Un événement culturel au Centre Getty de Los Angeles -
un mémoire personnel de Jim Chevallier, historien culinaire,
qui a bien voulu rédiger l'article qui suit pour notre blog.
Pour commencer, je dois doublement remercier Anne Willan.
Vingt ans et quelques plus tard, je me suis retrouvé à Los Angeles et, un peu par hasard, historien de l'alimentation. Il s'est avéré qu'Anne Willan – elle, historienne de l'alimentation depuis bien longtemps - y vivait aussi. Je l'ai même aperçue lors d'une conférence, sans toutefois trouver l'occasion de la remercier.
En novembre, le Getty a inauguré son exposition « The Edible Monument : The Art of Food for Festivals ». L'exposition est présentée en deux parties. Dans la première, on voit surtout de vieux livres de cuisine; dans la deuxième, des images de diverses fêtes et d'objets liés à ces fêtes.
Aujourd'hui, grâce à Google Books, on peut facilement visionner des reproductions de livres de cuisine anciens. Je connaissais déjà là plupart des livres exposés. Il n'en demeure pas moins que c'est un vrai plaisir de les voir, non pas en chair et en os, mais « en papier et en encre ». Le Getty présente, par exemple, le Le Cannameliste français, dans lequel on trouve des recettes alléchantes pour divers sucreries et entremets, comme des "neiges" et des "fromages glacés" – autrement dit les ancêtres de nos glaces. Son auteur explique aussi comment chauffer le sucre pour l'amener à différents états : au lissé, au perlé, au soufflé, à la plume, au boulet et au cassé. Tout cela fait partie de ce qu'on appelle "l'office" et donc on y trouve aussi des recettes pour des salades et d'autres entremets.
Le pâtissier chef, Abraham Bosse, ca. 1600s. The Getty Research Institute, 2014.PR.63
Plusieurs de ces livres sont exposés avec des pages dépliées. Ainsi, pour le Cannameliste, on voit divers sorbets, très joliment servis, disposés sur une étagère. Pour Il Trinciante de Matteo Molinari, on voit une page où sont representés des couteaux et des fourchettes de l'époque. Mais la page la plus remarquable est celle qui se déplie dans Le Cuisinier Moderne de Vincent La Chapelle. L'ouvrage lui-même est moins grand que la plupart de ceux qui sont exposés , mais, une fois dépliée, cette page, qui montre le dressage de la Table Royale, est huit fois plus grande.
Deux ensembles de gravures bien différentes présentent les divers métiers. Le premier, assez réaliste, est de Bouchardon et montre un pâtissier, un boulanger, un boucher, etc. Dans le deuxième, par Larmessin, on voit des caricatures de ces mêmes métiers – un cuisinier, un boulanger, un vinaigrier, etc. – mais avec chaque personnage "vétu" des outils de son métier (le boulanger porte même son pétrin, plutôt encombrant.)
Avec cette partie de l'exposition (en deux salles), j'ai pu renouveler ce plaisir de voir concretèment ce qui correspondait à des images que je ne connaissais qu'à l'écran. Et en regardant de près, j'ai constaté que la plupart de ces images provenaient de la collection personnelle de… Anne Willan (et de son mari, Mark Cherniavsky). Voilà donc une deuxième plaisir pour lequel je dois remercier Anne Willan.
En abordant la deuxième partie, on voit des images de fêtes, dont plusieurs gravures de taille normale, mais bien d'autres encore sur de grandes feuilles d'un ou deux mètres de longueur. Ces images sont très détaillées et devaient avoir l'éclat des effets spéciaux à l'époque. Mais comme beaucoup sont en noir et blanc, il faut aujourd'hui faire un effort pour bien en ressentir l'effet.
En entrant, on voit des images du pays de Cocagne, où toutes sortes de bonnes choses sont disponibles à volonté et où on est payé pour ne pas travailler. Plus loin, ce sont des images des Banquets des Dieux, des fêtes successives données à Versailles, et plusieurs gravures de la Fête du Cochon Rôti (Festa della Porchetta).
Il y a quand même quelques gravures colorées à la main, dont une très grande au milieu de la première salle d'une Procession du Pape Clément VII et de l'Empereur Charles Quint après son couronnement à Bologne le 24 février 1530. Ce rouleau montre une succession de scènes, dont de défilés des soldats et la distribution de pain à une foule.
Dans la salle suivante, on voit d'autres images, mais aussi des objets: des surtouts, des pièces en argent, souvent magnifiques, qu'on mettait au milieu de la table pour les grands festins. Deux œuvres en argent, de la main de Thomas Germain, sont présentées, l'une avec une tête de sanglier, l'autre avec des écrevisses et des choux-fleurs, le tout finement sculpté en argent.
Mais la pièce maîtresse de l'exposition est un "Palais de Circé", élaboré en sucre par Ivan Day, d'après les instructions données dans un livre de cuisine de Menon. L'effet d'un palais blanc et de plusieurs statues de personnages mythiques est déjà assez frappant, mais, en plus, le tout est posé sur un miroir, comme à l'époque. À la lumière des chandeliers et des bougies, cela devrait être féerique.
Ainsi, à travers quelque salles, le visiteur progresse depuis les recettes et les métiers jusqu’aux fêtes et décorations de table, commençant ainsi par le côté pratique pour finir par des présentations magnifiques.
-----------------
Notre invité, Jim Chevallier, qui habite North Hollywood (Californie), est historien culinaire, spécialiste de la gastronomie française du haut Moyen Âge et de l'histoire du pain français. Il a rédigé deux livres sur l’histoire du pain : About the Baguette: Exploring the Origin of a French National Icon et August Zang and the French Croissant: How Viennoiserie Came to France. Traducteur du français vers l’anglais, spécialisé en gastronomie, il s’est attelé à la traduction de l’ouvrage Histoire de la vie privée des Français depuis l'origine de la nation jusqu'à nos jours de Pierre Jean-Baptiste Le Grand d’Aussy, lequel constitue le premier livre d’histoire exhaustif de la cuisine française, publié en trois volumes. M. Chevallier a publié plusieurs traductions d’extraits de cet ouvrage, dont le plus populaire est A History of Wine in France from the Gauls to the Eighteenth Century. Il a également traduit plusieurs livres de recettes de cuisine médiévale, dont Le Viandier de Taillevent (How To Cook A Peacock: Le Viandier: Medieval Recipes From The French Court). Notre invité a aussi contribué à la rédaction d’importants ouvrages de référence, notamment le Dictionnaire Universel du Pain (Laffont, 2010), Oxford Encyclopedia of Food and Drink in America (seconde édition, 2012), et Consuming Culture in the Long Nineteenth Century (2010).
Commentaires