Par William Gaudry, étudiant de doctorat à l'Université du Québec à Montréal
Dans l'article qui suit, nous retrouvons notre collaborateur, William Gaudry, de Montréal.
Demain, le 28 juillet 2014, marquera le centenaire de la Première Guerre mondiale (1914-1918), un des conflits les plus meurtriers de l'histoire humaine. Elle est déclenchée un mois après l'assassinat de l'héritier de l'Autriche-Hongrie François-Ferdinand par un anarchiste bosniaque. Mais la guerre est une réponse à une crise impériale qui persiste en Europe depuis la fin du XIXe siècle. Chaque nation à ses motifs: la revanche de la Guerre de 1870 pour la France, le prestige dissipé pour l'Empire Ottoman et la Russie, la concurrence navale pour la Grande-Bretagne, l' «encerclement» pour l'Allemagne. En outre, l'attentat de Sarajevo contre l'Archiduc n'est qu'un prétexte camouflant des lésions diplomatiques profondes entre les nations européennes. À l'époque (et jusqu'en 1931), le Canada est une colonie britannique et entre donc en guerre en même temps que la métropole, le 4 août 1914.
Les deux communautés linguistiques du pays divergent d'opinion au sujet de la participation canadienne dans le conflit. D'un côté, les Canadiens français sont attachés au territoire canadien. Ils consentent à défendre la Grande-Bretagne, mais réclament une intervention canadienne minimale sous la forme d'un soutien logistique aux troupes britanniques. La Première Guerre mondiale n'est pour eux qu'une guerre «impérialiste» sans résonnance véritable de l'autre côté de l'Atlantique. De l'autre, les Canadiens anglais manifestent ouvertement leur appui à la mère-patrie et aux valeurs qu'elle génère. En fait, une majorité de Canadiens anglais réside au Canada depuis moins de trois générations et maintient des liens culturels et idéologiques avec la Grande-Bretagne. Pour recruter un maximum de Canadiens français, le gouvernement fédéral met en œuvre une campagne publicitaire s'adressant spécifiquement à eux. On y souligne notamment le lien fraternel entre la France et ses anciens sujets. La publicité d'enrôlement adressée aux Canadiens anglais est la même que celle qui est publiée à Londres et dans d'autres villes britanniques, sans message précis. Le gouvernement fédéral canadien mise sur la diversité de ses bataillons pour générer un consensus au sein de la force militaire expéditionnaire. Une de ses stratégies est de créer des bataillons en fonction des groupes ethniques prédominants au Canada. Plusieurs jouissent d'une notoriété exemplaire dont les 22e Royal, 280e Voltigeurs et 178e Expéditionnaire canadiens français, le 73e Royal Highlander Black Watch écossais et le 208e Canadian Irish irlandais. Ces bataillons permettent aux minorités canadiennes de s'enrôler avec leurs pairs et de combattre sous la bannière britannique selon leurs convictions spécifiques.
En avril 1915, la 1ère division canadienne rejoint les troupes françaises à Ypres et réussit à cerner les Allemands. Pour freiner l'avancée des troupes franco-canadiennes, l'armée allemande décharge 160 tonnes de gaz
toxiques, une première tentative du genre dans l'histoire militaire humaine. Sans moyen de défense, les Canadiens n'ont d'autre choix que de battre en retraite vers leur tranchée initiale. Les pertes sont énormes : 2000 hommes asphyxiés sur le coup et 4000 autres blessés de manière permanente. Au front, les Canadiens français et les Canadiens anglais se parlent très peu. Leurs relations ne sont ni cordiales, ni tendues; elles sont tout simplement indifférentes puisque chacun des groupes se bat pour des raisons spécifiques parmi des bataillons ethniques. Mis à part quelques collaborations logistiques à l'échelle de l'État major britannique, les régiments canadiens fonctionnent isolément les uns des autres. De plus, la guerre de tranchées limite les mouvements et leur permet de consolider leurs traits particuliers au combat. Plusieurs paysans français racontent avec stupéfaction la venue de «ces hommes» qui chantent des sérénades françaises vêtus à l'anglaise.
Durant la Bataille de la Somme de 1916, l'État-major britannique envoie l'armée canadienne dans la région de Péronne.
Après plusieurs tentatives infructueuses, la 4e division réussit à contrôler les tranchées allemandes à proximité du village de Courcelette. Leur succès résonne dans tout l'Empire britannique, car le village était insaisissable depuis l'invasion de l'armée allemande à l'été 1914. À partir de ce moment, les Canadiens deviendront les troupes d'élites (shock troops) de l'armée britannique pour les combats à venir. Une fois le village libéré, l'armée canadienne parvient à la crête de Vimy, proche de la ville d'Arras dans le Pas-de-Calais. S'entame alors la plus célèbre bataille du Canada durant la Première Guerre mondiale.
En avril 1917, la force expéditionnaire canadienne entière affronte la 6e armée allemande à Vimy. Quelques jours suffisent pour que les Allemands évacuent les villages de Thélus et de Givenchy-en-Gohelle. Après la guerre, le site de la Bataille de Vimy deviendra un lieu de commémoration nationale à la mémoire des soldats canadiens.
Elle est un symbole d'unité nationale, car les Canadiens français et les Canadiens anglais y étaient présents côte-à-côte. Arrivées à un point culminant, les tensions entre les deux groupes linguistiques éclatent en 1917 lorsque le gouvernement impose la conscription à tous les hommes canadiens en âge de servir. Des émeutes éclatent partout dans la province de Québec où se regroupe l'essentiel de la population canadienne française. C'est surtout à Montréal où les protestations sont les plus actives, car la ville abrite une forte minorité anglophone. Toutefois, la conscription tarde à être effective puisqu'en novembre 1918, date où prend fin le conflit, seulement 47 000 hommes ont franchis l'Atlantique sur une possibilité de 120 000. La crête de Vimy permet à la Grande-Bretagne de sécuriser les hauteurs de la région en prévision d'une offensive contre les positions allemandes en Belgique et à la frontière alsacienne. Avec l'aide des troupes australiennes, l'armée canadienne libère une bonne partie de la région d'Ypres jusqu'à la ville de Passchendaele (Zonnebeke) en Belgique après l'avoir perdue aux mains des Allemands en 1915. À l'automne 1918, elle lance une offensive finale de 100 jours en collaboration avec la Grande-Bretagne et la France jusqu'à la ligne Hindenburg où se réfugie les troupes allemandes en retraite. D'une tranchée à une autre, le Canada libère les régions d'Arras et d'Amiens. Le 11 novembre 1918, l'Allemagne rend les armes.
Au total, près de 600 000 hommes et infirmières canadiens se sont enrôlés durant la Première Guerre mondiale, soit 8 % de la population totale du pays. C'est plus que les autres dominions de l'Empire britannique, exception faite de l'Inde. Chose certaine, la Première Guerre mondiale a profondément divisé le pays pour les décennies à venir, autant sur le plan politique entre les impérialistes et les nationalistes canadiens (français) que sur le plan culturel entre les deux communautés linguistiques. Elle invite le Canada à réinterroger sa place dans les relations diplomatiques mondiales.
---------------
[1] Le gaz moutarde (ou ypérite) est un composé à base de sulfure d'éthyle dichloré, inventé par le chimiste allemand Fritz Aber et utilisé pour la première fois par l'armée allemande dans le secteur d'Ypres (Belgique), en 1917. À la fin de la guerre, Aber se réfugia en Suisse par crainte d'être poursuivi pour crime de guerre.
Centenaire de la Première Guerre Mondiale (Poème) - Jimmy Mineau :
WW1 - History - Canada Part 1 - 26 minutes
WW1 - History - Canada - Part 2 - 34 minutes
Lecture supplémentaire :
Jour du Souvenir - 11 h, le 11e jour du 11e mois
Le coquelicot, Ypres et l'Yser
Commentaires