Nous sommes heureux de retrouver notre contributeur fidèle, René Meertens, traducteur de langue française. René a été employé par l'ONU, l'Unesco, la Commission européenne et l'Organisation mondiale de la santé. Il est l'auteur, entre autres livres, du "Guide anglais-français de la traduction" et du "Dictionnaire anglais-français de la santé et du médical". René a bien voulu rédiger l'article suivant à notre intention.
Il n’est pas besoin de rappeler que l’anglais et le français sont des langues cousines, dont la consanguinité remonte à l’invasion de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant au XIe siècle. Dans le présent billet, les mots anglais seront mentionnés en italique pour éviter toute confusion.
D’une manière générale, les dictionnaires de langue anglaise mentionnent plus volontiers des mots et expressions archaïques que leurs homologues français. C’est le cas en particulier de « peradventure ». Nous avons demandé au mot anglais « peradventure » de nous raconter sa propre histoire. La voici :
Ce dernier sens se retrouve en particulier dans l’expression « beyond peradventure » ou « beyond a peradventure », qui signifie « sans aucun doute ». Ainsi, « to prove something beyond peradventure » signifie « prouver quelque chose sans laisser place au moindre doute ».
Pour ce qui est de mes origines, disons que je proviens du moyen anglais « per adventure », lui-même issu de l’ancien français « per adventure » ou « per aventure »
Mon cousin le mot français « aventure » (ou « adventure ») dérive du latin populaire « aventura » (choses destinées à se produire) et signifiait destin, sort, accident, hasard, risque.
Selon le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle (1881) de Frédéric Godefroy, l’un des sens d’ « aventure » était anciennement « chose chanceuse » L’exemple donné est le suivant :
Qui joie en a, petit li dure
Et de l’avoir est aventure
A supposer que, dans cette citation il est question de l’amour, une traduction en français contemporain pourrait être :
Pour celui qui en tire de la joie, cela ne dure guère
Et il faut avoir de la chance pour en bénéficier
Les deux autres sens mentionnés par Godefroy sont « droit éventuel » et « produit éventuel ».
Le Littré donne de nombreux exemples de phrases du XIe au XVIe siècle contenant le mot « adventure » ou « aventure », précédé ou non de la préposition « par ». L’exemple suivant est explicité par Littré entre crochets :
Ils [les Bretons] en vinrent à leur entente et par grand aventure [par hasard], [Froissart, II, II, 36]
Le chroniqueur Jean Froissart mourut vers 1405.
Le sens de « hasard » apparaît également dans une citation de Montaigne figurant dans le Trésor de la langue française, sous l’entrée « abstrus » : J’ai leu en Tite-Live cent choses que tel n’y a pas leu; Plutarque en y a leu cent, oultre ce que j’y ay sceu lire, et à l’adventure oultre ce que l’aucteur y avoit mis.
Le Littré, dont la seconde édition est parue en 1877, distingue huit sens du mot « aventure ». Le premier est ce qui advient par cas fortuit. (« Il lui arrive toujours quelque aventure singulière. »). Ce sens fait songer au mot « mésaventure », qui combine le préfixe péjoratif « mé » (que l’on retrouve notamment dans le mot « mésalliance ») et « aventure », et désigne un regrettable incident. Une mésaventure est un déboire, sans être catastrophique, se faire voler son téléphone portable, par exemple.
Le deuxième sens est « sort », que l’on retrouve dans « diseuse de bonne aventure ».
Le troisième est « entreprise hasardeuse ». Les sections 4 à 6 portent sur des sens vieillis.
La section 7 est consacrée à l’expression « à l’aventure » (« au hasard, sans dessein »). Malheureusement, les exemples donnés par Littré manquent de clarté pour le lecteur d’aujourd’hui. Celui-ci peut visiter l’Italie en passant par une agence de voyages ou partir à l’aventure, sans plan, en laissant l’inspiration du moment décider des différentes destinations. Donc en se fiant en grande partie au hasard.
La huitième section présente un intérêt particulier. Selon le Littré, « d’aventure » et « par aventure » sont des synonymes. Le sens indiqué est « par hasard, fortuitement ») Voici deux exemples donnés par Littré :
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau, [La Fontaine, Fab. I, 22]
Est-il, en ce danger, de jugement perclus ?
Ou si par aventure il ne lui souvient plus
Que j'ai du sang des siens ses campagnes noyées ? [Mairet, Solim. I, 3]
Jean de Mairet était un homme de lettres du XVIIe siècle.
L’exemple qui suit, purement imaginaire, est sans doute plus explicite : Si d’aventure vous trouvez un exemplaire original des Malheurs de Sophie, achetez-le pour moi.
En anglais contemporain, le substantif « adventure » a principalement le sens 3 indiqué par l’American Heritage Dictionary of the English Language, Fifth Edition : « Participation in hazardous or exciting experiences: the love of adventure. » Ce dictionnaire indique cependant trois autres sens, ainsi que le verbe « to adventure ».
Il est intéressant de se pencher sur les sens vieillis du mot « adventure », qui se situent dans le domaine juridique. Ce mot désignait autrefois une entreprise commerciale comportant un risque, en particulier l’expédition maritime de marchandises. Dans son sens général, ce mot a été abrégé en « venture », encore utilisé de nos jours, en particulier dans l’expression « joint venture », à rapprocher de « joint adventure », qui avait le même sens que « common adventure », c’est-à-dire une entreprise maritime à laquelle participaient plusieurs personnes, qui en partageaient les risques. Un « bill of adventure » était un écrit par lequel un marchand, un propriétaire de navire ou un capitaine reconnaissait que les marchandises transportées par un navire appartenaient à une personne mentionnée dans ledit écrit. On se reportera utilement aux deux dictionnaires suivants : Bryan A. Garner, Black’s Law Dictionary, West, et Jowitt’s Dictionary of English Law, Sweet & Maxwell Limited.
En français, le « prêt à la grosse aventure », désignait jadis un prêt destiné à financer un transport maritime. Ce prêt s’appelait « gross adventure » en anglais. Comme le prêteur risquait de tout perdre si le navire ou sa cargaison était perdu, il pouvait demander des intérêts élevés.
Enfin, en anglais juridique, le mot « aventure » désignait dans le passé la mort accidentelle d’un homme.
Il reste à espérer que le lecteur aura été diverti par mes aventures et celle des mots qui me sont apparentés.
Encore un article très sympa et instructif à propos d'un mot que je ne connaissais pas du tout en anglais.
Merci René et Jonathan!
Rédigé par : Jacquie Bridonneau | 15/04/2016 à 01:11
Merci: aussi plaisant à lire qu'enrichissant.
Rédigé par : Mathilde Fontanet | 10/05/2016 à 14:59