when watching people walk, was America’s favorite spectator sport
de Matthew Algoe
analyse de livre par Carole Josserand
Née à Lyon, Carole a grandi dans un milieu bilingue anglais/français. Après avoir réussi l'option internationale du baccalauréat scientifique, elle est partie faire ses études en Angleterre où elle a fait une licence de langues (avec la combinaison italien, allemand, russe) à l'Université de Birmingham. Quatre ans plus tard, Carole s'est installée à Londres pour suivre un Master en Traduction et Interprétation à l'Université de Westminster. Dans le cadre de sa licence, elle a eu la chance de pouvoir passer cinq mois à Moscou (Russie), cinq autres à Berlin (Allemagne) et, enfin, un mois à Florence (Italie). Cette expérience l'a extrêmement enrichie, tant sur le plan personnel que du point de vue linguistique et culturel. En effet, elle a pu mieux maîtriser ses différentes langues et approfondir sa compréhension des cultures et des peuples au sein desquels elle a vécu. Carole travaille actuellement à l'Union Internationale des Télécommunications, à Genève, en qualité d'assistante du Chef interprète. Elle continue également à traduire. Comme on s'en apercevra dans ce qui suit, ses talents vont bien au-delà de son domaine professionnel.
Pedestrianism, when watching people walk was America's favorite spectator sport [1] de Matthew Algeo est un ouvrage dynamique, contemporain et coloré retraçant l'histoire du sport de la marche à la fin du XIXe siècle aux États-Unis et en Angleterre, au rythme des performances des héros de cette nouvelle discipline : des athlètes aspirant sans cesse à faire reculer les bornes du possible. Bref, un livre qui vous tient en haleine, tout en vous laissant à bout de souffle quand vient la fin.
États-Unis. 1860. Veille des élections présidentielles et de la guerre de Sécession. Deux amis (George Eddy et Edward Payson Weston) [2] conjecturent sur l'identité du prochain président. L'un d'eux prédit qu'Abraham Lincoln sera élu, tandis que l'autre mise sur John Breckinridge. Un pari est lancé : le perdant devra marcher de l'ancien Capitole de Boston jusqu'au Capitole de Washington, et arriver à temps pour l'investiture, soit 769 kilomètres en 10 jours consécutifs. Ce périple souleva une fièvre sans précédent qui s'empara des États-Unis avant de se propager en Angleterre : des marches de ville en ville se multiplièrent, puis se transformèrent rapidement en performances et furent confinées à des pistes dans des arènes, telles les pistes d'athlétisme qui existent de nos jours, donnant ainsi naissance au premier sport de spectacle.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il me semble indispensable de faire un aparté pour s'interroger sur l'origine du mot pédestrianisme. Notons tout d'abord que ce terme ne figure pas dans tous les dictionnaires. Pédestrianisme vient, bien entendu, du latin « pedester » (« qui est à pied », « qui est à terre », « infanterie ») [3] , mais remarquons également que le mot anglais « pedestrian » vient du français « pédestre » et a gagné un sens par rapport à la définition française : en prose, cela peut signifier 'insipide' ou 'prosaïque'. Mais le plus intéressant dans tout cela, c'est que le français a ensuite emprunté le substantif anglais décrivant cette « mode, répandue en Angleterre, de se targuer de faire de longues marches à pied » [4]. Ces échanges linguistiques symbolisent la relation historique entre l'Angleterre et la France.
Pour en revenir à notre thème, Matthew Algeo, journaliste-reporter primé s'intéressant aux événements insolites qui ont marqué les États-Unis et auteur de « Harry Truman's Excellent Adventure », « Last team Standing » et « The President is a Sick Man », dresse un portrait inquiétant de l'art et du sport du pédestrianisme à cette époque. En quête de performances extraordinaires, les athlètes tombent rapidement sous l'emprise de toute sorte de stimulants dans le but d'en faire toujours plus et de surpasser leurs records. À l'instar du champagne :
« Champagne was considered a stimulant. And a lot of trainers — these guys had trainers — advised their pedestrians to drink a lot of champagne during the race. [...] The problem was a lot of these guys would drink it by the bottle. That definitely was not a stimulant to say the least. »
- Matthew Algeo [5]
Une pratique que l'on retrouve de nos jours dans le sport, comme en témoignent les nombreux scandales liés au dopage (Lance Armstrong et le cyclisme par exemple). Comme le montre très bien l'auteur, les athlètes sont prêts à tout pour se dépasser et battre constamment leurs records. La marche, sport autrefois de détente, quasi synonyme de 'lenteur' (d'où peut-être la signification anglaise de 'insipide' ou 'prosaïque'), devient en quelques mois seulement, le sport tel que nous le connaissons aujourd'hui : une course au spectaculaire, une course à l'argent, une course au dopage, une course à la performance, où le plaisir est remplacé par l'asservissement à la quantité, à la surenchère, à l'excès.
« [Gale] [6] walked four thousand quarter miles in four thousand consecutive periods of ten minutes (nearly 28 days), a performance that allowed him to rest no more than six minutes at a time. "The amount of perseverance and abnegation requisite naturally excites admiration, The Times of London noted of the latter event." It seems incredible that a man should be able to forego the demands of nature for so long a time ».
De simples 'piétons énergiques' [7], animés du goût de la marche, ces athlètes étaient en voie de devenir des esclaves de la performance, toujours dans l'excès : des forçats, excitant les foules et devenant peu à peu des héros nationaux, « promised £500 bonus if he 'saved the championship to his country'. It had become more than a footrace. It was a matter of national pride. » À tel point, qu'ils en deviennent des mascottes, immortalisées sur des cartes à jouer. À l'image du sport d'aujourd'hui, ces athlètes suscitent le patriotisme de leurs supporters. Mais à quel prix ? Celui de l'excès.
Comme le dénonce finalement l'auteur, cette surenchère pousse aux abus en tous genres (paris truqués, drogue, alcool, etc.) avec des conséquences sur la santé. Bien qu'O'Leary [8] soit mort officiellement d'un 'durcissement des artères', certains disaient que c'était le grog qu'il consommait pendant ses marches qui était en fait à l'origine de sa mort. Mais étant décédé à 87 ans avec pas moins de 483 000 kilomètres au compteur, les effets négatifs de sa consommation d'alcool ne peuvent-ils pas être relativisés ? En 1933, selon des données publiées par Berkeley [9], l'espérance de vie moyenne des hommes était de 61,7 ans, soit 25 ans de moins que la vie d'O'Leary, ce qui donne à penser que ces performances quasi surhumaines, y compris les abus qui les ont accompagnées, auraient pu avoir un effet bénéfique pour le corps et la longévité. Est-ce que ces performances, via l'épuisement qu'elles provoquent, n'auraient pas un effet facilitateur sur le mouvement ? Prenons l'exemple des arts martiaux (entraînement au Kung-fu par exemple), où, pour que le mouvement 'passe', il faut avoir atteint un niveau d'épuisement maximal, résultant de la répétition infinie des mêmes mouvements. Une technique sans égale dans de nombreux domaines, mais qui semble tout de même laborieuse, voire dangereuse (augmentation notoire des pathologies du sport). N'y aurait-il pas un autre moyen d'arriver à cette fin, en évitant ce fastidieux travail quantitatif ?
La solution qui m'apparaît provient du travail de recherche, mené conjointement par le Docteur Serge Alain Josserand et Dominique Buttaud, professeur de danse, en quête d'une qualité dans l'usage du corps, permettant d'atteindre des performances si ce n'est supérieures, au moins égales à celles des stakhanovistes. Il s'agit, entre autres, de la mobilité interne du corps, « par laquelle se distribue à la globalité du "mobile-squelette" la force du "sol porteur", opposée à la pesanteur terrestre ».[10] Comme ils l'expliquent, l'OSDYRE (Ostéodynamique de représentation par le verbe) [11] permet, à partir de la verbalisation des logiques du corps et de ses représentations, de lever les résistances à son fonctionnement, crées par les actions du 'diablotin' [12] qui nous habite, et ainsi de restituer au corps son efficience. Ce mouvement de pensée, cette recherche, permet de mettre des mots, des verbes sur la gestion automatique de nos gestes et de donner un mot à des concepts, au squelette et à sa dynamique. L'OSDYREVE (également Ostéodynamique de représentation par le verbe) renvoie, pour sa part, au rêve d'avoir un corps qui fonctionne harmonieusement, sans entrave, sans douleur. Ces 'néologismes' ou 'innovations linguistiques', qui ne sont autres que des acronymes, condensent les processus qui animent ce travail en vue d'une rénovation permanente du fonctionnement du corps. Il facilite la performance, par la qualité, plutôt que par la quantité et l'épuisement, recherchés habituellement par l'entraînement, toujours susceptibles de provoquer des blessures et des accidents.
Enfin, quoi qu'il en soit, la marche « bien tempérée » (à la fois qualitative et sans excès) est bénéfique, non seulement pour notre corps, mais aussi pour notre créativité. Une étude publiée dans le Journal of Experimental Psychology [13] montre que la créativité de l'être humain se développe lorsque l'on marche. À en croire de nombreux philosophes et écrivains, et notamment Frédéric Gros, la marche serait « un authentique exercice spirituel » [14] : « Ce n'est pas tant que marcher nous rend intelligents, mais que cela nous rend, et c'est bien plus fécond, disponibles. ». Tout est là. Mais comme il le précise également, toutes les marches ne se ressemblent pas… Ainsi, les marches promenades de Robert Walser [15] nous invitent à la littérature et à la poésie…
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[1] Algeo M. 2014 Pedestrianism when watching people walk, was America’s favorite spectator sport. Chicago Review Press.
[2] Edward Payson Weston est le premier adepte du pédestrianisme. Il fut à l’origine de ce mouvement et remporta de nombreuses courses. Pour de plus amples informations à son sujet, consulter le site : http://www.runningpast.com/pedestrian.htm
[3] Le Robert. 1992 Dictionnaire historique de la langue française. Alain Rey (dir.). Dictionnaires le Robert. Paris.
[4] Emile Littre, 1987. Dictionnaire de la langue française. Tome 5, Encyclopaedia Britannica Inc., Chigago.
[5] NPR Staff. 2014. In The 1870s And '80s, Being A Pedestrian Was Anything But.
[6] Gale : grand pedestrian gallois qui fut le coach d’Ada Anderson, première ‘pedestriène.’
[7] Le Trésor de la Langue Française informatisé.
[8] Redoutable adversaire de Weston, d’origine Irlandaise, qui remporta de nombreuses courses face à Weston.
[9] Disponible sur: http://demog.berkeley.edu/~andrew/1918/figure2.html.
[10 & 11] Buttaud D. et Josserand A. 2011. De la Danse à la mobilité interne du corps. L’ostéodynamique de représentation par le verbe. Osdyre, osdyrev ou osdyreve. Vers la fin des douleurs du dos et de l’appareil locomoteur. Friches et Bordures.
[12] « Le diablotin est régi par des règles fantaisistes, et non par l’exigeante réalité créée par la rencontre de l’anatomie physiologie avec la gravité terrestre. Les actions en entrave du diablotin sur le mobile squelette créent des écarts avec le fonctionnement naturel, responsables de sensations du corps, de signaux de malaise, de souffrances, de distorsions et de dysfonctionnements ». In : Buttaud D. et Josserand A. 2011.
[13] Oppezzo M. et Schwartz D.L. Give your ideas some legs: The Positive effect of walking on creative thinking. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory and Cognition, 2014, Vol. 40, No. 4, 1142-1152.
[14] Le Monde. 2011. « La Marche est un authentique exercice spirituel ».
'A Philosophy of Walking', by Frederic Gros, New York Times, December 19, 2014
[15] Walser R. 1917. La promenade. Gallimard.
Images tirées de Pedestrianism, when watching people walk was America's favorite spectator sport de Matthew Algeo.
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Petit lexique de la marche selon Le mot juste en anglais
To walk, walking
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Marcher, la marche à pied
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To hike, hiking,
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Randonner, la randonnée
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To jog, jogging
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Jogger, le jogging
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To scramble, scrambling
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Grimper, la grimpe
|
Nordic walking
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Marche nordique
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Race walking
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Marche athlétique
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To ramble, rambling
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Se balader, balade pédestre
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To stroll, strolling
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Se promener, flâner, la flânerie
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To trek, trekking
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1) Cheminer 2) faire du trekking, randonner
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Backpack
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Sac à dos
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Excursion
|
Excursion
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To amble
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Aller d'un pas tranquille, de sénateur
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