
Recension de livre par Jean Leclercq
Voici un petit livre qui ne manquera pas d'intéresser tous ceux de nos lecteurs qui aiment à « jouer avec les mots ». Car, Denise Morel nous le rappelle dans l'avant-propos : Les mots appartiennent à toutes les cultures, ils viennent de tous les horizons, voyagent à travers les siècles et les pays, comme des nomades, s'arrêtant au bord d'une oasis, puis reprenant leur route, pour glaner ça et là du rêve, de l'amour, tout un florilège transmis de génération en génération.
Mais, de ces migrants, de ces vagabonds, qui au fil des siècles se sont installés dans nos langues, ce sont 25 termes d'origine arabe, persane ou turque - dont nous sommes parfois loin de soupçonner l'origine orientale - que l'auteure a retenus afin de nous en parler. Qu'on ne s'attende pourtant pas à un traité de linguistique comparée. Dans chaque cas, on trouve d'abord une brève explication de l'étymologie du vocable, puis un conte, une anecdote ou un poème qui sert à l'illustrer. Quelle meilleure façon de nous aider à le retenir et, surtout, à nous le présenter sous un autre angle ? Les mots traités sont regroupés autour de six thèmes : le bon goût, les contes merveilleux, la mer et le ciel, les comptes et les chiffres, l'écriture et le sacré.
Prenons quelques exemples. Les loukoums, ces confiseries poudrées de sucre glace à base de pâte d'amandes et de pistache, sont encore plus savoureuses lorsqu'on apprend qu'il s'agit en fait des rahat al-hulkum, c'est -à-dire du « bien-être du gosier »... Au chapitre du merveilleux, on découvre que le mot « hasard » dérive de l'arabe az-zahr qui désigne le dé à jouer. Nous avions parlé de ce mot à l'occasion d'un billet linguistique, mais sans retracer son itinéraire qui, partant d'Arabie, l'a d'abord conduit en Espagne, cette interface avec l'Orient, avant d'arriver chez nous. Dans un sens voisin, mais plus positif (le hasard pouvant être heureux ou malheureux), nous trouvons le mot baraka qui veut dire « chance » et qui vient du verbe bäraka : « bénir » ou « féliciter ». À cet égard, au moins deux chefs d'État lui doivent beaucoup : l'ex-président égyptien Moubarak et l'actuel président des États-Unis, Barak Obama. Le mot « gazelle » vient de l'arabe ghazäl, lui-même dérivé du verbe ghazäla signifiant « séduire ». Du coup, j'ai compris pourquoi les Marocains nous parlaient de « gazelles » pour désigner la bien-aimée, la petite amie, voire l'épouse. De même que s'éclaire la signification de Bahr el-Ghazal, « le fleuve des Gazelles » que nous connaissons mieux sous le nom de Nil bleu, et dans lequel pataugea la célèbre mission Marchand, avant d'arriver à Fachoda ! Le mot arabe mӓkhazīn, pluriel de makhzan qui signifie « entrepôt » et dérive du verbe « amasser », « entasser », a donné, dès le XVIIIe siècle, le mot « magasin » et, par la suite, le terme « magazine » pour désigner un amoncellement écrit de connaissances et de nouvelles. Enfin, et puisque s'achève le Temps des Fêtes, rappelons que le mot « bougie » dérive du toponyme Bejaya, port algérien de la Méditerranée où, dès le XIVe siècle, on fabriquait des chandelles de cire très fine. Achevons cette promenade étymologique par le mot Diwan qui nous vient du persan, par le truchement du turc, langue dans laquelle il désigne un canapé mais aussi, dans un sens littéraire, un recueil de poésies (le Divan de Goethe fut présenté comme une anthologie de poésies arabes et persanes).
Que de surprises, que de délicieuses anecdotes qui nous confirment dans l'idée que c'est toujours dans les petits livres que l'on trouve les meilleures choses !
[1] Denise Morel. Le voyage des mots. Le Chesnay, ouvrage édité chez Scriban et distribué en librairie par DG Diffusion, 31750 Escalquens (France), 2015.
Peut aussi être obtenu en s'adressant à l'auteure, Denise Morel, 1, square d'Argenson 78150 Le Chesnay (France) - [email protected] - avec un chèque à son ordre de 9,50 €+2 € de frais de port.
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