London: Sidgwick & Jackson, 2014.
Analyse de livre par Joëlle Vuille
-----------------------------------------------------------------
Lever le voile sur l'identité de Jack l'Éventreur, voilà une entreprise à laquelle plus d'un détective en herbe s'est essayé ! Le dernier en date se nomme Russell Edwards, il prétend avoir réussi là où tant d'autres ont échoué, et il vient de publier un livre retraçant sa découverte.
Après avoir récapitulé les faits sanglants qui ont donné naissance à la légende, soit les cinq meurtres commis dans le quartier londonien de Whitechapel par de froides nuits d'automne 1888, Edwards nous rappelle les indices découverts, les lettres anonymes reçues par les forces de l'ordre et les journaux, bref, tout ce qui fait le mythe de Jack l'Éventreur. Il nous présente les policiers qui ont enquêté à l'époque sur l'affaire, ainsi que les suspects qui, au fil des ans, ont été envisagés. L'auteur nous conte ensuite son parcours personnel, exposant comment son intérêt pour l'affaire est né, et comment il a réussi à mettre la main sur la pièce à conviction qui lui a permis de percer le mystère : un foulard trouvé près du corps de la quatrième victime de l'Éventreur, Catherine Eddowes. Le tissu avait été ramassé par un policier londonien intervenu sur la scène de crime, afin de l'offrir, tout ensanglanté, à son épouse. (Celle-ci avait refusé le délicat présent, mais le foulard était tout de même demeuré dans la famille).
L'idée de Edwards était simple : faire analyser les traces de sang et de sperme trouvées sur le foulard, puis trouver de l'ADN de la victime et du suspect, et finalement comparer ces profils ADN pour essayer d'établir un lien entre les unes et les autres.
Venons-en au scoop : le plus célèbre tueur en série de tous les temps serait un immigré polonais de 23 ans dénommé Aaron Kosminski. Kosminksi figure depuis longtemps au sommet de la liste des suspects, mais on ne sait pas grand' chose de lui. Edwards nous conte le peu que l'on sait de son enfance en Pologne, de sa famille et de leur arrivée en Angleterre au début des années 1880, alors qu'Aaron était âgé d'environ 15 ans. Quelques années plus tard, il semblerait que Kosminski ait vécu tout près des scènes de crime (ce qu'Edwards interprète comme un indice de plus de sa culpabilité). Durant ses années-là, Kosminski n'a jamais fait parler de lui, sauf lorsque, en décembre 1889, il a été condamné pour avoir eu en sa possession un chien non muselé (une loi avait alors rendu obligatoires les muselières pour tenter de lutter contre une épidémie de rage). On sait ensuite que Kosminksi a vécu de longues années dans des hospices pour les pauvres et les personnes souffrant de troubles mentaux, probablement atteint de schizophrénie, avant de mourir à l'âge de 53 ans, en 1919.
Depuis la publication du livre d'Edwards, certains scientifiques ont exprimé leur scepticisme vis-à-vis de la validité des résultats scientifiques sur lesquels l'auteur a basé sa thèse : une erreur aurait été commise lors de l'évaluation de la force probante des résultats.[1] (L'un de ces sceptiques est Sir Alec Jeffreys en personne, l'inventeur de l'analyse ADN utilisée à des fins judiciaires). En effet, puisque la victime et le suspect ne sont plus vivants et qu'il a été impossible d'obtenir un échantillon d'ADN de leurs dépouilles respectives, le travail de Edwards a consisté à localiser des descendants de ces deux personnes et à les convaincre d'avoir leur ADN analysé. Notre ADN se transmettant de façon prévisible entre parents et enfants, chacun d'entre nous partage un certain nombre de caractéristiques génétiques avec ses ancêtres, même à plusieurs générations d'écart. Il est ainsi possible de reconstruire des lignées familiales.
Afin d'estimer la proximité du lien de parenté entre deux individus donnés, il est toutefois fondamental de pouvoir évaluer la rareté des caractéristiques génétiques qu'ils partagent par rapport au reste de la population. (De la même façon que, si vous rencontrez pour la première fois une personne qui porte le même nom de famille que votre coiffeur, vous estimerez plus probable que cette personne soit de la famille de votre coiffeur si ces deux individus s'appellent Rolthmeir – l'un des patronymes les moins courants de France – que s'ils s'appellent Dupont). Or, il semblerait que c'est lors de cette étape cruciale que le généticien engagé par Edwards se soit trompé : il aurait déclaré certains profils beaucoup plus rares que ce qu'ils sont en réalité, et aurait ainsi attribué le sang trouvé sur le foulard à la victime alors que le lien entre ces deux éléments serait plus que ténu.
L'auteur n'a pas encore pris position dans le débat qui vient d'éclater autour de ses révélations et le lecteur terminera certainement cet ouvrage en ayant encore des doutes quant à l'identité de Jack l'Éventreur. Peu importe, car il aura tout de même était diverti. En effet, même celui qui ne se passionne pas fondamentalement pour la question de l'identité de Jack l'Éventreur pourra trouver intéressant de voir comment Edwards a procédé dans ses recherches, et comment il a surmonté tous les obstacles qui se sont dressés sur son chemin. Le lecteur est invité à plonger dans la Londres du XIXème siècle, y découvre la misère de ces quartiers les plus pauvres, y rencontre ses habitants les plus démunis, et voit les aspects les moins reluisants de la société d'alors. Un voyage beaucoup plus prenant et touchant que toutes les enquêtes policières.
[1] Jack the Ripper: Scientist who claims to have identified notorious killer has 'made serious DNA error'
The Independent, October 19, 2014
De plus amples lectures sur Jack l'Eventreur :
-
Patricia Cornwell, The Portrait of a Killer : Jack the Ripper, Case closed, Mass Market Paperback, 2002.
-
Lyndsay Faye, Dust and Shadow: An Account of the Ripper Killings by Dr. John H. Watson, Simon & Schuster 2009.
-
Martin Fido, The Crimes, Detection and Death of Jack the Ripper, Weidenfeld and Nicolson, 1987.
-
Trevor Marriott, Jack the Ripper: The 21st Century Investigation, John Blake Publi. 2005.
-
Terence Sharkey, Jack the Ripper, 100 Years of Investigation, Ward Lock, 1987
-
Williams, Tony; Price, Humphrey, Uncle Jack, Orion, 2005.
-
Paul Begg, Jack the Ripper: The Facts, Anova Books, 2006.
-
Stewart Evan & Donald Rumbelow, Jack the Ripper: Scotland Yard Investigates. Stroud, Sutton Publishing, 2006.
-
Donald Rumbelow, The Complete Jack the Ripper, Fully Revised and Updated, Penguin Books, 2004.
Commentaires