Dans un précédent article intitulé : « Alcatraz et Saint Quentin » consacré aux deux îles qui servent de prisons dans la baie de San Francisco, nous avons fait allusion au film « Le prisonnier d'Alcatraz », qui raconte l'histoire de Robert Stroud (« The Birdman of Alcatraz »), un dangereux tueur. Ayant trouvé un oiseau dans la cour de la prison où il était initialement détenu, ce prisonnier s'intéressa sérieusement à l'élevage des oiseaux. On lui attribua deux autres cellules dans lesquelles il installa un laboratoire. Il écrivit deux ouvrages sur les canaris, leur physiologie et leurs mœurs, et mit au point des médicaments pour les ornithoses.
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Mais le mot alcatraz a d'autres sens, ornithologiques, mais aussi étymologiques, historiques et littéraires. D'abord, il conviendrait d'aborder le lien entre les termes « albatros » et « alcatraz ». Alcatraz est la forme la plus ancienne qu'on trouve du mot albatros en français. François de Belleforest, (1530-1583) poète et traducteur français, auteur de "La Cosmographie universelle de tout le monde", le reproduit d'après un traité italien, lui-même traduit de l'espagnol. Le mot passe, sans changement, d'un traité à l'autre.
Buste de François de
Belleforest à Samatan (Gers)
Note etymologique
La forme moderne albatros a été empruntée à l'anglais au milieu du XVIIIe siècle. L'anglais avait en effet altéré bizarrement le mot espagnol ou portugais alcatraz en albatros. [1] Selon une explication plus détaillée du site Online Etymology Dictionary : "albatros (n.) 1670, probablement de l'espagnol ou du portugais alcatraz (pélican), peut-être dérivé de l'arabe al-ghattas "aigle de mer" [Barnhart]; ou du portugais alcatruz "godet de noria" [OED], de l'arabe al-qadus "noria, cruche" (du grec kados, cruche), par allusion à la poche du pélican. Le nom en est venu à désigner, par erreur, chez certains marins anglais, un oiseau plus grand (dont l'envergure peut dépasser 3 m 50), appartenant aux Procellariiformes, un ordre d'oiseaux de mer constitué de quatre familles et de plus de 130 espèces vivantes.
Tout en demeurant sur le thème de oiseaux, constatons le lien historique entre alcatraz (aujourd'hui pelicano, en espagnol) et albatros, et entre alcatraz et pelican en anglais, il convient de noter l'évolution de celui-ci. Le mot pélican vient de l'ancien grec pelekan (πελεκάν), lui-même dérivé du mot pelekys (πελεκυς) signifiant « hache ». À l'époque classique le mot s'entendait à la fois du pélican et du pic vert [2]. Revenant au site Online Etymology Dictionary, nous y trouvons une explication plus complète : pelican (n.) du vieil anglais pellicane, du bas latin pelecanus, du grec pelekan (utilisé ainsi par Aristote dans son Histoire des animaux), étymologiquement proche de pelekas (pic vert) et de pelekys (hache), peut-être à cause de la forme du bec de l'oiseau . En anglais moyen, la prononciation a subi l'influence du vieux français pélican.
Note historique - L'Œuf de Pâques impérial au pélican
Dans la tradition russe, toute empreinte de symboles, il est d'usage d'offrir des œufs à l'occasion de la fête de Pâques. En effet, l'œuf est associé à la
fécondité et au renouveau de la nature. Mais, en Russie, le pélican incarne aussi le dévouement maternel – la femelle allant jusqu'à s'arracher les chairs pour nourrir ses petits. De ce fait, le pélican est également associé à la fête de Pâques puisque son geste rappelle le sacrifice du Christ.
C'est sans doute pour ces deux raisons que l'empereur de Russie Nicolas II commanda au célèbre joaillier Carl Fabergé (1846-1920) l'Œuf de Pâques impérial au pélican qu'il offrit à sa mère, l'impératrice douairière Maria Feodorovna, à l'occasion de la Pâques orthodoxe de 1898. Intention d'autant plus délicate que le pélican était l'emblème personnel de l'impératrice douairière. Cet œuf d'or rouge, contenant un pélican en émail nourrissant ses deux petits, est l'un des joyaux de l'exposition Fabergé, joaillier des tsars qui se tient actuellement (et jusqu'au 5 octobre prochain) au Musée des Beaux-Arts de Montréal. On peut y admirer les plus belles pièces de la collection Pratt,
prêtées par le Virginia Museum of Fine Arts de Richmond (Virginie), ainsi que de nombreux documents d'archives photographiques et cinématographiques sur les dernières années de la monarchie russe.
Note littéraire
Notons le poème « The Rime of the Ancient Mariner " du poète anglais célèbre, Samuel Taylor Coleridge (1772-1834).
Samuel Taylor Coleridge |
Livre illustré par Gustave |
At length did cross an Albatross, Through the fog it came; As if it had been a Christian soul, We hailed it in God's name. And round and round it flew. The ice did split with a thunder-fit; The helmsman steered us through! |
Enfin passa un albatros : il vint à travers le brouillard ; et comme s'il eût été une âme chrétienne, nous le saluâmes au nom de Dieu.
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Vingt trois ans plus tard, en 1857, Charles Baudelaire écrirait Fleurs du Mal:
L'Albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
Pour conclure, choisissons un poème plus léger sur le thème du pélican, rédigé par le poète et humoriste américain, Dixon Lanier Merritt (1879–1972) :
The Pelican
A wonderful bird is the pelican,
His bill will hold more than his belican,[4]
He can take in his beak
Enough food for a week
But I'm damned if I see how the helican! [5] -------------------------------------------------------
[1] Les mots français dans l'histoire et dans la vie,
p.44, George Gougenheim, (éditions Omnibus.), p.185.
[2] La source de cette affirmation est très convenablement l'étymologiste, Eric Partridge, (A Short Etymological Dictionary of Modern English. New York, New York: Greenwich House. p. 479) dont le nom de famille veut dire perdrix.
[3] Source de traduction : www.archive.org
[4] = belly can
[5] = hell he can
Jonathan G. & Jean L.
Après la superbe métaphore de Baudelaire qui compare le poète à l'albatros: "ses ailes de géant l'empêchent de marcher" un autre poète, romantique celui-ci , nous parle du pélican. Dans la "nuit de Mai" Alfred de Musset écrit:
"Lorsque le pélican lassé d'un long voyage
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux
.........
Pour toute nourriture il apporte son cœur."
C'est ici le sacrifice du poète qui est mis en évidence.
Bonne journée à tous les blogueurs du "bridge"
Madeleine.Bova.
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Rédigé par : Madeleine Bova | 11/08/2014 à 01:57