaille d'or du pentathlon et du décathlon aux Jeux olympiques d'été de 1912. Aux Jeux de 1912, le roi de Suède lui a dit : « Vous, Monsieur, êtes le plus grand athlète du monde ». Thorpe lui répondit : « Merci, roi ».
Il a été déchu de ses titres olympiques lorsqu'on s'est aperçu qu'il avait été rémunéré pour jouer deux saisons au baseball en tant que semi-professionnel avant de participer aux Jeux olympiques, violant ainsi les règles d'amateurisme en vigueur à l'époque. Heureusement, le Comité International Olympique (C.I.O.) a accepté, au bout de plusieurs années, de rétablir Thorpe dans ses titres
Lorsque Thorpe mourut, en 1953, ses enfants organisèrent des funérailles indiennes traditionnelles dans la réserve de Sac and Fox, en Oklahoma. L'assistance partagea un repas autour du corps de l'athlète, exposé à la vue de tous.
La cérémonie fut brutalement interrompue par l'arrivée inopinée de Patsy Thorpe, la veuve du défunt. Accompagnée de gardes mobiles et d'un corbillard, elle s'empara de la dépouille de son mari et s'en alla.
Avant de se saisir ainsi du corps de son mari, la veuve avait conclu un accord avec deux petites villes de l'État de Pennsylvanie, aux termes duquel celles-ci fusionneraient et prendraient le nom de Jim Thorpe. Elles érigeraient aussi une statue en hommage au grand sportif, moyennant quoi elles recevraient la dépouille de Thorpe pour l'enterrer. Exactement comme dans le cas de Mandela, on prévoyait qu'une telle sépulture attirerait les touristes à Jim Thorpe. Le grand sportif reposerait donc dans un lieu où il n'avait jamais mis les pieds !
Le tombeau, un monument de granite rouge, repose sur de la terre provenant du stade olympique de Stockholm, lieu où Thorpe avait triomphé dans le décathlon et le pentathlon, en 1912.
Mais, les fils de Thorpe engagèrent une action en justice et, 59 ans après l'inhumation de l'athlète, un juge fédéral vient de décider qu'en vertu d'une loi de 1990 relative à la protection et au rapatriement des tombes des amérindiens (The Native American Graves Protection and Repatriation Act), les cendres devaient être rendues à la famille et à la tribu. La ville de Jim Thorpe, qui, dans l'intervalle, a beaucoup investi pour attirer les touristes, a fait appel de cette décision.
« Papa a toujours dit, à mon frère Phil et à moi, qu'il voulait être inhumé en terre tribale, dans l'Oklahoma, et c'est ce que nous essayons de faire. Nous voulons qu'il ait une vraie sépulture indienne pour qu'il y repose en paix.» Bill Thorpe |
Pour revenir aux déboires de Thorpe, rappelons qu'en 1913, ses médailles lui sont retirées : il est soupçonné d'avoir touché de l'argent pour disputer des épreuves de baseball avant les Jeux, et il est radié à vie, contrairement à de nombreux athlètes qui vivaient également de leur sport, mais pratiquaient professionnellement leur discipline sous des pseudonymes. Deux facteurs peuvent expliquer la dureté avec laquelle les autorités sportives de l'époque l'ont traité : l'un est le racisme à l'égard des amérindiens et, l'autre, la séparation stricte qui existait entre le sport amateur et le sport professionnel. Le sport amateur était un idéal hérité du XIXe siècle, âprement défendu, surtout parmi les classes dirigeantes. Il n'en fut pas moins constamment grignoté tout au long du XXe siècle avec l'essor des sports professionnels et la commercialisation des sports amateur et universitaire.
Hormis les domaines du sport dans lesquels il a excellé aux niveaux national et international, Thorpe a été un joueur de tennis, un golfeur, un nageur et un gymnaste remarquable. Il a même montré une endurance remarquable dans quelques compétions de danse-marathon. À la fin de sa carrière sportive, Thorpe a entamé une seconde carrière comme acteur et il est apparu dans plus de 70 films.
Thorpe est mort il y a 60 ans, à l'âge de 65 ans, dans la pauvreté. Mais, trois ans après avoir été élu le plus grand sportif de son époque, son nom a été inscrit dans la Galerie des Illustres (Hall of Fame) du football américain.
En 1973, le Président des États-Unis a proclamé le 16 avril de l'année, Journée de Jim Thorpe.
Un film a été tourné, dans lequel le célèbre acteur Burt Lancaster a joué le rôle de Jim Thorpe.
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Le film |
Le livre |
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[1] Les Amérindiens, ou Indiens d'Amérique (parfois les Indiens tout court), sont les habitants du continent américain avant la colonisation européenne et leurs descendants.
Cet ethnonyme a été inventé à la suite d'une erreur de Christophe Colomb qui, en 1492, pensait avoir touché le sous-continent indien lorsqu'il débarqua en Amérique. C'est dans ce contexte que les Européens nommeront brièvement ce territoire Indes occidentales, pour les différencier des Indes orientales.
Aux États-Unis, la souveraineté tribale est le droit fondamental des tribus autochtones de se régir elles-mêmes au sein des États-Unis d'Amérique. Le gouvernement fédéral reconnaît les nations tribales comme des "nations dépendantes indigènes" et a adopté un certain nombre de dispositions législatives visant à préciser les rapports entre l'État fédéral et les gouvernements tribaux. La Constitution et des lois fédérales postérieures à celle-ci accordent une souveraineté locale aux nations tribales, mais ne leur accordent pas la pleine souveraineté équivalant à celle des nations étrangères, d'où l'expression de "nations dépendantes indigènes".
Dans d'autres pays on emploie les termes autochtones, ou peuples indigènes (en anglais "indigenous/native people"). D'autres termes ont parfois été utilisés pour les désigner, comme aborigène, « peuple premier », « peuple racine », «première nation » ou « peuple natif », succédant à l'appellation péjorative de « peuple primitif », mais tous officiellement délaissés au profit de peuple autochtone.
Jonathan J. & Jean L.
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