Éditions Odile Jacob, 2012.
Recension d'un livre, rédigée par Grant Hamilton.
Titulaire de la chaire de théorie linguistique au Collège de France depuis 1982, Monsieur Claude Hagège est actuellement professeur honoraire. Distingué polyglotte, il possède des connaissances éparses d'une cinquantaine de langues, parmi lesquelles l'italien, l'anglais, l'arabe, le mandarin, l'hébreu, le russe, le guarani, le hongrois, le navajo, le pendjabi, le persan, le malais, l'hindi, le malgache, le peul, le quechua, le tamoul, le turc et le japonais.
Il est notamment Chevalier de l'ordre national des Arts et des Lettres (1995) et Officier d'Académie (1995). Il a reçu le prix Volney en 1981 et le Prix de l'Académie française en 1986 pour L'homme de paroles. Claude Hagège a publié 16 livres, dont le dernier s'intitule Contre la pensée unique.
Homme de conviction attaché à la culture française, Claude Hagège pourfend l'anglais, comme vecteur de la pensée unique. Dans son dernier ouvrage, il précise cependant que l'anglais est aussi le support d'« esprits libres », d'une « pensée libertaire » […] et qu'il défend la liberté, contre la fausse liberté qui s'appelle le néolibéralisme. [1]
Traducteur agréé diplômé de l'Université Laval, Grant Hamilton est le fondateur propriétaire d'Anglocom, cabinet de Québec spécialisé en communication d'entreprise en anglais et en français. M. Hamilton collabore régulièrement aux activités de formation de l'Ordre des traducteurs, terminologies et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et de l'American Translators Association (ATA) et il enseigne l'adaptation publicitaire du français en anglais dans le cadre du certificat de traduction de la New York University. En 2009, l'ATA lui a décerné le prix Alicia-Gordon pour la créativité en traduction.
M. Hamillton est l'auteur de diverses publications. Lancé en 2011, son livre Les trucs d'anglais qu'on a oublié de vous enseigner est un recueil de billets sur la langue anglaise inspirés en grande partie des questions que ses clients francophones lui ont posées au fil des ans. Avec son complice langagier François Lavallée, il a
publié en 2012, chez Linguatech éditeur, un recueil de gazouillis sur la traduction intitulé Tweets et gazouillis pour des traductions qui chantent. Nombre de ses articles sont également parus dans The ATA Chronicle et dans la revue Circuit de l'OTTIAQ, dont Translating for Quebec : 8 Essential Rules to Follow, Creative Thinking: Doing What a Machine Cannot et Translation in Canada.
Grant Hamilton joue un rôle prépondérant dans le milieu de la traduction et au sein de sa collectivité. Il siège au conseil d'administration de l'OTTIAQ, il a été vice-président de la division Entreprises de traduction de l'ATA de 2009 à 2012 et il préside la division du Québec du programme Le Prix du Duc d'Édimbourg, qui souligne les efforts et l'engagement des jeunes de 14 à 24 ans. En août 2014, M. Hamilton organisa le séminaire On traduit dans les Laurentides, cinquième d'une série de rencontres de formation pour traducteurs œuvrant dans la combinaison de langues anglais-français.
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Contre la pensée unique, par Claude Hagège
Éditions Odile Jacob, 2012.
Ce livre est un plaidoyer contre la pensée unique.
Ce livre est un appel à la résistance.
Quand l'essentiel n'est plus distingué de l'accessoire, quand les projets intellectuels de haute volée se heurtent à la puissante inertie de la médiocrité ambiante et des petits desseins, quand l'uniformisation s'installe dans les goûts, dans les idées, dans la vie quotidienne, dans la conception même de l'existence, alors la pensée unique domine.
La langue anglaise sert aujourd'hui de support à cette pensée unique, mais le français est bien vivant. Et nombreux sont ceux, à travers le monde, qui en mesurent l'apport au combat de l'homme pour la liberté de l'esprit.
C'est l'objet de ce livre que de proposer des pistes pour déployer encore plus largement de nouvelles formes d'inventivité et de créativité.
Critique par M. Grant Hamilton :
Petit plaidoyer contre l'hégémonie de l'anglais comme langue véhiculaire, Contre la pensée unique regorge de faits linguistiques fascinants. M. Hagège nous offre un cours en accéléré sur l'histoire de la langue anglaise, sa domination par le français à l'époque anglo-normande, sa montée inexorable parallèlement à celle des États-Unis, son impérialisme culturel et scientifique d'après-guerre, ses difficultés intrinsèques qui en font une langue frustrante à acquérir, sa singularité stylistique par rapport au français, et même le lent déclin qu'elle semble entamer. Mais la prémisse même du livre selon laquelle l'envahissement de l'espace linguistique mondial par l'anglais procède d'une démarche stratégique et concertée des pays anglophones, et surtout des États-Unis, témoigne, à mon avis, d'une méprise culturelle. L'auteur accorde aux anglophones les instincts et réflexes linguistiques qu'on observe plutôt chez les francophones.
Quelle méprise? Celle d'imaginer que, pour les anglophones, la langue puisse être objet de contemplation.
Voici d'ailleurs ce que j'ai écrit à ce propos dans un rapport remis récemment à un client qui cherchait conseil concernant une signature publicitaire. Le client voulait conserver la signature française, du moins partiellement, même en s'adressant à un public anglophone :
De manière générale, les anglophones habitent un univers exempt de toute forme de sensibilité linguistique. La question linguistique ne s'y pose pas, car tout le monde parle anglais ou s'efforce de le faire. La langue n'est donc nullement objet de contemplation et tout s'interprète à travers le seul prisme de la langue anglaise. Devant une signature laissée en français, on réagira donc de l'une des deux manières suivantes : on tentera de reconnaître les mots anglais dans la signature et on les interprétera dans ce sens ou on conclura que le message n'est pas en anglais et ne s'adresse donc pas à soi, voire qu'il est sans importance.
Quand on côtoie au quotidien une seule langue, la notion même de langue a tendance à s'effacer. On tient pour acquis que tout le monde parle sa langue et on ne réfléchit ni à son enseignement, ni à sa protection, ni même à sa domination sur les autres langues. C'est tout simplement un instrument qu'on a toujours utilisé et que tout le monde utilise, comme ses oreilles ou son nez.
Quand M. Hagège prétend que « les dirigeants américains accordent une (si grande) importance à (l'enseignement de l'anglais car) ils considèrent que le style de vie ainsi que les valeurs dont le vecteur est l'anglais, lesquels sont ceux des États-Unis, se répandront dans le monde à raison de la diffusion de l'anglais lui-même », il se trompe. Bien sûr, les dirigeants américains cherchent à faire rayonner l'American Way of Life et les valeurs démocratiques qui s'y rattachent, car il s'agit là d'un des mythes fondateurs du pays. Mais pour eux, la question de la langue ne se pose pas. Ils oublient tout simplement l'existence d'autres langues, ce qui a ironiquement pour résultat d'affaiblir leur démarche de rayonnement.
D'ailleurs, il y a lieu de se demander si les dirigeants américains accordent véritablement de l'importance à la diffusion de l'anglais. En effet, malgré l'évident avantage que confère aux États-Unis, et à toute l'anglophonie, l'utilisation de l'anglais comme langue du commerce mondial, et malgré son incroyable force d'attraction sur les peuples du monde, il n'existe aucune organisation à vrai dire, aucune structure, aucune stratégie vouée à l'enseignement et au rayonnement de cette langue, à l'image de l'Alliance française, du Gœthe-Institut, voire même de l'Institut Confucius lancé en 2004 par la Chine.
L'auteur s'empresse toutefois de nous signaler que sept États américains ont déclaré l'anglais seule langue officielle en 1986. N'est-ce pas là la preuve, semble-t-il arguer, d'une démarche concertée de promotion de la langue? Encore là, je répondrais que non, car j'y vois plutôt un geste de repli et de refus de l'autre; l'anglais n'a irréfutablement pas besoin de mesures protectionnistes en sol américain et il ne peut donc s'agir d'un geste positif et proactif.
Si l'anglais domine si totalement aujourd'hui, c'est grâce à l'appel économique des États-Unis et, dans une moindre mesure, des pays du Commonwealth. On gravite volontiers vers la richesse. M. Hagège l'avoue lui-même dans son chapitre sur les signes d'une décrue de l'anglais, où il note l'attrait du chinois et du japonais pour les Vietnamiens depuis l'arrivée dans leur pays de gros investisseurs parlant ces langues. Et la question mérite qu'on la pose : si l'anglais amorce un déclin, pourquoi s'affoler?
Cet ouvrage présente par ailleurs un irritant majeur : il semble empreint d'un antiaméricanisme primaire. C'est avec délectation que M. Hagège cite la déclaration de P. Beaudry (2007, p. 56) selon laquelle « L'Amérique s'est construite en partie sur le génocide des Indiens ». Il parle ainsi d'assimilation ethnocidaire, de détournements d'enfants, de maladies destructrices, de migrations pour échapper aux Blancs et de la cruelle et effroyable école unilingue anglaise, concluant que « (l)a domination de l'anglais, qui en est la face visible, n'est pas aisément dissociable d'une vocation d'affrontement ». Il arrive même à dresser certains parallèles entre ce génocide et celui des Juifs par l'Allemagne nazie tout en se défendant de vouloir les confronter exactement. Ce faisant, il soulève tout de même un doute dans l'esprit du lecteur.
Même la CIA y passe. À quoi bon raconter dans un ouvrage sur la langue les manigances de la CIA pour renverser le gouvernement démocratiquement élu du Chili? Et pourquoi ensuite faire des rapprochements entre ce coup d'État, survenu le 11 septembre 1973, et l'attentat contre le World Trade Center de New York, survenu le 11 septembre 2001, laissant ainsi entendre, sans le dire ouvertement, que ce dernier n'était qu'une espèce de retour du balancier?
Et que dire de sa jérémiade contre le logiciel PowerPoint, dans lequel il semble voir une sorte de complot américain d'amollissement des esprits dans un but ultime de domination mondiale? Ou sa hargne contre le Summer Institute of Linguistics, association de missionnaires protestants linguistes qui traduisent la Bible « dans les langues tribales et régionales » (et non le contraire!)? J'en suis resté stupéfait.
Claude Hagège aime manifestement le français. Il s'inquiète du laisser-aller linguistique qui caractérise la France actuelle et lance un appel à l'action que j'approuve entièrement comme Québécois sensibilisé à la fragilité du français face à l'anglais. Mais il est futile de prêter des intentions malveillantes aux anglophones; il faut plutôt lancer un appel à la fierté nationale et au potentiel économique du français comme outil de développement.
Je me permets aussi de mentionner un autre (tout petit) irritant : malgré son amour évident du français, M. Hagège ne semble pas avoir compris qu'il est tout à fait permis dans cette langue de faire des phrases de moins de 25 mots. Ses longs passages aux multiples incises finissent par lasser.
Celui qui s'aventure à lire cet ouvrage apprendra beaucoup, non seulement sur l'anglais, mais aussi sur le français et sur d'autres langues. Mais il devra s'armer d'un sens critique aigu.
Grant Hamilton
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[1] Les Matins de France Culture (29:21 minutes)
Marc Voinchet, 15/1/2012
Lecture supplémentaire :
Q and A : The Death of Languages
Monsieur Grant Hamilton nous livre une critique iconoclaste, mais combien réjouissante à lire !
Une critique accompagnée de réflexions pleines de pertinence et je ne peux que souscrire à ces propos :
« Quand on côtoie au quotidien une seule langue, la notion même de langue a tendance à s'effacer. On tient pour acquis que tout le monde parle sa langue et on ne réfléchit ni à son enseignement, ni à sa protection, ni même à sa domination sur les autres langues. C'est tout simplement un instrument qu'on a toujours utilisé et que tout le monde utilise, comme ses oreilles ou son nez. »
La Belgique compte trois langues officielles, le néerlandais, le français et l'allemand, langues citées dans l'ordre du nombre de ses locuteurs.
Trouver un emploi à Bruxelles exige de connaître au minimum les deux langues nationales principales. Connaître l'anglais s'avèrera être un plus ou constituera une autre exigence. Bruxelles est également une ville où un étranger qui demande son chemin en anglais sera le plus souvent compris et recevra une réponse.
L'anglais sert comme langue véhiculaire entre des personnes de langues différentes, elle est également la langue des nouvelles technologies, mais n'est certainement pas véhiculaire d'une pensée unique.
Il fut un temps où le latin a été la langue des échanges entre savants ou érudits et le français, la langue de la diplomatie. L'usage de ces langues ne véhiculait en rien une pensée unique.
Que ce soit par satellite ou par câble numérique, nous avons accès à de nombreuses sources d'informations en différentes langues. Ce que Monsieur Claude Hagège semble oublier dans sa croisade contre l'Oncle Sam en souhaitant leurs suppressions. Détiendrait-il, lui, le monopole de la pensée pour considérer ses semblables incapables d'autres pensées et dénués du moindre sens critique ? Des propos à prendre effectivement avec beaucoup de sens critique...
Rédigé par : Beila Goldberg | 06/11/2014 à 17:33
Passionnants, l'auteur comme l'article !
Rédigé par : Edith Soonckindt | 08/11/2014 à 02:33