"In the United States, Magna Carta ... is treated with a reverence bordering on worship by many legislators, scholars and judges. It is considered the basis for many of the principles that form the Constitution and Bill of Rights."
Magna Carta, Still Posing a Challenge at 800
New York Times, June 14, 2015
"A second myth is that it was the first document of its type. Writing in 1908, Woodrow Wilson called it the beginning of constitutional government. But in fact, it was only one of many documents from the period, in England and elsewhere, codifying limitations on government power."
Stop Revering Magna Carta
Tom Ginsburg, New York Times, June 14, 2015
Dans la première partie de cet article, notre nouveau collaborateur, Yacine
Benachenhou, écrivain et traducteur d'arabe, d'italien et d'anglais, a replacé dans son contexte historique la signature par le roi Jean sans Terre des « Articles des barons », le 15 juin 1215 à Runnymede (Angleterre), tout en faisant allusion à la bataille de Bouvines [1] , qui s'était déroulée l'année précédente, et qui avait permis au roi de France, Philippe Auguste, de conserver tous les territoires de Jean dans le Nord de la France, y compris la Normandie.
Le roi Jean et les barons à Runnymeade, le 15 juin 1215
Ce fut l'original de la Magna Carta, la Grande Charte un document dont l'incidence sur la protection des libertés publiques était encore limitée à l'époque. Mais, la Magna Carta, écrite en latin et traduite en anglais seulement deux siècles plus tard, est à l'origine de la monarchie constitutionnelle et des libertés fondamentales.
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Dès lors, la clause la plus importante était la clause 61 connue pour être une « clause de sécurité », partie la plus longue du document. Elle établissait un conseil de 25 barons pouvant, à tout moment, se réunir et annuler les décrets royaux, au besoin par la force en saisissant les châteaux et les biens du roi Jean. La clause se fondait sur la saisie de biens – pratique juridique médiévale connue et souvent appliquée. C’était la première fois quelle était appliquée à un monarque. De plus, le roi devait rester fidèle au conseil royal des barons.
Le roi Jean n’avait pas la moindre intention de respecter la Magna Carta, puisqu’elle lui avait été imposée par la force. La clause 61 réduisait son pouvoir de monarque, ne lui laissant de roi que le nom. Jean dénonça la Charte dès que les barons eurent quitté Londres, plongeant l’Angleterre dans une guerre civile connue sous le nom de « première guerre des barons ». Le pape Innocent III lui aussi refusa cet « accord scandaleux et dégradant, imposé au roi par la violence et sous la menace ». Il rejeta toute demande de droits supplémentaires, prétendant que cela était indigne du roi Jean. Il y voyait un abus d’autorité contre l’Église.
Jean mourut de dysenterie pendant la guerre, le 18 octobre 1216. La poursuite de la guerre en fut immédiatement modifiée. Son fils de neuf ans, Henri III, était son successeur sur le trône. Ses partisans comprirent que les barons rebelles préféraient se montrer loyaux à un enfant. C’est pourquoi le jeune garçon fut rapidement couronné en octobre 2016. La guerre se termina. Les tuteurs de Henri promulguèrent une nouvelle fois la Magna Carta en son nom, le 12 novembre 1216, en omettant quelques clauses dont la clause 61. La Charte fut de nouveau promulguée en 1217. Quand il eut 18 ans, en 1225, Henri III promulgua la charte, cette fois, dans une version abrégée, avec seulement 37 articles. Henri III régna pendant 56 ans (le plus long règne d’un roi anglais au Moyen-âge) si bien qu’au moment de sa mort, en 1272, la Magna Carta était devenue, en Angleterre, un document juridique de première importance. Il sera plus difficile pour un monarque de l’abroger désormais comme le roi Jean avait essayé de le faire près de trois générations plus tôt. Edouard premier, fils et héritier d’Henri III et le parlement publièrent, une dernière fois, la Magna Carta, le 12 octobre 1297 dans le cadre d’un statut appelé Confirmatio cartarum (25 Edw. 1), confirmant la version abrégée d’Henri III, celle de 1225.
1297 version of Great Charter, on display in at the National Archives Building in Washington, D.C.
A l’origine, la Grande Charte a été écrite en latin. Une grande partie a été extraite, presque mot à mot, de la Charte des Libertés d’Henri 1er, publiée quand Henri premier monta sur le trône en 1100. La Magna Carta demandait à ce que le roi obéit à certaines lois concernant la façon de traiter les ecclésiastes et les nobles, et, accordant, de façon réelle, certaines libertés individuelles à l’Eglise et à la noblesse anglaise. Selon la Magna Carta, Jean sans terre s’engage à garantir les Libertés de l’Eglise et du Tiers, à se soumettre à la décision du Commun conseil pour établir un impôt et aussi à ne plus arrêter les gens de arbitrairement.
Le document connu habituellement sous le nom de « Grande Charte » n’est pas le document de la Charte de 1215 mais une Charte plus tardive de 1225. On la présente généralement en disant que c’est la Charte de 1297, acceptée par Edouard premier. Au moment de la Charte de 1215, un grand nombre de dispositions n’avait pas encore été prises pour opérer des changements à long terme, mais pour remédier au mieux à des abus. C’est pour cela que la Charte a été rééditée à trois reprises pendant le règne d’Henri III (en 1216, 1217 et 1225). On actualisait la Charte à chaque fois. Ensuite, chacun des rois qui se sont succédé pendant les deux cent années suivantes (jusqu’à Henri IV en 1416) a approuvé personnellement la Charte de 1225.
Il existe quatre exemplaires toujours disponibles de la Charte originale de 1225. L’exemplaire de la cathédrale de Lincoln, exposé au château de Lincoln, a été déposé à Fort Knox (Kentucky) pendant la seconde Guerre mondiale.
Réunis pour la première fois, les quatre manuscrits originaux de la Grande Chartre encore existants sont exposés actuellement à la British Library de Londres.
[1] Note historique. (Jean Leclercq).
La « divine surprise » de Bouvines, bataille qui s'annonçait perdue d'avance !
Le dimanche 27 juillet 1214, par une chaleur accablante, les troupes du roi de France Philippe II Auguste (1165-1223), refluant de Tournai en direction de Lille s'apprêtent à franchir la Marque au pont de Bouvines. Philippe est en infériorité numérique. Avec ses vassaux, le roi capétien dispose de quelque 1.300 chevaliers et 7 à 8.000 pions (ou piétons) qui composent son infanterie. Face à lui, les coalisés – c'est-à-dire l'empereur Othon IV, le comte de Flandres Ferrand de Portugal, le duc de Brabant, le comte de Salisbury (demi-frère de Jean, roi d'Angleterre) et quelques autres seigneurs alignent 1.500 chevaliers et près de 10.000 fantassins. Philippe bat en retraite vers Lille où il espère se mettre à l'abri. Mais, parvenu au pont de Bouvines, il décide de contre-attaquer. L'endroit est propice puisque, entouré d'un marais et d'une forêt, il ne permettra pas aux coalisés de déployer leurs forces. L'effroyable mêlée des gens d'armes dure tout l'après-midi et, après avoir été indécise, la bataille tourne à l'avantage de Philippe. Les coalisés sont mis en fuite et la victoire est totale. Le roi Jean sans Terre cesse alors la guerre qu'il faisait à la France depuis 1206. Tandis que le roi Philippe Auguste revient à Paris en vainqueur, c'est en vaincu que le roi Jean rentre en Angleterre où ses barons, conscients de son affaiblissement, lui arracheront moins d'un an plus tard la Magna Carta de 1215.Une armée en retraite peut réserver des surprises et le scénario se renouvellera 700 ans plus tard, sur la Marne. Une phrase de l'écrivain Paul Bourget le rappelle aux visiteurs de l'église : La bataille de la Marne, c'est Bouvines renouvelé à 700 ans de distance.
Tout au long de l'année dernière, des manifestations ont marqué le 800e anniversaire de la bataille. L'une des plus originales et qui a attiré beaucoup de monde, a été la reconstitution de l'affrontement réalisée à l'aide de plus de 6.000 figurines Playmobil dans la nef de l'église Saint-Pierre de Bouvines, elle-même mémorial de la bataille avec ses 21 vitraux historiques assemblés de 1888 à 1905 par le maître-verrier Emmanuel Champigneulle.
Ces 6.000 figurines réunies et méticuleusement disposées par les membres d'une association locale pour la plus grande joie des petits et des grands, ne sont pourtant rien comparées aux 2,8 milliards de sujets de 7,5 cm de haut et de 6.000 modèles différents fabriqués à Zirndorf (en Bavière, Allemagne) depuis 1974. Leur père, « Monsieur Playmobil », de son vrai nom Horst Brandstätter, est mort le 3 juin dernier à Fürth, à l'âge de 81 ans. Il avait consacré sa vie à son entreprise qui emploie actuellement 4.100 personnes dans le monde. Au début des années 1970, la forte hausse des produits pétroliers l'incite à produire des objets moins voraces en matières premières. Il charge son modéliste, Hans Beck, de concevoir de nouveaux produits. En 1974, les trois premières figurines – dont déjà un chevalier – sont présentées au Salon du Jouet de Nuremberg. C'est le début d'un fantastique succès qui place le groupe de Zindorf parmi les géants mondiaux du jouet au même titre que Lego et Mattel.
Références :
1) Bouvines, ou l'aube d'une nation : 27 juillet 1214, en direct du champ de bataille, Robert Garnier, Edition Fernard Lanore, 1998. 61 pages.
2) Horst Brandstätter, Père des Playmobil, article de Cécile Boutelet, Le Monde, 11 juin 2015, p.16.
Note linguistique :
La plaque dévoilée à Runnymede le 15 juin dernier, porte l'inscription suivante : "Her Majesty the Queen celebrated 800 years of Magna Carta…”. Ce libellé peut paraître bizarre pour deux raisons.
D'abord, le prénom de la Reine n'est pas mentionné. (Bien entendu, il aurait fallu une plaque beaucoup plus grande pour énumérer tous ses titres : Elisabeth II, Reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Jamaïque, de la Barbade, des Bahamas, de la Grenade, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des îles Salomon, des Tuvalu, de Sainte-Lucie, de Saint-Vincent-et-Grenadines, d'Antigua-et-Barbuda, du Belize et de Saint-Christophe-et-Nièves.) Ceux qui se rendront à Runnymede dans 50 ou 500 ans, sauront-ils que la souveraine qui régnait en 2015 était Elizabeth II (ou devront-ils interroger leurs lunettes Google ou leur montre Apple, ou bien un ordinateur implanté dans le cerveau) ?
Ensuite, les mots Magna Carta ne devraient-ils pas être précédés de l'article défini the ? Certes, la langue anglaise tend à laisser tomber l'article dans de nombreux cas où le français exige encore le ou la (et l'espagnol el ou la). À titre d'exemples, citons society (la société), poverty (la pauvreté) et liberty (la liberté). Mais, ici, il s'agit d'un document précis et l'instinct de votre serviteur lui souffle qu'un the s'imposait.
Cette omission du the sur la plaque s'explique peut-être par le fait que les Britanniques ont toujours eu l'habitude de dire Magna Carta tout court, au mépris de la logique ou des règles de grammaire. Dans un article rédigé sur le sujet par David Hannan, homme politique britannique, journaliste, écrivain et membre du Parlement européen qui s'est employé à réunir des fonds pour ériger une grande statue de bronze de la reine Elizabeth II à Runnymede, on lit ceci : “Eight hundred years is a long wait. We British have, by any measure, been slow to recognize what we have. Americans, by contrast, have always been keenly aware of the document, referring to it respectfully as the Magna Carta.”
L’article défini témoigne-t-il d’un grand respect? Que voilà une réflexion bien intéressante.
Lecture supplémentaire :
Le pluriel de majesté - si vous devenez un jour roi ou reine, vous devrez savoir « noussoyer »
Communiqué de la Reine d'Angleterre aux citoyens des États-Unis, à travers Le mot juste en anglais
Jonathan G. & Jean L.
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