< bookaneer
buccaneer >
Le 1er décembre 2011, à l'occasion de l’article intitulé « Bibliothèques : rendez-vous du livre et des beaux-arts… », nous avions publié un glossaire [1] contetenant le mot « biblioville », inspiré du mot anglais bibliotown, aussi connu comme Book Town. [2]
Mi-sérieux, nous revendiquions « biblioville » comme un néologisme français que nous avions l'intention de faire breveter. Maintenant, nous voulons ajouter au glossaire un autre mot anglais du domaine des livres, sur lequel nous sommes tombés par hasard en rendant visite au site « World Wide Words », nous voulons parler de bookaneer.
La première partie de ce mot valise (portmanteau word, ou blend en anglais) nous indique qu’il s’agit de livres. Avant d'analyser le mot tout entier, il convient d’abord de rappeler le mot buccaneer, synonyme de pirate en anglais, sur lequel s'appuie bookaneer. Buccaneer dérive du mot français « boucanier », [3] employé jadis pour désigner les écumeurs de mer et les pirates qui hantaient les côtes de l’Amérique hispanique au 17e siècle.
Selon « La Voile noire : L'incroyable aventure des pirates et des filbustiers », (Mikhaïl W. Ramseier, Lausanne, Favre, 2006) : « Installés en petites communautés autonomes, principalement à Saint-Domingue et sur l’ile de la Tortue, les boucaniers vivaient de la chasse du bœuf et du cochon sauvages dont ils fumaient la viande et vendaient les peaux. Constituées de marins déserteurs, de naufragés, de colons appauvris, d’engagés [4], de renégats, d’esclaves en fuite et de flibustiers fatigués de la course, ces communautés cosmopolites apparurent dès 1630 à Saint-Domingue. » Elles profitèrent de la décision de l’Espagne d’abandonner, en 1606, les côtes nord et ouest de l’île pour en supprimer les trafics des nations étrangères sur son « territoire ».
Finalement, les boucaniers devinrent si puissants qu'ils voguèrent jusqu'aux côtes de l'Amérique espagnole et en ravagèrent les villes. Vu de Londres, le boucanage était un moyen peu coûteux de faire la guerre à l'Espagne, la rivale de l'Angleterre. Ainsi la couronne britannique dotait les boucaniers de lettres de marque [5] qui légalisaient leurs agissements, moyennant une part de leurs profits. De leur base de Port Royal, les boucaniers pillaient les navires et les colonies espagnols, faisant de ce port le plus riche des Antilles. Des officiers de la marine britannique furent même envoyés pour diriger les boucaniers. Leurs activités se poursuivirent, que l'Angleterre soit en guerre avec la France ou avec l'Espagne.
Parmi les chefs des boucaniers figuraient deux Français :
Jean-David Nau, mieux connu sous le nom de François l’Ollonais (<), et Daniel Montbars (>) qui détruisit tant de navires espagnols et tua tant d'Espagnols qu'on le surnomma l'Exterminateur. [6]
La renaissance d’un mot désuet
Revenons au mot bookaneer, qui désigne "a literary pirate; an individual capable of doing all that must be done in the universe of books that publishers, authors, and readers must not have a part in", selon “The Last Bookaneer".
Autrement dit, alors que les boucaniers étaient des pirates des mers, les “bookaneers” sont des « pirates des livres ». (les manuscrits physiques ou le contenu des livres). Cette fois-ci, nous ne prétendons pas avoir inventé le mot, puisque quelqu’un nous a devancés de presque 180 ans. En effet, le mot est apparu en 1837, dans une lettre adressée par le poète et essayiste Thomas Hood, au journal londonien, The Athenaeum, sous le titre « Copyright and Copywrong ». Apparemment, le terme était tombé en désuétude jusqu’à ce qu'un auteur américain, Matthew Pearl, en relance l'emploi dans « The Last Bookaneer », qui vient de sortir chez Penguin Press (le 28/04/2015). Roman de fiction, le livre raconte l’histoire d’un voleur de livres qui profite du manque de protection juridique dont pâtissaient les auteurs avant que la propriété intellectuelle acquière le statut que nous connaissons aujourd’hui.
Hormis ce cas, le mot est aujourd’hui obsolète. On peut présumer que la raison en est qu'il est maintenant devenu plus dangereux de voler le contenu d’un livre depuis l’adoption de la législation relative à la propriété intellectuelle. [7] Sa renaissance ne sera sans doute qu’éphémère.
Mais ne soyons pas naïfs. Il y a toujours ceux qui préfèrent contourner la loi plutôt que la respecter. C'est pour cela que, le mot bookaneer étant tombé en désuétude, nous avons recours au terme « plagiaire », employé déjà au XVIème siècle, et dérivant du latin plagiarus (celui qui vole les esclaves d'autrui). Tout récemment, le premier ministre de Roumanie, Victor Porta, a dû renoncer à son titre de docteur, après avoir été accusé de plagiat dans sa thèse de doctorat.
Les « bucaneers et les bookaneers » ne sont pas les seuls pirates, détourneurs et voleurs qui sévissent sur terre et sur mer, ainsi que dans le monde de la littérature. Leurs exploits apparaissent dans beaucoup de bouquins, si l’on prend le temps d'y bouquiner. À cet égard, on peut citer l’adage : To steal ideas from one person is plagiarism. To steal from many is research. (Voler des idées à une seule personne, c'est du plagiat. En voler à plusieurs, c'est de la recherche.) [8]
"I need you to do a presentation on the topic of 'plagiarism'. If you don't have time to prepare anything, just steal something off the Internet."
Copyright 2008 by Randy Glasbergen
Post Scriptum : Nous invitons nos lecteurs à proposer un mot français qui, reposant sur un tel jeu de mots, équivaille à bookaneer. Nous-mêmes, proposons "bouquinaire", contraction de bouquin et de faussaire. Reste à le faire breveter !
[1]
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[2] International Organisation of Book Towns.
[3] de « boucan » (terme issu d'un dialecte des Caraïbes), gril ou claie de bois sur lequel on fumait la viande ou le poisson. Au Québec, la boucane désigne toujours familièrement la fumée.
[4] Esclaves pour une durée déterminée, les engagés étaient recrutés dans la métropole en vue du peuplement d'une colonie (indentured servants).
[5] Une lettre de marque, lettre de course ou lettre de commission est une lettre patente d'un souverain permettant à un capitaine et son équipage de rechercher, attaquer, saisir et détruire les navires ou les équipements d'une nation adverse dans les eaux territoriales, internationales ou étrangères. (Wikipedia)
[6] Il semble que les Cubains n'éprouvent pas de rancune envers les boucaniers qui dévastaient leurs côtes puisque l'une de leurs deux bières nationales s'appelle justement la Bucanero - et qu'elle est la plus forte !
Pour d'autres précisions concernant les termes boucaniers, corsaires, flibustiers, frères de la côte et autres pirates, se rendre sur le site La Voile Noire.
[7] Cet adage remonte, semble-t-il, au règne de Charles II d’Angleterre. Le roi, inquiet du copiage des livres, promulgua la Licensing of the Press Act, 1662 .
[8] Le Robert. Dictionnaire étymologie du français, Collections Les Usuels
Post Scriptum : Nous invitons nos lecteurs à proposer un mot français qui, reposant sur un tel jeu de mots, équivaille à bookaneer. Nous-mêmes, proposons "bouquinaire", contraction de bouquin et de faussaire. Reste à le faire breveter !
Jonathan G. Traduction Jean L.
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