Depuis plusieurs années, Le Mot Juste publie une rubrique dénommée "Linguiste du mois" (précédemment "Traducteur/traductrice du mois"). Jusqu'ici, toutes les interviews étaient rédigées par nos soins. Ce mois-ci nous romprons avec cette tradition en présentant un entretien réalisé par notre fidèle contributrice, la professeure Michèle Druon, universitaire au très riche profil académique que nos lecteurs connaissent bien.
Cette rencontre entre Michèle Druon et son invitée, Hélène Cardona (poète, comédienne, auteur et traductrice, entre autres), c'est-à-dire entre deux intellectuelles de haut rang, a engendré une conversation d'un intérêt et d'une profondeur auxquels vos humbles serviteurs n'auraient certainement pas atteint par eux-mêmes.
À cette surprise, s'en ajoute une autre : la découverte, dans cette grande métropole qu'est Los Angeles, de deux résidentes permanentes d'origine française qui sont parfaitement à l'aise en anglais. Elles incarnent, symbolisent, concrétisent donc ce pont virtuel que le blog entend jeter entre deux langues et deux cultures. Au nom de tous nos lecteurs et lectrices, nous leur exprimons notre plus vive reconnaissance et formulons le souhait de les lire encore souvent dans nos colonnes.
Jean L. & Jonathan G.
Interview d'Hélène Cardona,
Los Angeles, 21 avril 2014 par Dr. Michèle Druon
Préface de l'intervieweuse :
Outre le charme et la beauté, ce qui frappe immédiatement chez Hélène Cardona, c'est la surabondance de talents que possède cette jeune femme: polyglotte, elle parle six langues – dont le français, l'anglais et l'espagnol comme une langue maternelle; elle est à la fois actrice de théâtre et de cinéma [1], traductrice littéraire [2], poète, enseignante, analyste de rêves.
une toute récente photo -
Poet/actress Hélène Cardona attends
Sue Wong's Fall 2014 runway show:
'Edwardian Romance' on April 11, 2014 in Los Angeles
Et ce n'est pas tout : elle donne aussi des récitals et préside à des concours de poésies, organise des conférences et présente des communications universitaires…. On ne peut que se demander où cette jeune femme, qui paraît pourtant si sereine, si calme et détendue, trouve l'énergie de mener ce qui semble être plusieurs vies à la fois. Un coup d'œil sur la multitude de prix, bourses, récompenses et accomplissements en tous genres [3] qui jalonnent son parcours atteste qu'il s'agit là d'une personnalité brillante et surdouée, en possession dès l'enfance d'une rare combinaison d'aptitudes à la fois scientifiques, littéraires et artistiques.
Et comme un fruit tombé d'une corne de surabondance vient de sortir de ces multiples talents un merveilleux recueil de poèmes bilingues, intitulé Dreaming My Animal Selves, Le Songe de mes Ames Animales [4]. Le recueil nous invite à un voyage dans un univers peuplé d'images enchanteresses, lumineuses et énigmatiques, à travers une langue – ou plutôt deux langues – dont la fluidité, l'inventivité et la beauté envoûtent profondément le lecteur.
Pour comprendre ce qui a pu nourrir une poésie si intime, si spirituelle, et d'une beauté égale en français et en anglais, nous avons demandé à Hélène Cardona de remonter à son enfance et de nous expliquer comment elle en était arrivée à parler six langues, et ce qui l'avait menée, dans un parcours de vie si riche, à écrire de la poésie.
À entendre son récit, il apparaît immédiatement que l'enfance et l'environnement dans lequel a grandi Hélène Cardona sont hors du commun. J'en résume ici l'essentiel :
Née à Paris d'une mère grecque et d'un père espagnol, tous deux expatriés pour des raisons politiques, l'enfant grandit dans un milieu nourri de livres et de culture, de rencontres avec des artistes et des intellectuels de différents pays. Le père, José Manuel Cardona, qui possède trois doctorats, est un avocat qui a travaillé comme traducteur diplomate aux Nations Unies, et qui est aussi un poète connu (Les surdoués semblent récurrents dans la famille Cardona). Chez elle à Paris, dans la petite enfance d'Hélène, on parle surtout français et espagnol, mais la famille déménage bientôt à Genève, puis à Monte Carlo, et s'installe ensuite dans une petite ville de l'Ain, à Ferney-Voltaire, où Hélène fera ses études élémentaires et les premières années de son collège secondaire sous la direction de très bons enseignants, qui lui ont fourni d'excellentes bases, souligne-t-elle. Elle attribue en particulier sa parfaite maîtrise de la grammaire française aujourd'hui à la pédagogie tout à la fois rigoureuse et engageante qui caractérisait ses professeurs de l'époque. C'est d'ailleurs vers l'âge de 10 ans, ajoute-t-elle, qu'elle commence à écrire «spontanément», de la poésie.
À quatorze ans, elle revient à Paris et elle continue sa formation dans le prestigieux et ultra-compétitif Lycée Racine, où l'enseignement est beaucoup plus austère. Très tôt reconnue comme douée pour les maths, la jeune fille est orientée par sa famille et l'institution scolaire vers une spécialisation scientifique qui la mènera à passer le bac C (à dominante maths/sciences). Mais l'enfant, puis la jeune fille continuent simultanément d'apprendre la danse et le piano – pour lequel elle est aussi particulièrement douée puisqu'elle reçoit un Deuxième Prix du Conservatoire de Musique de Genève. Pendant ses étés, elle voyage et découvre d'autres pays d'Europe – l'Angleterre, l'Allemagne,
l'Espagne, la Grèce, le Pays de Galles, l'Italie - tout en apprenant la langue de chaque pays où elle séjourne. Elle étudie ainsi l'allemand au Goethe-Institut à Bremen, la philologie anglaise à Cambridge, et la philologie et la littérature espagnoles à l'Université d'Andalousie.
Toujours guidée par une soif de connaissances et d'exploration dans tous les domaines, (et déjà servie, semble-t-il, non seulement par une multiplicité de dons mais aussi par une énergie exceptionnelle), la jeune fille s'engage, après le Bac dans des études de médecine, suivant ainsi la trajectoire scientifique à laquelle la destinaient sa famille et toute son orientation scolaire.
Mais tout à coup, Hélène accomplit un revirement total dans sa vie qui va complètement changer sa destinée: après deux ans, elle abandonne ses études de médecine et décide de se tourner vers la littérature et le théâtre (au grand chagrin de son père, qui dès ce moment « ne veut plus la connaître » et lui coupe les fonds: elle devra désormais subvenir seule à ses besoins). Elle s'inscrit alors à la Sorbonne où elle obtient une maîtrise d'anglais (significativement pour la suite, le titre de sa thèse de maîtrise sur Henry James est The Search for Fulfillment in The Wings of the Dove ). Elle continue pendant ce temps la danse et le théâtre et finance ses études par différents jobs: elle enseigne à l'Ecole Bilingue à Paris, elle travaille occasionnellement comme mannequin, elle fait des traductions en différentes langues et travaille comme interprète pour l'ambassade du Canada à Paris.
Nouveau tournant - à la suite d'une crise personnelle, la jeune femme décide de partir pour New York, où elle commence à étudier l'art dramatique avec Ellen Burstyn à l'Actors' Studio – des années de bohème et de bonheur pour elle, souligne-t-elle. Parallèlement, elle poursuit un B.A en Littérature Américaine et Théâtre à Hamilton College, où elle a obtenu une bourse complète. C'est aussi à cette époque, précise-t-elle, et par le biais de sa formation dramatique, qu'elle découvrira l'exploration par le rêve, ce qui la mènera alors à découvrir et étudier la psychanalyse de Carl Jung – qui reste une influence fondamentale dans son entreprise poétique aujourd'hui.
Hélène arrive à la cérémonie des récompenses à Los Angeles, où "Chocolat" a été nominé pour l'Oscar du meilleur film.
Distribution : Juliette Binoche, Johnny Depp, Judi Dench et Hélène Cardona.
The 7th Annual Screen Actors Guild Awards at Shrine Auditorium
in Los Angeles, California, United States.
Photo by Steve Granitz/WireImage.
Michèle : À écouter ce qui précède, on a l'impression que vos multiples activités – la traduction, le théâtre, la littérature, l'enseignement, l'écriture poétique – que toutes ces activités se complètent et s'interpénètrent, et que c'est l'ensemble de ces différents talents et savoirs, finalement, qui a nourri votre poésie :
Oui, chaque activité à laquelle je m'adonne nourrit toutes les autres – il y a une sorte de symbiose qui fait que toutes s'enrichissent mutuellement.
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Linguiste du mois d'avril 2014" »
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Ros Schwartz,
traductrice du mois de Septembre 2012