(Henry IV, Part II, Act III, Scene 1)
Ces dernières années, le verbe abdiquer et le substantif abdication ont fait la une des journaux du monde entier, depuis que la reine Béatrix des Pays-Bas (en avril 2013), le roi Albert II de Belgique (en juillet 2013) et, tout récemment, le roi Juan Carlos d'Espagne aient décidé de renoncer solennellement à exercer leurs éminentes fonctions.
Abdiquer
Le verbe abdiquer (en anglais, to abdicate) vient du latin abdicare [ab, privatif exprimant la séparation et dicare : proclamer solennellement] et signifie : 1) littéralement, renoncer à une chose, renoncer à agir, déclarer forfait, abandonner, céder, démissionner ; 2) spécialement, renoncer au pouvoir suprême, abdiquer le trône, l'Empire : La révolution de 1830 obligea Charles X à abdiquer. La reine Christine fut obligée d'abdiquer (Saint-Simon). Une fois qu'il a abdiqué, le souverain est dit abdicataire : J'allai, sans façon, offrir l'hommage de mon respect au roi abdicataire de Sardaigne (Chateaubriand).
Abdication
Le substantif abdication (en anglais abdication) vient du latin abdicatio et s'entend également dans un sens général de démissionner, de renoncer : Toute réussite déguise une abdication (Simone de Beauvoir) et, dans un sens particulier, du renoncement à l'exercice du pouvoir suprême d'un État : L'abdication de Napoléon 1er ou celle de Louis-Philippe, Roi des Français.
Notons que, dans le cas d'un pape (et la chose ne s'est produite jusqu'ici que deux fois dans l'histoire), on préfère parler de renonciation.
le pape Grégoire XII le pape Benoît XVI
(1415) (2013)
Plutôt que de décliner ici la longue litanie des souverains qui ont décidé de se démettre (et pour laquelle nous renvoyons volontiers à Wikipedia) nous nous attacherons à quelques exemples célèbres, choisis en Espagne, en France et au Royaume-Uni, pays où l'abdication a été diversement pratiquée.
En Espagne, il existe une certaine tradition ou, tout au moins, un illustre précédent. Le plus puissant souverain de son temps, Charles Quint (l'empereur Charles V du Saint Empire et le roi Charles 1er d'Espagne), abdiqua en faveur de son fils Philippe (en 1556) et se retira au monastère de Yuste [1], en Estrémadure, où il mourut le 21 septembre 1558. Le Habsbourg ayant montré l'exemple, certains des Bourbons lui emboîtèrent le pas, à commencer par la premier d'entre eux, Philippe V (duc d'Anjou et petit-fils de Louis XIV) qui abdiqua en faveur de son fils, Louis, le 10 janvier 1724. Soucieux de travailler à son salut et de s'occuper à temps plein de sa deuxième épouse, Élisabeth Farnèse, il déclara vouloir ainsi « mériter dans le ciel un royaume plus durable ». La mort prématurée de son fils et successeur, Louis 1er, l'obligea cependant à reprendre les rênes du pouvoir « comme seigneur naturel et propriétaire de la couronne ».
Par la suite, Napoléon, par le traité de Bayonne, força le roi Charles IV à abdiquer de tous ses droits sur le trône des Espagnes et des Indes. [2]
Plus tard, la reine Isabelle II abdiqua en 1870 et le roi Amédée 1er l'imita en 1873 . Plus près de nous, le grand-père de Juan Carlos, le roi Alphonse XIII, abandonna le pouvoir en 1931. Le sentiment républicain s'étant clairement affirmé à l'occasion des élections municipales, le roi préféra partir « plutôt que de faire couler une goutte de sang espagnol ». Paroles de roi, peut-être apocryphes ! Toutefois, il ne renonça pas et ce n'est que peu de temps avant sa mort, survenue à Rome en 1941, qu'il abdiqua en faveur du troisième de ses fils, le comte de Barcelone, père du roi Juan Carlos.
En France, l'abdication est une pratique relativement récente car les rois s'y sont longtemps considérés comme des souverains absolus de droit divin et qu'on ne saurait contrarier la volonté divine par un acte du libre arbitre. Jusqu'à la Révolution, les Bourbons de France n'abdiquaient pas. Le premier Bourbon qui rompit la tradition fut Charles X, renversé par la révolution de 1830. Il aurait déclaré préférer « monter en voiture qu'en charrette ». Son successeur, Louis-Philippe 1er, Roi des Français, fut à
son tour emporté par la révolution de 1848. Avant cela, on avait eu les deux abdications de l'empereur Napoléon, la première le 4 avril 1814 et la seconde, après les Cent Jours, le 22 juin 1815. Son neveu, Napoléon III, n'eut pas le loisir d'abdiquer puisqu'il fut destitué à la proclamation de la République, le 4 septembre 1870. Par la suite, le terme d'abdication tomba en désuétude dans la France républicaine et on lui préféra celui de démission - la plus célèbre étant celle du président Paul Deschanel, obligé de se démettre pour débilité mentale, le 21 septembre 1920.
Au Royaume-Uni, l'abdication fut historiquement encore plus rare qu'en France. Si l'on excepte l'abdication de Jacques II (en 1688) et sa tentative de reprise du pouvoir qui échoua sur les bords de la Boyne en 1690, il fallut attendre le 11 décembre 1936 pour qu'un souverain britannique renonce solennellement au trône. Ce jour-là, Édouard VIII, qui venait d'être proclamé roi, décida d'abdiquer pour pouvoir vivre avec l'élue de son cœur, Wallis Simpson (née Warfield), une Américaine en instance de divorce [3]. Peu après, le roi abdicataire quitta son pays pour la France à bord du contre-torpilleur Fury (!). Il s'unit à Wallis Warfield au château de Candé, à Monts (Indre-et-Loire), le 3 juin 1937, « union que d'innombrables cœurs célébreront aujourd'hui en secret » dira le maire, dans son allocution d'usage. Un récent déclassement d'archives secrètes dépoétise quelque peu la grande romance des années trente. En effet, il semble que le souverain n'était pas disposé à abdiquer et qu'il voulait demander à ses sujets d'accepter le principe d'un mariage morganatique. [4] Mais, le premier ministre, Stanley Baldwin, l'amena à modifier le texte du discours qu'il s'apprêtait à prononcer. Buckingham n'est pas Hollywood. No happy ending !
Lecture supplémentaire :
Le pluriel de majesté - si vous devenez un jour roi ou reine, vous devrez savoir « noussoyer »
Will Queen Elizabeth ever abdicate the throne?
CTV News, 7 June 2014
Abdication : A Very British Coup (59 minutes)
[1] Où il était assuré de bien manger. Le livre de cuisine du couvent des hiéronymites de Yuste est célèbre.
[2] Traditionnellement, on parlait "des" Espagnes, pour tenir conpte de la diversité des régions qui la constituent.
[3] Decaux, Alain. L'abdication. Paris, France Loisirs, 1996, 337 p.
[4] Un mariage morganatique est l'union entre un souverain ou un prince d'une maison régnante, avec une personne de rang inférieur. L'épouse est alors qualifiée d'« épouse morganatique », jamais de « reine », ou alors de « reine morganatique ». Les enfants d'un mariage morganatique ne sont pas dynastes. Historiquement, ce fut le cas de l'union entre François-Ferdinand de Habsbourg (l'archiduc héritier assassiné à Sarajevo en 1914) et Sophie Chotek. Ses deux fils n'avaient aucun droit à lui succéder. On parle parfois de mariage de la main gauche parce que, pendant la cérémonie du mariage, le marié tient la main droite de sa fiancée avec sa main gauche au lieu de sa droite. En épousant le roi abdicataire, Wallis Warfield ne devint ni épouse morganatique, ni même Altesse Royale, les lettres patentes en date du 27 mai 1937 limitant le droit de détenir et d'utiliser un tel titre au seul Duc de Windsor, « cependant que sa femme et ses descendants, s'il y en a, n'auront pas droit aux titre, nom et attributs susmentionnés. »
Jean L.
Cher Jean,
Est- ce que le mariage de Madame de Maintenon ( petite fille d'Agrippa d'Aubigné) et du Roi Louis XIV, était un mariage morganatique? Je pense que oui, car elle ne porta jamais le titre de reine.
Merci pour toutes ces explications claires et complètes.
Madeleine.
Rédigé par : Madeleine Bova | 11/06/2014 à 01:10
Juste une précision : un autre Pape, Célestin V, a renoncé .Ceci lui coûta la vie car Boniface VIII, son successeur, craignant une fronde contre lui, le fit assassiner.
Dante en parle amplement dans la Divine Comédie.
Toujours...Madeleine.
Rédigé par : Madeleine Bova | 11/06/2014 à 02:52