À l'occasion de la Fête Nationale irlandaise, nous avons demandé à notre collaboratrice, Carole Josserand, de présenter un aperçu historique de la Grande Famine, un épisode qui marqua profondément l'identité du peuple irlandais. Née à Lyon, Carole JOSSERAND a grandi dans un milieu bilingue anglais/français. Après avoir réussi l'option internationale du baccalauréat scientifique, elle est partie faire ses études en Angleterre où elle a fait une licence de langues (avec la combinaison italien, allemand, russe) à l'Université de Birmingham. Quatre ans plus tard, Carole s'est installée à Londres pour suivre un Master en Traduction et Interprétation à l'Université de Westminster. Carole travaille actuellement à l'Union Internationale des Télécommunications, à Genève, en qualité d'assistante du Chef interprète. Elle continue également à traduire.
Il était une fois, dans la douceur et le calme du Galway,
Un homme, Michael, et une femme, Mary,
Déchirés par la misère de leur propre pays…
Figure 1 : Mémorial aux victimes de la Grande Famine, Dublin, Eire
L'Irlande se trouve sous domination britannique. Au nord, proches de l'Angleterre, les industries se développent. Au sud, une agriculture pauvre et archaïque persiste. La croissance démographique irlandaise est l'une des plus fortes en Europe occidentale, compte tenu de sa superficie ; la croissance économique reste très inégale selon les régions. Les terres appartiennent à de grands « propriétaires absentéistes » (absentee landlords), en d'autres termes, qui ne résident pas sur place et qui louent leurs terres à des tarifs élevés. La majorité de la population, principalement fermière, vit sous le seuil de la pauvreté.
1845
Les cultures irlandaises sont ravagées par un champignon parasite, le « mildiou » qui anéantit le tubercule national : la production de pommes de terre chute dramatiquement en l'espace de deux ans. Privée de sa nourriture de base, l'Irlande est affamée : c'est le début de la Grande Famine.
Toutefois, une part importante de ses denrées alimentaires continue d'être exportée. Affamées et incapables de payer leurs impôts, de nombreuses familles fermières se retrouvent expulsées de leurs terres et meurent de faim : un huitième de la population est décimée. Certains ont recours au crime, au vol dans le but de survivre et de nourrir leurs familles. Arrêtés et emprisonnés, bon nombre d'entre eux sont ensuite déportés vers des colonies pénitentiaires, notamment : Botany Bay en Australie ; d'autres émigrent vers les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou le Canada, à bord des dénommés « bateaux cercueils ». [1] Des navires qui devaient transporter des familles désespérées de l'autre côté de l'océan, au Nouveau Monde. Pleines d'espoir, des milliers de personnes s'entassèrent au fond de leurs cales qui, pour beaucoup, deviendront leur tombeau en raison des maladies qui y règnent.
D'autre part, les bagnards, déportés vers Botany Bay en Australie, étaient transportés à fond de cale à bord de bateaux prisons. Ceux qui survivaient à cette longue traversée se destinaient aux travaux forcés. Au terme de leur peine, les survivants finissaient par s'établir là-bas, le coût du voyage retour étant bien trop élevé, les laissant sans espoir aucun d'un jour revoir leurs proches. Botany Bay était aux Irlandais ce que Nouméa (Nouvelle Calédonie) était aux Français.
Nombreux sont ceux qui ont, à tort ou à raison, blâmé le gouvernement Whigs, dont Lord John Russell et Sir Charles Trevelyan (responsable de l'administration de l'allégement aux victimes), pour avoir volontairement abandonné les Irlandais à leur sort : il est dit que l'armée britannique possédait les plus grandes réserves alimentaires d'Europe, qu'elle refusa de partager. Par ailleurs, malgré la crise alimentaire, il semblerait que le pays possédait suffisamment de ressources en blé et produits laitiers pour nourrir toute la population, mais était contraint d'exporter et vendre ces produits en Angleterre. Ce gouvernement, sous Victoria, semblait davantage préoccupé par la modernisation de l'économie irlandaise que par la survie de ce peuple.
Figure 2 : Dépôt central de soupe à Cork, Irlande
C'est principalement l'inaction ou l'irrégularité de l'action du gouvernement anglais qui est pointée du doigt : en 1847, le gouvernement met en place des Soup kitchen, lieux où de la soupe chaude était distribuée gratuitement aux Irlandais en difficulté. Cette initiative, qui dura du mois de mars au mois de septembre, permit de nourrir trois millions de personnes par jours.
Malheureusement, cette même année, à la rentrée, comptant enfin sur une bonne récolte de pommes de terre, le gouvernement supprima l'aide. Les fermiers démunis furent redirigés vers des workhouses, des lieux d'hébergements des pauvres, instaurés en 1838 par le gouvernement anglais. Très vite, ces maisons se retrouvèrent surpeuplées et devinrent le nid d'infections, de maladies et d'épidémies, telles que le choléra, le typhus, ou encore la dysenterie.
Certains ont vu la famine comme l'illustration de la théorie de Malthus : un moyen naturel de contrôler la population en surnombre. D'autres, comme un fléau venu de Dieu : « Le jugement de Dieu envoya cette calamité pour servir de leçon aux Irlandais » ou encore « la visitation de la Providence, l'expression du mécontentement divin »[2] écrit M. Kelly, historien [3] .
Cet « épisode » douloureux de l'histoire de l'Irlande est, entre autres, retranscrit dans la chanson suivante, composée par Pete St. John en 1970, et interprétée par de nombreux chanteurs, dont Paddy Reilly en 1983 :
By a lonely prison wall I heard a young girl calling " Michael they have taken you away For you stole Trevelyn's corn So the young might see the morn. Now a prison ship lies waiting in the bay."
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Près d'un mur de prison morne, j'entendis une jeune fille crier « Michael, ils t'ont emmené
Pour que les jeunes puissent voir l'aurore Maintenant un ponton t'attend dans la baie.»
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Low lie the Fields of Athenry Where once we watched the small free birds fly. Our love was on the wing, We had dreams and songs to sing It's so lonely 'round the Fields of Athenry |
Si bas sont les plaines d'Athenry Où jadis nous avons vu les oiseaux voler.
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By a lonely prison wall I heard a young man calling
Against the Famine and the Crown I rebelled, they cut me down Now you must raise our child with dignity."
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Près d'un mur de prison morne,
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Low lie the Fields of Athenry Where once we watched the small free birds fly. Our love was on the wing we had dreams and songs to sing It's so lonely 'round the Fields of Athenry.
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Si bas sont les plaines d'Athenry
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By a lonely harbor wall she watched the last star falling As that prison ship sailed out against the sky Sure she'll wait and hope and pray For her love in Botany Bay It's so lonely round the fields of Athenry
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Low lie the Fields of Athenry Where once we watched the small free birds fly.
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Si bas sont les plaines d'Athenry |
[version française fournie par Mr. Frank Wynne, traducteur irlandais]
Notons, par ailleurs, que beaucoup d'autres chants populaires irlandais retracent cette période, à savoir Skibbereen ou encore Famine Lament (« Praties They Grow Small ») pour n'en citer que quelques-uns.
Cette crise majeure cultiva l'entrain du mouvement politique, culturel et social, Young Ireland (Éire óg), fondé en 1839 et qui connu son apogée après la Young Ireland Rebellion en juillet 1848. Ce mouvement influença des générations entières de nationalistes irlandais, dont le fruit fut la partition de l'Irlande en 1922, lorsque 26 cantons irlandais gagnèrent leur indépendance de Londres. Toutefois, ce ne sera qu'en 1949 que la République d'Irlande sera officiellement proclamée.
Bibliographie :
Livres en français:
Joannon, Pierre. Histoire de l'Irlande et des Irlandais. Paris, éd. Perrin, 2006.
Peter Gray, Pascale Froment, L’Irlande au temps de la grande famine,
éd. Gallimard, 1995
En ligne :
Académie de Poitiers,
L’émigration irlandaise au XIXème siècle.
- Ask about Ireland,
Soup Kitchens and Workhouses.
- BBC online, Jim Donnelly (2011),
The Irish Famine.
- La Grande Famine en Irlande 1 million de morts. (28 décembre 2012).
- Irlande.net
La Grande Famine et ses conséquences sur la démographie.
- MissHyde (2009),
La « Grande Famine en Irlande ». (27 décembre 2012).
- Suite101,
Histoire de l'Irlande sous domination britannique (1846-1916)
- Return to the Emerald Isle
There’s more to the Fields of Athenry
- The Economist, 12.12.2012
The Irish Famine: Opening Old Wounds.
- The Independent, 18.06.2006
Penal colony wife gets fresh Fields of Athenry verse.
- Le criminel le plus célèbre d'Australie fait parler de lu 130 ans après sa mort
Gentside
[1] La déportation pénale est une peine consistant à exiler une personne condamnée hors d'un pays vers un bagne. La France a envoyé des condamnés à l'île du Diable. Le Royaume-Uni des années 1610 jusqu'aux années 1770, a aussi déporté des condamnés vers ses colonies américaines, ainsi que vers l'Australie entre 1788 et 1868.
[2] The Economist (2012), The Irish Famine: Opening Old Wounds.
[3] Auteur de:The Graves are Walking: The Great Famine and the Saga of the Irish People. Henry Holt & Co.
Lexique de Le Mot Juste des mots d'origine irlandaise (gaélique) qui sont entrés dans la langue anglaise. Le lexique est basé principalement sur l'Oxford English Dictionary.
mot |
étymologie |
definition |
bog |
from bogach meaning "marsh/peatland" |
wetland |
brogues |
from bróg meaning "shoe" |
a type of shoe |
galore |
from go leor meaning "til plenty" |
much, a lot |
hooligan |
from the Irish family name Ó hUallacháin, anglicised as O'Houlihan |
one who takes part in rowdy behaviour and vandalism |
Leprechaun |
from leipreachán or leath bhrogán |
A small mischievous sprite in Irish folklore |
phoney |
probably from the English fawney meaning "gilt brass ring used by swindlers", which is from Irish fainne meaning "ring") |
fake |
shebeen |
from síbín meaning "a mugful") |
unlicensed house selling alcohol |
slew |
from sluagh meaning "a large number") |
a great amount |
slogan |
from sluagh-ghairm meaning "a battle-cry used by Gaelic clans") |
a word or phrase used to express a characteristic position or stand or a goal to be achieved |
whiskey |
from uisce beatha meaning "water of life" |
alcoholic drink |
Lecture supplémentaire:
Ten useful English words invented in Ireland
Irish Central, 8 October, 2013
J'ai lu tout cela avec beaucoup d'intérêt (et d'émotion). Merci!
Amitiés,
Mathilde
Rédigé par : Mathilde Fontanet | 01/04/2016 à 10:30
Et pour se plonger dans les émotions, concernant cette sombre période de l'histoire irlandaise, rien de vaut les romans du talentueux écrivain Joseph O Connor, et notamment ses romans L’Étoile des mers, Phébus, 2003 (The star of the sea, Secker & Warburg, 2002) et Redemption Falls, Phébus, 2007 (Redemption Falls, Harvill Secker, 2007). Il est le frère de la chanteuse rebelle Sinead O Connor. Belles découvertes que j'ai faites en devenant Irlandaise par alliance... Magdalena
Rédigé par : Magda Chrusciel | 13/04/2016 à 00:10