Perspectives littéraires
Un tableau de soldats français peint par le peintre britannique Christopher Nevinson
Dans les premiers jours d'août 1914, l'Europe a soudainement basculé dans un chaos auquel peu d'observateurs s'attendaient, aussi lucides fussent-ils, et qui prit vite la forme d'un véritable suicide collectif auquel quelque 30 nations belligérantes et 70 millions d'hommes participèrent.
Soldats français et anglais dans les tranchées pendant la première guerre mondiale
Comme l'écrit Stefan Zweig : « Personne ne croyait à la guerre, à des révolutions ou à des bouleversements. Toute transformation radicale, toute violence paraissait presque impossible dans cet âge de la raison. » [1]
Et pourtant, l'implacable machinerie des alliances et l'ambition insensée des politiques allaient déclencher un épouvantable cataclysme au cours duquel « huit millions d'hommes ont fait plus que ce qu'on pouvait demander à des hommes » (Maurice Genevoix).
Stefan Zweig Le Monde d'hier
En cette année du centenaire de l'ouverture des hostilités, LMJ entend commémorer non pas les faits d'armes, mais les souffrances indicibles et les solidarités poignantes des combattants telles que les ont exprimées les poètes de l'époque. Car le monde des lettres a payé un lourd tribut à la guerre. Charles Péguy et Alain Fournier (l'auteur du Grand Meaulnes) tombent parmi les premiers. Blaise Cendrars y laisse un bras et Wilfred Owen, sous l'uniforme britannique, périt dans les tous derniers jours du conflit, à la conclusion duquel il deviendra à travers sa poésie le porte-parole de la "guerre pour terminer toutes les guerres" au sein du monde anglophone.
Guillaume Apollinaire, grièvement blessé, trépané à deux reprises et fortement affaibli, meurt de maladie trois jours avant l'armistice. Sans parler de tous les poètes posthumes, comme Albert-Paul Granier, victime d'une « guerre de terre, rurale, surgie de la glaise » et dont l'œuvre restera longtemps inconnue.
D'autres survivront pour témoigner : Louis Aragon, Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Georges Duhamel, Maurice Genevoix, Charles Vildrac, pour ne citer que ceux-là.
Maurice Genevoix Charles Vildrac
Le plus triste, c'est qu'au moment où se déchaine la violence meurtrière, l'Europe des arts était pratiquement faite. Écrivains, musiciens, peintres et sculpteurs se connaissaient, se concertaient et collaboraient peut-être plus encore qu'ils ne le font aujourd'hui. Paul Claudel expérimentait l'eurythmie à Hellerau, près de Dresde. Stefan Zweig (Autrichien), l'ami de Romain Rolland, de Paul Valéry et d'Émile Verhaeren (Belge), était presque aussi souvent à Paris qu'à Vienne. Malgré cela, la raison a été vaincue car « cette pestilence des pestilences, le nationalisme, a empoisonné la fleur de notre culture européenne », comme l'écrit encore Stefan Zweig, conscience de l'Europe.
Dans le cadre de cette commémoration, nous publierons une suite d'articles sur les poètes de la Grande Guerre, en commençant par Guillaume Apollinaire, du côté français, et Siegfried Sassoon et Wilfred Owen, du côté britannique. D'autres suivront peut-être, au gré des collaborations dont LMJ pourra bénéficier.
Siegfried Sassoon Wilfred Owen
[1] Zweig, Stefan. Le Monde d'Hier. Souvenirs d'un Européen. Traduction de Jean-Paul Zimmermann. Belfond, Paris (1982), p. 18.
-----------------------------------------------------
Lectures supplémentaires :
Le poète de 14-18 Albert Paul Granier redécouvert
Ouest-France, 12.01.2014
Paul Valery, l'Ennemi du Tendre
Express Culture, 01.06.2014
Le Grand Meaulnes - The girl at the Grand Palais
The Economist, 22.12.2012
The War to end all Wars
BBC News, 10.11.1998
Jour du Souvenir - 11 h, le 11e jour du 11e mois
Le Mot juste en anglais, 10.11.2012
GRAVES, Robert Ranke, Goodbye to All that [Adieu à tout cela], 1929.
WALTER George, The Penguin Book of First World War Poetry (paperback)
Penguin Classics, May 2007
Jean L.
Citons aussi la célèbre autobiographie de Robert GRAVES "Goodbye to All that"
Rédigé par : Jean-Paul Deshayes | 14/06/2014 à 13:33