An Introduction to Forensic Linguistics :
Language in Evidence [1]
Malcolm Coulthard & Alison Johnson
Routledge, 2007
Préface:
Le dictionnaire TERMIUM Plus © du Bureau de la traduction du gouvernement canadien traduit « forensic linguistics » comme linguistique judiciaire. Il ajoute les termes linguistique légale et linguistique forensique mais note qu'ils sont « à éviter. » Le dictionnaire définit linguistique judicaire comme « Branche de la linguistique qui applique dans le domaine de la justice des techniques linguistiques et phonétiques pour l'analyse de preuves devant les tribunaux. » [2]
Analyse de livre – Joëlle Vuille
Depuis les empreintes digitales à la fin du XIXème siècle, il ne se passe plus une décennie sans que n'apparaisse une nouvelle technique d'investigation au service de la justice pénale. Le présent ouvrage fera entrer le lecteur dans le monde fascinant de la linguistique forensique.
Ce livre est divisé en deux parties. Dans la première, il est question du langage de la loi et du système judiciaire. Le lecteur s'amusera ainsi du style particulièrement pompeux de certains législateurs et/ou avocats, et s'étonnera des difficultés linguistiques posées par les interrogatoires de police de suspects et de victimes, où le langage prend un sens particulier et où les personnes impliquées ont parfois de la peine à mettre des mots sur ce qui leur est arrivé. Cette première partie se termine par une analyse du procès de Harold Shipman, un médecin anglais accusé d'avoir assassiné 15 de ses patients et d'avoir falsifié un testament. Les auteurs décrivent en détail les différents modes d'expression des protagonistes et les contextes procéduraux dans lesquels ceux-ci s'inscrivent (prestation de serment, interrogatoires et contre-interrogatoires par le procureur et les avocats de la défense, réquisitoire, plaidoiries, etc.). Ils montrent comment, par le choix des mots employés, l'accusation et la défense ont cherché à instiller chez les jurés des visions diamétralement opposées des faits. Par exemple, l'accusation parlait toujours des victimes de l'accusé, tandis que la défense, en parlant des mêmes personnes, évoquait systématiquement ses patients ; la défense appelait systématiquement l'accusé Docteur, tandis que cette marque de respect n'apparaissait quasiment jamais dans la bouche du procureur, etc.
Dans la seconde partie du livre, il est question de langage comme moyen de preuve, c'est-à-dire comme démonstration de l'existence ou de l'inexistence d'un fait. C'est là que le livre devient absolument captivant.
Depuis une vingtaine d'années, les tribunaux recourent toujours plus fréquemment aux services de linguistes, pour accomplir diverses tâches. Par exemple : Lorsque McDonald's attaqua en justice Quality Inns qui souhaitait lancer une chaîne d'hôtels baptisés « McSleep », cette dernière engagea un linguiste pour démontrer que le préfixe « Mc » était suffisamment commun en anglais pour ne pas renvoyer automatiquement, dans l'esprit des gens, à McDonalds, et que donc l'usage que l'entreprise souhaitait faire des termes « McSleep » n'enfreignait pas la marque « McDonalds ». Le juge donna raison à McDonald's, qui avait mené de nombreux sondages suggérant que le consommateur moyen associe tout ce qui commence par « Mc » à la célèbre chaîne de fastfood.
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Une linguiste fut impliquée dans une affaire judiciaire dans laquelle les plaignants argumentaient qu'une lettre qu'ils avaient reçue et qui était censée les informer de leur droit à certaines prestations était si mal écrite que le lecteur moyen ne pouvait pas comprendre qu'il avait effectivement ces droits. L'experte procéda à une analyse syntaxique et conclut que l'écriture contenait effectivement un grand nombre d'éléments propres à induire le lecteur en erreur : multiples négations dans la même phrase, enchâssements complexes, tournures passives des verbes et combinaisons complexes de connecteurs tels que « et », « ou », « si », « à moins que ». Le résultat était effectivement incompréhensible.
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Un expert anglais fut engagé dans une procédure d'appel suivant une condamnation pénale lorsque l'avocat de la défense souhaita démontrer que la formulation des directives données par le juge aux jurés avait prédisposé ceux-ci à condamner l'accusé.
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Dans un autre cas, un linguiste fut engagé pour expliquer à la cour que, dans le dialecte des îles du détroit de Torrès, le mot « kill » peut aussi vouloir dire « hit », et que l'accusé n'avait donc pas avoué un meurtre, mais une simple agression lorsqu'il avait dit « I killed him ».Les linguistes peuvent également servir à évaluer l'authenticité de notes prises durant des entretiens de police (et censées être la représentation fidèle de ce qui a été dit par les policiers et le suspect). Dans l'affaire Robert Burton [3], un homme accusé de vol était mis en cause par les notes d'un agent sous couverture qui prétendait avoir retranscrit de mémoire des conversations qu'il avait eues avec l'accusé. Ce dernier fit valoir que les notes étaient si fidèles à la réalité qu'elles ne pouvaient pas avoir été établies de mémoire, mais que la police les avait mis sur écoute, possédait des enregistrements des conversations, mais refusait de rendre celles-ci publiques car elles auraient prouvé que l'agent sous ouverture avait poussé le malfrat à commettre l'infraction alors que celui-ci avait voulu se retirer du coup à plusieurs reprises. Un linguiste analysa les notes et conclut que effectivement, celles-ci devaient découler d'enregistrement car un esprit humain ne pouvait pas avoir eu une mémoire aussi exacte. Les notes comprenaient par exemple beaucoup de mots tels que « okay », « tu vois ce que je veux dire » « d'accord », « merde » que la mémoire ne retient normalement pas car ils sont inutiles pour se souvenir de la substance d'un récit. Les notes comprenaient aussi des reproductions fidèles du bégaiement de l'accusé, un élément très difficile à reproduire fidèlement de mémoire.
Joelle Vuille
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Notes du blog :
[1] Dans ce contexte, les mots "évidence" (français) et evidence (anglais) sont les faux amis. Le mot evidence est en général un terme juridique qui veut dire des élements factuels, des preuves.
[2] Il faut distinguer la linguistique judicaire de la jurilinguistique ou linguistique juridique. Le même dictionnaire explique : « Essentiellement, la jurilinguistique a pour objet principal l'étude linguistique du langage du droit sous ses divers aspects et dans ses différentes manifestations, afin de dégager les moyens, de définir les techniques propres à en améliorer la qualité, par exemple aux fins de traduction, rédaction, terminologie, lexicographie, etc., selon le type de besoin considéré.
« Le terme «jurilinguistique» a été forgé au Canada à la fin des années 1970. Il dérive du terme «jurilinguiste», dont la création est attribuée à Alexandre Covacs, alors directeur des Services linguistiques français à la Section de la législation du ministère de la Justice du Canada.
« La synonymie entre les termes «jurilinguistique» et «linguistique juridique» ne fait pas l'unanimité. La linguistique juridique, telle qu'elle est définie par Gérard Cornu, serait plus vaste en ce qu'elle engloberait également le droit du langage. »
[3] Burton a été jugé par la Court of Appeal anglaise en 2002. Il avait été arrêté en flagrant délit alors qu'il essayait de voler des remorques chargées de whisky avec un groupe d'hommes dont il pensait qu'ils étaient ses complices mais qui étaient en réalité des officiers de police sous couverture.
[4] Kaczynski était un terroriste americain, mathematicien de formation, militant écologiste et néo-luddite.
Lecture supplémentaire :
John Olsson J. Olsson, J. Lichienbroers
Continuum Bloomsbury Academic
1st edition (April 12, 2012) 3rd edition (January 30, 2014)
Votre façon d'écrire, votre empreinte linguistique, vous trahit...
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