Johann Morri a étudié le droit en France et aux États-Unis. Juge administratif en France (actuellement en disponibilité), il a été enseignant vacataire a l’Université de Californie (Berkeley) et exerce actuellement des fonctions d'enseignement et de coordination pédagogique a UC Davis. Nous le remercions vivement de l’article que nous publions ci-après.
La Cour supreme, Washington, D.C.
Par le biais des séries télévisées et des films (The good wife, Law and Order, Ally Mc Beal, Damages, etc.), ainsi que des romans policiers dits « procéduraux » (notamment ceux de Michael Connelly), le public européen est devenu familier de la justice américaine, au point qu'elle lui est parfois plus familière que le système judiciaire national – quel juge français ne s'est pas entendu appeler « votre honneur » ? Mais toutes les composantes du système judiciaire ne sont pas également représentées sur les écrans et dans la littérature. La Cour suprême des États-Unis, en particulier, n'y n'occupe qu'une place limitée. Elle ne fait que des apparitions ponctuelles dans les séries télévisées et les films ou les ouvrages de fiction qui lui sont consacrés ne sont pas légion.
Dans les séries, la Cour suprême est le plus souvent cantonnée aux seconds rôles. Il semblerait qu'il y ait eu quelques tentatives de consacrer une série à la Cour, ces tentatives se sont soldées par des échecs : une seule saison pour First Monday sur CBS, en 2002 (la série n'a eu en France qu'une diffusion confidentielle sur une chaine thématique), et … six épisodes (dont trois seulement diffusés) pour The Court, lancée en 2002 sur ABC (Sally Field y incarne le Chief justice). C'est plutôt dans les séries consacrées au président des Etats-Unis que la Cour est représentée. Dans The West Wing (1999-2006), la très populaire série consacrée a un président imaginaire des Etats-Unis dans un futur
proche et « uchronique », la Cour apparait de deux façons. D'une part, quelques épisodes sont consacrés à des épisodes fictifs mais familiers de la vie de la Cour : l'un met en scène le choix d'un juge pour pourvoir un siège vacant, et le processus de « vetting » (les recherches sur le parcours et les positions du candidat). Un autre présente une situation ou un juge de la Cour suprême en place est soupçonné de perdre progressivement ses capacités mentales, et les difficultés que cela entraine : l'épisode est manifestement inspiré d'un fait réel, le cas du juge Douglas, qui continua de siéger alors qu'il n'avait plus toutes ses facultés, et que ses collègues durent neutraliser puis pousser à la démission. Dans
un épisode intitule The Supremes (jeu de mot sur le nom des juges de la cour et celui du légendaire groupe musical de Diana Ross), le président Bartlett nomme une femme à la tête de la Cour suprême. D'autre part, et de façon plus originale, les dialogues font parfois référence à des arrêts réels, dont les conseillers du président, la plupart d'anciens avocats, débattent de temps à autre.
L'aspect sans doute le moins connu en France de la place de la Cour dans la culture populaire ou demi-savante est celui des succès de librairie des ouvrages journalistiques consacrés à la Cour. Dans les années 1970, le public américain découvrit, dans les moindres détails, les débats et les conflits internes à la Cour dans l'ouvrage The Brethen -dont l'un des auteurs était Bob Woodward, le journaliste à l'origine du Watergate. Plus récemment, The Nine (2008) consacré à la Cour sous l'ère Renhquist, a également connu un grand succès. Il est également difficile d'imaginer, en Europe, que les mémoires de certains juges de la Cour se vendent à des centaines de milliers d'exemplaires (comme My Beloved World, le
récit de Sonia Sotomayor sur ses années de jeunesse dans le Bronx et sur des débuts dans le monde judiciaire, dont le tirage approche les 200 000 exemplaires). La même Sonia Sotomayor n'a pas hésité à jouer les guest stars dans le célèbre programme pour enfants Sesame Street, où elle donne la réplique à des marionnettes et des personnages en peluche.
La transparence des débats au sein de la Cour fait des juges des personnages publics, et certains d'entre eux, à la forte personnalité ou au parcours personnel édifiant, deviennent le sujet de pièces de théâtre ou de films. Récemment, une pièce de théâtre , l'Originaliste, a été consacrée au juge conservateur Scalia.
Plus récemment encore, on a annoncé que Nathalie Portman incarnerait la juge libérale Ruth Bader Ginsburg, pionnière du combat judiciaire pour l'égalité homme-femme, dans un « biopic » qui va lui être consacre. Le seul film ou téléfilm à avoir mis en scène l'ensemble des membres de la Cour est, à notre connaissance, le téléfilm de la chaine HBO Recount, consacré aux péripéties judiciaires de l'élection présidentielle de 2000 et a l'affaire Bush v. Gore.
Objet de la culture populaire, la Cour n'hésite pas, de temps à autre, à se pencher sur cette culture par le biais de ses arrêts. En 2015, l'opinion de la juge Kagan dans une affaire de propriété intellectuelle a réjoui des millions de fans par ses références amusées et amusantes au héros de bande dessinée Spiderman. Dans le passé, une affaire consacrée au baseball avait également donné l'occasion au juge Blackmun de délivrer, dans une note de bas de page, la liste des plus grands joueurs et des épisodes les plus marquants de l'histoire de ce sport.
Deux remarques, pour conclure. Même si l'ère télévisuelle a accentué la personnalisation du débat au sein de la Cour et sa représentation dans la culture populaire ou semi-savante, le phénomène est plus ancien que l'on pourrait le croire. En 1944, un ouvrage consacre au juge Oliver Wendell Holmes, A Yankee in the Olympus, rencontra déjà un grand succès de librairie et fut adapté au cinéma par John Sturges en 1950 (sous le titre Magnificent Yankee). Enfin, la plus grande contribution de la Cour à la culture populaire est indirecte. C'est en raison de l'arrêt Miranda v. Arizona (1966), rendu sous la présidence d'Earl Warren, que toute personne en âge d'avoir connu la télévision a entendu des milliers de fois la phrase : « Vous avez le droit de garder le silence, mais si vous parlez, etc. etc. ».
Johann Morri
PS : Ce post reprend partiellement des informations contenues dans un blog précédent
Merci Johann pour cet article intéressant sur ce thème si fascinant...
La Cour suprême est, comme vous le savez, également abondamment traitée dans les journaux américains. Pour ne citer que le New York Times et The New Yorker, combien d’articles sont consacrés par an à ses décisions mais aussi à l’influence de la Cour ou à ses juges ou encore à son mode de fonctionnement ? Je pense aussi au récent livre de Stephen Breyer…. La Cour de cassation, dont les fonctions sont certainement bien plus limitées, ne peut que rêver d’un tel traitement.
Rédigé par : Valerie Le Deroff | 26/01/2016 à 16:12