Aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir une nouvelle collaboratrice, Alexandra Manière, qui, avec son mari et ses deux fils, habite Nantes où elle dirige le service de documentation d'une juridiction financière.
Auparavant, après une licence d'histoire à Tours, avec une préférence pour l'histoire contemporaine, Alexandra a vécu huit ans à Paris en travaillant dans un centre de documentation où elle analysait des ouvrages de politiques intérieure, extérieure, économique, sociale et de géopolitique.
Alexandra nous dit qu'elle a toujours aimé la poésie des mots et leur intelligence. Elle adore les dictionnaires de synonymes et le Littré ! « Et sans doute, pour allier le goût de l'histoire et celui de la littérature, j'aime aussi les "vieux" mots : félicité, vestibule, chandail. » dit-elle.
Alexandra son propre blog : http://lavieetriendautre.wordpress.com/
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Qui aurait cru que passion, patience, patient (chacun d'eux ayant la même orthographe en anglais et en français) et passif (passive en anglais) avaient la même origine ?
Cette histoire débute avec le même verbe latin pati qui est utilisé au 1er siècle avant JC chez Cicéron, comme « endurer » et « supporter », et au 1er siècle après JC par Suétone, pour indiquer « être victime de » et « supporter involontairement ». Il est intéressant de constater que pati acquiert une acceptation plus passive avec l'ère chrétienne, ce qui pourrait amener à s'interroger sur l'influence de la religion dans l'évolution des mots.
A la lumière de cette étymologie, ce sont patience et patient qui viennent en premier à l'esprit.
La patience vient du terme latin patientia qui est l'action de supporter et d'endurer, et patient vient directement du latin patiens, participe présent du verbe évoqué plus haut, pati.
La patience, cette qualité, qui est à la fois une disposition morale qui fait supporter l'adversité et les maux, cette même qualité qui est aussi la constance dans l'action, la persévérance à poursuivre une entreprise en dépit des obstacles et enfin, la patience qui est encore l'attitude à attendre tranquillement, sans irritation, quelqu'un ou quelque chose qui tarde à venir.
Et de chaque côté de la Manche ou de l'Atlantique, on fait des jeux de patience, en s'exerçant à une réussite, que les Américains appellent "solitaire".
Le patient possède donc toutes les vertus ci-dessus, résistant, persévérant et calme.
Et il est aussi, des deux côtés de la Manche et de l'Atlantique celui qui consulte un médecin, donc qui s'apprête à souffrir ! Tout comme il était, dans un sens d'ancien français, le supplicié du bourreau...
Pourtant le malade, ausculté par son docteur, est donc forcé d'être passif, de subir une action, mais bien malgré lui ; car il y a aussi le passif mou, celui qui se contente de subir les événements, de suivre les impulsions extérieures, qui ne prend aucune initiative, qui n'accomplit aucune action personnelle, voire qui manque d'énergie.
C'est pourquoi transformer une phrase à la voix passive, c'est faire que le sujet grammatical n'accomplisse plus l'action mais la subisse.
Mais que vient faire ici la passion ?
Si on en croit les philosophes, la passion s'oppose à l'action, dans ce qu'elle a d'involontaire, car la passion est ce mouvement violent de l'âme, en bien ou en mal, qu'on ne peut que subir.
Les Anglais utilisent d'ailleurs le mot passion pour exprimer la colère ou l'emportement : to be or not to be in a passion... ? Et au début de la psychiatrie, l'hystérie était aussi appelée la « passion hystérique » [1] : c'est dire dans quel état, elle est censée nous mettre...
A tel point même, qu'on peut souffrir mort ET passion, ce qui vous exposera à de grandes douleurs morales et à de grandes souffrances physiques qu'on appelait, aussi jadis, du nom de tourments.
Enfin, la passion est aussi le fait de souffrir.
Ce qui par analogie, englobera dans son acception religieuse, les souffrances et les supplices qui précédèrent et accompagnèrent la mort de Jésus-Christ et qui donnera lieu à l'expression connue de la Passion du Christ.[2]
Il me reste à souhaiter que cet article aura assouvi votre passion des mots, sans vous faire perdre patience, et puissiez-vous ne jamais renoncer à vos vertus de patient lecteur en devenant un liseur passif.
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[1] L'hystérie décrit des débordements d’émotions incontrôlables. On doit à Hippocrate le terme hystérie qui, jusqu'à la fin du XIXème siècle, était considérée comme une pathologie spécifiquement féminine, provoquée par des troubles de l’utérus (du grec ὑστέρα hystera «utérus»), par exemple des traumatismes liés à l’accouchement.
[2] The Passion est une ode inachevée du poète anglais John Milton. Probablement écrite en 1630, elle a été publiée en 1645 ou 1646. Le poème relie la Crucifixion du Christ avec son Incarnation.
Il conviendrait de rappeler aussi l'Appassionata de L.Van Beethoven et les Passions de J.S.Bach.
Commentaire général envoyé par "un lecteur passionné" :
Bravo à Alexandra Manière pour cette intéressante analyse des mots passion, patience, patient, passif et dérivés, entre lesquels on n'établit pas toujours un lien. Cela m'a rappelé qu'à l'époque où je débutais dans la traduction médicale, on nous conseillait de ne pas employer le mot patient et de lui préférer celui de malade. Mais, celui qui subit un examen radiographique ou qui s'assoit sur le siège d'un dentiste est-il pour autant un malade ? En revanche, on ne dira jamais assez que la passion est un état subi et qu'on tend à en abuser aujourd'hui pour désigner des situations où l'on est, au contraire, actif. En effet, peut-on dire qu'on est « passionné » de bricolage. dès lors qu'on se plaît simplement à travailler de ses mains ? Actuellement, le mot passion est vraiment galvaudé, sinon détourné complètement de son sens premier. Ceci dit, il est, dans cette analyse, un petit oublié, et c'est le verbe pâtir (du latin pati). Il s'apparente à patient dans le sens de souffrir à cause de, de subir les conséquences fâcheuses de. Par exemple, on dira que l'activité industrielle pâtit de la crise internationale.Ajoutons donc pâtir, et félicitons Alexandra !
Lecture supplémentaire :
10 Sayings about Patience
La passion : toutes les meilleures citations dans cette video
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Un petit lexique des expressions et proverbes anglais contenant le mot patience
(to run out of) out of patience
annoyed and impatient after being patient for a while.
I finally ran out of patience and lost my temper.
The boss is finally out of patience with me.
être agacé et impatient après avoir été patient pendant un moment
have the patience of a saint / have the patience of Job
Fig. to have a great deal of patience.
Dear Martha has the patience of a saint;
she raised six children by herself.
Fig. avoir une patience d'ange.
the patience of Job
Usage notes:
Job was a character in the bible who still trusted
God even though a lot of bad things happened to him.
You need the patience of Job to be a teacher.
N. B. : Job était un personnage de la Bible qui gardait
confiance en Dieu malgré tous les malheurs qui l'accablaient.
lose patience (with someone or something)
to stop being patient with someone or something;
to become impatient with someone or something.
Please try to be more cooperative. I'm losing patience with you.
perdre patience
Patience is a virtue.
Prov. It is good to be patient.
Jill: I wish Mary would hurry up and call me back!
Jane: Patience is a virtue. Fred:
Prov. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.
(La Fontaine).
try someone's patience
to strain someone's patience; to bother someone as if testing the person's patience. (Try means test here.) My loud neighbors are trying my patience today. You really try my patience with all your questions!
éprouver la patience de quelqu'un.
Bravo à Alexandra Manière pour cette intéressante analyse des mots passion, patience, patient, passif et dérivés, entre lesquels on n'établit pas toujours un lien. Cela m'a rappelé qu'à l'époque où je débutais dans la traduction médicale, on nous conseillait de ne pas employer le mot patient et de lui préférer celui de malade. Mais, celui qui subit un examen radiographique ou qui s'assoit sur le siège d'un dentiste est-il pour autant un malade ? En revanche, on ne dira jamais assez que la passion est un état subi et qu'on tend à en abuser aujourd'hui pour désigner des situations où l'on est, au contraire, actif. En effet, peut-on dire qu'on est « passionné » de bricolage. dès lors qu'on se plaît simplement à travailler de ses mains ? Actuellement, le mot passion est vraiment galvaudé, sinon détourné complètement de son sens premier. Ceci dit, il est, dans cette analyse, un petit oublié, et c'est le verbe pâtir (du latin pati). Il s'apparente à patient dans le sens de souffrir à cause de, de subir les conséquences fâcheuses de. Par exemple, on dira que l'activité industrielle pâtit de la crise internationale.Ajoutons donc pâtir, et félicitons Alexandra !
Rédigé par : un lecteur passionné | 06/09/2014 à 09:59
Un article très intéressant, je n'ajouterai que l' "Appassionata" de L.Van
Beethoven et les "Passions" de J.S.Bach.
Bonne écoute.
Madeleine.
Rédigé par : Madeleine Bova | 07/09/2014 à 03:16