Pourquoi "marmotte" n'est pas le féminin de "marmot", et autres curiosités de genre
de Marina Yaguello, Paris : Ed. Points, 2014, 185 pages.
(nouvelle édition, augmentée et corrigée, du livre paru en 1989).
Recension de livre par Joëlle Vuille, Ph.D.
Marina Yaguello |
Joëlle Vuille |
Marina Yaguello est une linguiste, professeur émérite à l'Université de Paris VII. De langue maternelle russe, elle travaille sur le français, l'anglais et le wolof.
Notre fidèle contributrice Joëlle Vuille, est juriste-criminologue qui habite à Genève. Après avoir terminé ses études à l'Université de Lausanne, Joëlle a profité d'une bourse de recherche du Fonds national suisse de la recherche scientifique pour faire un séjour de deux ans à l'Université de Californie à Irvine (Department of Criminology, Law and Society). Joëlle est actuellement privat-docent à la Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel. Nous la remercions vivement pour l'analyse qui suit.
Dans sa chanson Miss Maggie, Renaud célèbre la non-violence des femmes : « Même à la dernière des connes/Je veux dédier ces quelques vers /Issus de mon dégoût des hommes /Et de leur morale guerrière ». Afin d'illustrer son propos, il rappelle que de nombreux mots renvoyant à la violence et à la mort sont masculins, comme « un génocide, un SS, un torero ».
C'est que, contrairement à nos amis élevés dans la langue de Shakespeare, nous autres francophones attribuons un genre aux mots, même lorsque ceux-ci renvoient à des objets inanimés ou à des concepts abstraits.
Mais la langue est-elle toujours cohérente lorsqu'il s'agit d'attribuer un sexe aux mots? Pas vraiment. Et elle peut même se révéler parfaitement discriminatoire dans certains cas. C'est que la langue est fortement influencée par les mentalités de la communauté dans laquelle elle est parlée. Elle n'est pas neutre d'un point de vue idéologique, à tel point que certains parlent de « sexisme linguistique » en référence à la nature genrée du langage.
En effet, qui ne s'est pas déjà demandé pourquoi il n'y a pas de mot pour désigner une femme syndic ? ou comment appeler une sage-femme qui se trouverait être un homme ? ou comment s'adresser à son médecin si celle-ci est une femme (Madame le Docteur ? Madame la Doctoresse ? Madame la Docteure ? ). Et pourquoi une secrétaire a-t-elle une fonction subalterne alors que le secrétaire (secrétaire général, secrétaire d'État, etc.) est un homme de pouvoir ? Voici quelques-unes des questions auxquelles Maria Yaguello se propose de répondre. En bref, une lecture fascinante.
Le lecteur apprendra par exemple que certains mots changent de sens selon qu'ils sont mis au masculin ou au féminin. Un avocat, par exemple, est un homme de loi, tandis qu'une avocate intercède pour son mandant dans un sens plus général. Quant aux femmes agissant en justice, elles se font appeler « avocate » ou « femme avocat », même si, lorsqu'il s'agit de leur titre, seul le masculin semble être admis : « Maître Jeanne Chauvin, avocat à la cour ». (Notons au passage qu'il est encore d'usage pour un avocat homme d'appeler sa collègue « Cher Confrère » et que, si la consoeur en question préside un jour le barreau, on l'appellera tout naturellement « Madame le Bâtonnier »).
Le lecteur apprendra également pourquoi il existe peu de mots génériques féminins (des exceptions notables étant « personne » et « victime »), pourquoi certains mots n'ont pas de féminin (on pensera à « témoin »), comment les féminins se forment (pourquoi un menteur devient-il une menteuse alors qu'un acteur ne devient pas une acteuse ?), comment certains mots ont changé de sexe au fil du temps, à quoi sert le genre dans le langage, etc. Une entrée du livre débat d'ailleurs du sexe des anges, un mot masculin renvoyant à une personne habituellement représentée de façon androgyne et qui, comme mot doux, ne s'applique presque qu'à des femmes (« belle comme un ange »).
Au-delà de la question du genre dans le langage, le livre regorge d'informations fascinantes sur l'étymologie des mots en général. On apprend par exemple que « salaud » (ou « salop ») désignait initialement une personne très sale, puis une personne moralement méprisable, alors que sa version féminine prit rapidement le sens de prostituée. Sans compter que la lecture de ce petit ouvrage permet également de rafraîchir sa mémoire et de se rappeler qu'un astérisque est bien masculin, tout comme un autoradio (même si ce dernier est formé sur deux mots féminins ; curieux non ?).
L'auteure (oui, avec un –e) offre ainsi un panorama complet du fonctionnement du genre en français. Les mots y sont présentés sous forme de lexique, et font l'objet d'un commentaire agrémenté de nombreux renvois internes qui permettent de comparer les phénomènes linguistiques les uns aux autres (et d'en relever, notamment, les nombreuses incohérences). En replaçant les mots dans leur contexte historique, Marie Yaguello illustre également de manière éloquente comment la langue évolue, quel est le rôle des locuteurs dans cette évolution et quelles transformations cela traduit d'un point de vue sociologique. Le propos est également illustré de nombreuses citations littéraires qui permettent d'apprécier les mots dans leur contexte.
Finalement, il paraît pertinent d'évoquer ici une initiative récente prise en Suède : en mars 2015, un pronom neutre a en effet fait son entrée dans les dictionnaires officiels (à noter que l'usage, lui, remonte aux années 1960 lorsqu'il a été considéré comme politiquement incorrect d'utiliser le pronom masculin de façon universelle). Ce nouveau pronom, « hen », est utilisé à la place des pronoms masculins et féminins lorsqu'une référence genrée ne semble pas pertinente. Cette évolution a été directement influencée par la visibilité toujours plus grande des populations transgenres, qui ont popularisé l'utilisation du pronom neutre dans la langue suédoise jusqu'à en faire un usage officiellement admis.
Dans les années 1980, Michel Sardou s'imaginait être une femme et savourait en chantant le piquant qu'il y aurait à « Être un P.D.G. en bas noirs, Sexy comm'autrefois les stars, Être un général d'infanterie, Rouler des patins aux conscrits/ Enceinte jusqu'au fond des yeux, Qu'on a envie d'app'ler monsieur, Être un flic ou pompier d'service, Et donner le sein à mon fils. » L'exemple suédois nous laisse espérer qu'un jour viendra où Madame le Général portera un titre féminisé (ou neutre) qui rendra compte d'une égalité reconnue des femmes dans la société…
Ah les genres des mots, une perpétuelle question pour nous, les non-natifs (ou non-natives!) Et une marmotte n'est pas le féminin d'un marmot, je sens que je vais mal dormir!
Rédigé par : Jacquie Bridonneau | 01/03/2016 à 14:31