Entretien réalisé par correspondance entre Los Angeles et Londres. Traduction de l'anglais : Jean Leclercq
[ENGLISH SOURCE TEXT]
Photo: Ian Cole
LMJ : Vous êtes diplômé de physique de l'université de Cambridge, mais il semble que la musique ait été très tôt votre principal centre d'intérêt.
CG : Oui, j'avais toujours chanté et pratiqué le chant choral, à l'école et à l'université, où cette forme d'expression musicale était très en honneur. J'ai étudié la physique et me suis ensuite préparé à l'enseignement des sciences et des mathématiques au niveau secondaire. C'est lors de mes débuts dans l'enseignement que j'ai commencé à regretter la pratique du chant choral de grande qualité à laquelle j'étais habitué. Je me suis donc mis à chanter davantage pour moi-même, en fréquentant les cours de l'École de musique et d'art dramatique de la Guildhall, comme élève externe des cours particuliers de chant. Finalement, je décidai de me gâter pendant un an et d'étudier le chant à la Guildhall pour mon seul plaisir en qualité d'étudiant de troisième cycle – mais je compris vite que mon cœur me dictait d'y rester plus longtemps et j'y passai trois ans.
LMJ :Vous aimiez aussi la langue française. Où l'avez-vous apprise et comment êtes-vous parvenu à la maîtriser ?
Lorsque j'étais à Cambridge, mon premier professeur de chant avait également étudié avec Pierre Bernac, aussi me suis-je vite familiarisé avec la riche diversité de la mélodie française. Ma voix de baryton se prêtait également à une bonne part du répertoire français.
Une fois à la Guildhall, j'ai continué à travailler ce répertoire, mais je commençais à me rendre compte que ma formation scientifique ne m'avait pas vraiment préparé à travailler la langue et la poésie et j'étais à la recherche d'un moyen de pénétrer plus profondément les textes des chants que j'interprétais. Pour mon premier véritable récital, je préparai un programme pour le public en traduisant les textes moi-même. J'eus un contact avec les textes que je n'avais jamais eu auparavant. Je commençai à traduire des textes en tant que moyen d'explorer la poésie, mais aussi de pénétrer le sens de chants que je ne pourrais jamais chanter, comme ceux pour voix féminines.
Mon premier engagement important eut lieu en France, lorsque je fus employé à l'Opéra de Lyon pendant un an. Je pris mes traductions avec moi et passai de bons moments à la bibliothèque municipale. Par la suite, je réunis un corpus de données dans lesquelles je voyais les prémices d'une publication. Je pressentis quelques éditeurs, mais c'était le début de l'Internet et il apparaissait déjà qu'une bonne part de la matière d'un tel ouvrage serait bientôt disponible gratuitement. J'en abandonnai l'idée. Puis, je décidai de suivre la mode et d'utiliser l'Internet comme support de mon site Web.
À vrai dire, une bonne part de ce travail est un projet d'étudiant. De temps en temps, je suis tombé sur une erreur flagrante datant du temps où ma compréhension de la langue était moins bonne qu'elle l'est aujourd'hui. Dans l'idéal, toutes les traductions devraient être revues, mais avec mes engagements professionnels actuels, c'est irréaliste. Maintenant, je contrôle les traductions à propos desquelles on me pose des questions, lorsque de tels contrôles s'imposent.
LMJ : Quel a été votre premier contact avec la scène musicale en France ?
C-G. : Vu mon intérêt pour la musique française, je me suis dit que je devrais étudier la possibilité de me baser en France et je commençai à rechercher des possibilités de m'y produire. Au cours de ma dernière année à la Guildhall, je vis que le chef des chœurs de Lyon organisait des auditions pour recruter des surnuméraires et je m'inscrivis à l'une d'elles. Il se montra surpris de mon intérêt pour un emploi relativement modeste et je lui exposai ma situation. Or, il avait été chargé de trouver un chanteur pour une représentation par des étudiants de L'Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel. Il me proposa de venir à Lyon et d'y étudier à l'Opéra, tout en subvenant à mes besoins financiers en travaillant pour lui et en tenant de petits rôles dans la troupe principale. C'était formidable pour débuter en France.
LMJ : Vous vous consacrez désormais à l'enseignement. Comment votre principale activité professionnelle est-elle devenue l'enseignement et non l'interprétation ?
C.G. : J'ai très bien débuté ma carrière de chanteur, en gagnant plusieurs concours de chant internationaux et en travaillant pour toutes les grandes troupes d'opéra de Grande-Bretagne. Le français a toujours occupé une place importante dans mon répertoire mais, bien sûr, j'étais tout aussi à l'aise dans d'autres langues. Malheureusement, j'ai commencé à éprouver quelques petits problèmes de santé dont ma voix et ma disponibilité ont pâti. Au début, j'ai pris quelques élèves en cours privés pour faire face à mes obligations familiales (j'ai une épouse qui est également chanteuse et enseignante, et une fille).
LMJ : Dans le cadre de ces cours privés, vous avez créé et dirigé des chorales. Plus original, vous avez fait de l'enseignement du chant en français l'une de vos principales activités. Vous avez donné des cours de chant français à l'école de musique de la Guildhall et à l'Académie royale de musique. C'est une spécialisation inhabituelle. Y-a-t-il une demande de moniteurs de langues ? Le français a-t-il la cote dans le monde de la chanson ?
C.G. : J'adore travailler avec de jeunes chanteurs. Comme il devenait de plus en plus dur de mener une carrière professionnelle, j'ai pris la décision raisonnée de m'orienter vers l'enseignement. J'avais reçu une formation d'enseignant et j'ai toujours l'enseignement dans le sang. Je montai une chorale de jeunes afin de faire profiter de mon expérience un plus grand nombre de jeunes chanteurs du cru. Maintenant, j'éprouve autant de joie à faire chanter des chœurs que j'en ai éprouvé comme soliste. Je remplace des chefs de chœur locaux et j'offre mes compétences techniques à toute chorale qui les sollicite.
L'idéal serait d'avoir un poste dans un des conservatoires de Londres, mais l'occasion ne s'est pas encore présentée bien que bon nombre des élèves que j'ai eus en cours privés aient ensuite brillamment réussi. Toutefois, ma compétence en matière de répertoire français est toujours reconnue et, comme vous dites, on me demande souvent de remplacer des enseignants de cours de chant français dans tous les conservatoires. En effet, tous se sont dotés de cours dans les grandes langues de chant dans le cadre du cursus offert aux étudiants.
LMJ : Offre-t-on aux élèves français de chanter en anglais, ou l'anglais, dans l'ensemble, ne se prête-t-il pas au chant choral ou à l'opéra ?
C.G. : L'anglais est une langue qui se chante très bien. Beaucoup de chanteurs français éprouvent des difficultés à aborder l'anglais, comme d'autres langues d'ailleurs ; ils ont donc besoin de moniteurs. Ce n'est pas quelque chose qu'il m'a souvent été demandé de faire, et pourtant...
LMJ : Votre site Web propose «A Guide to Singing in French » qui contient des conseils techniques sur des questions telles que les diphtongues, les glissements semi-vocaliques, les voyelles nasales, etc. Mais, pourriez-vous expliquer à nos lecteurs, de façon très générale, l'intérêt que présente, pour l'enseignement de la prononciation française à des élèves anglophones, la présence d'un Britannique plutôt que d'un Français ?
C.G. : Lorsque j'étais à Lyon, il m'a fallu beaucoup de temps pour me faire accepter par mes collègues français comme interprète du répertoire français. J'ai travaillé avec des moniteurs locaux à faire en sorte que ma langue et ma prononciation françaises soient irréprochables, tout au moins quand je chantais. Certains des grands moments de ma carrière ont certainement été les grands concours internationaux que j'ai remportés en France, en interprétant le répertoire français. J'ai beaucoup appris sur la façon dont la langue s'adaptait à la musique et, surtout, sur les particularités de la phonétique française. J'ai passé bien plus de temps à analyser la phonétique qu'aucun locuteur natif ne l'aurait fait et même si, réinstallé en Angleterre depuis des années, je ne parle plus aussi couramment que naguère, je demeure très conscient des problèmes spécifiques que la langue pose à de nombreux chanteurs non natifs. Fait intéressant, lorsque j'enseigne, il n'est pas rare que j'aie parmi mes élèves des chanteurs français qui sont vraiment surpris quand il m'arrive de les reprendre sur des points de détail de leur propre langue. La langue évolue et il y a des aspects de la phonétique convenant aux chansons et aux poèmes que l'on néglige beaucoup maintenant.
LMJ : Votre site Web contient des traductions en anglais d'œuvres d'Auric, de Bachelet, Berlioz, Bizet, de Bréville, Casterède et de bien d'autres compositeurs et paroliers français. Je voudrais vous interroger sur ces traductions, mais permettez-moi de définir les expressions traductions littérales, « non-chantables » et « chantables » couramment utilisées dans ce domaine.
1) Des traductions littérales, parfois accompagnées de guides de prononciation, pour aider ceux qui chantent ou écoutent les paroles dans la langue originale. Elles ne collent pas à la musique et on ne peut donc les chanter. Habituellement, elles ne sont pas poétiques à l'oreille et ne sont pas en vers. On les trouve souvent dans les notes de programmes.
2) Des traductions « non chantables » en vers, pour ceux qui souhaitent comprendre les paroles originales, mais en s'affranchissant d'une certaine littéralité afin de saisir un peu de la poésie de l'original. Ces traductions-là ne collent pas non plus à la musique et ne peuvent donc être chantées.
3) Des traductions « chantables », c'est-à-dire des traductions qui peuvent être chantées sur la mélodie originale, ayant la signification, le nombre de syllabes, les accents, le niveau de diction et (généralement) une versification qui rappellent l'original et sont compatibles avec la mélodie. Elles sont réalisées, parfois aux États-Unis, souvent en Angleterre.
Aussi ma question est-elle la suivante : dans quelle catégorie vos traductions se situent-elles et quelles considérations ont guidé votre choix ?
C.G. : Ce sont des traductions littérales. Je m'efforce de rendre la langue de ce répertoire, aussi vaste que divers, accessible aux locuteurs non natifs – qu'ils s'agisse des chanteurs ou du public. J'essaie de serrer de près le sens du texte et de suivre l'ordre des mots, mais il m'arrive de le modifier pour clarifier ce sens.
À une certaine époque, j'aurais ri à l'idée de traduire une mélodie de Debussy qui puisse être chantée – mais, fait intéressant, j'ai doublé une représentation de Pelléas et Mélisande pour l'Opéra national anglais. Cette formule a si bien mis cette œuvre à la portée d'un plus large public britannique que j'ai ensuite nuancé mon point de vue. Toutefois, réaliser une traduction valable est l'œuvre d'un poète qui ait aussi la fibre musicale. J'ai rédigé des traductions de certaines pièces pour ma chorale – notamment des Liebeslieder Waltzes de Brahms – mais ce ne fut pas facile et bien des gens feraient probablement mieux.
Enfin, peut-être serait-il bon de dire quelques mots de la façon dont j'ai choisi les chants à traduire... Eh bien, j'écoute souvent des enregistrements et des bandes originales et je tombe sur des chants qui me plaisent. J'ai essayé de couvrir tout le répertoire de base, mais j'ai ajouté un choix de morceaux provenant d'un plus large répertoire. Les chansons de Casterède, par exemple, constituent un cycle merveilleux mais difficile. Le compositeur faisait partie du jury du concours que j'ai remporté. Par la suite, il a composé ce cycle et m'a envoyé la bande originale. Les paroles sont d'un poète, Alain Suied, que j'avais connu il y a quelques années par l'intermédiaire d'une association musicale qui s'appelle Le Triptyque.
LMJ : Parce qu'il est difficile de produire des traductions que l'on puisse chanter, les meilleures paroles anglaises connues de chansons populaires non composées en anglais ne sont parfois pas des traductions du tout. Bien qu'elles portent habituellement le même titre que l'original, les paroles anglaises sont entièrement nouvelles et leur sens n'a qu'un rapport lointain avec l'original. Je pense à La vie en rose d'Édith Piaf ou aux Misérables. Seriez-vous de mon avis ?
Tout-à-fait, les meilleures adaptations doivent être fidèles à l'esprit de l'original, mais paraître très naturelles en traduction. Cela signifiera souvent que la traduction différera nettement de l'original. La nature même du français par apport à l'anglais, langue plus fortement rythmée, rend la musique vocale française plus fluide. Toutefois, même en traduction, cela peut se sentir nettement. Quand j'étais à Lyon, j'ai participé à la représentation par la compagnie de la Salomé de Richard Strauss, dans l'adaptation que le compositeur en avait faite du texte original français d'Oscar Wilde. [1] Strauss a dit la difficulté qu'il avait eue à adapter la langue française à sa musique, et l'opéra qui en résulta finalement semble assez différent en français.
Note de la Rédaction :
[1] Salomé est une tragédie de l'auteur irlandais Oscar Wilde dont la version originale de 1891 fut écrite en français. Tirée de la Bible, la pièce narre en un acte l'histoire de Salomé, la belle-fille du tétrarque Hérode Antipas, qui, au désespoir de son beau-père, mais à la grande satisfaction de sa mère, Hérodiade, demande la tête de Jochanaan (Jean-Baptiste) sur un plateau d'argent, en récompense de sa danse des sept voiles.
Z2016/3
bonsoir Monsieur
je vous ai découvert très récemment car j'étudie "le soir"de Gounod en ce moment et j'ai trouvé exceptionnelle votre interprétation de cette mélodie ,beaucoup de chanteurs/euses francophones devraient vous écouter et en "prendre de la graine",un grand merci à vous et toutes mes félicitations admiratives
denis P
Rédigé par : denis pochon | 18/11/2020 à 12:48