Nous sommes heureux de retrouver notre contributeur fidèle, René Meertens, traducteur de langue française. René a été employé par l'ONU, l'Unesco, la Commission européenne et l'Organisation mondiale de la santé. Il est l'auteur, entre autres livres, du "Guide anglais-français de la traduction" et du "Dictionnaire anglais-francais de la santé et du médical".
Georges Simenon (1903-1989) est né à Liège (Belgique), Il a exercé plusieurs métiers (notamment celui de journaliste à la Gazette de Liège) qui lui ont permis de voyager et d'observer la société. Fort de cette riche expérience, il produisit, à partir de 1924, de nombreux romans qui sont bien plus que des « policiers ». À l'occasion de la publication (à raison d'un volume par mois) des nouvelles traductions en anglais de 75 de ses œuvres dont le personnage central est le commissaire Maigret, personnage aussi perspicace que sympathique, LMJ a demandé à René Meertens, compatriote de Simenon, de bien vouloir commenter cette initiative et de mettre au point le lien de Simenon avec les États-Unis. Nous le remercions chaleureusement de nous avoir adressé le texte qui suit.
Simenon en Amérique
Depuis quelques années, Penguin Books assure l’établissement de traductions nouvelles des « Maigret » de Georges Simenon. Le Mot juste en anglais saisit cette occasion pour relater — en se fondant sur les mémoires de l’écrivain (1) — ses pérégrinations en Amérique du Nord, où son œuvre était déjà bien connue avant la Seconde guerre mondiale, puisqu’une bonne vingtaine de ses livres avaient été traduits en anglais.
C’est au lendemain du conflit mondial que le romancier, âgé alors de 42 ans, décida de s’expatrier de l’autre côté de l’Atlantique. Les visas n’étaient alors délivrés qu’au compte-gouttes, mais l’ambassadeur du Canada établit au nom de Simenon un « ordre de mission » des plus vagues qui donnait à l’auteur la qualité de « government official », et grâce auquel il obtint ce précieux tampon dans son passeport et put embarquer à Southampton, accompagné de sa femme et de son fils de cinq ans, sur un cargo suédois à destination de New York.
Simenon séjourna dans un premier temps au Canada pour y apprendre l’anglais. Il s’installa à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, village situé à environ 40 kilomètres au nord de Montréal. Dès le début, il fit régulièrement la navette entre Sainte-Marguerite et New York, notamment pour négocier avec des éditeurs américains, mais aussi pour recruter une secrétaire. Il engagea une Canadienne francophone mais parfaitement bilingue et ne tarda pas à en faire sa maîtresse, sans que son épouse légitime y trouve à redire, habituée qu’elle était aux multiples infidélités de son mari.
C’est une constante dans le séjour de Simenon en Amérique du Nord qu’il ne tenait pas en place. Il sillonna ainsi le continent dans tous les sens, que ce soit pour rencontrer des réalisateurs à Hollywood ou pour voir du pays.
Parallèlement, il poursuivait l’élaboration de son œuvre littéraire. Durant ses années américaines, il écrivit en moyenne cinq romans par an. Sans se forcer, puisque l’écriture de deux livres en un mois ne lui posait aucun problème. Bien souvent, la rédaction d’un « Maigret » ne lui prenait qu’une dizaine de jours. C’est à Sainte-Marguerite qu’il écrivit Trois chambres à Manhattan, dont le personnage principal était la ville de New York..
En 1946, ayant décidé de prendre racine aux États-Unis, il parcourut tout à loisir la côte Est vers le sud en voiture, accompagné de son fils Marc, afin de trouver un lieu de résidence qui lui plaise. Il finit par s’établir, en 1947, dans la petite ville d’Ana-Maria, en Floride. Sa femme et sa maîtresse le rejoignirent peu après.
Il y écrivit, notamment, Lettre à mon juge, qui est probablement l’un de ses meilleurs romans.
Cependant, un agent de l’immigration vit d’un mauvais œil son prétendu « ordre de mission » et lui conseilla de se rendre à Cuba pour y solliciter le statut de résident permanent aux États-Unis, qu’il finit par obtenir, non sans difficultés.
Simenon mit ensuite le cap vers l’ouest, pour s’établir en Arizona, à Tucson. Il y écrivit La Jument-Perdue, dont l’action se déroule dans cet État. La méthode d’écriture de l’écrivain n’était pas immuable. Lors de la rédaction de ce roman, il se promenait pendant une demi-heure après le dîner pour préparer un nouveau chapitre. Il jetait sur le papier les premières phrases de ce chapitre le lendemain, et en dactylographiait la suite plus tard. Les premières phrases de ce roman vous donneront peut-être l’envie de le lire :
« Il ne s’était pas réveillé de mauvaise humeur. Pas d’humeur enjouée, évidemment, ni particulièrement de bonne humeur. Il savait que c’était mardi, puisque c’était le jour d’aller à Tucson. Il y verrait Mrs Clum, qu’il appelait Peggy, et c’était déjà une satisfaction, dussent-ils passer leur temps à se chamailler tous les deux. » (2)
A partir de La Neige était sale, soit trois romans plus tard, il changea de méthode : après sa promenade vespérale, il écrivait le chapitre presque entier à la main, avant de le dactylographier le lendemain matin en y apportant de nombreux changements. Il devait conserver cette méthode pendant des années. Pour ce qui est des Maigret, cependant, il les tapait toujours directement.
Les premières lignes de La Neige était sale montrent qu’une circonstance inattendue peut être lourde de conséquences :
« Sans un événement fortuit, le geste de Frank Friedmaier, cette nuit-là, n’aurait eu qu’une importance relative. Frank, évidemment n’avait pas prévu que son voisin Gerhardt Holst passerait dans la rue. Or le fait que Holst était passé et l’avait reconnu changeait tout. » (3)
La famille de Simenon s’agrandit, grâce à la naissance d’un second fils, John, que lui donna sa concubine, et à l’apparition d’une deuxième concubine.
La présence d’un enfant en bas âge amena Simenon à changer temporairement de méthode, car il avait besoin de calme pour écrire. Par conséquent, pour rédiger ses trois romans suivants, il travailla de six heures à neuf heures du matin, soit en utilisant un appartement que le propriétaire de sa maison mettait à sa disposition pour ses activités littéraires, soit en cloîtrant le nourrisson et sa mère dans la chambre.
Après un passage à Carmel (Californie) en 1949, il s’établit plus durablement à Lakeville (Connecticut) en 1950 et crut même qu’il y resterait pour de bon. Voici comment il décrit le paysage qui s’offrait à lui :
« J’aime nos ruisseaux sous leur croûte de glace, nos bois si sauvages que je n’en découvrirai qu’une partie, la neige et le froid de l’hiver, comme je vais aimer la lourde chaleur de l’été et le feuillage or, rouge et roux de l’automne. » (1)
C’est pendant cette période que naquit sa fille, Marie-Jo, que lui donna la première concubine, qu’il avait entre-temps épousée, le lendemain de son divorce d’avec sa première épouse.
Un jour de 1955, alors que Simenon s’entretient avec son éditeur anglais, ce dernier lui demande quelles raisons l’incitent à rester en Amérique. L’auteur en trouve une vingtaine, qui ne convainquent pas son interlocuteur.
Quelques heures plus tard, sa décision est prise : il rentre en Europe.
Dans ses mémoires, Simenon se demande encore pourquoi il est revenu sur le Vieux Continent. Le motif qui lui paraît le plus vraisemblable est qu’il tenait à réaliser le rêve de sa secrétaire et épouse, qui était de vivre en France.
1.Georges Simenon, Mémoires intimes, Presses de la cité
2. Georges Simenon, Œuvres complètes, La Jument-Perdue, Editions Rencontre
3. Georges Simenon, Œuvres complètes, La Neige était sale, Editions Rencontre
Lecture supplémentaire :
Penguin to publish 75 Maigret novels
September 9, 2013
The Case of Georges Simenon
The New York Times, February 20, 2015.
Be Convincing! Talk Like a Detective
Commonly Used Mystery Vocabulary
Petit lexique selon Le mot juste en anglais
(préparé avec les conseils précieux de René Meertens)
breakthrough |
percée, avancée |
caught in the act |
pris en flagrant délit |
cloak-and-dagger |
digne d’un roman policier/d’espionnage |
clue |
indice |
DNA |
ADN |
fingerprints |
empreintes digitales |
forensic evidence |
preuve(s) résultant d’examens de laboratoire |
hunch |
Intuition, pressentiment |
inside job |
coup monté de l’intérieur |
monitoring, surveillance |
surveillance |
motive |
mobile (jur.) |
private eye, private investigator |
détective privé |
skiptracing |
localisation de personnes |
sleuth, detective |
policier, policière, enquêteur de droit privé |
stash (noun), hideout |
cachette |
to decipher |
déchiffrer |
whodunit |
roman policier |
J'ai le plus grand respect pour mon compatriote René Meertens ainsi que pour Jonathan et Jean ; cependant depuis la lecture de cet article, un certain malaise m'habite en pensant qu’ils ont, tous les trois, été abusés.
Sa rédaction et sa publication ne font que conforter « la légende Simenon », et sans autre réaction de la part des lecteurs, je me dois de la corriger en ces temps de commémoration.
Ces « Mémoires intimes » ne sont que la dernière mouture de bien d'autres publications autobiographiques. Et les mémoires sont comme certains fromages, elles ont des trous.
Ce qui est particulièrement dérangeant dans le cas de Georges Simenon et ce qui est écrit sur lui, ici et ailleurs, c'est généralement l'absence de toute référence à son antisémitisme profond et le voile mis sur son attitude pendant l'Occupation. Raisons pour lesquelles l'air du large et celui de l'Amérique lui ont paru bien meilleurs à respirer.
Commis d'abord à la rubrique des chiens écrasés, la qualité de sa plume est vite remarquée par le directeur et propriétaire de La Gazette de Liège qui lui confie la rédaction d'un billet d'humeur quotidien, « Hors du poulailler » sous le nom de Monsieur le Coq
La Gazette de Liège est un journal catholique conservateur qui ne diffère guère d'autres journaux de même tendance et qui véhicule les mêmes clichés antisémites, anticommunistes, antimaçonniques, etc., de l'époque.
Là où Georges Simenon se démarque de façon violente, c'est dans sa série d'articles intitulée « Le Péril juif », signée Georges Sim.
Sa première source d'inspiration : « Les Protocoles des Sages de Sion » qu'il orthographie à l'anglaise Protocols. À propos du « Péril juif », Simenon a toujours soutenu qu'il avait été contraint de répondre à une commande. « Ces articles ne reflètent nullement ma pensée d'alors ni d'aujourd'hui » a-t-il souvent répété, se défendant d'être antisémite.
Deux exemples de sa production où sa conscience ne le torturait pas particulièrement :
« les Juifs, s'ils ne furent pas les auteurs de la guerre de 14-18, en furent les vrais profiteurs » (« La Gazette de Liége », 8 septembre 1921).
Dans 13e article de la série: « Ainsi la pieuvre juive étend ses tentacules dans toutes les classes de la société, dans toutes les sphères où son influence ne tardera pas à se faire sentir. Et il en sera ainsi jusqu'à ce que le monde se décide enfin à réagir. À moins qu'alors il ne soit trop tard » (« La Gazette de Liège », 22 septembre 1921).
Pour certains, ce furent des erreurs de jeunesse.
Mais lorsqu'il fréquente sous l'Occupation un certain cercle parisien, continue à alimenter des journaux ou qu'il refuse, étant Consul ou Haut Commissaire de Belgique en Vendée et Charente-Maritime (le titre varie selon les sources) d'accorder tout visa à des compatriotes de confession juive ou des personnes juives venant de Belgique, réfugiés à La Rochelle en attente de partance, l'erreur de jeunesse ne saurait être invoquée. Il savait que c'était les condamner et ce parti pris a choqué plus d'un de ses collaborateurs.
En 1944, Georges Simenon part à Londres, revient en 1945 à Paris et décide de mettre les voiles pour l'Amérique, étant dans le collimateur du Comité national d’épuration des gens de lettres à Paris qui enquête sur ses succès littéraires et cinématographiques (il avait vendu les droits de ses films à la Continental).
Il y a eu une grande récupération académique et institutionnelle sur cette gloire littéraire nationale qui n'a jamais fait son service militaire en Belgique.
Une récupération favorisée par la Belgique docile qui ne regarde son passé en face que depuis peu. Une Belgique qui à tous les niveaux s'est bien plus mise au service du régime nazi que la France.
Georges Simenon a été un auteur prolifique avec de nombreux noms de plume et fait l'objet de bien de biographies et de travaux de recherches.
Un homme à distinguer de son oeuvre.
Une oeuvre qui a sa place dans les librairies et les bibliothèques, mais qui est celle d'un très petit homme qui ne devrait certainement pas faire l'objet d'un musée, puisque tout y restera gris et flou.
Pour plus de lectures et « d'informations » :
http://www2.libnet.ulg.ac.be/simenon/biosim.htm
http://www.arllfb.be/ebibliotheque/seancespubliques/23112002/lemaire.pdf
http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_deportation-des-juifs-la-responsabilite-de-l-etat-reconnue-a-l-unanimite?id=7914007
http://www.rtbf.be/info/regions/detail_georges-simenon-est-mort-il-y-a-25-ans-un-projet-de-musee-en-cours?id=8346868
Beila Goldberg
Rédigé par : Beila Goldberg | 12/05/2015 à 03:22
C'est seulement maintenant que je prends connaissance des observations de Bella Goldberg.
L'antisémitisme de certains écrivains est notoire, mais j'ignorais que des accusations avaient été portées contre Simenon.
J'avais bien indiqué que je me fondais sur les "Mémoires intimes" de Simenon. Le lecteur pouvait donc s'attendre à une certaine subjectivité.
Je n'ai pas examiné les sites mentionnés par Mme Goldberg, mais les personnes désireuses de se faire une opinion sur la question le feront sans doute avec profit.
Evidemment, les expressions "péril juif" et "pieuvre juive" utilisées par Simenon sont déjà accablantes.
Pour ce qui est de dire "Une Belgique qui à tous les niveaux s'est bien plus mise au service du régime nazi que la France.", c'est aussi nouveau pour moi. Je suis peut-être un grand naïf.
Rédigé par : René Meertens | 13/07/2015 à 02:24
J'aurais pu attendre de la part de René Meertens une lecture plus attentive de mon commentaire même si tardive, mais celle-ci n'est peut-être que réservée aux traductions.
J'aurais pu également attendre de la part de René Meertens un peu plus de curiosité pour mes références, l'Histoire de notre pays et le fil de ses actualités.
Ce qui ne fut point le cas et donne aussi matière à réflexion.
Georges Simenon n'est revenu que deux ans en France.
Il s'est établi en 1957 en Suisse où il est décédé en 1989.
Un autre lien pour les personnes curieuses : http://www.lalibre.be/culture/livres/la-villa-suisse-de-georges-simenon-bientot-demolie-533bf7c13570d35ee3e4114c
Rédigé par : Beila Goldberg | 15/07/2015 à 02:46
j'ai appris 5 langues avec les bilingues simenon,
j'ai besoin de témoigner en anglais comme survivant de l'holocaust uniquement aux usa où vit ma famille
Rédigé par : wladimir zandt | 15/07/2024 à 06:15