Préface
Dans la première partie de cet article, L'existence volatile du bitcoin - l'étymologie durable du mot coin, publiée le 09.02.2014, nous avons analysé la toute nouvelle devise, le bitcoin, en notant sa volatilité. Dans la partie qui suit, nous analysons le mot “coin”, qui existe en anglais depuis la quatorzième siècle, ce qui prouve sa stabilité.
En français et selon le Petit Robert, coin, dérivé du latin cuneus, désigne : 1) une pièce de métal dont on se sert pour fendre le bois; 2) « un morceau d'acier gravé en creux qui sert à frapper les monnaies et les médailles. » Ainsi, toujours d'après la même source, une monnaie à fleur de coin est aussi nette qu'à sa sortie de dessous le coin. Au sens figuré, coin est synonyme de marque, d'empreinte. C'est ainsi qu'on parlera d'une proposition marquée au coin du bon sens. Enfin, 3) le coin est l'angle formé par deux lignes ou deux plans.
En anglais, le mot coin a la même origine et entre dans la langue vers 1300. À l'époque, il désignait, comme en français, un coin pour fendre le bois et c'était alors un synonyme de wedge. Mais, comme le moule servant à frapper des pièces de monnaie a également la forme d'un coin, le mot en vint à désigner également non pas la matrice, mais l'objet formé dans celle-ci, c'est-à-dire la pièce de monnaie.
frappe de pieces, 1750, Heritage Images
Selon le Robert & Collins Senior, le mot est utilisé dans de nombreuses expressions idiomatiques comme to repay one in his own coin : rendre à quelqu'un la monnaie de sa pièce ou to pay in the coin of the realm : payer en monnaie sonnante et trébuchante. Dans une troisième acception, orthographié quoin,il s'apparente, tout au moins phonétiquement, au mot français coin : un angle, une pierre d'angle. [1] En français, coin a une aire sémantique assez vaste (coin de rue, coin du feu, coin perdu, café du coin, coin du traducteur, etc.). En anglais, coin désigne une pièce de monnaie. On est donc en présence d'un authentique faux ami et c'est à bon droit que Kœssler & Derocquigny le recensent dans leur ouvrage [2], malicieusement sous-titré : « Conseils aux Traducteurs ».
Toutefois, il est une expression où le sens anglais se rapproche du français, c'est to coin a phrase : formuler, inventer une expression, être le premier à l'employer. La locution est aussi employée plus ironiquement dans le sens de : si je peux ainsi m'exprimer ou si vous me permettez l'expression (If I may coin a phrase). Dans la même veine, les coined words désignent des vocables fabriqués à partir d'autres mots [3] parfois télescopés, tel motel : contraction de motor et hotel. À cet égard, signalons le verbe s'enlivrer (s'enivrer de livres) qui figure parmi les dix mots imposés du concours de textes de la Semaine de la francophonie 2014 et plénior (plénitude + senior), le mot nouveau dévoilé le 22 novembre dernier au Festival XYZ 2013 du Havre. Ce terme est proposé pour « les personnes, en activité ou non, dynamiques qui croquent la vie à pleines dents ». Notons que l'expression « croquer la vie à pleines dents » est de celles qui font fureur actuellement, peut-être par réaction à la sinistrose ambiante !
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[1] Bien que le mot anglais coin et le mot français coin soient devenus de faux amis au fil des ans, la graphie quoin a survécu dans le vocabulaire de l'architecture et conservé sensiblement le même sens dans les deux langues. En anglais, les quoins sont les éléments de maçonnerie qui forment le coin (ou plus techniquement le chaînage d'angle) d'un bâtiment. L’image ci-dessous montre l'assemblage de blocs de maçonnerie formant l'angle de deux murs.
[2] Kœssler, M. & Derocquigny, J. Les faux amis ou les pièges du vocabulaire anglais. Paris, Librairie Vuibert, 1964 (6e édition).
[3] Dans l'exemple choisi, le mot créé est, de plus, ce qu'on appelle en anglais a portmanteau word (mot valise, en français). C'est Lewis Carrol, l'auteur d'Alice au pays des merveilles, qui a paradoxalement choisi le mot français portemanteau pour créer cette expression anglaise, acceptée aujourd'hui par les linguistes anglo-saxons. Parmi d'autres exemples citons : avionics (aviation + electronics), breathalyzer( breath + analyzer), camcorder (camera + recorder), carjack (car + hijack), Franglais (français + anglais).
breathalyzer camcorder avionics
Ceux qui s'intéressent aux mots sauvages, liront avec intérêt :
Rheims, Maurice. Dictionnaire des mots sauvages (écrivains des XIXe et XXe siècles). Paris, Librairie Larousse, 1969.
Ils y trouveront, dans l'ordre alphabétique, environ 3.500 mots insolites, éphémères ou non, choisis parmi les plus significatifs et utilisés par des auteurs français de Chateaubriand à nos jours. Ces « mots sauvages » ne
sont pas seulement pittoresques; nombre d'entre eux pallient certaines insuffisances du vocabulaire « officiel » et témoignent de la part de leurs inventeurs d'un souci de respecter les règles de formation des mots. Lorsqu'on songe à tous les mots sauvages que Shakespeare a fait entrer dans la langue anglaise, contribuant puissamment à son enrichissement, il faut regretter que la contribution lexicographique inventoriée par Maurice Rheims soit souvent restée en marge du français officiel. Rien n'empêche pourtant d'y puiser sans modération !
Jean L.
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